Le Congo : un pays sous embargo. Le blocus, entraînant la mise à l’arrêt des exportations de minerais (donc, de leur extraction, donc, de l’activité économique principale du pays), ne trouve pas sa source dans le continent africain. Où cela précisément ? Dans un dispositif juridique cousu sur mesure à Washington. Décodage à Kinshasa avec Paul Mabolia (ex-Gécamines, conseiller de l’Administration des Mines en RDC).

Paul Mabolia est le chef du programme international Promines. Il a un gros problème, un problème qui affecte le Congo entier. L’industrie électronique n’achète plus de minerais au Congo. "Nous subissons un embargo de fait", dit-il. Ce blocus est l’effet d’une législation en gestation à Washington. Les Etats-Unis ? Pas un terrain inconnu pour Mabolia.

Pendant des années il y a commercialisé le cuivre et le cobalt produit par son ex-employeur, la parastatale congolaise Gécamines. Aujourd’hui Mabolia est coordonnateur de Promines, un programme financé par la Banque mondiale Banque mondiale Institution intergouvernementale créée à la conférence de Bretton Woods (1944) pour aider à la reconstruction des pays dévastés par la deuxième guerre mondiale. Forte du capital souscrit par ses membres, la Banque mondiale a désormais pour objectif de financer des projets de développement au sein des pays moins avancés en jouant le rôle d’intermédiaire entre ceux-ci et les pays détenteurs de capitaux. Elle se compose de trois institutions : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale pour le développement (AID) et la Société financière internationale (SFI). La Banque mondiale n’agit que lorsque le FMI est parvenu à imposer ses orientations politiques et économiques aux pays demandeurs.
(En anglais : World Bank)
et la coopération britannique qui a pour but de restructurer le secteur minier de la République Démocratique du Congo afin de le rendre plus productif, mieux géré par l’État et plus bénéfique au développement du pays. Promines, a démarré en 2010 et dispose d’un budget de 62 millions d’euros sur cinq ans.

Tournée diplomatique

Fin juin, Paul Mabolia a fait le tour des États-Unis. Il a rencontré les tout grands de l’industrie électronique lors d’un séminaire organisé par leurs fédérations, la Electronics Industry Citizenship Coalition (EICC, plus de 40 sociétés) et la Global e-Sustainability Initiative (GeSI, plus de 25 sociétés). Le 24 juin 2011, nous le rencontrons dans son bureau à Kinshasa. Interview.

Paul Mabolia : "Nous sommes allés aux États-Unis dans le cadre des discussions avec les membres de l’EICC et du GeSI, les fédérations de l’industrie électronique qui s’approvisionnent en métaux, comme le coltan, la cassitérite, le tungstène ainsi que l’or, les matériaux que nous produisons. Il y avait à peu près 200 personnes, des gens de Motorola, Hewlett Packard, Xerox ou Lockheed Martin. Pour la délégation congolaise, l’enjeu était surtout de connaître la position des acheteurs aux Etats-Unis. Ils ont pratiquement arrêté leurs achats chez nous depuis la loi Dodd-Frank (Voir la fiche texhnique en fin de texte).

Gresea : Aux Etats-Unis, certaines organisations se ont fortement mobilisées pour influencer des membres du Congrès. Les raisonnements sont souvent très schématiques et caricaturaux. Rencontre-t-on ces mêmes préjugés chez les acheteurs de l’industrie électronique ?

Paul Mabolia : C’est un fait. Les campagnes médiatiques de certaines organisations étaient assez violentes. Elles transforment la réalité pour faire passer leur message. Chez les acheteurs, c’est différent. Ils disent ne pas bien savoir ce qui se passe mais qu’ils ne vont pas, pour autant, risquer leur réputation en bravant les lois en vigueur. Ils sont cependant prêt à examiner la situation sans œillères pour, ensuite, prendre des décisions en connaissance de cause. Notre ministre des Mines avait donné comme instruction d’être beaucoup plus présent dans les fora internationaux où on débattait de la RDC. De là l’intérêt de cette réunion pour nous.

