Les comités d’entreprise européens constituent incontestablement une avancée sociale importante. Mais fonctionnent-ils tous de façon adéquate ? Fournissent-ils l’information économique et la consultation sociale que les travailleurs sont en droit d’exiger ? Rien n’est moins sûr.

En fait, on peut distinguer quatre cas de figure, en fonction du bon vouloir patronal et du rapport de forces instaurés au sein du groupe :

  • 1. La direction est coopérative et instaure un partenariat, souvent dans un esprit de cogestion tel qu’il peut exister en Allemagne par exemple ;
  • 2. La direction est réticente, mais les salariés sont en mesure d’imposer certaines solutions non voulues initialement ;
  • 3. La direction est peu coopérative et le rapport de forces n’est pas favorable aux syndicats ;
  • 4. Enfin, le patronat peut se permettre de ne pas créer un tel comité, bien que ce soit en contradiction avec la directive.

Voyons cela quelque peu en détail.

 Exemple énergique

Le premier exemple est celui d’une direction participative. C’est plus fréquent dans les grands groupes, en particulier en Allemagne, tradition syndicale et de cogestion oblige.

Ainsi en va-t-il de RWE, géant énergétique germanique [1]. Créé en 1898, mais détenu par des pouvoirs communaux locaux, il est le second producteur d’électricité outre-Rhin, après E.On, et le troisième pour le gaz. La libéralisation Libéralisation Action qui consiste à ouvrir un marché à la concurrence d’autres acteurs (étrangers ou autres) autrefois interdits d’accès à ce secteur. du secteur, impulsée par la Commission européenne, lui ouvre à la fois de nouveaux marchés étrangers et des sources diversifiées d’apport en capital Capital Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
 [2]. Ainsi, en 2002, il acquiert des participations significatives en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. Puis, il se tourne vers les pays de l’Est, en Tchéquie où il est leader, en Slovaquie, en Hongrie et récemment en Pologne. Sur les 66.000 salariés du groupe en 2008, 39.000 travaillent en Allemagne, 14.000 en Grande-Bretagne et 12.000 en Europe de l’Est [3].

De quoi, donc, créer un comité d’entreprise européen. Les négociations sont entamées en novembre 2004. Malgré une direction au départ sceptique, il est instauré en mars 2005 sur la base de la loi allemande. Des représentants des travailleurs de sept pays y sont invités : Allemagne, Autriche, Hongrie, Pays-Bas, Pologne, Slovaquie et Tchéquie. Dans l’esprit de cogestion en vigueur habituellement outre-Rhin, la firme offrira de nombreuses facilités au comité pour se réunir, se tenir informé et être consulté pour les opérations les plus importantes.

Le groupe se réunit deux fois par an, intègre le représentant européen des syndicats de services publics (EPSU [4]) et crée des groupes de travail pour des questions particulières (par exemple, pour conclure une charte sociale). Lorsque la direction va concentrer ses opérations et appliquer les mesures européennes de libéralisation du secteur énergétique (séparation des activités de production et de distribution), elle avertira les membres du comité d’entreprise. D’où accord, février 2007, au niveau européen, insistant sur la nécessité de mener les restructurations d’une façon socialement responsable, c’est-à-dire éviter les licenciements secs et privilégier les préretraites, les départs volontaires ainsi que le travail à temps partiel.

 Exemple d’auto-défense

Autre exemple qui est positif : celui de General Motors Europe. L’ancien numéro un du secteur automobile est installé depuis longtemps en Europe, puisqu’il implante une usine à Anvers dès 1924. En 1925, il acquiert Vauxhall, centrée sur Luton (dans les faubourgs de Londres). Quatre ans plus tard, il s’empare de la première firme allemande à l’époque, Opel. Enfin, en 1989, elle prend une participation de 50% dans la compagnie suédoise Saab pour monter à 100% en 2000. GM va profiter de l’ouverture à l’Est pour s’introduire en Allemagne de l’Est, en Hongrie et en Pologne.

Aujourd’hui, le vieux continent, y compris la Turquie et la Russie, comprend quelque 55.000 salariés. Les principaux contingents se trouvent en Allemagne avec 25.000 travailleurs, en Espagne 7.000, en Grande-Bretagne 5.000, en Suède 4.000, en Pologne 3.500 et en Belgique 2.500. Une diversité que ne possèdent pas beaucoup de groupes européens.

En 1996, la direction signe une convention pour établir un comité d’entreprise européen, qui sera créé sur la base de la loi... belge, histoire d’éviter la législation de cogestion allemande. Il est composé de 29 membres en provenance de 17 pays. Un comité restreint de six membres (deux allemands, un britannique, un belge, un espagnol et un suédois) l’anime. Il est très actif et collabore très étroitement avec la fédération européenne du métal.

