Certains ne supportent pas que des pays revendiquent d’avoir leur mot à dire sur leurs matières premières. L’expression "nationalisme des matières premières" prend alors une connotation péjorative. Pour Ernst&Young, un cabinet international d’audit Audit Examen des états et des comptes financiers d’une firme, de sorte à évaluer si les chiffres publiés correspondent à la réalité. L’opération est menée par une société privée indépendante appelée firme d’audit qui agrée légalement les comptes déposés. Quatre firmes dominent ce marché : Deloitte, Ernst & Young, KPMG et PricewaterhouseCoopers.
(en anglais : audit ou auditing)
financier, c’était même la tendance la plus menaçante en 2012. Si des gouvernements veulent avoir davantage prise sur le secteur minier, ils scient la branche sur laquelle ils sont assis.

Introduction

Le continent fournit des matières premières depuis l’époque coloniale, et elles ne sont toujours pas épuisées. Elles proviennent du sous-sol, des forêts, des champs, des lacs et des océans. L’Amérique s’est également laissé emporter dans la fureur. Les vieilles mines forcent l’allure, de nouvelles mines s’ouvrent. On abat les forêts pour laisser la place aux champs. Dans ce dossier en 5 parties, un fil rouge : dilemmes et les choix douloureux autour d’une course aux matières premières et à la croissance Croissance Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
dans l’espoir de sortir du schéma colonial où tout est axé sur l’exportation. Quatrième volet : le Chili.

 

Le Chili est un de ces cas particulièrement difficiles. Qui dit Chili dit cuivre. Le cuivre est une matière première Matière première Matière extraite de la nature ou produite par elle-même, utilisée dans la production de produits finis ou comme source d’énergie. Il s’agit des produits agricoles, des minerais ou des combustibles.
(en anglais : raw material)
de base pour l’industrie. Le métal est utilisé dans les voitures, les systèmes de climatisation, les matériaux de construction, etc. Le monde ne pourrait tout simplement pas s’en passer. Le Chili est le numéro un des producteurs de cuivre, avec une production de pas moins de 5,8 millions de tonnes de cuivre en 2013, soit trois fois plus que la Chine, le deuxième de la liste.

La majorité des mines de cuivre chiliennes sont aux mains du secteur privé. Or, la plupart des Chiliens sont d’avis que le cuivre doit être placé sous le contrôle de l’État. Cette exigence est portée par une large part de la population. Cela s’est vu en 2013 lors d’un sondage d’opinion réalisé deux mois avant les élections générales. Un certain nombre d’électeurs ont été interrogés sur leurs préférences politiques et quelques dossiers cruciaux. Quatre personnes interrogées sur cinq – 83 pour cent – se sont exprimées en faveur de la renationalisation du cuivre. Si le nombre de sondés n’était pas très élevé (il s’agissait de quelque 1.400 personnes), la question de l’appartenance du cuivre au Chili paraît bien actuelle, quels que soient le parti, le sexe et la génération.

 "Qui contrôle le cuivre, contrôle le Chili"

Il n’y a rien d’étonnant à cela. "Qui contrôle le cuivre contrôle le Chili", déclarait jadis le politicien chilien Radomiro Tomic. La lutte pour le cuivre conditionne les heurs et malheurs du Chili. Et la lutte s’est intensifiée depuis les années cinquante. Des hommes politiques tels que Tomic ont alors commencé à militer pour la nationalisation Nationalisation Acte de prise en mains d’une entreprise, autrefois privée, par les pouvoirs publics ; cela peut se faire avec ou sans indemnisation des anciens actionnaires ; sans compensation, on appelle cela une expropriation.
(en anglais : nationalization)
. Ils voulaient ôter le cuivre des mains des multinationales américaines qui contrôlaient le secteur.

