À l’unisson, les dirigeants européens déclarent que l’Union européenne doit fermer et sécuriser les frontières ! À en croire les médias grand public, la population serait du même avis. La barque serait pleine, les Européens auraient été suffisamment généreux. La migration est aujourd’hui au cœur de l’actualité et du débat politique.
Collectif Krasnyi/Karim Brikci-Ngassa
La frontière est un des fondements de l’État-nation. Elle définit qui fait partie ou non de la communauté d’intérêt, nationale en l’occurrence. Avec l’évolution de la construction européenne, ces frontières se sont partiellement déplacées.
En effet, l’Union européenne
Union Européenne
Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
exige une frontière politique : ce que font ou non les institutions européennes au nom de l’UE
UE
Ou Union Européenne : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
. Mais aussi des frontières territoriales et économiques en ce qu’elles matérialisent la collaboration entre États et cette nouvelle communauté d’intérêts. La création d’un espace intérieur de circulation des personnes, des marchandises et des capitaux par la mise en place progressive des accords de Schengen puis par la construction du marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
unique impliquait un renforcement progressif des « frontières extérieures ». Dans les conventions d’application de l’accord Schengen, on fait déjà mention de la nécessité d’une « coopération étroite et permanente » pour assurer le contrôle et la surveillance des « frontières extérieures » [1]. Selon le Conseil européen « pour que la liberté de circulation au sein de l’UE soit effective, une gestion efficace des frontières extérieures de l’UE est essentielle » [2].
Plusieurs rencontres ont participé à construire le parcours institutionnel européen sur le thème de la migration : Schengen (1985), Dublin (1990, convention/règlement de gestion européenne des demandes d’asile et Schengen II), Maastricht (1993, intégration du pilier « Justice et Affaires intérieures » dans l’acquis communautaire), Amsterdam (1997 transfert de compétence législatives en matière d’asile et de migration), Tempere (1999, création de l’ « espace de liberté, sécurité et justice »), Séville (2002, plan de lutte contre l’immigration « clandestine ») et plus récemment, dans une formule élargie aux chefs d’États africains, La Valette (2015, partenariats avec l’Afrique, fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
fiduciaire) ou Abidjan (2017, renforcement du partenariat, enjeux de migration et mobilité).
Durant ces trois dernières décennies, nous avons assisté à la mise en place des principales stratégies et dispositifs européens en matière d’asile et de migration : actes législatifs (séjour/visas, retour), agences (Frontex, eu-Lisa/Eurodac) et coopérations interétatiques (Eurosur). À partir d’une agglomération de dispositifs nationaux, parfois contradictoires [3], l’UE a petit à petit construit son propre espace de politiques migratoires. La volonté de rationaliser son intervention en la matière amènera la Commission européenne à proposer d’approcher les questions des migrations et de mobilité d’une manière « globale » [4].
L’approche globale ou AGMM
La communication de la Commission européenne « Approche globale de la question des migrations et de la mobilité » (AGMM) - qui est l’aboutissement d’un processus initié en 2005 [5] - se veut être une réponse coordonnée et globale aux enjeux de la migration, utilisant tous les instruments dont disposent l’UE et les États membres en termes de justice et de police, de diplomatie ou de coopération internationale pour une gouvernance des migrations (et de la mobilité !) dans l’intérêt de l’Europe.
L’approche globale articule la migration et la mobilité [de la main d’œuvre qualifiée], cette dernière étant vue comme une des conditions pour assurer la « compétitivité » de l’économie européenne. L’UE et ses États membres délivrent près de 10 millions de visas chaque année. La mobilité (touristes, affaires, études/recherche) doit être favorisée mais aussi surveillée. Dans ce domaine, les nouvelles technologies de l’information, du profilage et de la surveillance sont promues [6].
L’AGMM propose donc à la fois une vision managériale et sécuritaire de la migration et de la mobilité, prenant en compte tant la compétitivité, la mobilité de la main d’œuvre qualifiée, l’attractivité du continent que la lutte contre l’immigration illégale et le renforcement des frontières extérieures de l’UE.
Des partenariats à tout-va
Cette nouvelle approche entend « s’appuyer sur un véritable partenariat avec les pays tiers » [7]. L’AGMM doit être mise en œuvre conjointement par la Commission européenne, par le service européen pour l’action extérieure (SEAE), et notamment par les délégations de l’Union, ainsi que par les États membres « conformément à leurs compétences institutionnelles respectives » [8].
