"Un pays en déficit absorbe, si l’on combine la consommation et l’investissement
Investissement
Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
, plus que sa propre production ; dans ce sens, son économie s’appuie sur l’épargne accumulée à l’étranger. En retour, il est dans l’obligation permanente de payer des intérêts
Intérêts
Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
ou des profits au prêteur. Est-ce une bonne affaire ou non ? Cela dépend de l’utilisation que l’on fait des fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
. S’ils permettent simplement un excès de consommation plutôt que de production, l’économie est en route pour la ruine".
Joan Robinson, Collected Economic Papers, Vol. IV, 1973
Il y a (presque) un an, éclatait aux Etats-Unis la crise du subprime
Subprime
Crédit accordé à une famille qui ne possède pas les conditions pour obtenir celui-ci, c’est-à-dire avoir des rentrées financières stables ; ce prêt est considéré comme étant risqué ; dont le taux d’intérêt pratiqué ne sera pas celui d’un risque normal, appelé aux États-Unis « prime rate » (taux de base), mais celui d’une catégorie « en dessous » (subprime).
(en anglais : subprime).
. Le temps, pour les autorités américaines, de sortir leur "bazooka" pour, quasi à la date anniversaire, le 8 septembre 2008, sauver le système financier et ses zozos d’une débâcle en cascade par l’injection de 200 milliards de dollars de… fonds publics. C’est l’occasion pour le Gresea de revenir sur une série de concepts en vogue dans les milieux financiers. Ces concepts permettront de mieux identifier les acteurs du crédit hypothécaire américain concernés au premier chef par l’affaire des "subprimes". En guise de conclusion, nous nous livrerons à un exercice de prospective centré principalement sur la question de la rémunération du facteur travail aux Etats-Unis et en Europe.
En avril 2007, New Century, numéro un américain des prêts hypothécaires à haut risque, faisait faillite. Cette compagnie était la première victime de la multiplication des défauts de paiement des ménages américains. Et c’est le 18 juillet 2007, alors que la banque d’investissement
Banque d’investissement
Organisme de gestion de dépôts et de fortune qui, contrairement aux banques commerciales, peut placer ces fonds sur les marchés financiers (Bourse...) et investir dans des sociétés privées autres que bancaires. En revanche, les banques d’investissements n’ont pas le droit de récolter massivement les dépôts et d’avoir des agences à toutes les rues des cités.
(en anglais : investment bank)
américaine Bear Stearns (grande banque d’affaires
Banque d'affaires
Organisme de gestion de dépôts et de fortune qui, contrairement aux banques commerciales, peuvent placer ces fonds sur les marchés financiers (Bourse...) et investir dans des sociétés privées autres que bancaires. En revanche, les banques d’investissements n’ont pas le droit de récolter massivement les dépôts et d’avoir des agences à toutes les rues des cités.
(en anglais : investment bank)
américaine particulièrement active sur le marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
des emprunts subprime
Subprime
Crédit accordé à une famille qui ne possède pas les conditions pour obtenir celui-ci, c’est-à-dire avoir des rentrées financières stables ; ce prêt est considéré comme étant risqué ; dont le taux d’intérêt pratiqué ne sera pas celui d’un risque normal, appelé aux États-Unis « prime rate » (taux de base), mais celui d’une catégorie « en dessous » (subprime).
(en anglais : subprime).
) annonçait que la valeur de deux de ses fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
venait de s’effondrer, que les "profanes" entendaient parler, pour la première fois, des emprunts subprime qui consistaient en un système de crédits hypothécaires à taux d’intérêt
Taux d’intérêt
Rapport de la rémunération d’un capital emprunté. Il consiste dans le ratio entre les intérêts et les fonds prêtés.
(en anglais : interest rate)
variables, gagés sur le logement de l’emprunteur et destinés à des personnes n’offrant pas toutes les garanties de solvabilité
Solvabilité
Rapport de long terme pour savoir si la firme peut structurellement supporter les charges financières qu’elle doit assurer de par son activité ; c’est sa capacité à rembourser les dettes qu’elle contracte.
(en anglais : solvency)
. La diffusion de la crise des emprunts dits "subprime" allait gagner l’ensemble du monde en une semaine. Fin juillet 2007, Paris, Londres, Tokyo et Francfort "dévissaient" à leur tour à mesure, d’ailleurs, que la crise du secteur immobilier s’approfondissait aux États-Unis. Explication.