Cette exigence s’est concrétisée partiellement à la fin des années soixante, avec la “chilénisation” du démocrate-chrétien Frey. Sous son gouvernement, l’État a commencé à prendre des participations dans les entreprises minières privées. Le processus sera accéléré et achevé par le gouvernement du président Salvador Allende qui nationalise en 1971 les multinationales américaines Annaconda Copper et Kennecot.

Le gouvernement Allende n’estimait pas devoir racheter ces entreprises ou les indemniser. D’après lui, ces multinationales étaient simplement en dette avec le Chili en raison des bénéfices gigantesques qu’elles avaient amassés. Mais les USA prennent immédiatement des sanctions contre le Chili. Et quand le président Allende est assassiné en 1973 lors d’un coup d’État et que le général Pinochet s’empare du pouvoir, ce dernier a vite fait de dénationaliser. Son régime privilégie désormais les multinationales étrangères pour toute expansion de la production de cuivre.

 Les intérêts des multinationales étrangères

De nos jours, les Chiliens hissent à nouveau le flambeau de la renationalisation, même s’il faut encore vingt à trente ans avant que le cuivre ne revienne entre les mains de l’État. C’est le discours que tiennent les syndicats des mineurs. Il faut dire que la situation est extrêmement différente de ce qu’elle était en 1971.

Pendant la dictature, le pouvoir des syndicats a été brisé. Ils ont volé en éclats et ont été "atomisés". Une même entreprise minière – et il y en a beaucoup – compte plusieurs syndicats, un par catégorie professionnelle. La plupart des entreprises minières sont des sociétés privées. Elles fournissent plus ou moins septante pour cent de la production de cuivre. Les trente pour cent restants sont produits par Codelco, une société qui appartient à l’État.

Parmi les entreprises privées, il n’y a qu’une chilienne d’importance : la firme Antofagasta Minerals, de la famille milliardaire Luksic. Toutes les autres entreprises privées qui comptent sont des multinationales étrangères.

Il est risqué de toucher à leurs intérêts, les Chiliens ne l’ont pas oublié. La menace de sanctions pèse toujours sur leurs têtes. Mais il y a aussi des obstacles juridiques et politiques. Un premier obstacle est la loi relative aux concessions. Les concessions sont des morceaux du domaine public qui sont prêtés à des entreprises dans le but de les exploiter. En 1981, le régime de Pinochet a introduit les "concessions complètes". Il s’agit de territoires détachés du domaine public et dont la propriété est accordée à des entreprises minières, en ce compris les gisements de minerais. Ce système unique au monde fait que les propriétaires privés font du commerce avec les concessions comme bon leur semble, et sans que les pouvoirs publics chiliens aient leur mot à dire.

Des experts démocratiques chiliens estiment que la concession complète est en contradiction avec la Constitution. Mais jusqu’à présent, aucun gouvernement démocratique n’y a touché. Cela provient en partie d’un second obstacle : le scrutin binominal. En adoptant cette législation, qui date de la fin de la dictature de Pinochet, le régime donnait à ses partisans la garantie de garder des sièges au parlement. Le bloc de droite empêche ainsi jusqu’à présent toute intervention qui irait à l’encontre des intérêts des grands propriétaires miniers privés.

 Avantages fiscaux spéciaux

La situation va-t-elle changer sous le gouvernement actuel de la présidente Michelle Bachelet ? Son gouvernement, formé au début 2014, veut effectivement procéder à des réformes et tenir compte ainsi de la contestation massive, surtout celle des étudiants, qui secoue le Chili depuis quelques années.

Même si une réforme du secteur minier n’est pas à l’ordre du jour, le gouvernement veut mettre fin aux avantages fiscaux spéciaux dont bénéficient les investisseurs étrangers. Ces avantages datent eux aussi de l’ère Pinochet. Ils sont bétonnés dans le scandaleux décret 600 qui stipule que l’impôt sur le revenu des grands investisseurs étrangers est fixé chaque fois pour dix ans. Pendant ce laps de temps, le fisc chilien ne peut pas imposer leurs bénéfices supplémentaires.

