Depuis bientôt un an l’Union européenne prépare sa nouvelle Stratégie globale. La publication de ce document est annoncée pour le mois de juin. Un évènement majeur pour la politique étrangère de l’Union européenne. La nouvelle stratégie fait l’objet d’une consultation (non publique) depuis octobre 2015. Une constante : des plaidoyers pour que la diplomatie économique soit incluse dans la politique étrangère de l’Union européenne. Cette stratégie est appliquée par Federica Mogherini, la haute représentante de l’UE
UE
Ou Union Européenne : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
. Les États membres agissent seuls, mais, si ça les dépasse, ils demandent que l’Union européenne les représente. De cette Europe bipolaire, les Pays-Bas sont un bel exemple. Ce pays assure la présidence de l’Union européenne pendant ce premier semestre 2016.
La rédaction de la nouvelle Stratégie globale de l’Union européenne (SGUE) aura pris un an. La première pierre a été posée par Federica Mogherini, la Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. C’est elle qui depuis fin 2014 dirige le Service d’action extérieure européen (SAEE). Ce service coordonne la politique étrangère et de sécurité de l’UE, en collaboration avec la Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker. Fin juin 2015, Mogherini a présenté son analyse du monde actuel devant le Conseil européen. Le Conseil l’a ensuite mandatée pour élaborer la nouvelle Stratégie globale.
En octobre 2015, Mogherini s’adressait à une audience de politiciens, d’analystes et à la "communauté sécuritaire" à l’Académie royale des sciences de Bruxelles. Elle y lança formellement une consultation sur la future politique extérieure de l’UE. Contrairement aux consultations de la Commission européenne, celle-ci n’est pas publique. Les mois suivants un éventail de décideurs et de chercheurs se penchaient donc sur un texte-martyr, qui resta secret pour le grand public.
Au travers de colloques, séminaires et autres débats, bon nombre de participants soulignaient que la future Stratégie globale ne pourrait pas se limiter à une diplomatie politique et une action sécuritaire au sens strict de ces notions. On peut le déduire des quelques documents publiés.
L’analyse de Mogherini
Parcourons d’abord l’aperçu de Mogherini de juin 2015. L’UE dit avoir besoin d’une nouvelle stratégie, puisque la précédente stratégie, intitulée Stratégie européenne de sécurité, date déjà de 2003. À cette époque "l’UE traversait le meilleur moment de son histoire récente", dit le texte, mais "entretemps le monde a changé radicalement". [1] Ce monde serait plus "connecté, contesté et complexe" que jamais. L’UE est entourée d’un arc d’instabilité. De nouveaux conflits peuvent éclater du fait que le nombre d’états "fragiles" augmente, que des technologies nouvelles se répandent, que le climat se réchauffe et que les ressources naturelles se raréfient.
Dans ce monde "plus dangereux, plus divisé et plus désorienté", l’UE, quoiqu’affaiblie par la crise économique et financière, se donne "la responsabilité de protéger ses citoyens tout en promouvant ses intérêts et ses valeurs universelles".
L’EU a également l’intention "d’affronter les défis et de saisir les opportunités", mais il faudra développer des synergies entre les politiques de sécurité interne et externe pour couvrir tous les champs de l’action externe de l’UE. [2]
Ce texte, souvent imprécis dans son vocabulaire, et qui ferait preuve d’un "esprit post-prospérité" [3], est forcément généraliste. Ce qui nous intéresse dans ce cadre c’est sa composante économique : est-elle présente dans les débats ? La réponse est affirmative.
"Un nouvel ordre global basé sur des règles"
Parmi les dizaines de réunions traitant de cette Stratégie globale, en voici trois qui ont retenu notre attention. La première a lieu en décembre 2015 à La Haye. Bert Koenders, le ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, y prend la parole. "Sans l’UE et sans le système multilatéral," dit-il, "le rôle des Pays-Bas sur la scène internationale serait beaucoup plus petit".
