L’annonce du nouveau plan social de PSA le 12 juillet 2012 est tombé comme l’arrivée d’un météorite, sans doute attendu, mais particulièrement meurtrier. 8.000 postes devraient être supprimés en France, soit 10% des effectifs (le groupe comptait, fin 2011, 84.321 personnes employées).

L’annonce du nouveau plan social de PSA le 12 juillet 2012 est tombé comme l’arrivée d’un météorite, sans doute attendu, mais particulièrement meurtrier. 8.000 postes devraient être supprimés en France, soit 10% des effectifs (le groupe comptait, fin 2011, 84.321 personnes employées).

L’usine d’Aulnay, où travaillent 3.000 contrats à durée indéterminée et 300 intérimaires, sera définitivement fermée en 2014. Celle de Rennes qui emploie quelque 5.600 salariés sera réduite de 1.400 emplois. Les autres pertes devraient être réparties sur les sites restants, essentiellement dans les secteurs hors production.

Les réactions négatives ne se sont pas fait attendre. "Un séisme social", "une déclaration de guerre", ont lancé les organisations syndicales. "Une catastrophe", "un drame humain", ont jugé les responsables politiques. Et le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, connu pour ses positions contre la mondialisation [1], demande à ce que ce programme soit revu. Devant le Sénat, il a affirmé : "Nous n’acceptons pas en l’état le plan. (…) Nous demandons à PSA d’examiner loyalement toutes les autres solutions que celles qu’il a réservées à plusieurs sites de France et notamment à ces milliers de salariés concernés." [2]

Le nouveau gouvernement de Jean-Marc Ayrault demande de nouvelles précisions et accuse le constructeur même de mensonges. En cause : un document daté d’octobre 2010 et dévoilé par le syndicat CGT en juin 2011, prévoyant la fermeture de l’usine d’Aulnay, le déplacement de la production vers l’autre site de la région parisienne, celui de Poissy, et l’annonce du plan dans la seconde moitié de 2012, après les élections présidentielles et législatives. A l’époque de sa révélation, la direction de PSA avait affirmé qu’il s’agissait d’une note de travail, mais qu’elle n’était pas d’application. Pourtant, tout s’est déroulé comme programmé dans ce texte.

De même, le ministère d’Arnaud Montebourg dénonce le versement d’un dividende Dividende Revenu de la part de capital appelé action. Il est versé généralement en fonction du bénéfice réalisé par l’entreprise.
(en anglais : dividend)
aux actionnaires en 2010, c’est-à-dire au moment de la crise. Il s’interroge sur l’alliance avec General Motors, qui a pris 7% du capital Capital Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
. Que peut-il en résulter ? De là à questionner la stratégie du groupe français, en particulier sur le territoire hexagonal. D’autant que le ministre doit déposer lui-même un plan de soutien à l’industrie automobile nationale le 25 juillet. « On n’a rien sans rien (...) les aides publiques ne seront pas données sans contreparties", a-t-il asséné sur France Inter [3]. Durant la crise, PSA a bénéficié, des gouvernements précédents, d’un crédit relais de 3 milliards d’euros, de la prime à la casse [4] et d’un système bonus malus qui avantage les petites voitures comme celles fabriquées par Peugeot et Citroën.

On peut sans doute apprécier l’intervention et l’activation des pouvoirs publics dans une affaire industrielle, après des années de laisser-faire (si ce n’est un transfert massif de fonds Fonds (de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
en cas de catastrophe financière). Mais, même si on peut reprocher à la direction du constructeur des erreurs qui se paient sans doute aujourd’hui, force est de constater que son argumentation fondamentale tient la route dans le contexte du capitalisme Capitalisme Système économique et sociétal fondé sur la possession des entreprises, des bureaux et des usines par des détenteurs de capitaux auxquels des salariés, ne possédant pas les moyens de subsistance, doivent vendre leur force de travail contre un salaire.
(en anglais : capitalism)
actuel : c’est la crise économique qui explique en premier lieu les difficultés de PSA.