Blocus économique

Gresea : La loi Dodd-Frank a été promulguée en juillet 2010. Les mesures d’exécution demeurent cependant inconnues. Quel a été, jusqu’ici, l’impact de ce texte ?

Mabolia : L’impact a été immédiat. Du jour au lendemain, la production de cassitérite au Sud Kivu est tombée à zéro, mis à part les activités artisanales qui espèrent vendre à quelques acheteurs chinois et indiens qui achètent encore. Même chose au Nord Kivu où l’arrêt a été presque complet. Je crois qu’on est passé de 1.000 tonnes par mois, avant la date fatidique, à environ 100 tonnes après. Pour le dire plus brutalement, c’est pratiquement toute l’activité économique en RDC qui a été mise à l’arrêt.
Il nous fallait absolument parler avec les autorités et les industries américaines pour examiner comment aller de l’avant. Ainsi, en marge du séminaire, nous avons rencontré les responsables de la Securities and Exchange Commission (SEC) chargés de rédiger les mesures d’exécution de la loi Dodd-Frank. Des discussions, il faut le dire, empreintes de cordialité et d’ouverture d’esprit. Lors d’une rencontre précédente, le message était que la loi, c’est la loi, point à la ligne. Cette fois, ils étaient beaucoup mieux informés, plus ouverts, plus réceptifs.
Nous leur avons dit qu’il existe déjà des initiatives au niveau local, avec le concours de bailleurs internationaux et de gouvernements. Au niveau régional, des systèmes de certification sont mis en place. Nous nous conformons aux directives de l’Organisation du commerce et du développement économique (OCDE OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économiques : Association créée en 1960 pour continuer l’œuvre de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) chargée de suivre l’évolution du plan Marshall à partir de 1948, en élargissant le nombre de ses membres. A l’origine, l’OECE comprenait les pays européens de l’Ouest, les États-Unis et le Canada. On a voulu étendre ce groupe au Japon, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’OCDE compte 34 membres, considérés comme les pays les plus riches de la planète. Elle fonctionne comme un think tank d’obédience libérale, réalisant des études et analyses bien documentées en vue de promouvoir les idées du libre marché et de la libre concurrence.
(En anglais : Organisation for Economic Co-operation and Development, OECD)
) et nous travaillons avec le groupe des experts des Nations unies. Notre message consistait à leur demander de considérer tous ces efforts en rédigeant les mesures d’exécution de la Dodd-Frank, plutôt que d’inventer de nouvelles contraintes rendant la situation encore plus compliquée. D’autant plus que les Américains et les associations des acheteurs sont parties prenantes à toutes ces initiatives.
En deuxième lieu, nous leur avons demandé de prendre en compte l’impact économique. L’activité minière dans l’Est est presque à l’arrêt. On risque une situation conduisant à des désordres. Dans l’agriculture, il faut attendre trois mois avant de gagner quelque chose. Dans les mines, la perte de revenus est immédiate.

Démilitarisation du Kivu

Gresea : Autre retour en arrière. Deux mois après la Dodd-Frank, en septembre 2010, le président de la RDC a suspendu toute activité minière à l’Est du pays. J’ai interprété cette suspension comme une sorte de réaction proactive, signifiant aux Américains que Kinshasa agissait. Est-ce une interprétation correcte ?

Mabolia : Non. Le président n’a pas agi en fonction de la loi américaine. Le facteur décisif était le degré de violence dans la région, faisant suite à une campagne de viols en masse. Cela a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le président a constaté le degré d’implication des militaires dans les zones minières et les dégâts causés. Il voyait à quel point les autorités, tant civiles que militaires, étaient impliquées dans l’exploitation illégale des ressources naturelles. Il fallait que cela cesse. Son message était clair, je pense : ou vous mettez de l’ordre, ou les activités sont gelées.

Gresea : Quel en a été l’impact ?

