Le tournant vers l’électromobilité déclenche une nouvelle chasse aux matières premières. Au cœur de la tourmente, le Congo et son cobalt. Ce métal est indispensable à la production de batteries rechargeables. Jusqu’alors, le Congo exportait le cobalt sans en tirer de profits substantiels. Ce libéralisme était le fait d’un régime d’investissements inspiré par la Banque mondiale et régi par le Code minier de 2002. Mais, il y a un an, le Congo a introduit un nouveau Code minier qui bouleverse les rapports du pays avec les entreprises multinationales. L’objectif : arriver à une gestion plus juste et souveraine des richesses naturelles.
De premier producteur de cobalt en 1974 (avec une production de 17.545 tonnes), le Congo chute dans le classement les décennies suivantes et cède sa place au Canada et à la Zambie voisine. Dans un contexte de conjoncture
Conjoncture
Période de temps économique relativement courte (quelques mois). La conjoncture s’oppose à la structure qui dure plusieurs années. Le conjoncturel est volatil, le structurel fondamental.
(en anglais : current trend)
défavorable, la dictature du maréchal Mobutu et les spoliations des circuits économiques par son oligarchie en sont les principaux responsables. Mobutu est chassé par une révolte populaire sous la direction de Laurent-Désiré Kabila qui devient le président de la nouvelle République démocratique du Congo (RDC) en 1997. Mais Kabila doit affronter une guerre d’agressions soutenue par des rébellions internes. Cette guerre arrive à son terme en 2003, quand un accord de paix met fin aux hostilités. Mais cet accord ne ramène pas la paix sur tout le territoire et certaines zones demeurent, à l’heure actuelle, très conflictuelles. Si la production du cobalt congolais a perduré pendant ces années, c’est grâce aux petites exploitations (artisanales). [1]
Le classement bascule définitivement à faveur de la RDC à partir de 2005-2006, lorsque le pays devient incontestablement le premier producteur et fournisseur de cobalt. En 2011, la production atteint un niveau record de 98.000 tonnes. En 2015, la production de cobalt en RDC est de 84.400 tonnes sur une production mondiale de 138.500 tonnes. Ces chiffres proviennent du ministère des Mines congolais. [2] Aujourd’hui, cette production est essentiellement le fait d’entreprises industrielles étrangères, les petites exploitations artisanales du Katanga contribuant tout de même pour environ 20 % de la production.
Code minier de 2002
Jusqu’en 2002, les minerais du Congo sont exportés à prix réduits, et l’introduction d’un nouveau code minier, à cette période, vient renforcer ce déséquilibre. Ce Code minier régit la gestion générale du secteur minier. Ce sont les experts de la Banque mondiale
Banque mondiale
Institution intergouvernementale créée à la conférence de Bretton Woods (1944) pour aider à la reconstruction des pays dévastés par la deuxième guerre mondiale. Forte du capital souscrit par ses membres, la Banque mondiale a désormais pour objectif de financer des projets de développement au sein des pays moins avancés en jouant le rôle d’intermédiaire entre ceux-ci et les pays détenteurs de capitaux. Elle se compose de trois institutions : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale pour le développement (AID) et la Société financière internationale (SFI). La Banque mondiale n’agit que lorsque le FMI est parvenu à imposer ses orientations politiques et économiques aux pays demandeurs.
(En anglais : World Bank)
qui tiennent la plume lors de la rédaction de ce nouveau Code, dont le plus notable d’entre eux, John P. Williams. [3] Ce code reflète la pensée économique de l’institution de Bretton Woods
Bretton Woods
Ville du New Hampshire près de la côte Est des États-Unis. En juillet 1944, s’est tenue, au Mount Washington Hotel, une conférence internationale pour bâtir un système financier solide pour l’après-guerre. La délégation américaine était menée par Harry Dexter White, la britannique par l’économiste John Maynard Keynes. Ce sommet a reconfiguré le système monétaire international jusqu’en 1971. Selon les accords, toutes les devises étaient échangeables en dollars à taux fixe. Seul le dollar était convertible en or au taux fixe de 35 dollars l’once. Et un organisme est créé pour aider les pays qui ont des problèmes avec leur balance des paiements : le Fonds monétaire international (FMI).
(en anglais : Bretton Woods system)
. Elle préconise une croissance
Croissance
Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
économique basée sur l’exploitation intensive des richesses naturelles, dans l’idée que cette croissance bénéficierait à la population toute entière. [4] Pour la rendre possible, le pays doit être le plus hospitalier possible aux capitaux étrangers et attirer le maximum d’IDE
IDE
Investissement Direct à l’Étranger : Acquisition d’une entreprise ou création d’une filiale à l’étranger. Officiellement, lorsqu’une société achète 10% au moins d’une compagnie, on appelle cela un IDE (investissement direct à l’étranger). Lorsque c’est moins de 10%, c’est considéré comme un placement à l’étranger.