Le secteur privé refuse que l’on touche aux avantages fiscaux et brandit la menace classique de voir les investisseurs quitter le Chili. Le gouvernement hésite. La nouvelle ministre des Mines, Aurora Williams, a déjà rassuré les investisseurs privés : rien ne changera dans le décret 600. Williams fait partie du Partido Radical "social-libéral".

 Vivre sur le modèle occidental

L’objectif principal d’une nationalisation demeure, aux dires de ses partisans, de développer une industrie chilienne avec les minerais chiliens. L’industrie de transformation a pratiquement disparu au Chili durant les années quatre-vingt (pendant la dictature) et nonante. On n’y produit plus de biens de consommation, on les importe. Le pays vit sur le modèle occidental, avec de grands centres commerciaux et des marques occidentales. Tout cela rend la vie chère.

Dans le même temps, la société chilienne est très inégalitaire, avec en haut une bonne douzaine de multimilliardaires et, en bas, une masse de gens à petits revenus. Cette inégalité pourrait disparaître si le Chili recréait de l’emploi dans la métallurgie et l’industrie légère. Mais cela suppose un bouleversement structurel. Dans un tel modèle, le cuivre n’est plus exporté mais transformé au Chili-même en produits à haute valeur ajoutée Valeur ajoutée Différence entre le chiffre d’affaires d’une entreprise et les coûts des biens et des services qui ont été nécessaires pour réaliser ce chiffre d’affaires (et qui forment le chiffre d’affaires d’une autre firme) ; la somme des valeurs ajoutées de toutes les sociétés, administrations et organisations constitue le produit intérieur brut.
(en anglais : added value)
. Le Chili pourrait aussi fabriquer lui-même des machines pour les mines.

La société d’État Codelco doit, selon les "nationalistes", être le pivot de cette transformation. Codelco détient des atouts de poids. Elle représente un tiers de la production totale de cuivre et possède, outre des mines, des usines de traitement. C’est pourquoi soixante pour cent de la production de Codelco consiste maintenant en cuivre valorisé en cathodes. Le rapport est exactement inversé chez les grands exploitants miniers qui ne transforment qu’un tiers (36 pour cent) de leur production en cathodes.

Or, Codelco rencontre des difficultés sur le plan financier. Le groupe a décidé d’investir des milliards dans son expansion mais ses recettes sont en baisse. Comment est-ce possible ? Des analystes à l’esprit critique ne comprennent pas. D’après l’économiste Julian Alcayaga, il y a de la fraude dans l’air. Il soupçonne Codelco d’avoir vendu beaucoup de cuivre sous le prix du marché Marché Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
, ce qui n’est pas permis légalement. Cela aurait été la stratégie des directeurs qui ont administré Codelco ces dernières années. Ils ont été nommés par le gouvernement du président Sebastian Piñera (2010-2014) dont le frère ainé, José, a concocté en pleine dictature la formule de la "Concession complète". Qui ose prétendre qu’au Chili tout ne tourne pas autour du cuivre ?

Ce dossier a été rédigé avec le soutien du Fonds Pascal Decroos voor Bijzondere Journalistiek. La version originale de cet article a été publiée en ligne par Mo*Magazine.

Quelques sources

Anuario de la mineria de Chile 2013, Servico nacional de geologia y mineria, Santiago de Chile 2014 – http://wwwsernageomin.cl
Caputo, Orlando & Galarce, Graciela, La Nacionalización del Cobre Realizada por Salvador Allende y la Desnacionalización del Cobre en Dictadura y en los Gobiernos de la Concertación, mars 2008
Codelco Investor Presentation
, avril 2014
Estudio Nacional de Opinión Pública N°70, septembre-octobre 2013, Centro de Estudios Públicos Chile _ www.cepchile.cl
Entreprises : Annaconda Copper, Antofagasta Minerals, Codelco, Kennecott (aujourd’hui Rio Tinto)

Cinquième volet : la Bolivie

P.-S.

Traduction du néerlandais : Geneviève Prumont