Mabolia : Il y a eu une prise de conscience dans toute la région. Même les militaires, enjoints de quitter les zones minières, ne pouvaient plus justifier leur présence. La décision a permis de réaffirmer l’autorité de l’Administration des mines. Sous la pression des communautés locales, les militaires sont partis. Les activités ont pu reprendre, mais sous des formes mieux contrôlées, avec un enregistrement des creuseurs. Cela n’a pas été simple étant donné le blocus à l’exportation. Au moment où on nous demandait de reprendre les activités, la loi américaine est venue nous bloquer. Il faut savoir que tous les processus que nous mettons en place ne fonctionnent que s’il existe des acheteurs pour les minerais. Comment en effet vérifier la traçabilité, mise en place tant au niveau national que régional, si les minerais ne voyagent pas.

Gresea : On a dit que la suspension a entravé certaines initiatives. L’association des entreprises de l’étain, l’ITRI (International Tin Research Institute), par exemple, s’est montrée déçue. La suspension a interrompu leur programme.

Mabolia : Il a été interrompu, pour partie, parce que le financement a été interrompu. Il ne faut pas oublier que les acheteurs payaient une taxe de 50 dollars sur l’exportation de produits congolais, taxe qui permettait de financer le programme de l’ITRI. Mais qu’est-ce qui importe le plus ? Il faut se rendre compte que la traçabilité ne marche pas dans des situations d’extrême violence. Il fallait donc d’abord assainir la situation, rendre les choses plus calmes. C’était un revers pour l’ITRI, mais l’atmosphère de violence jetait l’opprobre sur la région. Il fallait gérer cela, en prenant des mesures drastiques. Les gens doivent comprendre que s’ils veulent commercer, ils doivent le faire proprement.

Gresea : Est-ce que les militaires sont effectivement partis du grand site minier de Bisié ?

Paul Mabolia : Oui, et pour deux raisons. Primo, la suspension. Lorsque les activités ont été interdites, les mineurs ont été sans travail et une grande partie d’entre eux a quitté les lieux. Ajoutez que, avec la saison des pluies, l’eau a commencé à s’infiltrer dans les galeries des mines en inondant beaucoup de galeries. Secundo, beaucoup de militaires sont partis parce qu’ils devaient se faire enrôler par le recensement biométrique. Ce concours de circonstances techniques et matérielles explique le départ des militaires.

Déferlante d’audits

Gresea : D’autres initiatives sont en cours d’exécution. Il y a celle de l’ITRI, vous avez mentionné le BGR [1], il y a aussi les initiatives avec les États voisins. Comment tiennent-elles ensemble ?

Mabolia : Rappelons que nous avons démarré déjà en 2000 lorsque les premiers rapports du Conseil de sécurité des Nations unies ont mis en évidence la situation désastreuse en RDC, en faisant notamment le lien avec l’exploitation illégale des ressources naturelles. Ces rapports ont impulsé des travaux à l’Administration des mines. Vers 2006, 2007, nous avons commencé les premiers programmes avec l’Allemagne, et notamment avec le BGR (Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe, l’Institut fédéral géologique), pour mettre en place un système de certification, appelé Certified Trading Chains (CTC). C’est un moyen de mieux contrôler les matières premières tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Le CTC repose sur cinq critères. Vous avez la traçabilité, mais c’est beaucoup plus complet, puisqu’on regarde aussi la sécurité dans les mines, l’environnement etc. Bien après cela, les acheteurs sont entrés en lice. Ils se sont exprimés en faveur d’un système de traçabilité depuis le puits d’extraction jusqu’à la sortie des frontières, afin de contrôler les conditions de travail dans les puits (travail des enfants, présence de militaires, etc.).
À la sortie des frontières, on délivre un certificat régional, émis par la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), un certificat qui harmonise tout simplement les lois nationales des pays membres. Nous espérons que la communauté internationale et les autres consommateurs accepteront ce certificat. La CIRGL fera également une collecte de données en agrégeant les statistiques des productions de chaque pays. Toutes ces initiatives sont complémentaires. La loi Dodd-Frank, elle, exige des acheteurs finaux de s’assurer que les produits achetés proviennent des zones de non conflit et ne contribuent pas à financer des groupes armés, directement ou indirectement. Nous sommes aussi d’accord avec la présence d’auditeurs et des contrôleurs indépendants. Les Américains vont donc se baser sur les systèmes mis en place par la RDC et les pays africains qui auront le quitus des audits. C’est sur cette complémentarité et cette harmonisation que nous sommes en train de travailler.