(en anglais : foreign direct investment)
(investissements directs étrangers). Le Congo, ravagé et affaibli par la guerre, n’avait d’autres options que de se plier à cette politique. Rares sont ceux qui doutent que ce Code de 2002 serve pleinement les intérêts
Intérêts
Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
des investisseurs miniers, au détriment du pays producteur. On peut donc lire ceci dans une analyse juridique du Code congolais : le présent Code assure la stabilité du régime fiscal et douanier. Les larges avantages fiscaux qu’il accorde aux investisseurs miniers sont ainsi sauvegardés. [5]
Clause de stabilité et faibles redevances
Dans le Code minier de 2002, une clause prévoyait qu’il serait d’application pendant au moins 10 ans. Voilà la stabilité qui a permis aux investisseurs de dormir sur leurs deux oreilles. Dix ans plus tard, le Congo décide de modifier le Code minier. C’est ainsi qu’en 2013, nous avons assisté au début des pourparlers au Congo lors du tournage de notre documentaire Avec le vent. [6] On se rappellera de ce film dans lequel on y voit une délégation du patronat minier s’était rendue de Lubumbashi, dans l’ancienne province du Katanga, à la capitale Kinshasa pour s’opposer à un nouveau Code. Les patrons étaient fortement préoccupés par les renseignements - l’« intelligence économique » - qui leur parvenaient et qui annonçaient, entre autres, un triplement des redevances sur les minerais non-ferreux (le cuivre et le cobalt), le taux passant de 2 à 6 %. La Chambre des Mines, le lobby
Lobby
Groupement créé dans le but de pouvoir influencer des décisions prises habituellement par les pouvoirs publics au profit d’intérêts particuliers et généralement privés. La plupart des lobbies sont mis en place à l’initiative des grandes firmes et des secteurs industriels.
(en anglais : lobby)
des entreprises minières, envoyait une menace classique au gouvernement les informant que les mesures envisagées « compromettraient la viabilité de l’industrie minière ». [7] Ils trouvèrent un allié en l’expert américain John P. Williams, cité plus haut, qui déclara que le Code en vigueur (dont il était co-auteur) était « un des meilleurs Codes Miniers en Afrique ou le meilleur » et qu’il avait « déjà beaucoup apporté à la RDC ». [8] Par cette opposition, les patrons gagnaient du temps. Et, comme on le sait, le temps c’est de l’argent.
Ces faibles redevances minières en RDC ont été dénoncée à de maintes reprises depuis lors. Depuis le début du XXIe siècle, la RDC a connu « une augmentation spectaculaire de la production et de l’exportation de produits miniers » sans que l’État ne voie ses revenus augmenter. En effet, même avec un régime fiscal favorable, l’imposition des profits restait « bien en deçà » des préconisations de la Banque mondiale. Certains estimant que la situation allait même s’empirer. Parmi eux, Stefaan Marysse qui, en 2015, écrivait ceci : « Si, jusqu’en 2012, les investissements étrangers directs (IDE) constituaient un apport net de capital
Capital
Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
pour la RDC, depuis 2013 les profits rapatriés dépassent les entrées d’IDE. Les projections sont telles que, vers la fin de la décennie (2019), ces profits rapatriés devraient être 3 à 3,5 fois plus importants : deux milliards d’entrées d’IDE et 7 milliards de dollars de profits rapatriés. » [9] Les observateurs s’accordaient pour conclure qu’il existait une marge importante pour améliorer les recettes de l’État, « qui pourraient même tripler » [10].
La Banque mondiale elle-même a fait marche arrière, sans pour autant se repentir publiquement. En 2015, alors que les discussions sur un nouveau Code minier reprennent, la Banque mondiale exprime ceci : « La faiblesse des recettes dans le secteur des ressources naturelles contraste avec le dynamisme de ce secteur et reflète des problèmes structurels […], la mobilisation des recettes fiscales est faible au regard de la rente dont bénéficient ces secteurs […]. Le potentiel fiscal des mines reste inexploité […]. Les comparaisons internationales montrent que la RDC est un cas à part dans le monde, en combinant l’un des plus hauts niveaux de rente par rapport au PIB
PIB
Produit intérieur brut : richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
et l’un des plus bas niveaux de recettes hors dons. ». Et, en se basant sur ses propres données, la Banque mondiale conclut que « la contribution du secteur minier aux recettes publiques en 2012 ne représentait que 13,8% de la valeur totale des exportations minières ». [11] Ces constats sont répétés dans le rapport suivant, où on lit que « cependant, et au-delà du choc conjoncturel, les recettes publiques, et surtout celles provenant du secteur minier, sont bien inférieures à leur potentiel ». Une fois de plus « ceci souligne à quel point le potentiel fiscal des mines demeure inexploité. » [12]
Vers une meilleure valorisation des ressources pour la RDC ?
Avec le nouveau Code minier, le gouvernement congolais veut réparer cette distorsion. Le texte est direct et les motifs sont explicites : « l’application [de l’ancien code] de juillet 2002 au 31 décembre 2016 a été à la base de l’augmentation sensible du nombre de sociétés minières, de droits miniers et de carrières ainsi que de l’accroissement de la production minière en République Démocratique du Congo. Néanmoins, l’essor du secteur minier, censé rapporter à l’État des recettes substantielles pour son développement économique et social, n’a pas su rencontrer ces attentes. Cette situation insatisfaisante a conduit à reconsidérer ce Code minier et son application. » Le 9 mars 2018, le président congolais, Joseph Kabila, signe donc la ’Loi n°18/001 modifiant et complétant la Loi n° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant sur le Code minier’ et ce nouveau Code Minier sera publié le 28 mars 2019 dans le Journal Officiel de la RDC.
Consultez les autres analyses du dossier :
Volet 1 : Cobalt, arme stratégique du Congo :
Volet 3 : Congo, les multinationales inlassablement en opposition
Pour citer cet article :
Raf Custers, "Le Congo, exportations libérales des richesses", mars 2019, texte disponible à l’adresse : [http://www.gresea.be/Le-Congo-exportations-liberales-des-richesses]