La question du besoin en infrastructure semble faire largement consensus, du monde politique à celui des organisations de développement, en passant par le secteur privé et les organisations internationales. Pourtant, des divergences demeurent sur les priorités retenues, le processus pour les définir ainsi que sur leur mise en œuvre escomptée.
Barrage d’Inga en République démocratique du Congo
Toute économie, quelle que soit l’époque ou la zone géographique considérée, tire parti dans son développement du fait de disposer d’infrastructures. Par infrastructure, nous entendons l’ensemble des installations et des équipements qui conditionnent le fonctionnement économique et le développement d’un pays, d’une région : infrastructures de transport, télécommunications et technologies de l’information, énergie, eau, santé, éducation…
Infrastructures : consensus sur les besoins
Les infrastructures ont une influence sur les activités économiques. Les équipements de transports, d’énergie, d’eau ou de télécommunication conditionnent la production et la consommation de nombreuses entreprises et individus, le commerce et l’accès au marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
(pour les sociétés transnationales mais aussi pour les petits producteurs et les entreprises), la diffusion de technologies, l’accès à de nouvelles ressources, et peuvent contribuer à un accroissement de la productivité
Productivité
Rapport entre la quantité produite et les ressources utilisées pour ce faire. En général, on calcule a priori une productivité du travail, qui est le rapport entre soit de la quantité produite, soit de la valeur ajoutée réelle (hors inflation) et le nombre de personnes nécessaires pour cette production (ou le nombre d’heures de travail prestées). Par ailleurs, on calcule aussi une productivité du capital ou une productivité globale des facteurs (travail et capital ensemble, sans que cela soit spécifique à l’un ou à l’autre). Mais c’est très confus pour savoir ce que cela veut dire concrètement. Pour les marxistes, par contre, on distingue la productivité du travail, qui est hausse de la production à travers des moyens techniques (machines plus performantes, meilleure organisation du travail, etc.), et l’intensification du travail, qui exige une dépense de force humaine supplémentaire (accélération des rythmes de travail, suppression des temps morts, etc.).
(en anglais : productivity)
du travail ainsi qu’à la réduction de la pauvreté [1].
De nombreux travaux empiriques ont été réalisés pour mettre en évidence le lien entre infrastructures et croissance
Croissance
Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
économique [2]. Ils concluent tous à une corrélation entre la quantité d’équipements et d’infrastructures dont dispose un pays et le niveau de son PIB
PIB
Produit intérieur brut : richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
. Les modèles statistiques peinent cependant à mettre en évidence le sens du lien de causalité entre infrastructures et croissance. La relation serait plutôt récursive : « non seulement les investissements publics ont une influence sur l’évolution de la croissance, mais on investit d’autant plus que la croissance est élevée [3] ».
Toutefois, la majorité des économistes considère comme plausible l’influence des secteurs publics sur le produit intérieur brut
Produit intérieur brut
Ou PIB : Richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
[4] et reconnait, généralement, un effet moteur des infrastructures sur la croissance [5].
À l’inverse, un déficit des dépenses d’infrastructure peut avoir des effets négatifs. Pour Aschauer [6], c’est la chute du taux d’investissement
Investissement
Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
en capital
Capital
Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
public aux États-Unis dans les années 1970 qui a causé le déclin de la productivité des facteurs de production. Dans la même logique, les infrastructures défectueuses ou manquantes sont un handicap pour les populations et l’économie de nombreux pays en développement, notamment africains : délestages électriques, services de distribution et d’assainissement d’eau défectueux, manque de routes carrossables, de réseaux de télécommunications…
La CNUCED
CNUCED
Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement : Institution des Nations unies créée en 1964, en vue de mieux prendre en compte les besoins et aspirations des peuples du Tiers-monde. La CNUCED édite un rapport annuel sur les investissements directs à l’étranger et les multinationales dans le monde, en anglais le World Investment Report.
(En anglais : United Nations Conference on Trade and Development, UNCTAD)
estimait en 2011 que l’Afrique perdait 1% de croissance par an du fait de son déficit d’infrastructure [7].