 La faute à Voltaire ?

Dans l’industrie automobile, la récession Récession Crise économique, c’est-à-dire baisse du produit intérieur brut durant plusieurs mois au moins.
(en anglais : recession ou crisis)
se traduit par l’apparition de surcapacités. Celles-ci dénotent une situation où des usines ne tournent plus à plein régime faute de demande suffisante pour absorber leurs produits. Il peut y avoir, bien sûr, d’autres raisons pour lesquelles une unité n’emploie pas toutes ses capacités : elle vient d’être inaugurée et elle n’a pas encore monté en régime ; il y a un problème technique qui oblige à un arrêt momentané des activités…

Mais quand les surcapacités deviennent structurelles, cela marque ce hiatus entre les possibilités de production et le pouvoir d’achat consacré aux voitures. Or, en Europe occidentale, d’un côté, le revenu des ménages n’a augmenté véritablement que pour les plus fortunés. De l’autre côté, le taux de motorisation est un des plus élevés au monde : 587 véhicules pour 1.000 habitants en 2009 contre 814 aux Etats-Unis, 592 au Japon, 359 en Corée, 153 au Brésil, 47 en Chine et 16 en Inde [5]. Il augmente très faiblement depuis une vingtaine d’années.

La consommation automobile consiste essentiellement dans le remplacement des anciens véhicules. Le tout est d’assurer le renouvellement en temps utiles. Si cela a lieu tous les quatre, huit ou dix ans, cela aura un impact sur la production nécessaire. Il est clair qu’en temps de crise, les particuliers vont attendre avant d’acquérir une nouvelle voiture. D’où une pression accrue sur les constructeurs.

Mais ceux-ci ne réagissent nullement sur base d’un plan mis en commun pour assouvir un marché Marché Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
précis. Au contraire, chacun fonctionne suivant ses propres prévisions, possibilités et ambitions, souvent en contradiction avec celles des concurrents. Il en résulte une planification Planification Politique économique suivie à travers la définition de plans réguliers, se succédant les uns aux autres. Elle peut être suivie par des firmes privées (comme de grandes multinationales) ou par les pouvoirs publics. Elle peut être centralisée ou décentralisée.
(en anglais : planning)
totalement anarchique de l’implantation des usines. Même si le marché est saturé, celles-ci peuvent surgir comme des champignons.

Ainsi, l’effondrement de l’URSS et l’annexion de la plupart des pays de l’est à l’Union européenne Union Européenne Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
ont été une aubaine pour les firmes occidentales. Celles-ci ont investi en direction de cette nouvelle demande qui apparaissait… à part qu’elle est restée limitée. Comme le signale Bernard Jullien du groupe de recherches Gerpisa [6] : "Alors que l’on attendait des ventes annuelles de 2,5 millions de véhicules pour les 10 Etats membres, elle (la demande - ndlr) est aujourd’hui de 800.000 par an". [7] Les multinationales comme Volkswagen, Fiat, General Motors se sont précipitées pour construire de nouvelles unités géantes là-bas. Mais, en définitive, elles approvisionnent l’ouest, qui représente environ 94% du marché européen.

De ce fait, les capacités de production se sont accrues régulièrement, alors que les ventes sont restées relativement stables et ne dépassent pas un certain palier.

Les chiffres indiquent ainsi que les ventes oscillent entre 11 et 15 millions de voitures. La production grimpe, elle, de 14 à près de 18 millions d’unités. Mais c’est surtout l’Europe de l’Est qui participe à ce supplément. En 2011, les ventes et la production d’automobiles dans l’ancienne Union européenne à 15 sont inférieures à ce qu’elles étaient en 1990.

