Le 28 octobre 2007, des élections présidentielles se tiendront en Argentine. L’occasion pour nous de revenir sur la dynamique politique et sociale caractérisant un pays méconnu chez nous. Nous tenterons, à partir de données économiques, de dresser le contour des questions qui se posent à la société argentine contemporaine.

 Il était une fois un pillage

Evoquer le présent de l’Argentine sans prendre le temps d’évoquer le golpe de 1976 : une gageure. Car c’est à cette époque que le virage vers le néolibéralisme Néolibéralisme Doctrine économique consistant à remettre au goût du jour les théories libérales « pures ». Elle consiste surtout à réduire le rôle de l’État dans l’économie, à diminuer la fiscalité surtout pour les plus riches, à ouvrir les secteurs à la « libre concurrence », à laisser le marché s’autoréguler, donc à déréglementer, à baisser les dépenses sociales. Elle a été impulsée par Friedrich von Hayek et Milton Friedman. Mais elle a pris de l’ampleur au moment des gouvernements de Thatcher en Grande-Bretagne et de Reagan aux États-Unis.
(en anglais : neoliberalism)
a commencé à prendre forme. Entre 1976 et 1983, la dictature militaire a éliminé physiquement des dizaines de milliers de militants de gauche [1] pour mettre en place un modèle ultralibéral. Cette politique a reçu le soutien passif de la classe moyenne en échange d’une promesse d’ordre et de prospérité. Sous Menem, à partir de 1989, on a promis à cette même classe moyenne d’accéder au « premier monde » si elle suivait au pied de la lettre les instructions du FMI FMI Fonds Monétaire International : Institution intergouvernementale, créée en 1944 à la conférence de Bretton Woods et chargée initialement de surveiller l’évolution des comptes extérieurs des pays pour éviter qu’ils ne dévaluent (dans un système de taux de change fixes). Avec le changement de système (taux de change flexibles) et la crise économique, le FMI s’est petit à petit changé en prêteur en dernier ressort des États endettés et en sauveur des réserves des banques centrales. Il a commencé à intervenir essentiellement dans les pays du Tiers-monde pour leur imposer des plans d’ajustement structurel extrêmement sévères, impliquant généralement une dévaluation drastique de la monnaie, une réduction des dépenses publiques notamment dans les domaines de l’enseignement et de la santé, des baisses de salaire et d’allocations en tous genres. Le FMI compte 188 États membres. Mais chaque gouvernement a un droit de vote selon son apport de capital, comme dans une société par actions. Les décisions sont prises à une majorité de 85% et Washington dispose d’une part d’environ 17%, ce qui lui donne de facto un droit de veto. Selon un accord datant de l’après-guerre, le secrétaire général du FMI est automatiquement un Européen.
(En anglais : International Monetary Fund, IMF)
(privatisations massives et abandon de l’autonomie de la politique économique Politique économique Stratégie menée par les pouvoirs publics en matière économique. Cela peut incorporer une action au niveau de l’industrie, des secteurs, de la monnaie, de la fiscalité, de l’environnement. Elle peut être poursuivie par l’intermédiaire d’un plan strict ou souple ou par des recommandations ou des incitations.
(en anglais : economic policy).
via la liaison peso-dollar). Entre 1990 et 1999, pendant la période d’application du modèle ultralibéral et de la parité 1 peso pour 1 dollar, la dette argentine est passée de 62 milliards à 147 milliards $. Pendant cette période 113 milliards de dollars ont été payés en intérêts Intérêts Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
et amortissements [2]. L’explosion de la dette en Argentine fut, au cours des années nonante, des plus spectaculaires. Alors qu’en 1982, date de la crise de la dette, cette dernière représentait 52% du produit intérieur brut Produit intérieur brut Ou PIB : Richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
. Vingt ans plus tard, elle équivalait à 71% de ce même PIB PIB Produit intérieur brut : richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
.