Durant une première période, des accords nationaux seront conclus. Mais les délégués syndicaux se rendent compte que la firme met en concurrence les différents sites. Le feu est mis aux poudres lors de la conclusion en 2000 de l’alliance, certes éphémère, entre General Motors et Fiat, qui aurait affecté 14.000 travailleurs de GM. En même temps, la direction américaine décide de supprimer 10.000 postes, dont 6.000 en Europe, avec la fermeture de l’usine de Luton.

Les syndicats sont outrés. Le plan viole un accord de garantie de l’emploi et le comité d’entreprise européen a été mis devant le fait accompli. Ils décident donc de mener la première journée d’action Action Part de capital d’une entreprise. Le revenu en est le dividende. Pour les sociétés cotées en Bourse, l’action a également un cours qui dépend de l’offre et de la demande de cette action à ce moment-là et qui peut être différent de la valeur nominale au moment où l’action a été émise.
(en anglais : share ou equity)
européenne, le 25 janvier 2001. Elle mobilise 40.000 travailleurs du groupe avec des manifestations organisées à la fois en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Belgique, en Espagne et au Portugal. La direction européenne, surprise par l’ampleur de la protestation, accepte de signer une convention revenant sur la fermeture du site anglais et prévoyant des réductions d’effectifs uniquement dans des conditions socialement acceptables.

En 2004, rebelote et nouveau plan de restructurations portant sur 20% des effectifs sur le vieux continent, soit environ 12.000 emplois. Les voitures de milieu de gamme doivent être produites sur un seul site. De l’usine allemande de Rüsselsheim et de celle à Trollhättan, en Suède, il y en a une de trop. Immédiatement, les syndicats réagissent et organisent une seconde journée d’action européenne, le 19 octobre 2004. Cette fois, ce sont plus de 50.000 travailleurs qui défilent aux côtés de représentants des collectivités locales, inquiets des effets induits de cette politique. General Motors sera de nouveau contrainte à conclure un pacte, empêchant les licenciements secs et les suppressions de sites. Les éventuelles diminutions de production devront être réparties équitablement entre les différentes usines. En outre, la survie des deux unités menacées est assurée jusqu’en 2010. Une victoire incontestable.

 Exemple mal habillé

Le cas de GM Europe illustre bien les difficultés d’imposer un comité d’entreprise européen qui puisse recevoir une information adéquate et qui négocie des conventions avantageuses pour les travailleurs. Dans de nombreux cas, les syndicats n’ont pas la capacité de lancer des actions couronnées de succès pour forcer la direction à signer un accord plus favorable.

Voir le cas de Dim Branded Apparel, anciennement Sara Lee Branded Apparel Europe, qui procèdera en mai 2006 à une restructuration éliminant 15% des postes, soit environ 950 personnes. Pas une première. En 1998, déjà, l’ancienne direction du groupe américain avait rationalisé en absorbant le groupe textile anglais Courtaulds – sans prévenir le comité d’entreprise européen. En 2006, Sara Lee abandonnera cette stratégie de non communication, tout en restant sourd à toutes les protestions syndicales... Une journée d’action européenne aura lieu et les organisations des travailleurs s’engageront à ne pas négocier nationalement, contrairement aux voeux de la nouvelle direction, qui restera inflexible. Des accords seront dès lors conclus, pays par pays, au détriment des moins forts et des moins organisés.

On est ici dans le cas de figure où comité et consultation ne sont que choses formelles. Voire inexistantes. Sur 2.264 firmes concernées par la directive, seulement 828, soit 34%, ont installé un tel organe. La majorité de celles qui en sont dépourvues sont des sociétés plus petites, avec un taux de syndicalisation faible. Et les sanctions en cas de non-respect de la loi européenne sont soit très légères, soit souvent totalement absentes.

Dans ces conditions, il est clair que les comités d’entreprise européens ne garantissent rien, ni en matière d’information, ni en ce qui concerne la consultation. Les meilleurs résultats sont obtenus à partir du moment où deux conditions essentielles sont réunies : d’abord, un esprit de solidarité internationale, que ce soit au niveau européen ou même mondial, pour éviter que des solutions ne soient proposées à l’avantage d’un site ou d’un pays au détriment d’un autre ; ensuite, la volonté d’exercer le rapport de forces à un moment donné pour réaliser l’objectif syndical, qui souvent entre en conflit avec les intérêts Intérêts Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
du patronat [5].

 


Pour citer cet article :

Henri Houben, "Heurs et euro-malheurs", Gresea, avril 2009. Texte disponible à l’adresse :
http://www.gresea.be/spip.php?article1680