Les Pays-Bas soutiennent donc une politique forte de la part de l’UE. Puis, il insiste : "l’Europe ne suit pas les règles, l’Europe les produit". [4] Federica Mogherini, rejoint le ministre Koenders et ajoute que l’UE doit être la force qui pousse "vers un nouvel ordre global qui sera basé sur des règles, la coopération et la diplomatie multilatérale". [5]
Un nouvel ordre global ? Comment interpréter ce message ? Federica Mogherini ne livre pas de réponse. Le Commissaire européen Jyrki Katainen, dans une autre conférence, est beaucoup plus précis. Ce Finlandais est vice-président de la Commission et détient le portefeuille de "la croissance, l’emploi, l’investissement et la compétitivité". Notons en passant que le Commissaire Katainen est très proche du monde des affaires et que celui-ci rencontre régulièrement les membres de son cabinet. [6]
Katainen intervient en février 2016 lors d’une conférence sur la "Prospérité et la diplomatie économique". Elle est organisée par un service de la Commission européenne, le Centre européen de stratégie politique (CESP). "La prochaine décennie", dit Katainen, "90 pour cent de la croissance mondiale sera réalisée en dehors de l’Union européenne". Il cite ce slogan, repris régulièrement dans les textes de l’Union européenne [7], pour plaider en faveur d’une "diplomatie économique" globale c’est-à-dire "l’utilisation de tous les leviers que nous avons pour promouvoir nos propres intérêts économiques au-delà de nos frontières". [8] Le premier objectif est d’enlever les obstacles au commerce et à l’investissement. Mais puisque la plupart de ces obstacles se trouvent non pas aux frontières, mais derrières celles-ci, "notre action économique externe doit donc miser sur la politique régulatrice". L’UE s’efforcera donc de faire lever les barrières tarifaires et non tarifaires des pays tiers.
Seuls deux discours prononcés lors des rencontres du CESP sont publics. Katainen a ouvert les débats, l’ex-Premier ministre suédois Carl Bildt les clôture. Bildt voit des opportunités dans l’économie des data, qui représenterait la moitié de "la valeur créée dans l’économie mondiale en 2015", selon une étude finlandaise. Pas de protectionnisme, mais un internet libre et ouvert, dit Carl Bildt. [9]
À qui la compétence : l’UE ou les États ?
Tous les acteurs ne disposent pas d’un vrai appareil diplomatique pour défendre leurs intérêts économiques à l’étranger. Ceci est le cas des milliers de petites et moyennes entreprises européennes (PME). Bon nombre d’entre elles se font donc représenter par les Chambres de Commerce européennes. Ce lobby plaide nettement pour que la diplomatie économique ait sa place dans la stratégie de politique étrangère de l’UE. Cela ressort sans équivoque de certains de ses messages. [10] Sur le fond, il trouve par contre que chaque niveau a sa fonction, les États pour la promotion du commerce, l’UE pour la politique commerciale, et que les deux doivent se renforcer mutuellement. "Plus de diplomatie économique intensifiera les flux commerciaux internationaux entre les entreprises", estiment les Chambres. Et finalement, ce sont les chiffres d’affaires qui comptent. [11]
Certains États membres ne partagent pas cet avis. Au Royaume-Uni, la Haute Chambre du parlement a organisé de nombreux entretiens avec des experts pour participer à la consultation de Federica Mogherini. Son rapport final se limite aux questions de sécurité. Il met clairement les États membres en avant comme les premiers protagonistes dans ce domaine-là. Mais les Lords reconnaissent que l’économie et la politique extérieure sont étroitement liées. La crédibilité de l’UE provenait de sa force économique, écrivent-ils, mais cette crédibilité est mise en cause par la crise de l’Euro zone et les bas niveaux de croissance économique. [12]
Dans leurs réponses écrites, "Londres" puis "Bruxelles" prennent acte de ce rapport. Le gouvernement de Londres saisit l’opportunité et y lit la reconnaissance que ce sont les États membres qui dynamisent la politique étrangère de l’UE. [13] Federica Mogherini pour sa part rappelle la logique principale de la Stratégie globale : elle doit refléter le rôle et l’aspiration de l’Union européenne comme acteur global. "Global, aussi dans le sens d’englobant," écrit Mogherini, "pour aider l’UE à mieux utiliser l’éventail d’outils et d’instruments à sa disposition". Mais elle répète le principe évoqué ci-dessus par le Commissaire Katainen : pour promouvoir les intérêts et les valeurs de l’UE, il faut réglementer davantage et en partenariat avec d’autres et "avec les États-Unis en particulier". [14] On peut deviner son arrière-pensée : réglementer davantage (avec les Américains) et niveler le terrain de jeu, pour généraliser le libre-échange, le dogme des entreprises européennes.