Au début des années 2000, après que la bulle des nouvelles technologies de l’information et des communications ait explosé, le monde financier US s’est mis en quête d’une autre martingale et d’un autre secteur d’activité.
Le secteur privilégié sera l’immobilier. Pariant sur le fait que, depuis 1945, on n’avait jamais enregistré de baisse des prix dans l’immobilier aux États-Unis (on notera, au passage, le caractère approximatif du raisonnement), les organismes financiers présents sur le marché américain escomptaient une hausse constante des valeurs immobilières au point que la solvabilité des emprunteurs n’avait finalement plus guère d’importance à leurs yeux. Si un emprunteur ne pouvait plus rembourser, on pourrait toujours revendre la propriété. Plus-value
Plus-value
En langage marxiste, il s’agit du travail non payé aux salariés par rapport à la valeur que ceux-ci produisent ; cela forme l’exploitation capitaliste ; dans le langage comptable et boursier, c’est la différence obtenue entre l’achat et la vente d’un titre ou d’un immeuble ; si la différence est négative, on parlera de moins-value.
(en anglais : surplus value).
assurée pour l’organisme de prêt. Dès lors, on a assisté à une véritable explosion des crédits dits subprimes aux États-Unis tout au long des années 2000. "En 2006, les crédits "subprime" ont représenté 24% des nouveaux crédits immobiliers octroyés aux États-Unis (…) contre 8,5% en 2001" [1]. Le crédit immobilier US s’est donc montré de plus en plus "accro" au risque.
La martingale mise en avant, ce sera la titrisation
Titrisation
Technique financière consistant à transformer des prêts ou des contrats conclus entre un établissement de crédit et un client en titres à placer sur des marchés financiers et qui sont, à ce moment, échangeables entre investisseurs.
(en anglais : securitization)
. La titrisation consiste en la transformation de créances (dans le cas du subprime, le remboursement des crédits hypothécaires en cours) en titres financiers. En jargon financier, les sociétés qui pratiquent la titrisation des créances sont émettrices de MBS (mortgage backed security – en français, on parlera de "titres adossés aux emprunts hypothécaires"). Les paiements des traites sont transférés aux détenteurs des titres qui deviennent, en quelque sorte, propriétaires de la créance. Via la titrisation, les sociétés de crédit hypothécaire se débarrassent du risque du défaut de paiement (ou risque de crédit) en transférant leurs créances auprès des organismes qui mettent en œuvre la titrisation en émettant des MBS.
A l’origine, la titrisation permettait d’éviter aux organismes de prêt le risque de liquidité
Liquidité
Capacité d’avoir des fonds disponibles pour payer au moment opportun fournisseurs, créanciers, salariés, caisses sociales, etc.
(en anglais : market liquidity ou cash)
qui procède d’un décalage temporel entre des dépôts à court terme et des prêts à plus long terme. Or, précisément, le marché des titres garantit des financements de long terme, ce qui cadre bien avec l’encourt des crédits hypothécaires qui porte le plus souvent sur plusieurs décennies.
Sur le papier, tout semblait donc devoir marcher comme sur des roulettes. D’un côté, on avait un marché immobilier en expansion constante depuis 1a fin de la Deuxième Guerre mondiale, ce qui constituait un pare-feu a priori sécurisant face à l’hypothèse fâcheuse d’éventuels défauts de paiements d’une partie du public. De l’autre, on comptait sur une technique qui permettait aux organismes prêteurs de couvrir les emprunts consentis par des rentées de long terme. Le meilleur des mondes ?
Pas vraiment. Car cette configuration apparemment idyllique a totalement volé en éclats. Pourquoi ?
Le fiasco
Il y a deux niveaux d’explication. Le premier tient à l’évolution du contexte macroéconomique des États-Unis depuis le début des années 2000. Au 25 juin 2003, le taux d’intérêt de la Fed était de 1%. Au 29 juin 2006, il culminait à 5,25% [2]. Ce mouvement haussier des taux d’intérêt a entraîné une restriction de la demande pour les biens immobiliers dont les prix ont fort logiquement commencé à baisser. Par voie de conséquence, les agences de crédit ne pouvaient plus se rembourser en procédant à la vente forcée des biens des clients insolvables. Première ombre au tableau. Ce n’est pas la seule.