Un continent sous-équipé
Le continent africain est le moins bien doté en infrastructures. La densité routière y est d’environ 8 km/100 km2 contre 67 km/100 km2 aux États-Unis et 163 km/100 km2 en Europe de l’Ouest [8]. Moins de 30% des routes y sont pavées et les besoins d’entretien routier y sont les plus importants. La densité de voies ferrées et de routes a même diminué entre 1990 et 2011, principalement par manque d’entretien. Le transport intérieur des importations et exportations coûte 50% plus cher en Afrique qu’en Amérique latine et 70% plus cher qu’en Asie [9], un problème d’autant plus aigu dans les pays enclavés n’ayant pas accès à la mer.
En Afrique subsaharienne, l’accès à l’électricité concerne seulement 40 % de la population avec une capacité électrique par tête en stagnation depuis 20 ans. Dans les autres régions du monde, près de 100% de la population a accès à l’électricité (hors Asie du sud = 78%). Les entreprises africaines perdent 13% de leurs heures de travail dans des pannes d’électricité [10].
Figure 1
Source : Perspectives énergétiques mondiales, Agence internationale de l’Énergie
Note : AEP : Asie de l’Est et Pacifique ; ALC : Amérique latine et Caraïbes ; AS : Amérique du Sud ; ASS : Afrique subsaharienne ; MENA : Moyen-Orient et Afrique du Nord ;
MW : mégawatts.
Le nombre de serveurs internet pour 1 million d’habitants en Afrique est le plus faible au monde (avec des disparités importantes selon les zones de l’Afrique). L’accès à une eau de qualité dans les zones urbaines est également parmi le moin bon en comparaison des autres régions du monde [11]. L’accès à l’eau et la desserte en infrastructures de communication ont cependant fortement progressé depuis une trentaine d’années.
Figure 2 Accès aux infrastructures d’eau : taux d’accès globaux, urbains et ruraux, par région (Tiré de : Africa’s Pulse, Avril 2017, vol.15, p.54.)
Source : Indicateurs du développement dans le monde, Banque mondiale
Banque mondiale
Institution intergouvernementale créée à la conférence de Bretton Woods (1944) pour aider à la reconstruction des pays dévastés par la deuxième guerre mondiale. Forte du capital souscrit par ses membres, la Banque mondiale a désormais pour objectif de financer des projets de développement au sein des pays moins avancés en jouant le rôle d’intermédiaire entre ceux-ci et les pays détenteurs de capitaux. Elle se compose de trois institutions : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale pour le développement (AID) et la Société financière internationale (SFI). La Banque mondiale n’agit que lorsque le FMI est parvenu à imposer ses orientations politiques et économiques aux pays demandeurs.
(En anglais : World Bank)
Note : AEP : Asie de l’Est et Pacifique ; ALC : Amérique latine et Caraïbes ; AS : Amérique du Sud ; ASS : Afrique subsaharienne ; MENA : Moyen-Orient et Afrique du Nord.
Cadres internationaux et régionaux
L’agenda international du développement à l’horizon 2030 avec les Objectifs du développement durables (ODD) de même que la Convention cadre des Nations–unies sur le changement climatique (CCNUCC) qui a abouti à la signature de l’accord de Paris lors de la COP 21 constituent deux cadres internationaux admis par la quasi-totalité des États de la planète (plus de 190 pays signataires dans les deux cas malgré l’annonce de la sortie de l’accord de Paris par les États-Unis de Trump). Ils comportent tous deux une dimension « infrastructure ».
Les ODD font suite aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Les OMD ont constitué le cadre international du développement de 2000 à 2015, avec un bilan peu flatteur [12], particulièrement pour l’Afrique subsaharienne où des indicateurs comme la pauvreté et la malnutrition, la mortalité infantile et maternelle ou l’accès aux infrastructures de base n’ont pas connu d’amélioration, voire , dans certains cas, une dégradation. Un nouveau paradigme a été proposé pour la période 2015-2030. Les ODD reposent sur 17 objectifs et 169 cibles [13] parmi lesquelles la fin de la pauvreté dans le monde, l’éradication de la faim ou l’accès à une éducation de qualité pour tous. Les ODD, à la différence des OMD, concernent tout autant les pays du Nord que ceux du Sud.