D’autre part, nous n’avons des données pour les ventes à l’est que depuis 2003. Elles correspondent à un montant annuel de 800.000 à un million de véhicules. En d’autres termes, la production s’accroît de 4 millions, alors que le marché local ne dépasse le million. Où vont les voitures supplémentaires ? A l’ouest en partie. En Russie, au Moyen-Orient, en Afrique et, pour les voitures haut de gamme, aux Etats-Unis pour le reste. Cette situation attise les tensions dans le secteur européen.

Enfin, les capacités augmentent sur la période de 6 millions de voitures environ entre l’estimation de 1994 à celle de 2008-2011. En fin de compte, peu d’usines ont fermé, alors que de nouvelles unités ouvrent presque chaque année à l’est. Donc le problème s’aggrave. On peut évaluer la surcapacité actuelle à 8 millions de voitures.

La chute du marché depuis le début de 2012 n’est pas de bon augure pour une amélioration éventuelle à court terme. Il est un fait que les programmes d’ajustement pèsent lourdement sur les ventes automobiles. Entre 2007 et 2011, les ventes automobiles ont chuté de 73,7% en Hongrie, de 70% en Roumanie, de 65% en Grèce, de 54,6% en Bulgarie, de 51,8% en Irlande, de 51,6% dans les pays baltes, de 50% en Espagne, de 30% en Italie, de 24% au Portugal, tous des pays frappés par les plans de rigueur concoctés par l’Union européenne et le Fonds monétaire international Fonds Monétaire International Ou FMI : Institution intergouvernementale, créée en 1944 à la conférence de Bretton Woods et chargée initialement de surveiller l’évolution des comptes extérieurs des pays pour éviter qu’ils ne dévaluent (dans un système de taux de change fixes). Avec le changement de système (taux de change flexibles) et la crise économique, le FMI s’est petit à petit changé en prêteur en dernier ressort des États endettés et en sauveur des réserves des banques centrales. Il a commencé à intervenir essentiellement dans les pays du Tiers-monde pour leur imposer des plans d’ajustement structurel extrêmement sévères, impliquant généralement une dévaluation drastique de la monnaie, une réduction des dépenses publiques notamment dans les domaines de l’enseignement et de la santé, des baisses de salaire et d’allocations en tous genres. Le FMI compte 188 États membres. Mais chaque gouvernement a un droit de vote selon son apport de capital, comme dans une société par actions. Les décisions sont prises à une majorité de 85% et Washington dispose d’une part d’environ 17%, ce qui lui donne de facto un droit de veto. Selon un accord datant de l’après-guerre, le secrétaire général du FMI est automatiquement un Européen.
(En anglais : International Monetary Fund, IMF)
.

C’est un tableau similaire que dresse le bureau de consultance Alix Partners. Après avoir visité une centaine d’usines en Europe, il constate que le taux global d’utilisation des capacités est évalué à environ 77%. Plus inquiétant : 40 unités fonctionnent sous le seuil des 75% qui leur permet théoriquement d’être rentables. La situation est difficile en Italie où la moyenne d’emploi de l’équipement ne s’élève qu’à 54% et cinq sites sont déficitaires. Mais ce n’est guère mieux en France où le taux d’utilisation ne se monte qu’à 60% et neuf usines font des pertes. Ou en Espagne avec un taux de 70% et huit unités dans le rouge [8].

Un contraste qu’on relève aussi dans la sous-traitance Sous-traitance Segment amont de la filière de la production qui livre systématiquement à une même compagnie donneuse d’ordre et soumise à cette dernière en matière de détermination des prix, de la quantité et de la qualité fournie, ainsi que des délais de livraison.
(en anglais : subcontracting)
 : un quart des firmes y réalisent 87% des bénéfices du secteur ; les 50% suivants se partagent les 13% restants ; et le dernier quart se retrouve proche de la faillite [9].

