Le Nepad en son sommaire
Le Nepad (New Partnership for Africa’s Development, Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) a été largement médiatisé, surtout dans les pays africains. Et, paradoxalement, sans faire l’objet de présentation.
Gestation ’’officielle’’ du Nepad
Le Nepad est présenté en octobre 2001 comme résultat d’une fusion opérée entre le Plan Oméga du président du Sénégal et le MAP (Millenium Africa Recovery Plan, Plan de redressement de l’Afrique pour le millénaire) des présidents d’Afrique du Sud, du Nigeria et d’Algérie. Fusion ? Il se trouve simplement que les quatre points du Plan Oméga (agriculture, éducation, santé, infrastructure incluant les Nouvelles technologies de l’information et de la communication) étaient déjà présents dans le MAP conçu quelques mois plus tôt, même si les deux documents ont été élaborés de façon séparée et indépendante. Lors de la rencontre d’Abuja de juin 2001 au terme de laquelle a été annoncée la ’’fusion’’, les discussions n’ont porté en réalité que sur le MAP, auquel a été ajoutée une section sur ’’l’environnement’’.
Cela dit, pourquoi les quatre pays, Afrique du Sud, Algérie, Nigeria et Sénégal sont-ils en phare dans le projet Nepad ? Il se trouve que l’Afrique du Sud est le seul ’’pays émergent’’ du continent, ce qui lui vaut d’être membre du G 20, instance de concertation créée à la suite de la crise financière de la fin des années 1990, entre les ministres des finances des pays du G8, des pays émergents d’Amérique Latine et d’Asie, et les institutions de Bretton-Woods. L’Algérie, le Nigeria et le Sénégal sont les pays africains, avec le Zimbabwe, membres du G 15 créé en 1989 au sein du G 77 (groupe des pays sous-développés) de l’Assemblée Générale des Nations Unies, pour faire pendant au G 7 (groupe des 7 pays les plus industrialisés, devenu G 8 avec l’adhésion de la Russie) créé en 1975.
C’est ce texte qui est officiellement présenté comme un document de stratégie de développement élaboré par l’Afrique pour l’Afrique. Qu’en est-il dans la réalité ?
Aux origines réelles du Nepad
L’idée du Nepad remonte à la première Conférence de Tokyo sur le Développement Africain de 1993 (TICAD I), à une époque où aucun des dirigeants africains actuels responsables du Nepad n’était en place. TICAD I recommandait que les pays africains prennent l’initiative, en élaborant et en mettant en place leurs propres stratégies de développement, avec le soutien de leurs partenaires au développement.
C’est lors du Sommet du G8 de Lyon en 1996 qu’est lancé pour la première fois l’idée d’un " nouveau partenariat pour le développement " : entre le G8, l’ONU, la Banque mondiale et le FMI., pour " réduire la pauvreté ", " promouvoir le développement durable, la démocratie, les droits de l’homme, la gestion transparente et efficace des affaires publiques ". Et il est prévu dans le communiqué final " d’accorder une attention particulière à l’Afrique subsaharienne, et qu’une stratégie à moyen terme sera élaborée pour ce continent ".
Le Communiqué du sommet du G8 tenu à Okinawa au Japon en juillet 2000 en fera la confirmation : " Au cours du nouveau siècle, nous continuerons à exercer le leadership et la responsabilité pour faire face à ces importants problèmes (économie de marché, progrès social, développement durable, respect des droits humains). Nous devons attaquer les causes profondes de conflit et de pauvreté, saisir les opportunités créées par les Nouvelles technologies de l’information et de la communication. Nous devons nous engager dans un nouveau partenariat avec les pays non-membres du G8, particulièrement les pays en développement ".
La coopération y est envisagée dans le cadre Nord-Sud, mais l’Afrique est pointée de l’index (paragraphe 13) comme le continent où le développement est le moins rapide pour enrayer la pauvreté. Ce qui la cible comme priorité pour la coopération.
C’est avec la seule Europe que l’Afrique dans son ensemble a été jusque là en coopération officielle, en compagnie de pays des Caraïbes et du Pacifique, dans le cadre des conventions de Lomé, puis de l’Accord de Cotonou de juin 2000. Le cadre du partenariat va être modifié comme suit : Du côté du Nord, il est élargi de l’Union européenne aux autres pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique, regroupant tous les pays industrialisés dont bien entendu le G8), et du côté du Sud, il est réduit à la seule Afrique. Ce qui dessine les contours géographiques du Nepad. L’élargissement du partenariat avec l’Afrique aux autres pays industrialisés trouve son explication dans la volonté américaine de présence sur le continent. Une volonté matérialisée par le lancement en 1998 du programme African Growth and Opportunity Act conçu pour ouvrir le marché américain à des produits manufacturés africains sous la conditionnalité de réformes économiques et politiques. Celles -là même qu’on trouve dans le document du Nepad
Mais les autres régions du tiers monde, l’Asie et l’Amérique Latine-Caraïbes ont aussi chacune son ’’Nepad’’ conçu autour des objectifs internationaux de développement, et dont les grandes lignes se trouvent dans le Communiqué Okinawa du G8.