La priorité affichée est de conclure des partenariats « solides et étroits » avec les pays voisins de l’UE du sud de la Méditerranée (Maroc, Algérie, Tunisie, Lybie, Égypte) et ceux du partenariat oriental (Ukraine, Biélorussie, Moldavie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan). Autre priorité, le partenariat avec l’Afrique, notamment au travers des processus « sous-régionaux » de Rabat (migration de l’Afrique de l’Ouest) et de Khartoum (Afrique de l’Est).
Dans les faits, l’AGMM est mise en œuvre au moyen de divers instruments politiques (« dialogues » et plans d’action régionaux/bilatéraux), d’instruments juridiques (formalités de délivrance des visas, accords de réadmission), des collaborations opérationnelles et le renforcement des capacités (collaborations techniques) via les agences européennes FRONTEX, BEAA et ETF ainsi qu’au travers d’autres « dispositifs d’assistance technique » (outils de connaissance, profils migratoires, instruments cartographiques, études, rapports statistiques, analyses d’impact et missions d’enquête).
Impérialisme made in UE ?
Cette gouvernance européenne des migrations peut donc se comprendre comme un compromis entre une vision (néo)libérale qui vise à enlever toute entrave à la mobilité des moyens de production et des politiques néo-conservatrices de défense des frontières, de la nation et d’identités supposées. Les importants désaccords durant le « printemps des migrations » en 2015 ont montré comment les partis politiques d’extrême droite savent utiliser habilement la précarité et le dumping social pour avancer leurs propositions autoritaires de contrôle des populations (européennes inclues !).
Mais ce que ces deux courants partagent, c’est la volonté d’imposer cette politique au reste du monde et particulièrement à nos voisins les plus immédiats dans la continuité des pratiques néocoloniales des nations européennes.
Depuis les années 1980, les ajustements structurels imposés par les institutions de Bretton Woods
Bretton Woods
Ville du New Hampshire près de la côte Est des États-Unis. En juillet 1944, s’est tenue, au Mount Washington Hotel, une conférence internationale pour bâtir un système financier solide pour l’après-guerre. La délégation américaine était menée par Harry Dexter White, la britannique par l’économiste John Maynard Keynes. Ce sommet a reconfiguré le système monétaire international jusqu’en 1971. Selon les accords, toutes les devises étaient échangeables en dollars à taux fixe. Seul le dollar était convertible en or au taux fixe de 35 dollars l’once. Et un organisme est créé pour aider les pays qui ont des problèmes avec leur balance des paiements : le Fonds monétaire international (FMI).
(en anglais : Bretton Woods system)
ont permis une accumulation
Accumulation
Processus consistant à réinvestir les profits réalisés dans l’année dans l’agrandissement des capacités de production, de sorte à engendrer des bénéfices plus importants à l’avenir.
(en anglais : accumulation)
agressive du capital
Capital
Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
qui a déstabilisé de nombreuses zones à travers le monde [9]. Ces politiques impulsées par les États du Nord ont engendré l’accaparement de terres et de ressources, la privatisation de nombreux secteurs d’activité mais aussi la baisse des budgets sociaux.
Les politiques migratoires donnent de nouveaux outils de contrôle sur ces vastes territoires déstabilisés, particulièrement en Afrique. Par la coopération opérationnelle et le renforcement des capacités (comprendre dépendance technique et opérationnelle des forces de l’ordre des pays concernés), le fichage des populations locales, l’implantation de centres/camps/bases avec des troupes européennes, la conditionnalité de l’aide au développement, les États européens s’assurent des leviers qui les aideront à contrôler tant les gouvernements, les populations que les ressources naturelles et les infrastructures [10] des pays d’ « origine et de transit ».
Borders & Business
Les ressources humaines, matérielles et financières mises à disposition de la gestion des migrations (frontières, surveillance, détentions/expulsions, fonds fiduciaires et bilatéraux) ont considérablement augmenté ces dernières années.
Au niveau de l’UE, c’est l’agence Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes [11], qui symbolise le mieux cet engouement financier à « renforcer les frontières ». Passant d’un budget d’environ 6 millions d’euros en 2006, à 85 millions en 2013, l’agence peut compter aujourd’hui sur près de 320 millions d’euros [12].