 PSA au cœur de la tourmente

Depuis le début des années 90, depuis que les surcapacités sont devenues structurelles, tour à tour, les six principaux constructeurs ont connu des difficultés importantes. Cela a été d’abord le cas de Volkswagen, qui a recouru à la flexibilité des 28 heures/semaine. Puis, dans les années 95-97, ce fut Renault qui ferma l’usine de Vilvorde. GM Europe (Opel/Vauxhall) commença la longue descente aux enfers, avec en apothéose la fin de l’unité d’Anvers. Sans compter Fiat, qui négocie sans cesse des aménagements de salaire aux travailleurs italiens et supprime de temps à autres un site dans la péninsule.

Maintenant, c’est Peugeot qui se trouve au centre du cyclone. La firme au lion accumule les inconvénients dans cet univers devenu très concurrentiel. Elle produit 3,6 millions de véhicules, là où les spécialistes et les principaux managers du secteur estime qu’il faudrait atteindre rapidement 5 à 6 millions.

Sa politique d’alliance pour y parvenir est un peu chaotique. Après avoir flirté avec Fiat, BMW, Mitsubishi, le constructeur tente un mariage de raison avec General Motors (qui a pris à cette occasion 7% du capital Capital ), mais dont les premiers effets ne se feront ressentir qu’en 2016 et essentiellement au niveau du partage des composants et des frais de conception de modèle. En outre, GM Europe est lui-même aux prises avec des surcapacités permanentes. La fermeture d’Anvers n’a pas suffi, puisqu’on parle de se débarrasser du site de Bochum.

En conséquence, PSA est très dépendant des marchés européens et surtout de celui de l’hexagone. Il faut ici comparer l’évolution des ventes en France et avec celle des parts de Peugeot sur ce territoire.

On note ici une forte similitude entre ces deux : les progressions des ventes en France profitent en général à Peugeot, qui accroît en même temps sa part de marché. Même chose en cas de baisse. La principale exception réside dans les années 2008-2010 avec l’effet de la prime à la casse qui a bénéficié à l‘ensemble des constructeurs de petites voitures.

De cette manière, on peut montrer l’importance du marché français pour la firme. C’est ce que révèle aussi la part de ces ventes sur l’ensemble de la production de voitures particulières du groupe.

Sans doute constate-t-on une baisse sur la période 1990-2011. Mais la part reste considérable. Elle atteignait près de 36% en 1996. Elle est redescendue à 20,6% en 2004 et elle est remontée avec la prime à la casse (comme elle a profité aussi à Peugeot).

En comparaison, les ventes allemandes de Volkswagen ne représentent que 14% de sa production. C’est 26% pour le groupe Renault. Mais, si l’on incorpore les données pour Nissan lié au constructeur français, on n’obtient plus que 11%. Le marché italien assure 32% des ventes de Fiat. Mais, si l’on tient compte de Chrysler dont le groupe de Turin a pris le contrôle, on descend à 17%. On voit donc que PSA est particulièrement vulnérable de par son retard dans l’internationalisation de sa production et de ses débouchés [10].

Les pertes de marché sur la France, la baisse des ventes en Europe, tout cela marque le constructeur de Montbéliard. Lorsqu’on compare l’évolution des parts de Peugeot sur la partie occidentale du continent comparée à celle de Volkswagen, le leader incontesté, que voit-on ?

On note une certaine similitude jusqu’en 2002. En fait, la progression du groupe français est phénoménale entre 1998 et 2002 [11]. Il passe de 11,4% à 15%. Soit 528.000 voitures supplémentaires vendues en quatre ans. Entre ces deux dates, les ventes en France augmentent de 200.000, dont plus de 85% le sont au profit de Peugeot. Cela a été sans doute la joie, voire l’euphorie, à l’avenue de la Grande Armée à Paris, le siège social du constructeur.

Ensuite, alors que Volkswagen s’est senti des ailes, PSA dégringole petit à petit, à peine redressé par la prime à la casse. En 2012, sa part n’est plus que de 12,2% pour les six premiers mois, soit un des plus mauvais résultats depuis l’établissement des statistiques en 1990.