Tableau : Dettes publique et privée de l’Argentine en monnaie Monnaie À l’origine une marchandise qui servait d’équivalent universel à l’échange des autres marchandises. Progressivement la monnaie est devenue une représentation de cette marchandise d’origine (or, argent, métaux précieux...) et peut même ne plus y être directement liée comme aujourd’hui. La monnaie se compose des billets de banques et des pièces, appelés monnaie fiduciaire, et de comptes bancaires, intitulés monnaie scripturale. Aux États-Unis et en Europe, les billets et les pièces ne représentent plus que 10% de la monnaie en circulation. Donc 90% de la monnaie est créée par des banques privées à travers les opérations de crédit.
(en anglais : currency)
étrangère (en millions de dollars)

AnnéePubliquePrivéeTotalDette sur PIB en %
1980 14.459 12.703 27.162 13
1982 28.616 15.018 43.634 52
1991 58.185 8.598 66.783 35
1992 52.900 12.294 65.194 29
1993 64.060 18.820 82.880 35
1994 71.913 24.641 96.554 38
1995 81.209 31.955 113.164 44
1996 88.937 36.500 125.437 46
1997 95.543 50.140 145.683 50
1998 106.527 58.818 165.345 50
1999 116.212 60.539 176.751 62
2000 123.608 61.724 185.332 65
2001(9 premiers mois) 138.983 55.893 194.876 71

Source : Banque centrale Banque centrale Organe bancaire, qui peut être public, privé ou mixte et qui organise trois missions essentiellement : il gère la politique monétaire d’un pays (parfois seul, parfois sous l’autorité du ministère des Finances) ; il administre les réserves d’or et de devises du pays ; et il est le prêteur en dernier ressort pour les banques commerciales. Pour les États-Unis, la banque centrale est la Federal Reserve (ou FED) ; pour la zone euro, c’est la Banque centrale européenne (ou BCE).
(en anglais : central bank ou reserve bank ou encore monetary authority).
de la république argentine, BCRA, cité par Pierre Salama in « Argentine, la chronique d’une crise annoncée", rapport à destination du Haut Conseil de la Coopération Internationale, 2002

Entre 1993 et 2000, d’après Salama [3], les 200 plus grandes compagnies du pays avaient gagné 28.441 milliards de dollars. 57% de ces profits étaient enregistrés par les 26 grandes sociétés privatisées. 26,3% étaient le fait de 33 compagnies liées aux entreprises privatisées et 16,3% de 141 autres entreprises n’ayant aucune relation avec ces entreprises. Bref, sous injonction du FMI, le gouvernement du président Menem avait privatisé les segments les plus rentables du pays.

Or, selon les travaux de D.Azpiazu [4] (2001), de 1992 à 2000 pour chaque dollar engrangé par les 500 plus grandes entreprises privatisées, 80 cents étaient expatriés. En 2000, plus de 1.600 millions de dollars ont été expatriés et de 1992 à 2000, 8.900 millions de dollars. 2.066 et 2.524 millions de dollars ont quitté le territoire argentin en 1997 et 1998. Y ajouter les intérêts nets de la dette extérieure, à savoir 6.166 à 7.608 millions de dollars. L’ensemble correspond approximativement à un peu plus de la moitié de la valeur des exportations. Le réinvestissement des profits par les investisseurs étrangers se situait dans une fourchette oscillant entre 25 et 35 % des sommes versées à l’étranger au titre Titre Morceau de papier qui représente un avoir, soit de propriété (actions), soit de créance à long terme (obligations) ; le titre est échangeable sur un marché financier, comme une Bourse, à un cours boursier déterminé par l’offre et la demande ; il donne droit à un revenu (dividende ou intérêt).
(en anglais : financial security)
des dividendes et profits rapatriés. En 1997, 2.842 millions de dollars et en 1998, 3.353 millions de dollars sont passés à l’étranger alors que le réinvestissement des profits s’élevait respectivement à 815 et 697 millions de dollars pour ces mêmes années.

Au total, on observera avec Salama [5] qu’en 2001, "l’ensemble des caractéristiques des autres grandes économies latino-américaines est présent en Argentine : comportement rentier Rentier Littéralement quelqu’un qui vit de ses rentes. La rente est au sens large du mot tout facteur économique qui crée des revenus sans qu’il y ait un effort (en tout cas proportionnel) de la part de son propriétaire. C’est le cas des détenteurs de capitaux, s’ils se contentent de détacher les coupons ou de spéculer sur les écarts de valorisation boursière.
(En anglais : person who has a private income)
des entrepreneurs, (…), internationalisation prononcée des activités, (…), augmentation de l’ouverture de l’économie au commerce international et globalisation quasi totale au niveau des flux Flux Notion économique qui consiste à comptabiliser tout ce qui entre et ce qui sort durant une période donnée (un an par exemple) pour une catégorie économique. Pour une personne, c’est par exemple ses revenus moins ses dépenses et éventuellement ce qu’il a vendu comme avoir et ce qu’il a acquis. Le flux s’oppose au stock.
(en anglais : flow)
financiers et dépendance financière vis-à-vis des marchés financiers internationaux."