Gresea : Les acteurs congolais, les comptoirs, les creuseurs ont-ils la volonté d’appliquer ces mesures ?

Mabolia : Ils ne demandent qu’à être éclairés sur ce qu’ils doivent faire. Ils ne comprennent pas pourquoi la loi américaine les empêche de vendre. En effet, ne pas vendre, pour nous, c’est la mort. Les activités artisanales nourrissaient toute une région. On peut tenter de changer les choses de manière graduelle mais, là, le coup de frein a vraiment été brutal. Les gouvernements provinciaux et les associations sont prêts à agir. Au Katanga, par exemple, ils ont commencé à mettre en place le système de traçabilité sur financement propre, fourni par la province et par certaines sociétés locales. Les deux Kivu le réclament aussi, ils sont prêts à fournir une partie de l’argent. J’ai ici une lettre du gouverneur de la province du Sud-Kivu qui dit : où en est ITRI ? quand vont-ils revenir ? que faut-il faire pour aller de l’avant ? Tout le monde est conscient de la nécessité d’un système de traçabilité.

Dodd-Frankenstein ?

Gresea : Dodd-Frank est arrivé d’un coup, avec une section exclusivement consacrée au Congo. Est-ce que cela vous a étonné ?

Mabolia : Non. Nous savions depuis longtemps que le gouvernement américain voulait une loi pour réguler l’achat des minerais. Mais nous ne savions pas quand cela allait se faire. Cette loi a été cogitée, je pense, depuis 2006 ou 2007. Elle était en préparation depuis longtemps.

Gresea : Il est tout de même assez exceptionnel qu’une loi cadre vise ainsi un seul pays à l’étranger…

Mabolia : La RDC n’est pas seule en cause. Ce sont aussi les pays voisins. En RDC, nous avons toujours souffert de la fraude. Mais voyez le processus de Kimberley (ndlr. certification des chaînes du diamant). Là, c’est l’appartenance à un système extraterritorial qui nous a permis de régler le problème des exportations frauduleuses de diamant vers le Congo Brazzaville. Cette approche est donc la bonne. La loi américaine va aboutir au même résultat. Elle va obliger les gens à se mettre ensemble pour régler les problèmes au plan régional, avec des moyens de coercition accrus. Les pays de transit ont aussi des obligations. Le Kenya et la Tanzanie avec le port de Dar-Es-Salam seront astreints à certaines contraintes dans le cadre de la région des Grands Lacs. Il ne sera plus aussi facile de faire sortir le minerai du Congo en contrebande vers, par exemple, la Tanzanie, le Kenya ou l’Ouganda.

Gresea : Qu’en est-il de l’or, qui reste un grand problème ?

Mabolia : En effet, déplacer une tonne de cassitérite est plus difficile que déplacer un kilo d’or. Un élément positif est que l’association mondiale des acheteurs d’or s’organise pour mettre de l’ordre dans le système. Il faudra là aussi examiner comment introduire soit une certification, soit un code de bonne conduite. C’est un autre challenge mais, encore une fois, on voit les bénéfices de la loi américaine. Elle force les pays voisins aussi à être plus regardants, dans un cadre régional.

Traxys, Banro & Co.

Gresea : Il semble qu’une entreprise envisage d’installer une fonderie pour l’étain à Sake sur le lac Kivu. [2] D’autres entreprises, dont MSC de la Malaisie avec Traxys de la Belgique, auraient des projets semi-industriels pour le Kivu. Certains auraient déjà envoyé des équipements à l’est de la RDC, mais leurs projets seraient à l’arrêt à cause de la nouvelle législation aux Etats-Unis. Qu’en est-il exactement ?