Puisque les subprimes sont des prêts à taux d’intérêt variables, il va de soi que les hausses successives de taux d’intérêt mises en œuvre par la Federal Reserve (FED, banque centrale
Banque centrale
Organe bancaire, qui peut être public, privé ou mixte et qui organise trois missions essentiellement : il gère la politique monétaire d’un pays (parfois seul, parfois sous l’autorité du ministère des Finances) ; il administre les réserves d’or et de devises du pays ; et il est le prêteur en dernier ressort pour les banques commerciales. Pour les États-Unis, la banque centrale est la Federal Reserve (ou FED) ; pour la zone euro, c’est la Banque centrale européenne (ou BCE).
(en anglais : central bank ou reserve bank ou encore monetary authority).
des États-Unis) ont fragilisé les possibilités de remboursement des ménages. Les organismes de crédit se retrouvent avec des emprunts impayés sur les bras, emprunts qui sont malheureusement adossés à des biens immobiliers dont la valeur s’effondre. Situation évidemment inconfortable dont nul ne pouvait supposer qu’elle deviendrait explosive. Car comment rendre compte du fait qu’une hausse des crédits hypothécaires impayés de l’ordre 34 milliards de dollars a entraîné à sa suite une destruction de capital
Capital
Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
de l’ordre de 57 milliards de dollars en un été [3] ?
Tenter de répondre à cette question suppose que l’on passe à un autre niveau d’explication centré cette fois sur la stratégie des acteurs individuels présents sur le marché du crédit hypothécaire US. A l’origine, la titrisation était le fait d’organismes parapublics [4] qui s’engageaient uniquement à mettre sur le marché des capitaux des lots de créances solides (ce que l’on nomme dans le jargon des crédits dits "de premier ordre"). Les nouveaux acteurs du crédit hypothécaire vont, comme on l’a vu, bouleverser la donne en s’engageant en faveur de créances douteuses. Cette modification des normes de souscription va prendre un coté massif avec le temps. "En 2003, selon Inside Mortgage Finance, les organismes parapublics étaient à l’origine de 76% des émissions de titres adossés à des crédits hypothécaires (…), les 24% restants étant constitués de titres "privés" émis par les grandes maisons de Wall Street. A la mi-2006, leur part avait chuté à 43%, les titres privés représentant 57% du total" [5].
Structures opaques pour marché fou
Le souci avec les emprunts subprime, c’est que puisqu’ils sont (très) risqués, ils font problème pour attirer les investisseurs institutionnels (les fameux "zinzins") traditionnellement actifs sur le marché de titres adossés aux emprunts hypothécaires. Les zinzins sont, en effet, sévèrement limités, de par leurs directives d’investissement
Investissement
Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
, en matière d’achats de titres de créances mal cotées. A tout problème, sa solution. Les sociétés de crédit vont séparer les risques en mélangeant dans un fonds commun des titres obligataires adossés pour partie à des créances douteuses mais aussi à des créances sûres.
Pour cela, Wall Street a ressorti les dispositifs d’obligations structurées adossées à des emprunts (Collaterized Debt Obligation ou CDO) dont la mise en œuvre remonte au début des années 80. Entre la société émettrice de MBS et le détenteur final du titre
Titre
Morceau de papier qui représente un avoir, soit de propriété (actions), soit de créance à long terme (obligations) ; le titre est échangeable sur un marché financier, comme une Bourse, à un cours boursier déterminé par l’offre et la demande ; il donne droit à un revenu (dividende ou intérêt).
(en anglais : financial security)
(l’investisseur institutionnel
Investisseur institutionnel
Organisme qui récolte de l’épargne de façon massive pour la placer sur les marchés financiers, en particulier dans l’acquisition de titres. Il s’agit des compagnies d’assurances, des fonds de pension, des fonds de placement ou d’investissement, des banques… On les appelle institutionnels parce qu’ils stabilisent souvent à un moment donné l’actionnariat ou la structure financière des entreprises, parce qu’ils représentent une quantité de titres importante.
(En anglais : institutional investor)
ou spéculatif), une nouvelle structure va donc servir d’intermédiaire, le CDO. "Pour comprendre le fonctionnement d’un CDO, il faut remonter dans le temps, à l’époque des années quatre-vingt et dans la salle de marché de Salomon Brothers (aujourd’hui dans Citigroup). Lewis Ranieri, un des responsables de cette banque d’affaires, a l’idée de prendre un portefeuille
Portefeuille
Ensemble de titres détenus par un investisseur, normalement comme placement.