La Commission européenne propose pour le nouveau cadre budgétaire UE 2021-2027, le quasi triplement des dépenses dédiées à la gestion des frontières extérieures, des migrations et de l’asile (de 13 à 34 milliards d’euros [13]). Frontex et eu-Lisa (l’agence qui gère notamment la base de données des empreintes des demandeurs d’asile, Eurodac) devraient se partager 12 milliards d’euros. Pour Frontex il s’agirait de disposer en 2027 de 10.000 gardes pouvant intervenir rapidement en cas « problème migratoire soudain » en collaboration avec les pays concernés (aujourd’hui, on en dénombre 1.500, principalement mis à disposition par les États membres) [14].
Mais cette explosion des budgets européens dédiés au contrôle des migrant.e.s cache une baisse assez générale des budgets et des effectifs militaires depuis les années 1990 [15].
Pour assurer toutes les tâches nécessaires aux complexes opérations militaires et/ou de maintien de l’ordre, les autorités et administrations publiques ont de plus en plus recours au secteur privé pour, par exemple, le transport de matériel, du carburant ou des armes, la fourniture de repas, l’installation et la gestion de camps, la maintenance du matériel ou la surveillance et le gardiennage [16].
Comme pour les actions militaires, des pans entiers de la « gestion des migrations » sont confiés à des entreprises ou font l’objet de partenariats public-privé [17]. Selon les États membres, les privatisations touchent l’infrastructure ou la gestion de centre d’accueil et/ou de détention, la logistique et parfois même les renvois forcés [18] [voir l’exemple de la multinationale
Multinationale
Entreprise, généralement assez grande, qui opère et qui a des activités productives et commerciales dans plusieurs pays. Elle est composée habituellement d’une maison mère, où se trouve le siège social, et plusieurs filiales étrangères.
(en anglais : multinational)
G4S dans l’encadré ci-dessous].
Impliquées parfois jusque dans la gestion opérationnelle d’activités militaires, la présence d’entreprises soulève également les questions du monopole de la violence, des responsabilités ou des conflits d’intérêts inévitables. L’exemple états-unien, par extension anglo-saxon, nous apprendra beaucoup également sur les conséquences de tout cela sur l’emploi, les salaires et les conditions de travail.
L’Organisation Internationale des Migrations (OIM) [19], agence inter-gouvernementale pour la gestion des migrations aujourd’hui intégrée dans le cadre des Nations unies, ne cache pas sa volonté de recourir aux entreprises pour mener ses tâches à bien. AmeriCares, Body Shop, CISCO, Citi Foundation, Deloitte, ESRI, Husqvarna, KT Corporation, Lifeline Energy, Maersk, Maple Leaf Foods, Microsoft, Panasonic, SAS, TawiPay, UPS sont parmi les heureux partenaires [20]. Leurs noms indiquent les différents secteurs économiques impliqués. Selon l’OIM, plus de 20 milliards de dollars ont été nécessaires pour couvrir les besoins humanitaires en 2016. Le gâteau est copieux pour les entreprises qui bénéficient de contrats.
Le secteur militaro-industriel européen n’est pas en reste car étroitement associé à la mise en place des technologies nécessaires aux « frontières intelligentes » (télécommunication et surveillance, aéronautique, armement, etc.). Sur son site internet [21], la Commission européenne indique que les entreprises européennes sont parmi les leaders du secteur de la sécurité, mais que la compétition mondiale risque de faire baisser significativement les parts de marché si rien n’est entrepris. Les frontières sont donc devenues également un enjeu pour les fleurons industriels européens (EADS/Airbus, Rheinmetall, Finmeccannica, Indra Sistemas notamment).
Transfert de richesse
Assistons-nous à l’accélération de transfert d’argent public vers le capital Capital privé ? Une marchandisation de la frontière ?
Ce ne sont donc pas seulement les passeurs ou les mafias qui s’enrichissent de « l’immigration clandestine ». Le « marché » encore plus ample de la « gestion » des migrations se développe, le cadre général étant chaque jour plus propice (marchés publics, accords commerciaux).
Cette marchandisation ne questionne pas seulement le bénéfice que peuvent tirer des entreprises de la guerre ou de l’enfermement mais aussi la responsabilité de celles-ci en cas de problème ou d’accident, les standards de sécurité appliqués. Sans parler du statut des salarié.e.s soumis à des contextes très particuliers et leurs conditions de travail souvent déplorables (manque de personnel, sous-qualifications, bas salaires), créant encore plus de précarité et d’inégalités parmi la population.