 Liaisons dangereuses avec le dollar

Un des points majeurs de l’application des plans d’ajustement structurel en Argentine aura été la parité dollar-peso. Citons encore Salama [6] : "l’Argentine s’est distinguée des autres pays en perdant quasi complètement la possibilité d’avoir une politique monétaire autonome avec l’institutionnalisation du plan de convertibilité - connu à l’étranger sous le nom de "currency board"- par Cavallo en 1991 et donc l’abandon d’une politique de change réel."

Cette parité fixe présentait un avantage majeur pour les investisseurs étrangers, les fameux pourvoyeurs d’IDE IDE Investissement Direct à l’Étranger : Acquisition d’une entreprise ou création d’une filiale à l’étranger. Officiellement, lorsqu’une société achète 10% au moins d’une compagnie, on appelle cela un IDE (investissement direct à l’étranger). Lorsque c’est moins de 10%, c’est considéré comme un placement à l’étranger.
(en anglais : foreign direct investment)
 [7] : elle les prémunissait d’une dépréciation de leurs avoirs et donc des capitaux à réexporter. Profitabilité maximale. Pas pour les travailleurs. C’est que, comme le soulignait fort justement Salama [8], "la fixité du taux de change réel implique nécessairement une très grande flexibilité de la main d’œuvre (salaire, conditions de travail) - puisque ce qu’on ne peut pas obtenir en terme de compétitivité par la manipulation des changes (…) (dévaluation Dévaluation Baisse du taux de change d’une devise par rapport aux autres devises. En général, une dévaluation se passe en système de change fixe, parce que la réduction a lieu par rapport à la devise clé.
(en anglais : devaluation).
) doit l’être sur le coût du travail". Par ailleurs, les remboursements de la dette ont bien évidemment amenuisé les dépenses publiques.

Ces deux mécanismes cumulés ont, en fin de compte, exercé une pression à la baisse sur le PIB. A propos de la dynamique de l’endettement, on peut parler de cercle vicieux. La liaison 1 Peso = 1 Dollar a ouvert l’économie vers l’extérieur au prix d’un maintien de la compétitivité par effet salaire, permettant l’évasion de capitaux et la captation de valeur ajoutée Valeur ajoutée Différence entre le chiffre d’affaires d’une entreprise et les coûts des biens et des services qui ont été nécessaires pour réaliser ce chiffre d’affaires (et qui forment le chiffre d’affaires d’une autre firme) ; la somme des valeurs ajoutées de toutes les sociétés, administrations et organisations constitue le produit intérieur brut.
(en anglais : added value)
par l’étranger. Plus les profits étaient rapatriés (ce qui amenait à une dégradation de la balance commerciale Balance commerciale C’est le solde entre les exportations de marchandises qui constituent une rentrée d’argent (de devises étrangères) et les importations qui représentent une sortie d’argent. C’est pourquoi on parle d’excédent ou de déficit commercial si les exportations rapportent davantage ou non que les importations.
(en anglais : balance of trade).
), plus l’Etat devait s’endetter faute de rentrées fiscales et plus les salaires étaient comprimés pour permettre le maintien du peso au niveau du dollar. Et plus l’Etat s’endettait, plus les dépenses publiques étaient comprimées. Schéma explosif. Et l’explosion a eu lieu en 2001.

L’économie argentine entre en récession Récession Crise économique, c’est-à-dire baisse du produit intérieur brut durant plusieurs mois au moins.
(en anglais : recession ou crisis)
en 1998, trois ans après la crise qui avait frappé le Mexique et en même temps que l’effet samba qui avait affecté le Brésil. Résultat : une dévaluation brutale des monnaies brésilienne et mexicaine. La dévaluation du réal brésilien a fortement obéré les capacités exportatrices des entreprises argentines. La balance commerciale s’en est ressentie. Le maintien de la convertibilité peso-dollar, après la récession de 1998, a renforcé l’effet dévastateur du choc récessif. En novembre 2001, l’objectif budgétaire donné par le FMI n’était pas atteint. Résultat : le FMI refusait d’allouer une somme de 1,25 milliard de dollars. Cette mauvaise nouvelle fut la cause d’une terrible perte de confiance en l’économie argentine. Avec fuite des capitaux à la clé. Et une déstabilisation du système bancaire. Afin d’empêcher les Argentins de convertir leurs pesos en dollars, le gouvernement limita les retraits d’argent des comptes courants à 250 $.

