Depuis la fin des années 1990, la Commission européenne considère les restructurations d’entreprise comme un fait inéluctable dans une économie mondialisée. Elle choisit même, dans le cadre de l’anticipation au changement, d’en faire une opportunité de modernisation économique pour atteindre les objectifs de la stratégie de Lisbonne en 2020. Afin de limiter les dégâts sociaux liés aux restructurations, elle promeut également un dialogue social « proactif » entre les parties prenantes. Une politique d’accompagnement de la désindustrialisation qu’ArcelorMittal a faite sienne…
En menaçant de retirer un investissement
Investissement
Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
de 138 millions d’euros dans la phase à froid de la sidérurgie liégeoise, la direction d’ArcelorMittal vient de jeter le trouble sur les négociations engagées voici un an dans le cadre de la procédure de licenciement des 795 travailleurs de la phase à chaud. Aujourd’hui, à peu de chose près, c’est donc ce qui reste de la sidérurgie wallonne qui est en voie d’extinction.
Chantage : air connu
La direction du géant de l’acier applique là une vieille recette en prenant à la gorge les organisations syndicales prises au piège de l’équation : sacrifier à moyen terme un secteur d’activité en échange de la préservation à court terme d’une partie de l’emploi. Car, c’est un constat partagé par bon nombre d’observateurs, privée de ses hauts-fourneaux, la phase à froid liégeoise est de toute façon condamnée.
Au grand angle, cet événement wallon démontre une nouvelle fois l’indigence de la politique industrielle européenne et l’impunité économique dont les entreprises multinationales jouissent dans le contexte de la mondialisation. En exerçant ce chantage à l’investissement et à l’emploi, ArcelorMittal contrevient au code de conduite à l’attention des entreprises multinationales de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques
Organisation de Coopération et de Développement Économiques
ou OCDE : Association créée en 1960 pour continuer l’œuvre de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) chargée de suivre l’évolution du plan Marshall à partir de 1948, en élargissant le nombre de ses membres. A l’origine, l’OECE comprenait les pays européens de l’Ouest, les États-Unis et le Canada. On a voulu étendre ce groupe au Japon, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’OCDE compte 34 membres, considérés comme les pays les plus riches de la planète. Elle fonctionne comme un think tank d’obédience libérale, réalisant des études et analyses bien documentées en vue de promouvoir les idées du libre marché et de la libre concurrence.
(En anglais : Organisation for Economic Co-operation and Development, OECD)
(OCDE
OCDE
Organisation de Coopération et de Développement Économiques : Association créée en 1960 pour continuer l’œuvre de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) chargée de suivre l’évolution du plan Marshall à partir de 1948, en élargissant le nombre de ses membres. A l’origine, l’OECE comprenait les pays européens de l’Ouest, les États-Unis et le Canada. On a voulu étendre ce groupe au Japon, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’OCDE compte 34 membres, considérés comme les pays les plus riches de la planète. Elle fonctionne comme un think tank d’obédience libérale, réalisant des études et analyses bien documentées en vue de promouvoir les idées du libre marché et de la libre concurrence.
(En anglais : Organisation for Economic Co-operation and Development, OECD)
).
Parole reniée
Rien d’étonnant à cela lorsqu’on connaît la valeur de ces engagements volontaires pour les directions d’entreprises multinationales. Plus interpellant, ArcelorMittal foule également aux pieds l’accord-cadre européen « Maîtriser et anticiper le changement chez ArcelorMittal », signé le 2 novembre 2009 par sa direction et la fédération européenne des ouvriers de la métallurgie (la FEM intégrée depuis lors dans IndustriALL).
Cet accord prévoyait en effet d’affronter la crise par la promotion du dialogue social, le concept consacré pour désigner la concertation entre employeurs et représentants des travailleurs à l’échelon européen. En échange de concessions syndicales, il s’agissait de préserver l’ensemble des outils européens du groupe et d’éviter le recours à des licenciements secs. Or, si aujourd’hui, seul le site liégeois est sous la menace d’une fermeture définitive, d’autres sites de production du groupe en France, au Luxembourg ou en Espagne sont toujours à l’arrêt sans aucune perspective de relance.