Europe bipolaire
La bipolarité Union/États membres revient constamment. Elle est présente dans le chef des Pays-Bas. En ce premier semestre 2016, ce pays assure la présidence du Conseil des ministres européen. En 2015, son ministre des Finances, Jeroen Ijsselbloem dirigeait la croisade contre le gouvernement progressiste de la Grèce pour lui imposer l’austérité radicale. À la fin de cette même année, le Premier ministre Marc Rutte conduisait l’UE à un marchandage sans précédent avec la Turquie au sujet des réfugiés de Syrie et d’Iraq. On devait donc s’attendre à une présidence active pendant laquelle La Haye allait marquer des points.
Les Pays-Bas ont entrepris une réforme de leur diplomatie (traditionnelle) en 2011 à l’instigation du ministre Koenders. [15] En 2013 une étude constate que la diplomatie économique des Pays-Bas en Amérique latine est bien effective. Sa définition : l’utilisation des relations et de l’influence du gouvernement pour promouvoir les intérêts commerciaux d’(un groupe d’) entreprises dans un pays étranger. Cette étude a été commandée par le ministère de l’Économie. Elle montre en premier lieu que grâce à la diplomatie économique des Pays-Bas, les entreprises néerlandaises prennent des positions dans les ports et le secteur maritime au Brésil. L’étude constate aussi un lien direct entre l’intensité de la diplomatie économique des Pays-Bas et les volumes exportés par ses entreprises vers l’Amérique latine. La diplomatie économique des Pays-Bas semble donc atteindre son objectif qui est de "surmonter des barrières et de créer des opportunités en faisant usage des relations publiques et de l’influence". [16]
La Haye a même nommé un Envoyé Spécial des Ressources Naturelles, le prince Jaime de Bourbon Parme dont une des premières tâches a été d’assurer des livraisons en métaux critiques (entre autres des "minerais de conflit" de la RD Congo) à l’industrie électronique de son pays, et en l’occurrence à la transnationale Royal Philips. [17] Dirk-Jan Koch succèdera en 2014 à Jaime de Bourbon Parme. Leurs missions sont souvent légitimées par un discours humaniste.
Mais ils ne dissimulent pas leurs objectifs. Ceux-ci sont mercantilistes. Pour en donner un exemple : en février 2016 Koch vend les expertises dans la gestion des eaux de son pays aux grandes entreprises minières. Elles sont rassemblées à Cape Town en Afrique du Sud pour la Mining Indaba, leur foire annuelle. Koch fait expressément allusion à une catastrophe environnementale, arrivée peu avant au Brésil, qui a fortement discrédité des entreprises transnationales. [18] Koch sympathise avec elles et tourne en même temps ce désastre en… "opportunité". [19]
Dans le cadre de sa présidence de l’UE, le gouvernement néerlandais décide de mettre à l’agenda la thématique des matières premières et commande d’autres études pour préparer le terrain. Une étude de janvier 2016, intitulée "Les matières premières dans l’économie des Pays-Bas" (sponsorisée par le ministère de l’Économie) dit explicitement que le pays est incapable de résoudre sa sécurité d’approvisionnement à lui seul. Pour ce, il compte sur l’Europe des 28. Autre conclusion : l’Initiative des Matières Premières de la Commission européenne doit être élargie. Cette Initiative se limite aux matières premières non énergétiques et non agricoles, mais pour La Haye, elle devrait dorénavant inclure tous les matériaux organiques. [20]
Le gouvernement néerlandais se propose de faire accepter cette "vision" par ses pairs à une conférence en avril 2016. Des orateurs français et allemands y prennent la parole. Ils représentent aussi bien leurs gouvernements que leurs milieux d’affaires. [21] Ces deux milieux se concertent et se fréquentent en permanence, une autre caractéristique de la nouvelle diplomatie économique. On les retrouve d’ailleurs dans un autre mécanisme proposé par La Haye et adopté le 12 mai par une "tripartite" de partenaires. Il s’agit du Partenariat européen pour les minerais responsables. Ce mécanisme est copié d’un programme qui existe aux États-Unis, dans lequel des entreprises et le gouvernement se sont associés pour œuvrer pour une exploitation "responsable" des minerais, surtout dans les zones de conflit. Le Partenariat proposé par les Pays-Bas est soutenu par les États-Unis, le Royaume uni, des ONG’s (IPIS et Solidaridad) et les entreprises Philips et Intel, les deux actives dans le secteur de l’électronique. [22]
Ici se déploie donc une double logique. D’un côté un État membre qui fait opérer un vrai lobby public pour les intérêts de ses grandes entreprises privées, et de l’autre, il se tourne vers le niveau européen s’il le sent plus efficace.