 La bataille des titans

Dans ce contexte, celui qui l’emporte est celui qui parvient à vendre le plus avec une marge bénéficiaire suffisante. En d’autres termes, celui qui a les coûts les plus bas, ce qui dépend également du volume. A ce petit jeu, en Europe, PSA - et d’autres constructeurs d’ailleurs - est coincé entre les acteurs bas de gamme qui jouent sur le prix le plus bas, à savoir surtout les Coréens, et ceux qui misent sur la haute qualité comme les Allemands.

Volkswagen est particulièrement agressif. Son ambition est de devenir le numéro un mondial en 2018 et, pour cela, de produire 10 millions de véhicules. Il est en train d’y réussir en reprenant des entreprises automobiles plus petites comme Scania ou Man. Mais aussi il gagne des parts de marché de façon presque éhontée, passant de 18% en 2004 à 24% sur les six premiers mois de 2012. C’est surtout Skoda sur les modèles plus petits, d’un côté, et, de l’autre, Audi sur les hauts de gamme, qui organisent et animent l’offensive allemande. Depuis 2004, le premier a progressé de 52% et le second de 22% sur un marché européen qui, lui, ne s’est élevé que de 7%.

Cela ne gêne nullement le numéro un européen d’installer des usines supplémentaires ou d’accroître les capacités existantes qui mettent la pression sur les concurrents. Comme l’a déclaré Christian Klinger, le responsable des ventes et du marketing au sein du groupe allemand : "Le débat sur les surcapacités n’est pas le bon. Le débat doit porter sur la compétitivité industrielle. C’est une note plus positive que de lancer ‘Aidez-moi à fermer les usines. [12] Un constructeur performant n’aura pas à réduire sa voilure et tant pis pour les autres !

De cette façon, la guerre entre firmes automobiles fait rage. Dans cette lutte sans merci, les rabais pour vendre sont de plus en plus importants : 2.400 euros par véhicule en Allemagne (contre 2.200 en 2007). Pour en montrer l’étendue, nous avons sélectionné trois modèles, la Golf pour Volkswagen, la 205 et ses suivantes, 206 et 207, pour Peugeot, ainsi que l’AX, puis la Saxo et enfin la C3 pour Citroën. Nous avons repris les prix estimés par la Commission européenne dans son évaluation de distorsion de la concurrence sur le marché automobile depuis 1992. Nous avons choisi le principal pays de vente pour chaque voiture, à savoir l’Allemagne pour la Golf et la France pour PSA. On suppose qu’il y aura moins de manipulation des tarifs sur le marché où le véhicule apparaît comme leader.

Lorsqu’on compare ces données, on s’aperçoit que les produits français sont au départ moins cher. C’est normal, car il s’agit de voitures de gamme inférieure à la Golf. Mais progressivement les tarifs se rapprochent pour être quasi équivalents en 2010, dernière date de l’évaluation (à ce stade). Ils augmentent sévèrement à partir de 2002 pour Citroën et de 2005 pour Peugeot. Les prix de la Golf n’évoluent que lentement depuis 1997. Il est clair que, dans ces conditions, il est plus intéressant d’acheter une auto VW que celles proposées par PSA.

La bataille des coûts est incontestablement gagnée par Volkswagen. Sans compter que la Skoda Fabia, l’équivalent des voitures sélectionnées pour la filiale tchèque, est vendue encore bien moins cher : 9.061 euros en Allemagne et 8.848 euros en France. Skoda a produit 902.000 véhicules en 2011. En ajoutant les 300.000 de l’usine de Bratislava de VW, cela fait 1,2 million voitures assemblées dans cette région. En comparaison, PSA en a tiré 357.800 cette même année.

La pression se trouve clairement sur Peugeot. Le groupe a de plus en plus du mal à vendre ses voitures et donc n’emploie pas ses usines à pleine capacité.

Les sites français sont particulièrement sous-utilisés, surtout ceux d’Aulnay et de Rennes qui subissent de plein fouet la restructuration. Il est clair qu’ils ne sont pas rentabilisés. En 2011, le département automobile est déficitaire pour 612 millions d’euros, compensés par la banque et l’équipementier Faurecia (filiale de PSA). En quatre ans de crise, il a accumulé 3,4 milliards d’euros de pertes.