Plusieurs de ces objectifs sont directement ou indirectement liés aux infrastructures et à leurs accès pour le plus grand nombre. Par exemple, les objectifs 3 et 4, concernant l’accès à des services de santé et à l’éducation, nécessitent des infrastructures médicales et scolaires de qualité. De même pour les objectifs 6 et 7 qui visent l’accès à l’eau potable, à des systèmes d’assainissement et à une énergie propre. D’autres objectifs de portée plus générale comme celui de la croissance économique (obj. 8), celui concernant l’industrie, l’innovation et les infrastructures (obj. 9) ou encore l’objectif de villes et communautés durables (obj. 11) se donnent pour cible un accès à internet et à des systèmes de transports publics sûrs et abordables pour l’ensemble de la population.
L’accord de Paris [14] signé lors de la COP21 a fixé pour objectif de limiter à deux degrés la hausse des températures au cours du XXIe siècle par rapport à la période préindustrielle. Cet accord entrevoit le développement d’infrastructure d’énergie renouvelable, de transport, à faible émission de gaz à effets de serre au travers des engagements nationaux proposés par les pays signataires [15]. La CCNUCC prévoit qu’un soutien financier et technologique soit mis à disposition des pays en développement ; soutien financier censé venir s’ajouter à l’aide publique au développement
Aide publique au développement
ou ADP : Total des prêts préférentiels (à des taux inférieurs à ceux du marché) et des dons budgétisés par les pouvoirs publics des États dits développés en faveur de pays du Tiers-monde. Théoriquement, ces flux financiers devraient être orientés vers la mise en place de projets concrets et durables, comme des infrastructures essentielles, des actions de lutte contre la faim, en faveur de la santé, de l’éducation, etc. Mais souvent il s’agit d’un moyen détourné pour les anciennes métropoles coloniales de conserver les liens commerciaux avec leurs dépendances, en les obligeant à s’approvisionner auprès des firmes métropolitaines. Selon les Nations unies, l’APD devrait représenter au moins 0,7% du PIB de chaque nation industrialisée. Mais seuls les pays scandinaves respectent cette norme.
(En anglais : official development assistance, ODA)
actuellement dispensée par les pays du Nord.
En complément de ces deux cadres internationaux, d’autres programmes ont été proposés au niveau africain. Le programme Afrique 2063 et le PIDA (Programme pour le développement des infrastructures en Afrique à l’échéance 2040) sont deux de ces cadres. Ils ont la particularité d’avoir été élaborés au sein des institutions africaines.
La vision Afrique 2063, présentée en 2013 par l’Union africaine, fixe les grands objectifs du continent à un horizon de 50 ans. L’agenda Afrique 2063 affiche des intentions prometteuses. Il prévoit notamment que « les infrastructures requises seront mises en place, pour soutenir l’intégration et la croissance accélérées de l’Afrique, la transformation technologique, le commerce et le développement, y compris : les réseaux ferrés à grande vitesse, les routes, les lignes maritimes, le transport maritime et aérien, ainsi que les TIC et l’économie numérique bien développés. Un réseau ferré panafricain à grande vitesse reliera toutes les villes principales et/ou les capitales du continent, avec des routes adjacentes et des pipelines pour le gaz, le pétrole, l’eau, de même que des câbles TIC à large bande et d’autres infrastructures. Ceci sera un catalyseur pour le secteur manufacturier, le développement de compétences, la technologie, la recherche et le développement, l’intégration et les échanges intra-africains, les investissements et le tourisme. » [16]
Le PIDA a été lancé en juillet 2010 par l’Union africaine et se donne pour objectif de fédérer toutes les initiatives continentales concernant les infrastructures. Le PIDA prend le relais du NEPAD medium to long term strategic framework. Il vise à mettre en œuvre des réseaux intégrés d’infrastructures régionales sur le continent avec pour objectif, à terme, la réalisation d’un marché commun africain [17]. La Banque africaine de développement (BAfD) est l’organisme d’exécution du PIDA.
La première étape du PIDA consiste en la réalisation du plan d’actions prioritaires (PAP) qui comprend 51 projets et programmes directement réalisables pour la période 2012-2020. Les infrastructures « lourdes » (hard infrastructures) ont la primauté. On peut classer les infrastructures prévues sous les catégories suivantes :
– énergie : énergie hydroélectrique, interconnexions, oléoducs, etc. ;
– transports : liaisons, modernisation des corridors, des ports et des voies ferrées, modernisation du transport aérien ;
– eau : barrages multifonctions, renforcement des capacités, transferts d’eau ;
– TIC : renforcement des capacités, interconnexion des infrastructures terrestres, points d’échange Internet.
