Dette payée, affaire clôturée ? Cela reste à voir. Le nouveau gouvernement argentin n’a pas tardé à chercher un accord avec les moins scrupuleux de ses créanciers, les fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
dits vautours. Le pays pourra dans l’immédiat s’adresser de nouveau aux "marchés financiers". L’impact social risque d’être lourd et, le précédent étant créé, les vautours vont se multiplier. Mais les pays du Sud s’unissent pour ne pas laisser faire.
« L’Argentine retrouve sa santé mentale », écrit un éditorialiste du Financial Times [1]. Que de félicitations ! Le pays a la bénédiction des milieux financiers ! Pourquoi ? Parce que Mauricio Macri, le nouveau président élu le 10 décembre dernier, a tendu la main, dès le Nouvel An, aux ‘holdouts’, ces fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
spéculatifs qui ont le pays sous leur férule depuis plus d’une décennie. On trouve dans son nouveau gouvernement « des gens issus de Wall Street qui savent ce qu’ils font », a dit Greg Saichin d’Allianz Global Investors [2]. Voilà qui explique tout…
Le terme de "holdouts", littéralement, ceux qui refusent et font obstacle à tout accord, désigne en l’espèce les fonds spéculatifs qui, au contraire des autres détenteurs de la dette argentine, ont refusé tout compromis pour son remboursement. Qui plus est, ils opèrent en toute "légalité". Le modèle de leur business fait cependant penser à une arnaque. Supposez, explique Yefen Li dans SouthViews, que vous allez aux soldes, que vous achetez un pantalon à moitié prix, disons à 50 euros, mais que vous retournez au magasin le lendemain pour réclamer la reprise de la marchandise
Marchandise
Tout bien ou service qui peut être acheté et vendu (sur un marché).
(en anglais : commodity ou good)
en exigeant d’être remboursé 100 euros, c’est-à-dire à cent pour cent. Le magasin refusera sans aucun doute, et pour cause [3]. C’est pourtant très exactement ainsi que les "holdouts" ont organisé leur coup. En Argentine, les gouvernements de Nestor Kirchner, puis de Cristina Kirchner avaient carrément refusé ce marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
de dupes.
Les lois de l’Argentine mises de côté
Mais ces fonds spéculatifs ont poursuivi l’Argentine de tribunal en tribunal. Cela a complètement bloqué toute entente. Il faut savoir que l’Argentine a réglé l’essentiel de ses dettes (93 %) à l’amiable avec la grande majorité de ses créanciers. Ceux-ci ont accepté une restructuration et n’ont été remboursés qu’à hauteur d’environ 35%. Les "holdouts" sont restés en dehors de cette restructuration, car ils exigeaient d’être remboursés à 100% pour des titres de dettes qu’ils avaient achetés, peu cher, en seconde main.
L’Argentine ne pouvait pas céder. Sa législation interdisait de favoriser les créanciers restés en dehors des restructurations. Les "holdouts" se sont donc adressés à la justice, entre autres aux États Unis. En 2012, ainsi, un juge à New York, le tristement célèbre Thomas Griesa, rendra un verdict en faveur de ces spéculateurs. Il intervient par là dans la législation argentine et oblige le pays à rembourser les "holdouts" à chaque fois que l’Argentine rembourse les créanciers qui avaient accepté les restructurations. Pour augmenter la pression, Griesa a ordonné le blocage de fonds déposés par l’Argentine dans une banque américaine en vue du remboursement de créanciers aux États Unis. L’Argentine refusait le remboursement à 100% des fonds vautours. Mais les actions en justice l’ont empêché de continuer à repayer les dettes restructurées comme le pays l’envisageait.
Le juge aux arguments politiques
Mauricio Macri et le nouveau gouvernement changent de cap. Ils offrent de rembourser aux "holdouts" le montant total de ce qu’ils demandent moins une remise de 30 pour cent. Si les "holdouts" acceptent cette prime au chantage, l’Argentine devra débourser 6,5 milliards de dollars. Deux de ces fonds spéculatifs y ont marqué leur accord, mais quatre "super holdouts" n’en veulent toujours pas. Une fois de plus le juge Griesa est intervenu. Dans une déclaration du 19 février 2016, il estime que l’Argentine dispose avec Macri d’un partenaire fiable pour les marchés financiers.
Griesa le dit ainsi : « Sous les gouvernements précédents, la République n’a jamais véritablement agi pour trouver un accord. Elle s’est au contraire engagée dans une rhétorique, en appelant les plaignants des « vautours » et des « terroristes financiers »… Un intermédiaire a fait tout ce qu’il pouvait, mais il n’a pas pu persuader (en anglais : "coax", sous-entendant l’acte d’embobiner) la République de négocier avec les plaignants en bonne foi en 2014 et 2015. Tout cela a changé. Le président Macri a promis pendant sa campagne qu’il amènerait à bonne fin cette poursuite judiciaire et il a tenu sa promesse » [4]. L’observateur candide se demandera comment il est possible qu’un juge parvienne à tenir des propos aussi nettement politiques. Mais, comme suite à cette déclaration, l’impasse est levée.
