La présente analyse a été présentée à quelque 200 délégués lors d’un congrès de la CNE en septembre 2006. L’ambition est de dresser un premier aperçu des difficultés rencontrées dans l’application du plan Marshall
Plan Marshall
Ensemble de dons et de crédits fournis par les États-Unis aux pays européens à partir de 1948 en vue de reconstruire le territoire dévasté par la guerre. Ce programme a été lancé par le secrétaire d’État de l’époque, le général George Marshall, le 5 juin 1947. Washington se donnait le droit de regard sur l’utilisation de ces fonds, ce qui lui permit de favoriser les investissements américains sur le vieux continent, ainsi que l’adoption des produits et habitudes de consommation américains. L’Est européen refusa ses conditions, ce qui coupa alors (et non auparavant) l’Europe en deux. L’aide était gérée à partir de l’Organisation européenne de coopération économique, dont étaient aussi membres les États-Unis et le Canada. Celle-ci deviendra l’OCDE en 1960.
(En anglais : Marshall plan)
avant d’en décrire les grandes lignes. La parole ainsi laissée aux décideurs impliqués sera pour nous l’occasion de poser les premiers jalons d’une réflexion concernant le jeu d’acteurs impliqués par le plan...
Point de vue. Dans une interview de rentrée accordée à l’hebdomadaire Le Vif/l’Express [1], Elio Di Rupo, président de l’Exécutif régional wallon et du parti socialiste tirait un premier bilan en ce qui concerne le Plan Marshall
Plan Marshall
Ensemble de dons et de crédits fournis par les États-Unis aux pays européens à partir de 1948 en vue de reconstruire le territoire dévasté par la guerre. Ce programme a été lancé par le secrétaire d’État de l’époque, le général George Marshall, le 5 juin 1947. Washington se donnait le droit de regard sur l’utilisation de ces fonds, ce qui lui permit de favoriser les investissements américains sur le vieux continent, ainsi que l’adoption des produits et habitudes de consommation américains. L’Est européen refusa ses conditions, ce qui coupa alors (et non auparavant) l’Europe en deux. L’aide était gérée à partir de l’Organisation européenne de coopération économique, dont étaient aussi membres les États-Unis et le Canada. Celle-ci deviendra l’OCDE en 1960.
(En anglais : Marshall plan)
: "Le redressement wallon ne se fera pas en un an, il faudra un peu de temps pour que les mesures initiées par le plan Marshall aient un impact sur les indicateurs économiques. Mais, au bout d’un an, le bilan que l’on peut tirer est très positif et le travail accompli, impressionnant. (…) Quelque 1 700 formations professionnelles sont déjà en cours dans les secteurs de la construction, du transport, de la logistique et de l’industrie alimentaire. Il y en aura 4 000 supplémentaires en 2007, et 6 000 en 2008. En matière linguistique, le plan Marshall prévoit 12 000 formations pour encourager le bilinguisme, et ce en plus de chèques-langues mis à la disposition des entreprises pour leur personnel (…). Les pôles de compétitivité (ndlr : un partenariat unissant le monde universitaire, celui des entreprises ainsi que de la formation professionnelle) ont déjà présenté leurs projets et savent de quel coup de pouce financier ils pourront bénéficier pour les mener à bien (…). Et surtout, cela traduit une rupture radicale du mode de management public".
Contre-point de vue. Côté patronal, Henry Mestdagh, président de l’Union wallonne des entreprises (UWE), se félicitait de l’orientation donnée au plan Marshall : "Nous attendions du gouvernement qu’il supprime les freins à la création d’activités ; c’est visiblement son intention et nous nous en réjouissons ». Et Roger Mené, le président de l’Union des classes moyennes (UCM), de lui emboîter le pas : « Le plan Marshall concentre tous les efforts sur la seule création d’activités économiques. C’est une victoire incontestable [2]".
Les patrons au balcon ?
La référence historique au "Plan Marshall" est intéressante. Elle fait référence à George Catwell Marshall, général et secrétaire d’État américain à la fin de la deuxième guerre mondiale, sous la direction de qui une aide extérieure (liée à une réciprocité commerciale !) des États-Unis fut accordée à l’ensemble des pays d’Europe occidentale afin de procéder à leur reconstruction. C’est clair, du côté de l’Elysette, on ne manque pas d’ambitions.
Le "Plan Marshall", porté par l’Exécutif wallon (PS-CDH), qui porte sur un volume global de 1,5 milliard d’euros répartis sur 4 ans (2006-2009), est en partie financé par le contribuable. Question : d’où provient cette manne ? En sus des apports du budget de la Région wallonne, une partie de la manne provient de la vente des actions d’Arcelor que détenait encore la Région wallonne et ceci pour un total de 180 millions d’euros. La plus grande part provient de la ré-allocation et de la réduction des dépenses au sein des budgets régionaux. A cela s’ajoutent des dépenses financées par un emprunt.