Une fois les intentions proclamées, il ne restait plus qu’à élaborer le document relatif à cette coopération. En fait, il y en a eu un certain nombre :
- le Programme d’Action de Tokyo pour le développement africain (TICAD II, octobre 1998) ;
- l’Accord de Cotonou, signé en juin 2000, mais préparé au cours des cinq dernières années par la partie européenne ;
- le Programme d’Action du Caire, rédigé aussi par l’Union européenne dans la même période, pour être présenté au Sommet Europe-Afrique (avril 2000) ;
- le Communiqué du G8, d’abord au Sommet de Lyon en 1996, ensuite au Sommet tenu à Okinawa (Japon) en juillet 2000 ;
- le programme américain African Growth and Opportunity Act (1998) ;
- la Déclaration des Nations Unies sur le Millénaire (septembre 2000).
Ce sont ces documents, qui se recoupent d’ailleurs sur la plupart des points, qui ont été compilés pour rédiger le texte du MAP - Nepad,
Le document premier sur lequel les rédacteurs du Nepad se sont basé pour l’enrichir par la suite, est le Plan d’Action du Caire
Il suffit de comparer le texte du Nepad et le Plan d’action du Caire, pour se rendre compte de l’exercice de clonage qui a été entrepris. Le Plan d’Action du Caire attire l’attention sur la nécessité de développer la technologie de l’information (paragraphe 13), mais c’est dans le Communiqué G8 de Okinawa que les Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) sont mentionnées et figurent au rang de priorité.
En République Sud-africaine, dans la présentation du Nepad faite par le Ministère des Affaires Etrangères, il est explicitement fait référence à ces documents, avec la précision que le Nepad n’est pas parti du vide. On est si peu parti du vide qu’on s’est contenté de reprendre telles quelles, in-extenso, les dispositions de ces documents. La seule note africaine, sans doute inspirée du Plan d’Action de Lagos, se trouve dans les parties introductives avec un ton très radical, comme la mention de la responsabilité historique du colonialisme et du système économique international dans le sous-développement. Un ton qui contraste nettement avec l’orientation ultralibérale du reste du texte.
Près de quatre mois après, l’économiste sud-africain Wiseman Nkulu, alors présidant le MAP déclarait : " L’impulsion pour l’initiative MAP est venue du G8 ". Le président Sud-africain lui-même confesse que pour arriver à la confection du MAP, il a, avec ses deux autres pairs, passé l’année 2000 à rencontrer les dirigeants du Nord, ceux du G8, et même l’actuel président américain qui n’était encore que gouverneur du Texas, le président de la Banque mondiale et le Directeur Général du FMI, et à faire acte de présence aux réunions du Conseil de l’Europe au Portugal, au sommet du G8 à Tokyo, au Sommet du Millenium des Nations Unies (ANC Today, 2 Feb 2001). Tout ce parcours du combattant pour rédiger en toute indépendance un plan de redressement économique pour l’Afrique ?
Le Nepad dans ses dispositions socio-économiques
Le Nepad renferme des dispositions d’ordre social présentées comme ’’objectifs internationaux de développement’’, en réalité initiés par le Secrétariat de l’OCDE et finalisés avec le concours de la Banque mondiale, du FMI et des Nations Unies.
Ce sont les mêmes objectifs qu’on trouve dans les Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté (DSRP) dont les termes de référence et le canevas ont été rédigés par les institutions de Bretton-Woods (’’Manuel de réduction de la pauvreté’’ de la Banque mondiale, 1992), pour ensuite demander aux pays africains de se les approprier. Sinon, comment expliquer que des personnes différentes, dans différents pays d’Afrique, élaborent à la même période un document identique à l’arrivée ?
Le Nepad est conçu pour l’Afrique en tant que région, et les DSRP doivent en être les applications concrètes au niveau des pays, pour, dit-on, lutter contre la pauvreté. Une pauvreté en grande partie générée, et partout intensifiée par les programmes d’ajustement structurel.