Super-profits pour les "superholdouts"
Le 29 février l’Argentine signe ainsi un accord avec les quatre fonds spéculatifs restants. Il s’agit de la NML Capital
Capital
Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
de Paul Singer, d’Aurelius Capital
Capital
de Marc Brodsky, de la Davidson Kempner Capital Management (25 milliards de dollars en "gérance") et du Bracebridge Capital ("hedge fund" de Boston). Ils recevront 4,65 milliards de dollars de remboursements, soit 75 pour cent de la somme totale (principal et intérêts
Intérêts
Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
) qu’ils ont si longtemps réclamée. L’Argentine doit rembourser cette somme avant le 14 avril 2016.
Les quatre fonds vautours font une bonne affaire. Pour eux, l’accord est « extrêmement profitable ». NML Capital, par exemple, aurait acheté les titres de dette argentine en 2008 pour 48 millions de dollars et… recevra maintenant un remboursement de 620 millions de dollars « ce qui représente un retour de 38 pour cent sur huit ans » [5]. Cela valait la peine de tenir bon, note l’agence de presse financière Bloomberg, qui précise que NML Capital et son propriétaire Paul Singer toucheront 2,28 milliards de dollars de remboursements pour un investissement
Investissement
Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
de 617 millions de dollars. Singer empoche donc un retour de 369 pour cent [6]. Des profits faramineux.
S’endetter pour payer ses dettes
L’Argentine devra maintenant abolir deux lois qui ont régi le remboursement de sa dette. Cette abolition devra être votée et approuvée dans les deux chambres du Congrès. Le gouvernement n’y a pas la majorité, mais la presse assure que le Congrès ne s’y opposera pas en dernière minute. Elle insiste sur le fait que l’Argentine est confrontée à une situation économique difficile, avec une inflation
Inflation
Terme devenu synonyme d’une augmentation globale de prix des biens et des services de consommation. Elle est poussée par une création monétaire qui dépasse ce que la production réelle est capable d’absorber.
(en anglais : inflation)
autour de 25 pour cent et un déficit primaire fiscal important. Le raisonnement dominant est que le pays aurait d’urgence besoin de liquidités auxquelles il pourrait accéder grâce à l’accord avec les « superholdouts ».
Mais rien n’est réglé de manière structurelle. Le gouvernement Macri va de nouveau devoir s’endetter pour rembourser les fonds spéculatifs. Le pays émettra à cette fin pour 15 milliards de dollars d’obligations. Mais, investisseurs et fonds spéculatifs font déjà comprendre qu’ils n’achèteront ces obligations que si les taux d’intérêt
Taux d’intérêt
Rapport de la rémunération d’un capital emprunté. Il consiste dans le ratio entre les intérêts et les fonds prêtés.
(en anglais : interest rate)
dépassent 10 pour cent » [7]. Qui garantit que le gouvernement – qui fait preuve d’un extrême zèle d’austérité
Austérité
Période de vaches maigres. On appelle politique d’austérité un ensemble de mesures qui visent à réduire le pouvoir d’achat de la population.
(en anglais : austerity)
contre fonctionnaires et travailleurs - ne répercutera pas cet endettement sur la population ? [8]
En terminer avec les vautours
Rien n’est réglé avec les fonds vautours non plus. Dans le cas de l’Argentine, ils reçoivent des incitants hors proportion venant récompenser leur ténacité. Cette espèce de spéculateurs pourra donc se reproduire rapidement. Mais l’indignation causée par leurs pratiques fait émerger des contre-initiatives. Des États membres de la zone euro commencent à inclure des clauses d’action
Action
Part de capital d’une entreprise. Le revenu en est le dividende. Pour les sociétés cotées en Bourse, l’action a également un cours qui dépend de l’offre et de la demande de cette action à ce moment-là et qui peut être différent de la valeur nominale au moment où l’action a été émise.
(en anglais : share ou equity)
collectives dans leurs contrats de dette. Ces clauses stipulent que « si une majorité des détenteurs d’obligations acceptent un effacement de dette, tous les autres porteurs de titres doivent s’y soumettre » [9].
Il faudra renforcer ce système de protection. C’est pourquoi, en septembre 2014, l’Argentine a porté la question des dettes de pays souverains devant les Nations unies. En septembre 2014, l’assemblée générale avait chargé la Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Développement (Cnuced
CNUCED
Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement : Institution des Nations unies créée en 1964, en vue de mieux prendre en compte les besoins et aspirations des peuples du Tiers-monde. La CNUCED édite un rapport annuel sur les investissements directs à l’étranger et les multinationales dans le monde, en anglais le World Investment Report.
(En anglais : United Nations Conference on Trade and Development, UNCTAD)
) d’élaborer les principes d’un mécanisme pour mieux régler les restructurations de dettes [10].
Le comité ad hoc a présenté neuf principes de base en septembre 2015 [11]. Une résolution les reprenant a été adoptée par une grande majorité (136 voix pour) de l’assemblée générale. 41 pays se sont abstenus, 6 ont voté contre : les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Japon, le Canada et Israël.
Ce vote, écrit Bhumika Muchhala dans South Bulletin, reflète bien les rapports géopolitiques, avec d’un côté les pays en développement qui veulent accroître la stabilité et l’équité du système financier international et de l’autre côté, « les pays développés les plus puissants qui bloquent ces mesures en disant qu’on peut uniquement en discuter dans les institutions financières internationales » [12]. Mais trop nombreux sont les cas qui prouvent qu’un mécanisme pour résoudre les dossiers de dettes souveraines est nécessaire.
Pour citer cet article :
Raf Custers, "Quand l’Argentine s’offre aux vautours", Gresea, mars 2016. Texte disponible à l’adresse :
http://www.gresea.be/spip.php?article1491