Et l’histoire se répète L’arrêt du site de production de Florange - en Moselle, France – depuis 14 mois et l’absence de perspective de relance se sont récemment traduits par une fermeture définitive des hauts-fourneaux du site lorrain. Au même titre que son homologue belge, l’État français semble soumis à la pression du puissant groupe industriel. En effet, les marges de manœuvre des autorités gouvernementales restent pour le moins limitées face à la décision unilatérale d’ArcelorMittal de fermer les deux hauts-fourneaux et la cokerie du site lorrain. D’une part, les déclarations publiques du gouvernement français n’ont aucun impact majeur sur la position du groupe. En effet, ce dernier préfère privilégier sa stratégie financière au détriment des enjeux économiques et sociaux régionaux voire nationaux. D’autre part, l’absence de marge de manœuvre des responsables politiques français, comme belges, les empêche d’adopter un cadre juridique capable d’imposer aux groupes industriels, tel qu’ArcelorMittal, de vendre leurs sites rentables en lieu et place de les fermer. Le groupe reste totalement libre de poursuivre ses objectifs comme bon lui semble. Outre l’État français, les organisations syndicales françaises sont également mises devant le fait accompli. Les représentants des trois principales forces syndicales – la CGT, la CFDT et FO – ont refusé de participer à la réunion de préparation du plan social prévue le 16 octobre prochain. Dans le contexte de désindustrialisation du continent européen, le cas d’ArcelorMittal montre la nécessité d’une coordination renforcée des politiques industrielles à l’échelon européen. En effet, alors que les autorités belges ont dû accepter la fermeture des deux hauts-fourneaux liégeois, les autorités gouvernementales françaises se voient elles contraintes par ArcelorMittal de trouver un repreneur pour la phase à chaud de Florange endéans deux mois. Les organisations syndicales françaises s’accordent avec de nombreux spécialistes sur l’échec d’une éventuelle partition du site sidérurgique. Le futur du site sidérurgique de Florange semble pour le moins incertain. Comme expliqué dans le Gresea Echos n°69, « […] phase à froid sans phase à chaud, c’est fini à court et moyen terme » [1]. De la même manière, les représentants des organisations syndicales concernées déplorent la fermeture imminente de la division emballage du site. En conclusion, comme à Liège, le nombre d’emplois menacés ne se chiffre plus en centaine mais en millier. |
Dialogue social ?
Le dialogue social européen d’entreprise, dépourvu de tout cadre juridique, reste aujourd’hui une coquille un peu vide de sens, soumis à la stratégie des entreprises multinationales. En 2009, respectant le contenu de l’accord-cadre européen, la stratégie du groupe visait à partager dans la mesure du possible le coût de la crise sur l’ensemble des sites européens du groupe en évitant les fermetures définitives. Les mises sous cocon ou arrêts temporaires touchaient alors l’ensemble des neuf pays européens de production du groupe. Très rapidement, cette stratégie de restructuration « socialement responsable » s’avéra contre-productive pour le groupe puisqu’elle permit aux organisations syndicales d’organiser la solidarité européenne et de faire émerger en Europe les prémices d’un contre-pouvoir syndical supranational dont la principale réalisation fut la mobilisation européenne du 7 décembre 2011. Une « euroaction » syndicale qui vit les travailleurs de l’ensemble des sites de production du groupe en Europe suspendre momentanément le travail pour réclamer un avenir pour leur secteur.
N’anticipe pas qui veut…
La direction de l’entreprise changea alors son fusil d’épaule pour concentrer les restructurations sur certains sites tout en promettant des investissements à d’autres. Depuis plusieurs mois, devant l’absence d’interlocuteur patronal et la mise en concurrence des organisations syndicales nationales, le dialogue social chez ArcelorMittal sommeille tranquillement…
Il est dans ce contexte intéressant de constater qu’en janvier 2012, la Commission européenne lançait une grande consultation à partir d’un livre vert intitulé « Restructuration et anticipation du changement : quelles leçons tirer de l’expérience récente ? ». Un des objectifs de la consultation est de collecter les « bonnes pratiques » de coopération entre représentants des travailleurs et employeurs dans des situations de restructuration. Il s’agit, à partir de là, de promouvoir l’anticipation du changement comme un moyen de rendre les restructurations « profitables en termes de compétitivité et de croissance
Croissance
Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
future ». Les résultats de cette consultation viendront en bout de course alimenter les futures lignes directrices de l’Union européenne
Union Européenne
Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
pour l’emploi.
Un syndicalisme d’accompagnement ?
A la lumière de ce qui se passe chez ArcelorMittal, une question mérite d’être posée. Sans fondements légaux, l’anticipation du changement par le dialogue social prôné par la Commission européenne n’est-il pas un puissant mécanisme de domestication des organisations syndicales en Europe ? Ces dernières se verraient chargées d’accompagner des restructurations nécessaires à la vitalité de l’économie européenne. L’histoire sociale a montré l’importance des contre-pouvoirs syndicaux. L’Europe peut-elle s’en passer ? Le présent pose la question, l’avenir de l’industrie européenne nous donnera peut-être la réponse.