Pourtant, les principales dispositions des programmes d’ajustement structurel se retrouvent dans le Nepad comme dans les DSRP, qui s’inscrivent ainsi de plain-pied dans la mondialisation libérale. Le Plan d’Action du Caire en fait mention de façon explicite : " Intégrer l’Afrique à l’économie mondiale ". Le Nepad, dans sa partie introductive ne dit rien de différent dans un langage un peu plus feutré : " arrêter la marginalisation de l’Afrique dans le processus de mondialisation ".
Intégrer l’Afrique dans l’économie mondiale signifie la mettre en orbite de convergence économique libérale avec les pays occidentaux : adopter les mêmes politiques économiques libérales par des programmes d’ajustement structurel. Les dispositions d’ajustement structurel sont bel et bien présentes dans le Nepad, avec la seule différence que le terme ’’ajustement ’’ est remplacé par ’’réforme économique’’, et toute référence aux impopulaires institutions de Bretton-Woods est évitée.
Dans l’alinéa 3, paragraphe 49, chapitre III, on peut lire au titre des responsabilités dévolues aux dirigeants africains : ’’restaurer et maintenir la stabilité macroéconomique, spécialement en développant des standards et des cibles appropriés pour les politiques monétaires et budgétaires et en introduisant des cadres institutionnels appropriés pour atteindre ces standards’’. Derrière ces expressions ’’techniques’’, apparemment neutres, se profilent les mesures d’austérité des programmes d’ajustement. Certes, le texte du Nepad mentionne que l’Etat a un rôle majeur à jouer dans la politique de croissance et de développement et dans la mise en place de mesures d’éradication de la pauvreté (paragraphe 86). Mais c’est pour aussitôt enchaîner que l’Etat ne dispose pas de la capacité et des moyens requis à cet effet. D’où l’impérieuse nécessité de faire la promotion du secteur privé (paragraphe 164, vi).
Le Nepad fait une trop grande place au développement du secteur minier. Ce qui correspond aux préoccupations de ses initiateurs. Même s’il est question " d’augmenter la production et d’améliorer la compétitivité et la diversification du secteur privé domestique dans les sous-secteurs agro-industriels, miniers et manufacturiers à potentiel d’exportation et de création d’emplois ", c’est le secteur minier traditionnel qui est visé en priorité à des fins d’exportation. Ce qui n’a rien d’une rupture avec la politique de l’ordre économique international hérité de la colonisation. Ce n’est sûrement pas avec le secteur minier que l’Afrique a des chances de faire sa révolution industrielle, et de sortir du sous-développement.
Le Nepad dans ses dispositions politiques
La mise en orbite de convergence libérale de l’Afrique avec les pays du G8, c’est aussi l’adoption des mêmes institutions politiques par des mesures d’ajustement politique.
La Banque mondiale et le FMI de par leurs statuts, ne s’occupaient que d’ajustement économique, n’ayant pas compétence pour traiter de problèmes politiques. Ce qui n’est pas le cas pour l’Union européenne, regroupement d’Etats, coopérant avec un autre regroupement d’Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. C’est ainsi que dans la logique de la mondialisation, la Convention de Lomé IV (1989) introduit pour la première fois le problème des droits de l’homme avec de nouveaux termes tels que ’’principes démocratiques’’, ’’Etat de droit’’, ’’bonne gestion des affaires publiques’’ ... , et prévoit comme sanction la suspension de la coopération en cas de violation grave. Ces dispositions sont reprises dans l’Accord de Cotonou.
Le texte du Nepad mentionne qu’il est maintenant ’’ reconnu que le développement est impossible en l’absence de démocratie, de respect des droits humains, de paix et de bonne gouvernance’’, mais ne fait pas état de menace ou de sanction. Il est toutefois annoncé, mais sans précision, des initiatives à venir à cet effet.
Le premier chantage sur le degré d’adhésion aux conditionnalités économiques et politiques du Nepad est venu des Etats-Unis, dans une déclaration sur un ton à la limite de la menace, faite par le peu diplomate Secrétaire d’Etat Colin Powell, aux Nations Unies en septembre 2002. Il invitait l’ensemble des Etats africains à " adhérer judicieusement " au Nepad, mettant en garde les pays qui ne suivraient pas " cet exemple unique ". … Selon Colin Powell, l’avenir de l’Afrique " passe irrémédiablement par le biais du Nepad ", non sans rappeler avec insistance la nécessité " d’une application judicieuse des réformes que prône le Nepad " (Le Soleil 18 sept 2002).