Mabolia : Le gouvernement congolais et l’Administration des mines veulent à tout prix favoriser l’émergence d’une exploitation industrielle. Elle existait à l’époque. L’exploitation artisanale fait survivre beaucoup de personnes, mais les conditions de travail sont d’une pénibilité extrême et, au finish, ne débouche pas sur un développement. Voyez Bisie. Il n’y a toujours pas d’hôpitaux ou d’autres facilités. Il faut donc encourager les investissements à caractère industriel. Un colloque « mine et énergie » aura prochainement lieu pour examiner l’apport d’électricité aux grandes usines. Ce sera l’occasion d’étudier le problème de la réfection des barrages nécessaires au développement d’une exploitation industrielle.
Et, effectivement, on assiste à une marque d’intérêt croissante de grands groupes. C’est entre autres ce groupe qui, avec M. Mudekereza, de la fédération des entreprises du Sud Kivu, travaille sur un projet de semi-mécanisation des minerais. L’Administration des mines a également traité un projet de la Malaysia Smelter Corporation (MSC) avec Traxys dans le cadre d’une reprise des concessions qui ont appartenu à l’époque à la Sakima. Et puis il y a les concessions logées dans le giron du gouvernement pour lesquelles nous réfléchissons à une exploitation en deux phases. En commençant par une exploitation du stock Stock Sous sa forme économique, c’est l’ensemble des avoirs (moins les dettes) d’un acteur économique à un moment donné (par exemple, le 31 décembre 2007). Ce qui sort ou qui entre durant deux dates est un flux. Le stock dans son sens économique s’oppose donc au flux. Sous son interprétation comptable, le stock est l’ensemble des marchandises achetées qui n’ont pas encore été produites ou dont la fabrication n’a pas été achevée lors de la clôture du bilan ou encore qui ont été réalisées mais pas encore vendues.
(en anglais : stock ou inventory pour la notion comptable).
existant et par la réorganisation de l’exploitation artisanale avec le concours de Traxys et MSC et, à terme, l’installation d’usines. Les négociations vont bon train. Au Katanga, par ailleurs, la société MMR a entrepris des démarches pour construire une fonderie d’étain.
N’oublions pas non plus que, d’ici peu, la société canadienne Banro va produire des lingots d’or dans le Sud Kivu. Ce sera un événement et un déclencheur vis-à-vis des sceptiques qui pensent qu’il est impossible de produire dans cette région. Cela devrait stimuler l’attrait pour le Nord et le Sud Kivu et attirer d’autres industries.

Sortir de l’impasse

Gresea : On a donc, pour résumer, d’un côté, les réticences des acheteurs à l’étranger et, de votre côté, un grand nombre d’initiatives depuis plusieurs années, avec des hauts et des bas, des suspensions, des interruptions et des redémarrages. Et puis, là-dessus, certains acteurs qu’on peut qualifier de ultra-exigeants. Alors, question. Fin 2009 le chercheur américain Jason Stearns a plaidé pour une autorité de contrôle indépendante et le lobby Lobby Groupement créé dans le but de pouvoir influencer des décisions prises habituellement par les pouvoirs publics au profit d’intérêts particuliers et généralement privés. La plupart des lobbies sont mis en place à l’initiative des grandes firmes et des secteurs industriels.
(en anglais : lobby)
américain Enough en a copié l’idée. N’est-ce pas une institution de tutelle visant une activité économique spécifique ?