L’énergie et les transports (respectivement 15 et 24 projets sur les 51) représentent 90 % des dépenses prévues du PAP. Notons que les infrastructures de santé et d’éducation (on parle de « soft infrastructures ») ne sont généralement pas mentionnées dans ces cadres, sauf dans les ODD.
La vision Afrique 2063 et le PIDA ne sont pas les seules initiatives concernant les infrastructures sur le continent. Des dizaines d’autres cadres et initiatives ont été proposés au niveau international (Nations-unies, G20
G20
Extension du G8 à d’autres pays de la planète, considérés comme importants par leur taille et leur poids politique et économique. Il s’agit de 19 pays (Afrique du Sud, Allemagne, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Russie et Turquie) et de l’Union européenne. Créé en septembre 1999, ce groupe a pris une importance croissante avec la crise économique, étant donné qu’il apparaît que celle-ci ne peut plus être résolue par les pays du G8 seuls.
(En anglais : G20)
, Banques régionales de développement…), par les États, les communautés économiques régionales ou encore pour certains types d’infrastructure spécifiques. Des cadres, qui se comptent par dizaines, se chevauchent parfois et dont l’élaboration ne s’est pas toujours faite après consultation des populations africaines.
Des critiques de fond et de forme
Le fait de prioriser les infrastructures n’est pas une nouveauté sur le continent africain. Les infrastructures de transport ou de télécommunication étaient déjà à l’ordre du jour des discussions de la Commission économique des Nations-unies sur l’Afrique à ses débuts en 1958 [18]. Force est de constater que les problématiques soulevées n’ont que très peu changé dans leur formulation depuis une soixantaine d’années…
Dans le cas du PIDA, la manière dont les priorités ont été fixées - au sein de l’Union africaine et pas dans les institutions internationales du type Banque mondiale - constitue une innovation et certainement un progrès. Cela semble être moins le cas pour d’autres initiatives comme par exemple le « Compact with Africa » proposé lors de la réunion du G20 de 2017 en Allemagne [19], qui a pour but de promouvoir l’investissement privé en Afrique. La définition des priorités et la mise en œuvre des différents programmes d’infrastructure ont fait l’objet d’un certain nombre de critiques de la part de la société civile africaine.
La faible participation de la société civile dans la conception des initiatives (que ce soit pour le Compact with Africa [20] ou le PIDA) et le manque de transparence dans le choix et le suivi des projets [21] ont été pointés. Malgré la reconnaissance du rôle de ces organisations, les consultations sur les grands projets, lorsqu’elles ont lieu, ressemblent le plus souvent à des séances d’information plus qu’à des lieux dans lesquels les populations peuvent se faire réellement entendre et prendre part aux décisions les concernant.
Les mégaprojets d’infrastructures, notamment les corridors routiers et ferroviaires qui relient le plus souvent les zones côtières et les ports africains aux lieux d’extraction, sont critiqués car ils reproduisent les schémas coloniaux, sans objectif d’industrialisation sur base des ressources du continent [22] et enferment les pays concernés dans des modèles économiques où dominent les activités extractives. Si certaines infrastructures - par exemples celles dédiées à l’interconnexion des réseaux électriques africains - semblent bénéfiques pour le contient dans son ensemble, d’autres projets comme le pipeline de transport de gaz entre le Nigeria et l’Algérie (dont le démarrage de la construction est reporté depuis des années) font partie des priorités du PIDA alors qu’ils ont pour principale vocation d’assurer l’approvisionnement des marchés européens [23] et ne profitent que très peu aux populations africaines.
Figure 3 -Carte des gazoducs traversant le Sahara et la Méditerranée.
Source : Belgacem Tahchi, « La guerre des gazoducs », Outre-Terre, 2014/4 (N° 41), p. 362-374. DOI : 10.3917/oute1.041.0362.