Lors d’une rencontre sur le Nepad tenue à Berlin en Janvier 2003 avec des représentants venus d’Afrique, la commissaire allemande au développement pour l’Afrique annonce que lors de son prochain sommet à Evian (France) en mai 2003, le G8 va entendre un rapport d’activité sur la mise en œuvre du Nepad par les dirigeants africains, de façon à accorder un traitement préférentiel aux pays ayant accompli le plus de progrès dans la mise en application des mesures d’ajustement. Un propos alors très mal accueilli par les représentants africains. Ce qui avait conduit certains d’entre eux à se poser pour la première fois des questions sur la réalité du Nepad.
C’est une mesure concrète qui cette fois est prise, avec la mise en place d’une structure de surveillance, le ’Mécanisme africain d’évaluation mutuelle’ (African Peer Review Mechanism, APRM). Une autre empreinte de l’emprise extérieure sur le Nepad. Le mécanisme d’évaluation a été tout simplement transposé à partir de l’OCDE où il était en vigueur pour le suivi des performances économiques. Le dispositif se présente comme suit : un pays africain est évalué par d’autres pays africains sur ses performances, lesquelles ne peuvent être rien d’autre que le degré d’application des mesures d’ajustement économique et politique. Pour l’instant dans le Nepad, il sert surtout pour la surveillance politique : s’assurer du respect de leurs engagements de la part des Etats qui ont signé et ratifié ’l’Initiative de gouvernance démocratique et politique’. Le mécanisme d’évaluation est actuellement privilégié par le partenaire G8 comme une conditionnalité pour le déboursement de l’aide. Comme l’a formellement reconnu Wiseman Nkulu, devenu président du Nepad, lors de la réunion de ’ l’Initiative africaine d’investissement’ du 20 novembre 2003. Dans le même temps, le G8 a créé un fonds d’incitation, le ’Programme d’Action pour l’Afrique’, destiné aux ’’bons élèves’’. Toujours est-il qu’au mois d’août 2004, seuls 24 Etats étaient parties prenantes dans le mécanisme d’évaluation en le ratifiant. N’est-il pas surprenant qu’un pays comme la Libye, si actif dans la création de l’Union africaine, se maintienne, ou soit maintenu en marge du Nepad ?
Le G8 est polarisé sur la conditionnalité politique, c’est à dire la question des droits humains et de la bonne gouvernance. Des principes nobles, qui malheureusement sont dévoyés, utilisés pour diaboliser tout dirigeant du tiers monde qui ose dire " non " lorsque l’intérêt de son pays l’exige.
En attente de résultats
Dans le partenariat Nepad, chaque partie a ses obligations : à l’Afrique de poursuivre la politique d’ajustement structurel initiée par les institutions de Bretton-Woods, et de promouvoir la bonne gouvernance ; aux pays de l’OCDE de fournir les financements publics (aide au développement, quoiqu’on dise !) et privés (investissements extérieurs) et de consentir des réductions de la dette dans le cadre de l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE).
Rappelons qu’en septembre 1999, lors du sommet extraordinaire de l’OUA tenu à Syrte (Libye), les trois présidents d’Afrique du Sud, d’Algérie et du Nigéria avaient reçu mandat pour concevoir un nouveau plan de redressement pour l’Afrique et s’employer à obtenir l’annulation totale de la dette africaine. Un mandat qui n’a été rempli dans aucun de ces deux volets. A l’arrivée, seulement le Nepad, avec ses dispositions de réduction conditionnelle de dette, et d’ajustement.
Le Nigéria a servi de laboratoire en juin 2003 pour l’application des mesures d’ajustement structurel (réforme économique) du Nepad, avec l’augmentation de 54 pour cent des prix des carburants, consécutive à la politique d’élimination graduelle des subventions. C’est là aussi qu’on trouve les premières victimes du Nepad, avec la dizaine de personnes tombées sous les balles des forces de police, lors des émeutes qui ont suivi au mois de juillet de la même année. A cet effet, les grèves générales déclenchées en octobre 2004, et celles annoncées par les syndicats dans les mois à venir, ne peuvent être que préjuciables à l’économie du pays.
Lors du Sommet du G8 d’Evian en mai 2003, ce qui avait été annoncé comme présentation de bilan partiel du Nepad ne fut en réalité que l’exposé de promesses de réduction de dette et d’accroissement de l’aide officielle au développement (AOD) de la part du G8. Rien de nouveau. Les initiatives de réduction de dette sont bien antérieures à la crération du Nepad. L’aide officielle au développement avait diminué de près de moitié entre 1991 et 1997 (passant de 63 à 35 milliards de dollars) ; les promesses d’augmentation de l’aide visent tout simplement à la rétablir à son niveau de la fin des années 1980, et sont entreprises depuis 1998. Jusqu’à présent, les pays du G8 ne consacrent en moyenne que 0.22 pour cent de leur produit intérieur brut à l’aide au développement ; ce qui est très inférieur au taux de 0.7 pour cent recommandé par l’Assemblée Générale des Nations Unies depuis 1970.