(en anglais : portfolio).
de crédits hypothécaires d’une banque commerciale
Banque commerciale
Établissement agréé qui accueille des dépôts de clients de toute nature et qui, avec ces fonds, prête à court ou à long terme à des ménages, des entreprises ou aux pouvoirs publics. On l’appelle aussi parfois banque de dépôt.
(en anglais : commercial bank).
, de le placer dans un véhicule d’investissement ad hoc et de le diviser en plusieurs obligations destinées à être vendues à des fonds d’investissement
Fonds d'investissement
Société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
." [6]
Le CDO comme véhicule de titrisation, dans le cas des titres liés au crédit hypothécaire, consiste en une savante combinaison qui permet de répartir le risque de défaut de paiement d’un portefeuille de créances mises sur le marché obligataire. Un CDO est classiquement composé de quatre tranches distinctes. La première de ces tranches se nomme l’"Equity". C’est cette tranche qui est la plus susceptible d’enregistrer des pertes puisque c’est celle qui possède le profil de risques le plus élevé. Elle peut aller jusqu’à 3% du portefeuille. C’est ici que l’on retrouve les emprunts subprimes. La seconde tranche dite "Mezzanine" se chiffre le plus souvent à 7% du portefeuille. Elle présente un profil moins risqué que l’Equity. La Mezzanine et l’Equity sont également appelées "tranches subordonnées". On retrouve ensuite la tranche senior (20% du portefeuille) et la tranche supersenior (la moins risquée). La composition interne d’un CDO peut varier. Plus le risque d’un portefeuille est élevé, plus le mécanisme du CDO est attractif en vertu d’un mécanisme nommé "high yield debt" (en français, obligations à haut rendement). Plus l’Equity et la Mezanninne seront importantes dans la composition du portefeuille, plus le taux d’intérêt de l’obligation
Obligation
Emprunt à long terme émis par une entreprise ou des pouvoirs publics ; il donne droit à un revenu fixe appelé intérêt.
(en anglais : bond ou debenture).
adossée aux créances sera élevé. Et cela afin de récompenser le risque pris par l’investisseur. Dans le concret, le volet Equity des CDO sera acheté par les fonds spéculatifs tandis que les tranches Mezzanine, Senior et Supersenior seront acquises par des investisseurs institutionnels habituellement plus prudents.
Le CDO, cela permet également de réaliser un formidable artifice comptable. Une banque d’affaires doit légalement se protéger contre les prêts à risque. Pour couvrir ces derniers, elle doit disposer de fonds propres
Fonds propres
Ensemble des fonds représentant ce que l’entreprise possède en propre. Il s’agit essentiellement du capital décomposé en parts de capital (ou en actions) en valeur nominale, d’une part, et des bénéfices réservés accumulés au fil des années d’autre part.
(en anglais : shareholders’ equity)
. Avec le CDO qui est un portefeuille fictif, une banque d’affaires va pouvoir prendre des risques sans se couvrir. Dans le cas du subprime, les tranches risquées du CDO (la tranche equity plus la mezzanine) ne représentaient, formellement, que 10% du dit CDO. La Banque, via des fonds spéculatifs, gardait pour elle les 10% des tranches à risques dotées d’un taux d’intérêt rémunérateur (à hauteur du risque encouru). Bien que les tranches qu’une banque détenait, via un fonds spéculatif, concentraient la totalité du risque du portefeuille, la banque, d’un point de vue comptable, n’était pas exposée au risque puisque la part totale des tranches subordonnées n’équivalait qu’à 10% du fonds. D’un point de vue comptable, une banque, qui spéculait sur les subprimes, n’avait donc pas à se couvrir plus que d’ordinaire bien qu’elle totalisait 100% du risque du fonds.