Mabolia : Les choses sont beaucoup plus compliquées que cela. Nous sommes prêts à accepter des audits. Les audits donnent le temps à l’acheteur pour corriger certaines choses et donner des explications, avant que le rapport final ne soit établi. Mettre en place un système sans savoir s’il est vraiment indépendant, par contre, peut poser un problème. Un système doit être crédible. Mais il ne faut pas, pour rassurer toutes les parties prenantes, mettre en place des institutions dont on ne sait pas qui en a le contrôle. Nous avons proposé des audits dans un cadre bien déterminé, avec des représentants du gouvernement, de la société civile et des producteurs-acheteurs. C’est un système tripartite, réfléchi pour éviter les excès. Il faut, en outre, tenir compte de la souveraineté des États. Les décisions doivent se prendre dans le pays concerné.
Concernant les réticences des Américains, il faut rappeler certaines choses. Ne perdons pas de vue, ainsi, le lobbying des ONG. Ce sont elles qui ont mis à mal tout le système. Les informations qu’elles diffusent sont vraiment extrêmes : "400 femmes violées toutes les minutes". Cela captive les esprits mais cela cause des dommages. L’Est du Congo est une région compliquée et il faut se contenter de demi-mesures. Ce n’est pas facile. Il y a des rebelles, ils ne sont pas congolais mais ils sont sur notre territoire. Il y a des militaires qui doivent poursuivre ces rebelles, ils meurent pour cela. Je ne sais pas si les gens pensent à tout cela. Nous y perdons tous. Il faut être attentif à ce problème, il ne faut pas noircir une situation dans le seul but de faire aboutir un agenda.
Actuellement, un dialogue régional s’installe et il y a une prise de conscience. La loi américaine invite à travailler ensemble, faute de quoi l’acheteur américain ira s’approvisionner ailleurs. Nous insistons sur le fait que la traçabilité a été institutionnalisée chez nous. Plus rien ne se fera sans traçabilité. Nous avons commencé à construire des centres de négoce là où les minerais sortent de la mine. Les acheteurs devraient prendre tout cela en compte. Qu’ils vérifient si ce système de traçabilité est efficace ou non.

Gresea : Selon certains le Congo subit un embargo de fait. Quelle est votre opinion ?

Mabolia : Nous subissons, c’est vrai, un embargo de fait. Nous ne vendons plus à nos acheteurs traditionnels. Ils sont partis, ils se sont désengagés ou ils attendent. Certains ont manifesté leur intérêt, surtout ceux qui fournissent les fonderies basées en Malaisie, pour acheter des minerais des zones où, selon eux, notre système de traçabilité fonctionne. Ils reviendraient donc à des endroits précis. La population a compris cela. Malheureusement ces initiatives coûtent de l’argent et l’argent nous manque, d’autant plus qu’il n’y a plus d’activité minière. Dans un premier temps, nous dépendons donc des bailleurs de fonds Fonds (de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
. Nous avons le projet Promines, nous avons l’USAID qui met 3 à 5 millions de dollars à disposition. Des Sud-Africains, pour leur part, veulent développer et financer un point de mine dans ce qu’ils appellent des corridors. Ils sont prêts à financer cela à hauteur de 2,5 millions de dollars. L’un dans l’autre, tout cela contribuera à mettre en place des systèmes de traçabilité. Mais le fait demeure que, au finish, il nous faut des acheteurs pour nos minerais. Sinon, tout le système est bloqué.

Qu’est-ce que la Dodd-Frank ?

Important point de repère : promulguée le 21 juillet 2010, la loi cadre Dodd-Frank (Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act de son nom complet), a pris le nom des sénateurs Christopher Dodd et Barney Frank. L’objectif affiché est de promouvoir la stabilité financière des Etats-Unis après la crise financière de 2008 et de protéger les contribuables et les consommateurs contre les faillites bancaires et les pratiques abusives des services financiers. Dodd-Frank compte 848 pages. On trouve, en fin de cours, un Titre Titre Morceau de papier qui représente un avoir, soit de propriété (actions), soit de créance à long terme (obligations) ; le titre est échangeable sur un marché financier, comme une Bourse, à un cours boursier déterminé par l’offre et la demande ; il donne droit à un revenu (dividende ou intérêt).
(en anglais : financial security)
XV, ajouté in extremis (‘Miscellaneous Provisions’), avec six sections.

Notes

[1La certification BGR est un système administratif pour enregistrer tout lot de minerais produit et commercialisé, en déterminer l’origine (est-elle « légitime » ?) et la destination, et vérifier si taxes et autres obligations légales ont été payées ou remplies.

[2Depuis notre interview avec Paul Mabolia, plus de précisions ont été diffusées. L’entreprise russe Pan African Business Group, qui a un comptoir d’achat à Goma, ferait construire deux fonderies d’étain à Sake exploitées par sa filiale, l’African Smelter Group. African Mining Intelligence, 29 juin 2011.

[3Le commissaire européen Michel Barnier dans une lettre du 4 juillet à des membres du parlement européen.

[4Le syndicat Pengassan dans une lettre à la SEC, Lagos, le 27 juin 2011.