Ajoutons que le Sommet d’Evian de 2003, médiatiquement annoncé comme étape cruciale pour le Nepad, fut bien décevante et frustrante pour les dirigeants africains présents, et cela, à tous égards : lieu d’hébergement (Lausanne en Suisse), mode de transport (bateau touristique, sans doute pour les beautés du lac Léman), temps consacré à la discussion du Nepad (quatre vingt dix minutes, lors d’un dîner). Alors que les maîtres du jeu, les dirigeants du G8, sont arrivés par hélicoptère (voyage d’affaires oblige), pour être logés sur place, et discuter durant trois jours.
Du côté de certains dirigeants africains, l’inquiétude commence à apparaître. Leurs priorités se situent du côté du financement des infrastructures et des investissements extérieurs qui tardent à venir. Mais lors de leur dernier sommet tenu à Sea Island dans l’Etat de Georgie aux Etats-Unis en 2004, les dirigeants du G8 déclarent clairement, devant les cherfs d’Etat africains invités, qu’ils ne sont pas engagés dans le financement des projets d’infrastructures du Nepad.
Depuis son lancement il y a deux ans, à partir de la’’Nouvelle Initiative Africaine’’, les Africains, dans les pays présentés comme pilotes du programme voient le coût financier du Nepad-MAP en termes de voyages, réunions, séminaires interminables. Sans rien, jusqu’à présent, en retour. Autrement dit, une opération non rentable dès le départ, en termes de calcul économique avantage-coût.
Et le Plan d’Action de Lagos ?
Le Plan d’Action de Lagos (PAL) de 1980, conçu sur une période de quatre ans par des Africains pour l’Afrique, véritable programme de développement, avait été perçu à l’extérieur comme une stratégie de déconnexion, de fragmentation (le contraire de la mondialisation). Raison pour laquelle dès l’année suivante, la Banque mondiale lance le Rapport Berg sur ’’le développement accéléré en Afrique au Sud du Sahara’’, acte de naissance des programmes d’ajustement structurel. Comment se fait-il que le PAL ait été tout simplement torpillé, alors que le Nepad fait l’objet de tant d’attention ? Pourtant le PAL baignait dans un contexte de réalisation bien plus favorable, car au début des années 80, l’Afrique n’était pas encore en proie aux nombreux conflits qui la minent actuellement (Libéria, Sierra Leone, région des grands lacs …), et le fléau du Sida n’y avait pas encore fait son apparition. La mise en œuvre effective du PAL aurait peut-être permis de faire l’économie de ces conflits. Mais le PAL a été très vite rangé aux oubliettes : un document mort-né.
En conclusion
L’objet de ce texte n’était que de rétablir la vérité sur les origines et la nature du Nepad, et de dissiper les illusions qui pourraient s’emparer d’un grand nombre d’Africains de bonne foi, dans cette ambiance brumeuse de pensée unique qui a été installée pour la circonstance. Le Nepad n’est pas un document africain, et son objectif n’est pas le développement du continent. Il a été fait en sorte que des Africains se l’approprient, pour le présenter comme un programme de développement. Les organisations africaines de la société civile ne pouvaient donc pas être impliquées dans son élaboration, comme elles s’en plaignent.
Il n’est pas inutile de rappeler que lorsque le partenariat entre l’Europe et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique est lancé en 1975 avec la première Convention de Lomé, les déclarations de Claude Cheysson, alors commissaire au développement, donnaient l’impression que la sortie du tunnel du sous-développement était enfin en vue. Ceux qui comme l’auteur de ces lignes faisaient preuve de scepticisme étaient alors perçus comme des Cassandre. Comme ils ont toutes chances de l’être encore aujourd’hui. Après une vingtaine d’années de ce partenariat, c’est le Livre Vert sur les relations entre l’Union européenne et les pays ACP publié par la Commission européenne en 1997, qui leur donne raison, en dressant un bilan tout simplement négatif pour les partenaires du Sud. Ce qui, il faut bien en convenir, n’incite pas à l’optimisme avec le Nepad. Ce que du reste confirme la toute dernière réunion des chefs d’Etat africains tenue sur le Nepad à Johannesbourg en octobre 2004. Le moins qu’on puisse dire, est que l’optimisme n’y était pas au rendez-vous.
Dakar, novembre 2004