Fonds spéculatifs omniprésents
En 2005, deux ans avant l’éclatement de la crise du subprime, l’agence de notation
Notation
Classification des actifs (titres, monnaie, prêts...) ou des émetteurs de ceux-ci en fonction du risque de défaut de paiement des revenus et du remboursement de ces actifs ou de la part de celui qui les émet. Cette classification est attribuée par une société privée, appelée agence de notation. Les trois plus importantes sont Fitch Ratings, [Moody’s et Standard & Poor’s. Elles contrôlent l’essentiel des évaluations de risque. Mais le fait qu’elles soient privées et qu’elles aient d’autres départements assurant d’autres fonctions vis-à-vis de leurs clients qu’elles notent pose un très sérieux problème d’indépendance, d’impartialité et finalement de légitimité. Les notations dépendent des sociétés qui les allouent. En général, elles ressemblent néanmoins fortement de la classification suivante, allant de l’actif ou de l’entreprise la moins risquée vers celui ou celle qui l’est le plus : AAA, AA, A, BBB, BB, B, CCC, CC, C.
(en anglais : credit rating).
financière FitchRatings estimait que "les fonds spéculatifs sont rapidement devenus des sources majeures de capitaux pour le marché du crédit [et] qu’il existe des craintes légitimes qu’à terme, ces fonds n’aggravent par inadvertance les risques" [7]. Dans l’euphorie générale, le signal d’alarme venait de retentir. Il y avait effectivement de quoi se faire un sang d’encre.
Car les fonds spéculatifs, qui sont spécialisés dans l’investissement à très haut risque, sont des structures particulièrement opaques. En effet, ces fonds ne transmettent pas d’informations sur leurs avoirs, leurs stratégies et leurs activités. Un culte du secret qui, dans le cas du subprime, va atteindre des sommets. En effet, contrairement aux actions et obligations cotées en bourse
Bourse
Lieu institutionnel (originellement un café) où se réalisent des échanges de biens, de titres ou d’actifs standardisés. La Bourse de commerce traite les marchandises. La Bourse des valeurs s’occupe des titres d’entreprises (actions, obligations...).
(en anglais : Commodity Market pour la Bourse commerciale, Stock Exchange pour la Bourse des valeurs)
et faisant, à ce titre, l’objet de transactions publiques, les CDO et produits dérivés s’échangent de gré à gré, c’est-à-dire directement entre les acteurs économiques sans qu’il y ait transmission d’informations sur les volumes et les prix de transaction. Cette structure de gré à gré présentait, en outre, l’inconvénient de pouvoir s’arrêter à tout moment en cas de baisse du marché.
Par ailleurs, les fonds spéculatifs empruntent des sommes considérables pour investir. Ils auraient tort de se gêner puisqu’ils ne sont pas soumis, contrairement aux banques d’affaires, à des normes de fonds propres. "L’endettement type d’un fonds spéculatif pour l’achat de tranches à haut rendement serait de 500%. Autrement dit, pour un investissement de 600 millions de dollars dans une tranche Equity ou Mezannine d’une CBO à risque, le fonds spéculatif ajouterait 100 millions de capitaux à 500 millions de capitaux empruntés. Si les tranches subordonnées représentent 20% des créances totales et que les 80% restants sont vendus sous forme de créances de premier rang à des investisseurs institutionnels, ces 100 millions de capitaux permettent aux prêteurs (…) de mettre 3 milliards de dollars sur le marché des crédits hypothécaires à risque - 2,4 milliards sous forme de titre de catégories investissement et 600 millions sous forme d’emprunts obligataires à haut risque " [8]. Voilà qui donne raison à tous ceux qui faisaient observer, bien avant que n’éclate la crise du subprime, que les fonds spéculatifs détenaient une influence sur les marchés mondiaux du crédit supérieure à la masse réelle des actifs qu’ils détenaient.
Récapitulons. Avec les emprunts subprime, on avait affaire, pêle-mêle, à des fonds spéculatifs opaques, à des banques qui, via ces fonds, prenaient des risques excessifs et à un marché qui, en période de tension, pouvait derechef suspendre ses activités, modalité de fonctionnement qui ne pouvait que contribuer à l’aggravation des situations de crise. De plus, les fonds spéculatifs étaient endettés. Endettement permettant d’expliquer la "contamination" ultérieure du secteur bancaire par les acteurs spéculatifs actifs sur le segment des titres adossés à des crédits hypothécaires.
Dynamique de la crise et contamination de la sphère financière
Au cours du deuxième trimestre 2007, le marché immobilier américain fait le grand plongeon alors que les ménages les plus précarisés peinent de plus en plus à rembourser leurs emprunts. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre parmi les investisseurs qui décident de se retirer des produits liés au subprime au motif qu’ils étaient devenus trop risqués.