Pendant ce temps-là, à Lampedusa…
Pendant que la consultation suit son chemin, Federica Mogherini voyage sans cesse et rencontre des personnes importantes. Il est bien évident qu’ils parlent de sécurité et de politique étrangère. Les hashtags sur Twitter parlent d’eux-mêmes : #Syria #Libya #Ukraine #Yemen #Turkey #Russia #Iran #MiddleEast #Kosovo #EUTM #Mali... Mogherini publie régulièrement les discours tenus lors de ces rencontres sur son blog. [23] Elle parle aussi abondamment d’affaires. Voici un petit échantillon de ses communications de mars et d’avril 2016.
Le 2 mars Mogherini est en visite en Azerbaïdjan. Avant de rencontrer le président, elle s’entretient avec le consortium qui construit un pipe-line, le Southern Gas Corridor. Puisque ce projet est "crucial pour la sécurité énergétique de l’Europe", déclare Mogherini, il est crucial aussi "de renforcer la coopération avec les pays qui y prennent part". [24]
Le lendemain Mogherini prend la parole devant une réunion de Business Europe, le lobby des patrons. Son discours, intitulé "Une politique étrangère pour la croissance européenne" est une nette promesse au milieu des affaires. Mogherini : "Nous savons que la politique étrangère européenne est importante pour les entreprises européennes". [25]
Cette position "pro affaires" est reconfirmée de réunion en réunion. Vis-à-vis du Maroc, Mogherini déclare que l’accord de pêche conclu avec l’UE doit être maintenu. Elle s’oppose donc à la Cour européenne de justice qui a cassé cet accord parce que le Maroc occupe illégalement le Sahara occidental et ses eaux territoriales riches en poissons. [26] Prochaine étape du périple : l’Argentine, où Federica Mogherini retrouve le nouveau président néo-libéral Mauricio Macri, et où elle reçoit aussi des investisseurs Européens. Elle leur dit que "l’Europe est prête à renouer avec une relation historique (avec l’Argentine – ndr) interrompue pendant trop longtemps".
Le 15 avril Mogherini se trouve d’abord sur le porte-avions Cavour (de la force navale européenne) et ensuite sur l’île de Lampedusa, destination tragique de milliers de migrants clandestins africains. La Haute Représentante est heureuse (ses mots), puisqu’ici "l’Europe montre le meilleur de soi". Elle ne s’interroge pas sur les raisons qui poussent ces migrants à risquer leur vie en haute mer. Cela n’entre pas dans son analyse.
Diplomatie économique : une boîte à outils bien remplie Le terme d’asymétrie est dérisoire lorsqu’on compare la capacité diplomatique de la Bolivie avec les moyens déployés par l’Union européenne (UE). Ceci n’est pas une asymétrie, c’est une démonstration de force. Le service d’action extérieure déploie des centaines de fonctionnaires et de diplomates dans ses délégations (ses "ambassades") partout dans le monde. Un diplomate d’un pays andin estime qu’environ 70 personnes travaillent à la délégation de l’UE à La Paz, plus qu’à l’ambassade des États-Unis en Bolivie. Les pays "tiers" se voient donc encerclés par une gigantesque machine. Ce géant dispose d’une énorme "boîte à outils" et œuvre simultanément sur différents plans pour ouvrir les marchés de ses "partenaires". L’UE a tout d’abord des relations bilatérales avec la Bolivie. Les deux parties tiennent annuellement des Dialogues à Haut Niveau depuis 2011, le premier à La Paz, le deuxième en novembre 2012 à Bruxelles, ainsi de suite. La Bolivie a voulu se libérer pas à pas du paternalisme européen. Au début, la délégation de l’UE venait aux rencontres avec des textes pré-rédigés auxquels la Bolivie ne pouvait guère apporter de modifications. Les communiqués des deux premiers dialogues étaient donc écrits par la main de "Bruxelles". Mais la Bolivie tient à sa souveraineté. Les Dialogues de 2013 et 2014 se sont conclus sans accord et n’ont pas été scellés par des communiqués. La Bolivie a ainsi entre autres écarté la proposition européenne de créer un registre des activités extractives, malgré