La classe moyenne commençait à descendre dans la rue. L’Etat argentin, en cessation de paiement, n’avait plus le choix : il fallait dévaluer. Ce fut chose faite début 2002. A la fin de cette même année, l’économie argentine redressait la tête. La compétitivité des produits argentins sur les marchés était raffermie. En mai 2003, Nestor Kirchner, un péroniste de gauche, devenait président. On observe depuis son élection une certaine réorientation des politiques économiques. Elle aura tout d’abord consisté en un remboursement anticipé du capital Capital Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
de la dette auprès du FMI. Ce qui redonnait une marge de manœuvre au gouvernement dans ses politiques économiques. En outre, le processus de la conversion de dettes à l’égard des créanciers privés conduisit à une réduction en capital Capital de cette dette (privée).

Depuis, en prenant l’exact contre-pied des recettes du FMI, l’économie argentine affiche des taux de croissance Croissance Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
supérieurs à 8%. Hélas, des hypothèques pèsent encore sur l’avenir du pays.

 Défis pour le futur

Les pays d’industrialisation récente (comme c’est le cas en Argentine), lorsqu’ils ouvrent leurs économies, voient leur position compétitive se dégrader dans le secteur des biens à haute valeur ajoutée. C’est une des implications de la thèse des industries naissantes. La mise en place d’un protectionnisme transitoire permet aux industries dans l’enfance de rattraper un retard en matière d’économies d’échelle, de productivité Productivité Rapport entre la quantité produite et les ressources utilisées pour ce faire. En général, on calcule a priori une productivité du travail, qui est le rapport entre soit de la quantité produite, soit de la valeur ajoutée réelle (hors inflation) et le nombre de personnes nécessaires pour cette production (ou le nombre d’heures de travail prestées). Par ailleurs, on calcule aussi une productivité du capital ou une productivité globale des facteurs (travail et capital ensemble, sans que cela soit spécifique à l’un ou à l’autre). Mais c’est très confus pour savoir ce que cela veut dire concrètement. Pour les marxistes, par contre, on distingue la productivité du travail, qui est hausse de la production à travers des moyens techniques (machines plus performantes, meilleure organisation du travail, etc.), et l’intensification du travail, qui exige une dépense de force humaine supplémentaire (accélération des rythmes de travail, suppression des temps morts, etc.).
(en anglais : productivity)
, et donc de compétitivité. Si on supprime la barrière de protection trop tôt, c’est l’industrie nationale qui trinque.

Comme le note Pierre Salama, l’ouverture au commerce mondial s’est soldée, en Argentine comme ailleurs sur le continent, par la "destruction d’une partie de l’appareil industriel (…) notamment dans les branches produisant des biens d’équipement et des produits intermédiaires plus ou moins sophistiqués et la spécialisation internationale favorisant l’exportation de produits primaires d’origine énergétique ou agricole." [9] Ce qui rend ces économies dépendantes des fluctuations des cours sur les marchés mondiaux. Ce point de vue est confirmé par d’autres sources. "La base d’exportations argentine reste (…) vulnérable à des chocs externes : (…) deux tiers des exportations sont constituées de biens agricoles, agro-industriels et d’hydrocarbures." [10]

Appréhendée du côté de la demande, la faiblesse de l’industrie locale nourrit des tendances inflationnistes. "Du fait de l’insuffisance de biens intermédiaires et de biens d’équipement produits localement (…), la rapide croissance de la demande interne a entretenu une forte expansion des importations depuis 2002, contribuant à une réduction progressive de l’excédent commercial. En conséquence, l’excédent courant a également diminué depuis son niveau record de 2002 jusqu’en 2004." [11]

Les chiffres de l’inflation Inflation Terme devenu synonyme d’une augmentation globale de prix des biens et des services de consommation. Elle est poussée par une création monétaire qui dépasse ce que la production réelle est capable d’absorber.
(en anglais : inflation)
sont éloquents : 9,3 % en 2004, 20,3 % en 2005 et 18,9 % en 2006 (source : Instituto Nacional de Estadist, 2007). Par ailleurs, l’industrie est en surchauffe. En 2005, on estimait que "le textile travaille déjà à 88,2% de sa capacité, les industries métallurgiques à 87,3 % et les raffineries de pétrole à 94,3%. En ce qui concerne la sidérurgie, la principale entreprise de cette branche, Techint, tourne à presque à 100% de sa capacité" [12].