Et comme le marché des obligations adossées aux emprunts subprime s’effectue de gré à gré, cette situation de crise a entraîné un gel des transactions. Ce qui signifie que les fonds spéculatifs se sont retrouvés en possession de titres qui ne valaient plus rien puisqu’ils n’étaient plus cotés nulle part.
Par effet de ricochet, le marché des CDO s’est retrouvé au point mort
Point mort
Situation de production et d’utilisation des capacités productives où la firme ne fait aucun bénéfice, ni aucune perte. Cela permet d’évaluer le seuil à partir duquel cette entreprise ou unité est rentable.
(en anglais : breakeven point).
. En effet, les véhicules de titrisation ne pouvaient plus vendre les lots de titres existants aux fonds spéculatifs. Ils ont donc refusé de procéder à de nouvelles émissions. Ne pouvant plus rien écouler auprès des CDO, les sociétés émettrices de MBS n’ont plus acheté de créances auprès des organismes de crédit qui faisaient face à de nombreux impayés et qui étaient dans l’impossibilité de se refaire puisque la valeur des biens immobiliers baissait. Ils ont donc coupé le robinet du crédit. Cette situation de contraction du crédit se nomme en jargon financier un "credit crunch" (en français, on parle de resserrement du crédit
Resserrement du crédit
Contraction brutale du crédit accordé par les banques sous l’effet de la dégradation de leur situation financière.
(En anglais : credit crunch)
).
Comme il devenait plus difficile pour les ménages d’obtenir un crédit, certains emprunteurs n’ont pu refinancer leurs prêts. Donc, le nombre de ménages en situation de défaut de paiement a augmenté. Par conséquent, le nombre de maisons en vente sur le marché hypothécaire a connu une forte croissance
Croissance
Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
. D’où chute des valeurs immobilières. Par effet boule de neige, plus le crédit se resserrait, plus les organismes de crédit étaient fragilisés.
Et plus les organismes de crédit voyaient s’allonger la liste des ménages en défaut de paiement, plus le marché des obligations et produits dérivés adossés aux créances battait de l’aile. Les fonds spéculatifs rechignaient, en effet, de plus en plus à se porter acquéreurs de titres. Ce qui renforçait les CDO et les sociétés émettrices de MBS dans leur refus de se porter acquéreurs des prêts. Il en résultait un resserrement de plus en plus étroit du crédit qui avait pour effet de déprimer davantage le marché immobilier. Cela s’appelle une spirale baissière.
Et plus on s’enfonçait dans la spirale baissière, plus les banques souffraient. En effet, un grand nombre d’acteurs économiques ayant participé au phénomène du subprime s’étaient endettés. Cela allait des fonds spéculatifs aux organismes de crédit (c’est ainsi que Bear Stearns fut frappée de plein fouet par la crise du subprime [9]). La contamination du secteur bancaire était inéluctable et la valse des faillites pouvait commencer.
Devant la débâcle qui s’annonçait, les banques centrales ont fait preuve de volontarisme. Objectif de leur intervention : briser la spirale baissière et procurer aux financiers les fonds dont ils avaient besoin pour survivre. Pour ce faire, elles ont injecté en grande quantité des liquidités dans le circuit monétaire. "Au cours de la seule première semaine d’août, par exemple, les instituts d’émission américain, européen et asiatiques ont ainsi mené des actions concertées au cours desquelles ils ont fourni plus de 330 milliards de dollars aux marchés" [10]. Les banques européennes étant elles aussi engagées dans la débâcle du subprime, la Banque centrale européenne a également relâché les cordons de la bourse. Le quotidien boursier français La Tribune estimait que, pour faire face à la tempête financière survenue après le dégonflement de la bulle immobilière de l’été 2007 aux États-Unis, la BCE avait procédé à "une injection record de liquidités de 348,6 milliards d’euros" [11].
En plus de ces injections de liquidités, les banques centrales ont agi via leurs taux d’intérêt. "Le 18 septembre 2007, la Fed a donné un signal fort en réduisant d’un demi point le niveau du taux d’objectif des "Fed funds", son principal taux d’intérêt directeur. Ce taux - que les banques américaines appliquent lors de leurs échanges entre elles pour emprunter des "Fed funds" - a été fixé à 4,75%. Son homologue européen a également fait preuve de pragmatisme en la matière. Alors que se profilait un resserrement de la politique monétaire dans la zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) a, devant les turbulences des marchés, opté pour le statu quo en septembre" [12].