G4S : profil d’une entreprise qui s’enrichit des politiques migratoires (et guerrières) Le développement des activités de G4S illustre bien la tendance à la sous-traitance Sous-traitance Segment amont de la filière de la production qui livre systématiquement à une même compagnie donneuse d’ordre et soumise à cette dernière en matière de détermination des prix, de la quantité et de la qualité fournie, ainsi que des délais de livraison. (en anglais : subcontracting) et à la privatisation de tâches autrefois gérées par les autorités publiques. La britannique G4S est l’une des plus grandes entreprises de sécurité et l’un des plus gros employeurs mondiaux avec près de 570.000 salarié.e.s opérant dans environ 600 filiales locales dans près de 90 pays [22]. L’entreprise est le résultat de fusions et de rachats successifs depuis 2000 et est active dans de nombreux secteurs : gardiennage, sécurisation des aéroports, transport de prisonniers, transferts de fonds mais aussi gestion d’établissements scolaires. G4S est active dans le domaine de l’énergie (pétrole, gaz et installation nucléaires), des mines (spécialement en Afrique et en Amérique latine), la sécurité des aéroports et ports mais également dans la sécurisation des grands événements sportifs. Plus récemment, l’entreprise « accompagne » la remise au travail (ou activation) des chômeurs et chômeuses [23]. Ses activités sont en plein essor comme l’indique le recrutement par la filiale belge de 1.610 nouveaux collaborateurs en 2016 [24]. G4S, gère, au travers de son département « Care and Justice », des prisons [25], des centres de détention pour immigrant.e.s, des postes de police et d’autres services gouvernementaux comme le logement pour demandeurs d’asile. Au Royaume-Uni, l’entreprise a assuré pendant plusieurs années les rappariements forcés au nom de l’État britannique. Le contrat fut rompu suite au décès d’un citoyen camerounais lors de son expulsion impliquant la responsabilité de la firme [26] [27]. Les activités « Care and Justice » ne représentent que 7 % de l’activité totale de G4S mais les taux de profit Taux de profit Rapport entre le bénéfice et le capital investi ; il y a différentes manières de le calculer (bénéfice net par rapport aux fonds propres de l’entreprise ; bénéfice d’exploitation sur les actifs fixes ; et les marxistes estiment le rapport entre la plus-value créée et le capital investi). (en anglais : profit rate). y sont élevés [28]. Les contrats de gestion de prisons et de centres de détention sont hautement profitables, permettant des marges bénéficiaires allant de 15 % [29] pour atteindre 40 % dans certains établissements [30]. Si la gestion de prisons et de centres de détention est l’une des activités les plus profitables, elle est aussi celle qui comporte le plus de risques : scandales sur les conditions de détention ou sur les collaborations douteuses entretenues avec plusieurs régimes répressifs comme le Soudan, la Syrie ou l’Arabie Saoudite. G4S est également active en Israël et dans les territoires occupés. Par contre, les scandales ne semblent pas affecter les profits ni le prix des actions. En 2017, le chiffre d’affaire a atteint 7,4 milliards de livres (environ 8,4 milliards d’euros). Cette même année le bénéfice après impôts se monte à 236 millions de livres (environ 265 millions d’euros) permettant à l’entreprise de bien rémunérer ses actionnaires (290 millions de livres entre 2016 et 2017 –soit 326 millions d’euros). En quatre ans, de 2013 à 2017, le chiffre d’affaires Chiffre d’affaires Montant total des ventes d’une firme sur les opérations concernant principalement les activités centrales de celle-ci (donc hors vente immobilière et financière pour des entreprises qui n’opèrent pas traditionnellement sur ces marchés). (en anglais : revenues ou net sales) a bondi de 17 %. [31]. Comme la plupart des grandes sociétés anonymes cotées en bourses, la majorité des actions de G4S sont détenues par les plus important fonds d’investissement Fonds d'investissement Société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle. (en anglais : fund) anglo-saxons : Invesco (13,05 %), BlackRock (6,02 %), Harris Associates (5,11 %) et Mondrian Investment Partners (5,07 %) [32]. Pour un panorama du recours à la sous-traitance et de la privatisation de la contrainte physique aux États-Unis, voir le site ci-dessous. À notre connaissance il n’existe pas de telle carte pour l’Europe. https://readsludge.com/2018/07/06/who-is-making-money-from-ice-in-your-state. |
Réponses politiques et sociales
La migration est désormais un enjeu géostratégique qui se discute au plus haut niveau [33]. Les politiques migratoires ont peu à peu intégré l’enchevêtrement complexe des intérêts stratégiques, politiques, économiques et financiers.