la promesse faite quelques mois plus tôt par le Commissaire européen Piebalgs d’accorder 281 millions d’euros d’aide à la Bolivie. Fin 2013 apparaissait un autre point de rupture : l’UE voulait manifestement étendre le Dialogue au commerce et à la politique, tandis que le gouvernement bolivien ne voulait parler que de coopération. La diplomatie européenne dispose d’une panoplie de ressources et d’outils, de la caresse au bâton, pour réaliser ses intentions. Aux expériences centenaires en diplomatie des puissances européennes (les anciennes puissances coloniales) s’ajoute l’envergure de son appareil qui lui assure une présence dans tous les pays d’Amérique du Sud. L’UE parvient à contourner les résistances de pays individuels. Quand une action échoue sur le plan bilatéral, l’UE la renouvèle sur le plan régional. Elle exerce par exemple des pressions via son accord avec la Communauté andine (CAN), une entente créée en 1969 et constituée aujourd’hui de la Bolivie, l’Équateur, le Pérou et la Colombie (le Venezuela a quitté la CAN en 2006). "Leur objectif," nous dit un diplomate, "est toujours que les biens de consommation et les capitaux européens entrent chez nous, et qu’ils nous prennent ce dont ils ont besoin. A cette fin, l’UE a par exemple promu l’économie verte. Mais nous l’avons écartée, parce qu’elle va à l’encontre de nos propositions par rapport au changement climatique. Comment peut-on résoudre la crise capitaliste avec des propositions capitalistes ?" Il reste d’autres champs de bataille. En 2011 l’Union européenne a adopté le Programme pour le Changement, sa nouvelle politique d’aide à l’étranger. Son premier principe est que la Commission européenne applique dorénavant la "différentiation" pour exclure certains pays de ces aides, car "trop développés". La Commission peut accorder une période de transition aux exclus à condition que ceux-ci se conforment à des exigences d’ordre politique. La Colombie a ainsi dû avancer avec la pacification après une longue guerre civile, le Pérou a dû maîtriser les conflits autour des mines à ciel ouvert. Vient finalement l’arme pernicieuse du système de préférences généralisées (SPG). Ce système permettait aux pays associés d’exporter leurs biens sans devoir payer de taxes douanières pour pénétrer le marché de l’Union européenne. Fin 2013, l’UE annonçait que l’Equateur serait exclu du SPG à partir de 2015. La raison : la Banque mondiale avait reclassé ce pays parmi les "pays à revenu intermédiaire". Il ne pourrait donc plus profiter des préférences commerciales vis-à-vis de l’UE. L’Union obligeait ainsi l’Equateur à suivre le Pérou et la Colombie, deux autres membres de la Communauté andine, vers la signature d’un Accord de libre-échange avec l’UE (afin de pouvoir toujours bénéficier de l’accès au marché européen). Et la Bolivie ? Ce pays était et est évidemment aussi menacé du fait que l’UE a changé les règles du SPG. Pour être bénéficiaire de ce système, un pays doit ratifier pas moins de 27 conventions internationales. En cas de non-respect de l’un ou l’autre élément d’une convention, un pays peut être exclu. La nouveauté est que la Commission européenne peut immédiatement procéder à une exclusion temporaire, tandis que sous l’ancienne réglementation elle menait d’abord une enquête. Or, l’obligation de respecter chaque détail de l’ensemble de ces 27 conventions est hors d’atteinte pour n’importe quel pays. Dans le cas de la Bolivie, l’UE a aisément trouvé des dossiers qui n’étaient pas en ordre, qu’il s’agisse du travail de mineurs, des feuilles de coca (un stupéfiant !) ou des droits de l’homme, et a transformé chaque dossier en moyen de pression pour sa diplomatie économique… qui remplit davantage sa boîte à outils. (R.C.) |
Pour citer cet article :
Raf Custers, "Quand la politique étrangère européenne devient commerciale", Gresea, décembre 2016, texte disponible à l’adresse :
http://www.gresea.be/spip.php?article1564