Cette détermination des banques centrales dans la lutte contre le "credit crunch" n’a pas réussi à empêcher la crise financière de s’étendre à la sphère réelle. "Les mises en chantier de logements ont encore reculé de 3,3 % en mai par rapport à avril pour tomber à 975. 000 unités, soit le plus bas niveau depuis mars 1991. Ce nombre est inférieur de 32,1 % à celui enregistré en mai 2007. Les permis de construire ont également enregistré un recul en mai de 1,3 % par rapport à avril, soit 36,3 % par rapport à celui de mai 2007. Le nombre de mai est inférieur au million pour le quatrième mois d’affilée" [13].
Les ménages américains vivent à crédit. Donc, si ce dernier se tarit, on pourra difficilement éviter un ralentissement de l’économie. Pour l’instant, que les taux d’intérêt diminuent ou non, les particuliers aux États-Unis ne vont pas relancer leur consommation dans la mesure où ils doivent d’abord rembourser leurs dettes. Les ménages ne semblant guère disposés à consommer, les entreprises ne vont pas procéder à des investissements massifs. La crise du subprime a, pour l’instant, mis à l’arrêt les économies occidentales. "Aux États-Unis, le PIB
PIB
Produit intérieur brut : richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
a augmenté de 0,5 % au deuxième trimestre 2008, en hausse par rapport au trimestre précédent (après que l’administration Bush ait multiplié les cadeaux fiscaux et les déficits budgétaires sans résultat significatif sur la croissance ndlr) ". Le PIB du Japon a décru de 0,6%, le plus important recul observé depuis le troisième trimestre 2001. Le PIB de la zone euro a reculé de 0,2%, en retrait par rapport à la croissance de 0,7% du trimestre précédent" [14]. Rappelons que si les PIB du Japon et de l’Europe devaient être négatifs un trimestre de plus, ce serait la récession
Récession
Crise économique, c’est-à-dire baisse du produit intérieur brut durant plusieurs mois au moins.
(en anglais : recession ou crisis)
.
Dans son rapport semestriel sur la stabilité financière dans le monde, le FMI
FMI
Fonds Monétaire International : Institution intergouvernementale, créée en 1944 à la conférence de Bretton Woods et chargée initialement de surveiller l’évolution des comptes extérieurs des pays pour éviter qu’ils ne dévaluent (dans un système de taux de change fixes). Avec le changement de système (taux de change flexibles) et la crise économique, le FMI s’est petit à petit changé en prêteur en dernier ressort des États endettés et en sauveur des réserves des banques centrales. Il a commencé à intervenir essentiellement dans les pays du Tiers-monde pour leur imposer des plans d’ajustement structurel extrêmement sévères, impliquant généralement une dévaluation drastique de la monnaie, une réduction des dépenses publiques notamment dans les domaines de l’enseignement et de la santé, des baisses de salaire et d’allocations en tous genres. Le FMI compte 188 États membres. Mais chaque gouvernement a un droit de vote selon son apport de capital, comme dans une société par actions. Les décisions sont prises à une majorité de 85% et Washington dispose d’une part d’environ 17%, ce qui lui donne de facto un droit de veto. Selon un accord datant de l’après-guerre, le secrétaire général du FMI est automatiquement un Européen.
(En anglais : International Monetary Fund, IMF)
[15] estimait que les pertes liées au secteur des subprimes pourraient atteindre 945 milliards de dollars.
Question : quelles leçons pouvons-nous tirer de cette crise ?
Perspectives
La crise que nous traversons actuellement pourrait constituer un tournant pour l’économie américaine. La baisse constante du taux d’épargne des ménages américains depuis les années 80 et l’augmentation régulière du déficit commercial ont fait des États-Unis le grand emprunteur de l’économie mondiale. Et la croissance à crédit de l’économie américaine était essentiellement le fait de la consommation des ménages. Ce mécanisme est aujourd’hui grippé, précisément à cause de la situation de surendettement de nombreux ménages US. Il se trouve aujourd’hui peu d’analystes pour remettre en cause ce constat.