Depuis un an environ, le groupe français ne subsiste qu’en brûlant chaque mois environ 200 millions d’euros de cash. Il a encore quelques réserves sur ce point : les liquidités de Peugeot s’élevaient fin 2011 à 6 milliards d’euros. Et les fonds propres Fonds propres Ensemble des fonds représentant ce que l’entreprise possède en propre. Il s’agit essentiellement du capital décomposé en parts de capital (ou en actions) en valeur nominale, d’une part, et des bénéfices réservés accumulés au fil des années d’autre part.
(en anglais : shareholders’ equity)
se montent à quelque 14 milliards. La faillite n’est certainement pas pour demain. Mais la situation à terme est intenable dans cet univers concurrentiel : l’argent consacré à survivre n’est pas dépensé à améliorer les produits, à accroître la productivité Productivité Rapport entre la quantité produite et les ressources utilisées pour ce faire. En général, on calcule a priori une productivité du travail, qui est le rapport entre soit de la quantité produite, soit de la valeur ajoutée réelle (hors inflation) et le nombre de personnes nécessaires pour cette production (ou le nombre d’heures de travail prestées). Par ailleurs, on calcule aussi une productivité du capital ou une productivité globale des facteurs (travail et capital ensemble, sans que cela soit spécifique à l’un ou à l’autre). Mais c’est très confus pour savoir ce que cela veut dire concrètement. Pour les marxistes, par contre, on distingue la productivité du travail, qui est hausse de la production à travers des moyens techniques (machines plus performantes, meilleure organisation du travail, etc.), et l’intensification du travail, qui exige une dépense de force humaine supplémentaire (accélération des rythmes de travail, suppression des temps morts, etc.).
(en anglais : productivity)
, à développer de nouvelles voitures, alors que tout l’effort de Volkswagen, des Coréens, des Japonais y est concentré.

 Conclusions

Ce ne sont pas les erreurs de la direction de PSA qui ont conduit le constructeur dans la tourmente actuelle. Il s’agit d’un système basé sur les logiques implacables de rentabilité et de compétitivité. Ce sont celles-ci qui provoquent une bataille interminable entre les géants du secteur. Une sorte de monopoly mondial où les capitaines d’industrie sont les meneurs de jeu et les salariés de simples pions.

Philippe Varin et la famille Peugeot ne sont que des participants comme d’autres, les Agnelli pour Fiat, les Porsche pour Volkswagen, Carlos Ghosn au nom de Renault… Ils n’ont pas véritablement triché ou faussé les perceptions de leur position. Il se fait qu’à cet instant de la partie, ils se retrouvent avec moins de maisons et d’hôtels que ses adversaires. Ils essaient de se refaire en se débarrassant de ce qu’ils considèrent comme des poids morts. Sans doute ne serait-il pas mécontent d’avoir le soutien, encore une fois, de l’Etat français dans cette opération.

Ce qui est gênant n’est pas tellement l’attitude de la direction du groupe français. C’est le jeu en lui-même, car il signifie un rôle subalterne pour la grande majorité des vrais producteurs de voitures. Pourtant, c’est à eux qu’on va demander d’être productif, de se tuer à la tâche pour assembler dans les temps les automobiles qui permettront aux directions de gagner des maisons et des hôtels.

De quoi détruire la vie quotidienne de ces travailleurs et leur santé, car c’est un processus sans fin. Comme le raconte un conducteur d’installation robotisée à l’usine d’Aulnay : "Nous ne sommes jamais assez bons, jamais les meilleurs dans la course au profit, à la compétitivité, sur la rentabilité du travail." [13] Mais, quand ils auront arrêté de servir, ils seront jetés sans autre forme de procès hors de l’entreprise. Voilà ce qui est bel et bien révoltant.