Il conviendrait donc, pour éviter les tensions inflationnistes, de relancer la dynamique d’investissement Investissement Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
afin d’éviter l’étranglement de l’offre. Ceci supposerait d’augmenter les débouchés du côté de la demande solvable. Donc moins d’inégalités. Or, tout, en cette matière, reste à faire.

La source la plus fréquemment utilisée par les économistes pour évaluer les inégalités est le coefficient de Gini. Plus ce coefficient est proche de 0, plus l’égalité prévaut entre les riches et les pauvres. A l’inverse, plus il s’approche de 1, plus l’inégalité prévaut.

Que constate-t-on pour l’Argentine ? En 2001, le coefficient de Gini avait atteint un niveau élevé puisqu’il était égal à 0,52 [13]. L’explosion du chômage en 2001 n’explique pas tout. Aujourd’hui, après des années de forte croissance, le taux de chômage officiel est passé de 18,3% fin 2001 à 10,1% fin 2005 [14]. Malgré cette embellie, on ne constate pas de diminution significative des inégalités sociales (coefficient de Gini en 2006 : 48,3 [15]).

"Les progrès sociaux depuis quatre ans sont à relativiser, d’abord parce que la période 2001-2002 représente un “point bas” du niveau de vie (…) en Argentine (le taux de pauvreté était de 29% en 1998), ensuite parce que de larges segments de la population endurent (…) d’importantes difficultés. Les inégalités de revenus, très élevées, semblent même s’être accrues depuis trois ans." [16]

Pierre Salama [17] signalait qu’"en Argentine (…), les 20% les plus riches percevaient 50% du revenu total distribué en 1990 et 55% en 2002 au détriment certes des plus pauvres, mais aussi des 20% qui les précèdent (les couches moyennes (…) dont la part dans le revenu est passée de 20,9 à 18,4%".

L’Argentine, pays qui comptait jadis la plus grande classe moyenne d’Amérique latine, "n’a jamais été aussi inégalitaire." [18] Dans le grand Buenos Aires, les 10 % de la population les plus riches gagnent 50 fois plus que les 10 % les plus pauvres. A l’échelle de la nation, la frange la plus aisée affiche des revenus 31 fois supérieurs aux plus pauvres.

Au cours de la campagne, le slogan de la candidate Kirchner était "le changement commence bientôt". Il est temps !

 


Pour citer cet article :

Xavier Dupret, "Elections argentines : c’est par où la sortie ?", Gresea, septembre 2007. Texte disponible à l’adresse :
http://www.gresea.be/spip.php?article1668



P.-S.

Ce texte a été diffusé dans le numéro 38 (septembre-octobre 2007) de la revue Panoramica du Sedif, le Service d’information et de formation Amérique latine, une ONG d’éducation au développement qui a comme objectif principal la sensibilisation aux problématiques liées au développement et à la coopération Nord-Sud. Au sein de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), elle se charge de promouvoir une réflexion sur les enjeux économiques, politiques, sociaux et culturels de cette région.

Notes

[1On parle de 30.000 desaparecidos en l’espace d’une décennie.

[2Damill M. et Kempel D. (1999) : Analisis del balance de pagos de la Argentina : cambios metodologicos y desempeno reciente. Documents du CEDES, Buenos Aires.

[3Salama P, op.cit.

[4Azpiazu D., « Privatizaciones y regulaciones en la economia argentina », FLACSO, Buenos Aires

[5Salama.P, op.cit

[6Salama P, ibid.

[7Investissements directs étrangers

[8Salama.P, ibid.

[9Salama P, ibidem

[10Christine Peltier, "le Président Kirchner engrange les gains d’une stratégie à haut risque", Paribas-BNP Economic Research, Paris, 2006, p.21.

[11Christine Peltier, op.cit, p.22

[12Courrier International, 1er décembre 2005.

[14"Ce chiffre sous-estime sans doute la véritable part de sans emploi. Il ne prend pas en compte le secteur informel, qui représenterait plus de 40% de la population active. En outre, les bénéficiaires (sans emploi) d’aides directes du gouvernement (dans le cadre du programme “Jefes de Hogar”) sont retirés du nombre officiel de chômeurs." Source : Christine Peltier, op.cit., p.20.

[15CIA world fact books, 2006

[16Christine Peltier, op.cit, p.21

[17P.Salama, "Le défi des inégalités. Amérique latine/Asie : une comparaison économique", Ed.la découverte. collection textes à l’appui/économie, Paris, p.70

[18Instituto Nacional de Estadist, Buenos Aires, 2005