Ce que la crise du subprime met fondamentalement en lumière pour bon nombre d’observateurs, c’est l’imbrication aujourd’hui profonde et opaque entre fonds spéculatifs et banques d’affaires. A la base de cette douteuse alliance, il y aurait la déréglementation
Déréglementation
Action gouvernementale consistant à supprimer des législations réglementaires, permettant aux pouvoirs publics d’exercer un contrôle, une surveillance des activités d’un secteur, d’un segment, voire de toute une économie.
(en anglais : deregulation).
financière qui a rendu incontrôlables les flux
Flux
Notion économique qui consiste à comptabiliser tout ce qui entre et ce qui sort durant une période donnée (un an par exemple) pour une catégorie économique. Pour une personne, c’est par exemple ses revenus moins ses dépenses et éventuellement ce qu’il a vendu comme avoir et ce qu’il a acquis. Le flux s’oppose au stock.
(en anglais : flow)
financiers parcourant les places financières du monde entier à la recherche de rendements à deux chiffres.
On peut donc d’ores et déjà s’attendre à ce que le thème de la lutte contre les dérives financières du système économique occupe les esprits à l’avenir. Certains iront jusqu’à remettre en cause la liberté de circulation des capitaux [16]. Ces réflexions sont à la fois pertinentes et … partielles.
Car l’attention portée à la seule composante financière des systèmes économiques ne doit pas faire oublier que les capitaux ne naissent jamais par génération spontanée. Sans facteur travail, aucune production de richesses n’est, en effet, possible.
Aux États-Unis, les fruits de la croissance profitent depuis des années à une couche étroite de la population. A propos de l’évolution salariale aux États-Unis, des économistes américains se sont interrogés pour savoir à qui profitaient les gains de productivité
Productivité
Rapport entre la quantité produite et les ressources utilisées pour ce faire. En général, on calcule a priori une productivité du travail, qui est le rapport entre soit de la quantité produite, soit de la valeur ajoutée réelle (hors inflation) et le nombre de personnes nécessaires pour cette production (ou le nombre d’heures de travail prestées). Par ailleurs, on calcule aussi une productivité du capital ou une productivité globale des facteurs (travail et capital ensemble, sans que cela soit spécifique à l’un ou à l’autre). Mais c’est très confus pour savoir ce que cela veut dire concrètement. Pour les marxistes, par contre, on distingue la productivité du travail, qui est hausse de la production à travers des moyens techniques (machines plus performantes, meilleure organisation du travail, etc.), et l’intensification du travail, qui exige une dépense de force humaine supplémentaire (accélération des rythmes de travail, suppression des temps morts, etc.).
(en anglais : productivity)
de l’économie américaine. Selon Ian Dew-Becker et RobertGordon, "seule la fraction correspondant au décile supérieur de la distribution des revenus a connu un taux de croissance de son salaire réel équivalent ou supérieur aux gains de productivité de l’économie prise dans son ensemble" [17].
Selon Michel Husson [18], la part du revenu national américain bénéficiant "au 1 % des salariés les mieux payés est passée de 4,4 % à 8 % entre 1980 et 2005, soit une captation de 3,6 points de PIB qui monte à 5,3 points si on considère les 5 % des salariés les mieux payés. Si on défalque ces très hauts salaires, on obtient une évolution comparable à ceux de l’Union européenne
Union Européenne
Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
".
Union européenne où la part des salaires dans la valeur ajoutée
Valeur ajoutée
Différence entre le chiffre d’affaires d’une entreprise et les coûts des biens et des services qui ont été nécessaires pour réaliser ce chiffre d’affaires (et qui forment le chiffre d’affaires d’une autre firme) ; la somme des valeurs ajoutées de toutes les sociétés, administrations et organisations constitue le produit intérieur brut.
(en anglais : added value)
a baissé au cours des 25 dernières années. Elle est passée de 75% en 1960 à un peu plus de 65% vers la fin des années nonante. Autrement dit, pour un euro produit en 1960, un travailleur européen percevait, en moyenne, 75 centimes. Aujourd’hui, il n’en touche plus que 65.
Des deux côtés de l’Atlantique, l’augmentation des profits concomitante à l’amoindrissement de la part des salaires dans la valeur ajoutée n’a pas conduit à une croissance significative des investissements productifs. Ce sont ces profits non investis qui ont alimenté la sphère financière et spéculative.
Le travail surexploité et la montée des inégalités, deux questions fondamentales que ne pourront ignorer les tenants d’une plus grande régulation des acteurs financiers.