Le tout représente mutatis mutandis5% du budget régional annuel. Cet évident volontarisme des pouvoirs publics ne demande qu’à rencontrer celui du monde de l’entreprise. Elio Di Rupo [3], répondant à certaines critiques, portait, en effet, le jugement suivant : "il y a encore beaucoup de travail. Mais il faut que tout le monde s’y mette. Si les relais que nous mettons en place pour inculquer l’esprit d’entreprendre, y compris aux chefs d’entreprises eux-mêmes, ne fonctionnent pas, nous aurons de grandes difficultés (…). C’est aux patrons de dire : voilà quel peut être notre apport au redressement wallon. Il faut une démarche active". Et, en cette matière, le Plan témoigne du caractère proactif des autorités wallonnes.
5 axes
En effet, la Région n’a pas lésiné sur les moyens mis en œuvre. Ces derniers seront déclinés au moyen de cinq axes de travail [4].
Tout d’abord, la création de cinq pôles de compétitivité vise fondamentalement à la mise en place d’un cadre favorable au développement économique des entreprises. Ces 5 pôles concernent les secteurs de l’aéronautique et de l’industrie spatiale, de l’agroalimentaire, du transport et de la logistique, de l’ingénierie mécanique ainsi que de la santé et des sciences du vivant (pharmacie-santé). Le patronat et les universités ont été conviés à piloter l’affectation des fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
qui seront consacrés au développement des pôles.
Ensuite, un système d’aide à la recherche, l’innovation et la formation, a également été mis en place. Il s’agit d’un programme de recherche pour les entreprises et les universités financé à 50% par la Région wallonne. Cette mesure complète les efforts consentis par le gouvernement fédéral (réduction de 50 millions d’euros du précompte professionnel
Précompte professionnel
Paiement anticipé au fisc des revenus du travail. Il s’agit d’un prélèvement obligatoire à la source. Contrairement au précompte mobilier, celui-ci n’est pas libératoire. Au moment de la déclaration fiscale, en fonction des autres revenus, le ménage devra payer un supplément pour remplir ses devoirs fiscaux. Dans certains cas, s’il a trop payé, il recevra la différence.
(en anglais : withholding tax)
pour les chercheurs) et la Région wallonne (actuellement, les entreprises qui lancent des projets de recherche bénéficient de la part de la Région des avances récupérables). La promotion des langues sera assurée via les "chèques-langues". Sont concernés les particuliers mais aussi les entreprises qui souhaitent former leur personnel.
Troisième axe constituant l’objectif principal du plan : le développement d’activités marchandes et non-marchandes en Wallonie. La promotion d’un système d’aide à l’investissement
Investissement
Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
destiné à revigorer la force de frappe des industries wallonnes participe de cette logique. C’est ainsi qu’à la demande de la région wallonne, le gouvernement fédéral a décidé d’exonérer fiscalement les aides régionales aux entreprises, notamment les aides à l’investissement. Dans la même veine, l’accueil des investissements étrangers et le soutien aux exportations constitueront des priorités afin de dynamiser la croissance
Croissance
Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
en Wallonie. Par ailleurs, l’assainissement des friches industrielles constituera un des fers de lance de l’axe n°3. La mise en place de zones franches participe de cet objectif général.
De plus, des mesures fiscales seront mises en avant par l’exécutif régional wallon pour donner un coup de fouet à l’économie wallonne. C’est ainsi que des pans entiers de la fiscalité communale et provinciale seront réaménagés de manière à faire disparaître des impôts et taxes pénalisant le développement des affaires pour un montant de 100 millions d’euros [5]. Ainsi, depuis le 1er janvier 2006, les taxes sur la force motrice et les surfaces inutilisées ont disparu du paysage fiscal wallon. Il en va de même pour la taxe compensatoire industrielle.
Enfin, il entre dans les intentions du gouvernement régional wallon d’améliorer l’employabilité de la main-d’œuvre et de la jeunesse wallonnes. C’est ainsi que la promotion des langues sera assurée via les"chèques-langues". Sont concernés les particuliers mais aussi les entreprises qui souhaitent former leur personnel.
De manière transversale, afin de servir les objectifs généraux du plan, une nouvelle culture administrative devrait voir le jour en Wallonie. Cette nouvelle gouvernance impliquera, entre autres modifications de comportement, une rationalisation des dépenses publiques ainsi qu’un effort de coordination entre les différents services de l’administration.
D’après le courrier hebdomadaire du CRISP [6], le coût du plan Marschall en termes de non-rentrées fiscales s’élève, pour l’année 2006, à 147,3 millions d’euros. Les mesures de défiscalisation des entreprises étaient initialement prévues surtout pour les zones franches. La création de ces dernières ayant été catégoriquement refusée par la Commission européenne (en cause, une distorsion de la libre concurrence !), le gouvernement wallon a étendu ces mesures à toutes les sous-régions de Wallonie.