En outre, la migration touche au cœur même de la division internationale du travail
Division Internationale du Travail
ou DIT : Répartition globale de la production mondiale entre les différents pays en fonction de leurs avantages comparatifs. Ainsi, jusque dans les années 70, le Tiers-monde fournissait essentiellement des matières premières qui étaient transformées dans les anciennes métropoles coloniales. Par la suite, une partie des nations en développement se sont industrialisées à leur tour dans des biens manufacturés de consommation courante. Les pays avancés se sont tournés vers les produits et les services de plus haute technologie.
(En anglais : division of labor)
(voir articles précédents de ce Gresea Échos). Sa matérialité se vit au quotidien dans les usines, les lieux de travail, dans les champs, sur les chantiers, le long des filières de production. En tant qu’outil dans la division du travail, la migration a pour rôle de compresser les coûts salariaux et de discipliner la force de travail
Force de travail
Capacité qu’a tout être humain de travailler. Dans le capitalisme, c’est la force de travail qui est achetée par les détenteurs de capitaux, non le travail lui-même, en échange d’un salaire. Elle devient une marchandise.
(en anglais : labor force)
.
L’inégalité du migrant, qu’il soit demandeur d’asile, sans-papiers ou sous permis de séjour, face aux droits fondamentaux (liberté de mouvement, accès aux droits collectifs, discriminations à l’embauche/logement) fragilise les luttes populaires et continue de nourrir les rapports sociaux hérités de l’histoire coloniale.
Le développement de la gestion militaire et carcérale des migrations renforce encore un peu plus l’ « État d’exception » caractéristique des États autoritaires nourrissant la rhétorique de guerre aux migrant.e.s. La fermeture des frontières s’accompagne assurément de la montée du racisme.
Dans ce contexte, les forces politiques et sociales progressistes semblent assez démunies, oscillant entre une vision purement humanitaire de la situation, une vision chauvine de l’État social ou à contrario une vision abstraite d’un monde sans frontières ni nations.
Pourtant les luttes dans le domaine ont montré leur capacité à se médiatiser, à produire du collectif, à défier les pouvoirs et institutions en place. Les luttes auto-organisées sont nombreuses sur les places, les lieux de travail, les centres d’accueil ou les prisons pour étranger.ère.s. Les collectifs et les militant.e.s sont de plus en plus connectés au niveau européen et au-delà.
L’autonomie politique et organisationnelle des luttes de migrant.e.s nous semble importante à respecter. Il faut éviter de parler à leur place ou en leur nom. Il est essentiel de permettre l’émergence de dirigeant.e.s et porte-paroles issu.e.s de l’immigration. Des ressources syndicales pourraient y contribuer : soutien financier ou matériel, mise à disposition de salles ou de moyens d’informations, de formations, suivi juridique et protection syndicale, etc.
De nouvelles pratiques mutuellistes de soutien aux immigré.e.s voient également le jour. Elles sont importantes et répondent à des besoins bien réels, spécialement pour les primo-arrivant, Ce sont des lieux de politisation privilégiés.
Les terribles images de naufrages ont réveillé et questionnent de nombreuses consciences.
Nous ne pourrons prendre le dessus sur les discours de haine et les politiques autoritaires et antisociales qu’en organisant des améliorations matérielles pour les populations en Europe : salaires, accès aux services publics, emplois, droits civils, etc.
Au même titre que les enjeux climatiques, les politiques migratoires devraient être au cœur des luttes sociales en Europe car elles sont l’exemple vivant de la barbarie et du cynisme des classes dirigeantes et possédantes.
Cet article est extrait du Gresea Echos 95 "Classe, sexe et race - Aux racines des mouvements migratoires", juillet, août, septembre 2018.
Pour citer cet article :
Sebastian Franco, "UE : une vision managériale et sécuritaire des migrations" décembre 2018, texte disponible à l’adresse :
[http://www.gresea.be/UE-une-vision-manageriale-et-securitaire-des-migrations]