Le risque que les projets de grande taille ne profitent qu’au secteur privé du Nord lors des appels d’offre et de la phase de construction, fait aussi partie des craintes soulevées. Il est difficile de penser que des PME africaines auront la possibilité de rivaliser avec des multinationales occidentales lors des procédures d’attribution des marchés. Une autre préoccupation concerne le fait que les infrastructures (électricité, transports, eau) ne bénéficient quasi exclusivement qu’à un nombre restreint d’activités : le secteur extractif, l’agriculture intensive et plus généralement les produits d’exportation, au détriment des populations et d’une économie locale moins dépendante de chocs extérieurs.
Il est également difficile de comprendre comment d’imposantes infrastructures, notamment dans le domaine de l’énergie (pipelines, barrages géants, centrales à charbon…), vont pouvoir bénéficier aux populations locales ou aux habitants des zones rurales qui risquent dans un premier temps de voir leurs conditions de vie directement impactées (déplacements de populations, expropriations, nuisances environnementales, risques sanitaires…) sans être assurés d’un quelconque dédommagement, ni d’être raccordés ou d’avoir accès à ces équipements. Le PIDA fait d’ailleurs peu mention de projets d’énergies alternatives ou décentralisées pour les personnes vivant hors des réseaux, pour qui le raccordement aux lignes à haute tension est souvent impossible ou trop coûteux [24]. Certaines lignes à haute tension ne servent qu’à alimenter des industries minières ou extractives tandis que les populations vivant sur l’itinéraire des lignes ne bénéficient pas du courant. Au Cameroun, le barrage de Lom Pangar a par exemple constitué la condition nécessaire à l’extension d’une raffinerie d’aluminium, mais n’a permis d’électrifier que 150 villages pour un montant de 460 millions d’euros, dont une large part d’argent public. La raffinerie en question, anciennement détenue par le groupe minier Rio Tinto, consomme près de la moitié de l’électricité produite dans le pays [25]. De la même manière, des entreprises de l’agro-industrie obtiennent la priorité sur l’eau contenue dans des barrages, alors que des petites exploitations locales ou les populations environnantes passent au second plan lorsqu’elles ne sont pas tout simplement déplacées [26].
La gestion des risques sociaux et environnementaux liés aux infrastructures semble par ailleurs avoir été largement négligée. Aucune procédure ou mécanisme de plainte n’est en effet prévu pour les populations vulnérables ou qui seraient déplacées du fait de la construction d’infrastructures. L’Afrique est d’ores et déjà le continent comptant le plus grand nombre de déplacés sur son territoire [27].
Enfin, une autre crainte est celle de voir la majorité des fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
orientés vers de grands projets, dans un contexte où l’aide publique au développement se tarit et où le bouclage des financements du PIDA est tout à fait incertain ; cela au détriment de projets de plus petite échelle concernant l’accès à l’eau ou à l’énergie, notamment dans les zones rurales.
Les besoins en infrastructure sont unanimement reconnus, et ce pour toutes les économies. Le manque d’accès à l’énergie, à l’eau, à des équipements de transport et de télécommunication sont largement pointés comme des freins au développement, un état de fait particulièrement criant dans le cas africain.
Plusieurs programmes, au niveau international, continental ou régional – à l’instar du PIDA, des ODD ou de la vision Afrique 2063, ont pris acte de ces éléments et se donnent pour ambition de combler les besoins identifiés.
La présentation et la formulation de ces programmes ne se sont pas faites sans critiques : celles-ci concernent le manque de transparence et de consultation de la société civile dans la définition des projets et des priorités. Bien qu’une partie des projets semble pouvoir apporter un meilleur accès aux infrastructures de base pour les populations, d’autres sont pointées pour les effets négatifs que pourrait engendrer leur mise en œuvre : notamment en enfermant encore un peu plus les économies africaines dans un rôle d’exportateur de matières premières, en donnant la primauté à de grandes entreprises des secteurs extractifs et exportateurs pour l’accès aux infrastructures (notamment pour l’eau et l’électricité) mais aussi en négligeant les effets directs de ces projets sur l’environnement, la santé et le développement des populations locales.
Cet article est extrait du Gresea Echos 94 "Infrastructures en Afrique : chronique d’un mal investissement", avril, mai, juin 2018.
Pour citer cet article :
Romain Gelin, "Quelles priorités pour les infrastructures africaines ?" octobre 2018, texte disponible à l’adresse :
[http://www.gresea.be/Quelles-priorites-pour-les-infrastructures-africaines]