Si l’on tient compte du fait que le Plan Marshall amplifie les décisions arrêtées par le gouvernement fédéral (plans d’allègement des cotisations patronales à la sécurité sociale, maintien de l’impôt sur les sociétés à un taux plancher par rapport aux autres pays de la zone euro), on admettra que ces dernières années, la voie empruntée par les pouvoirs publics pour redonner du tonus à l’activité économique aura massivement été celle de la subsidiation du capital
Capital
Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
. Pour mémoire, le patronat s’est vu octroyer un plan de réductions des cotisations à la sécu pour un montant total de cinq milliards d’euros (deux milliards entre 2003 et 2006). S’il devait s’avérer que l’emploi ne décolle pas en Wallonie (et plus particulièrement dans le Hainaut et en province de à Liège), on ne voit plus guère quelle raison évoquer à ce sous-emploi chronique qui (ne) constituerait du même coup une sérieuse remise en cause des (coûteuses) exigences patronales. Ce type de doutes semble d’ailleurs se retrouver du côté des syndicats.
A la sortie du Plan Marshall, les deux organisations syndicales ont estimé la démarche globalement positive. Toutefois, c’est sur le volet social et la question de l’emploi que des critiques ont été émises. Dans une interview commune accordée au journal Le Soir [7], Raymond Coumont, secrétaire général de la CNE et président du comité wallon de la CSC, et Jean-Claude Vandermeeren, secrétaire général de l’interrégionale wallonne de la FGTB se sont exprimés à ce sujet. "Ce qu’on ne veut pas", souligne Raymond Coumont, "c’est qu’on constate dans quatre ans, que le milliard d’euros n’a pas permis de créer des emplois, que le privé n’a pas suivi et que les politiques sociales ont été remises en cause…". Même son de cloche chez Jean-Claude Vandermeeren : "Il faut en effet savoir si ces pôles ne sont qu’un effet d’aubaine ou s’ils sont véritablement créateurs d’emplois. Il faut donc une surveillance syndicale pour voir si les investissements dans ces pôles conduiront à la création d’emplois. Il faut donc rétablir le dialogue. Jusqu’à présent, nous n’avons aucune garantie sur cette question" [8].La CSC et la FGTB wallonnes ont ciblé environ 300 entreprises qui relèvent des pôles de compétitivité et chargé leurs délégués dans ces entreprises de demander des comptes sur les investissements et l’affectation des aides régionales.
Pour poursuivre
Un fil conducteur traverse l’ensemble du Plan Marshall : la création d’emplois est conditionnée par la compétitivité des entreprises. Et les pouvoirs publics ont un rôle essentiel pour stimuler et encadrer cette compétitivité. Pour les décideurs wallons, on n’y parviendra que d’une seule façon. A l’occasion de la présentation du Plan Marshall, fin août 2006, le vice-président CDH du gouvernement wallon, André Antoine, s’exprimait ainsi : "Il faudra amener les syndicats à accepter une modération salariale, une paix sociale aussi serait l’idéal. Quand vous avez des taux de croissance qui sont faibles, qui peut croire qu’on peut distribuer davantage que ce qu’on reçoit ? Avant de pouvoir partager la richesse
Richesse
Mot confus qui peut désigner aussi bien le patrimoine (stock) que le Produit intérieur brut (PIB), la valeur ajoutée ou l’accumulation de marchandises produites (flux).
(en anglais : wealth)
, il faut d’abord la créer" [9]. Certes, certes, mais que l’on nous permette deux commentaires.
Tout d’abord, depuis une vingtaine d’années, la modération salariale évoquée par André Antoine a bien contribué au rétablissement du taux de profit
Taux de profit
Rapport entre le bénéfice et le capital investi ; il y a différentes manières de le calculer (bénéfice net par rapport aux fonds propres de l’entreprise ; bénéfice d’exploitation sur les actifs fixes ; et les marxistes estiment le rapport entre la plus-value créée et le capital investi).
(en anglais : profit rate).
. Mais celui-ci n’a pas servi à stimuler des investissements productifs et donc à créer des emplois en nombre significatif. In fine, si l’accent mis sur la production de richesses est correct d’un point de vue à la fois théorique et pratique, pourquoi tout échec en cette matière devrait-il être supporté par l’ensemble des travailleurs ? Un petit chiffre valant plus qu’un long discours, on signalera qu’en 2000, les réductions de cotisations (en 2000) (2,6 milliards d’euros) ont permis la création de 35.700 emplois. Coût par emploi créé : 73.228 euros [10]... D’où question : les politiques visant à renforcer la compétitivité des entreprises en s’attaquant aux seuls coûts salariaux constituent-elles vraiment un incitant à l’investissement ? Ce genre de constat appelle naturellement d’autres développements. Ceux-ci constitueront le cœur des analyses ultérieures du GRESEA dès lors que la question de la formulation d’alternatives au modèle néolibéral sera abordée sous l’angle des politiques régionales.