Comme ce fut déjà le cas en 2012, l’économie belge fait face en 2016 à un nouveau cycle de restructurations partielles et de fermetures totales dans des filiales d’entreprises multinationales. Caterpillar, ING, Douwe Egbert, autant de drames sociaux qui viennent une nouvelle fois interroger la capacité d’actions des pouvoirs publics belges sur des entreprises dont le centre de décision est situé à l’extérieur de nos frontières nationales.
Article publié dans la Revue Démocratie n°11 - Novembre 2016.
Numéro disponible en version papier au Gresea, à venir chercher sur place.
L’annonce de la fermeture de Caterpillar Gosselies le 2 septembre 2016 s’est accompagnée, comme celle d’Opel Anvers, de Ford Genk ou d’ArcelorMittal Liège ces dernières années, de discours politiques matamoresques. Nationalisation
Nationalisation
Acte de prise en mains d’une entreprise, autrefois privée, par les pouvoirs publics ; cela peut se faire avec ou sans indemnisation des anciens actionnaires ; sans compensation, on appelle cela une expropriation.
(en anglais : nationalization)
, régionalisation, expropriation
Expropriation
Action consistant à changer par la force le titre de propriété d’un actif. C’est habituellement le cas d’un État qui s’approprie d’un bien autrefois dans les mains du privé.
(en anglais : expropriation)
, portage public, de la gauche à la droite, les multinationales présentent en Belgique n’ont qu’à bien se tenir. Pourtant, malgré quelques timides tentatives de réguler les restructurations transnationales [1], l’intensité des discours fut inversement proportionnelle aux résultats. Les pouvoirs publics, comme les syndicats, devant se contenter de constater les dégâts et de gérer au mieux les conséquences sociales de décisions prises à des milliers de kilomètres de la Belgique. Il en sera, sans doute, de même chez Caterpillar, ING ou Douwe Egbert où la négociation d’un plan social et le travail dans les cellules de reconversion risquent de prendre vite le pas sur les propositions industrielles alternatives.
La mondialisation et la mise en concurrence des territoires touchent évidemment tous les États. Néanmoins, il semble qu’en Allemagne, en France ou en Hollande, pour prendre un boxeur de même catégorie, le pouvoir politique garde une marge de manœuvre un peu plus importante qu’en Belgique.
Comme le montre le tableau ci-dessous tiré d’une étude du CRISP [2], parmi les 73 962 entreprises ayant au moins 1 employé présentes en Wallonie, seul 2% sont sous le contrôle d’un actionnaire
Actionnaire
Détenteur d’une action ou d’une part de capital au minimum. En fait, c’est un titre de propriété. L’actionnaire qui possède une majorité ou une quantité suffisante de parts de capital est en fait le véritable propriétaire de l’entreprise qui les émet.
(en anglais : shareholder)
étranger (une filiale de multinationale
Multinationale
Entreprise, généralement assez grande, qui opère et qui a des activités productives et commerciales dans plusieurs pays. Elle est composée habituellement d’une maison mère, où se trouve le siège social, et plusieurs filiales étrangères.
(en anglais : multinational)
par exemple). Par contre, ces 1.466 entreprises ont un impact très important sur l’économie régionale tant en termes d’emploi (31,4% du total) que de vente (53,3% du chiffre d’affaire total réalisé par le secteur privé en Wallonie). Le discours officiel rappel souvent que la Wallonie, comme la Belgique, est une terre de petites, voire de très petites entreprises (PMEs) qu’il faut soutenir. Quantitativement c’est juste, mais on oublie trop souvent de préciser que l’emploi privé, comme l’activité économique, y dépend fortement de décisions stratégiques prises à l’étranger. Cette dépendance se renforce encore si on prend en considération les relations de sous-traitance
Sous-traitance
Segment amont de la filière de la production qui livre systématiquement à une même compagnie donneuse d’ordre et soumise à cette dernière en matière de détermination des prix, de la quantité et de la qualité fournie, ainsi que des délais de livraison.
(en anglais : subcontracting)
(contrats commerciaux) qui peuvent exister entre les filiales des grands groupes détenues par des actionnaires étrangers et les PMEs wallonnes. N’en déplaise à certains décideurs politiques, la Wallonie, comme la Belgique par ailleurs, est une terre de groupes multinationaux.
Devant ce contexte, il nous apparaît important de comprendre pourquoi nous en sommes là aujourd’hui ? Quelles sont les grandes tendances historiques qui ont contribué à transformer le tissu économique de la Belgique et de la rendre particulièrement dépendant de décisions prises sous d’autres cieux ?
Du "miracle" à la "dépendance"
De multiples facteurs expliquent la dépendance croissante de la Belgique et de ses régions aux investissements des firmes multinationales (les investissements directs étrangers-IDE
IDE
Investissement Direct à l’Étranger : Acquisition d’une entreprise ou création d’une filiale à l’étranger. Officiellement, lorsqu’une société achète 10% au moins d’une compagnie, on appelle cela un IDE (investissement direct à l’étranger). Lorsque c’est moins de 10%, c’est considéré comme un placement à l’étranger.
(en anglais : foreign direct investment)
). Cependant deux tendances historiques pèsent fortement dans la balance et expliquent la précocité et l’intensité de cette dépendance. Il y a en premier lieu le rôle joué par les grandes familles de la bourgeoisie belge [3] dans ce processus d’extraversion. Dès les années 1950-1960, ces dernières vont privilégier en majorité la rente financière à l’investissement
Investissement
Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
productif. De plus, elles saisiront à pleine main la construction européenne pour intégrer les entreprises belges dans des groupes de dimension européenne en conservant une participation minoritaire. La seconde tendance se construit pour partie en réaction à la première. Dès l’entre-deux-guerres, le pouvoir politique belge va mener des "politiques d’attractivité" visant à attirer sur le sol national les investissements des firmes étrangères. A l’origine, comme nous le verrons pour l’automobile, ces politiques se font au détriment des entreprises nationales. Dès les années 1960, l’appel massif des gouvernements belges aux capitaux étrangers visent essentiellement à remédier aux "inerties structurelles du capital
Capital
Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
national" [4]. L’État va donc chercher ailleurs l’investissement que ne consent plus la bourgeoisie nationale. Pour ce faire, il met en place ce qu’on appelle des politiques horizontales de compétitivité ou d’attractivité. En misant sur des avantages fiscaux, salariaux ou des aides publiques, l’État espère attirer l’investissement des firmes multinationales sur le territoire belge.
Comme souvent au cours du 20e siècle, le secteur automobile fait office de précurseur. Dans les années 1920, le législateur belge établit une taxe à l’importation de 24% sur les produits finis, mais de seulement 8% sur les pièces détachées. Ce choix politique va avoir pour conséquence d’attirer sur le sol belge, en Flandre principalement, les grandes marques étrangères (Ford, GM, Renault, Opel) qui y installent des usines d’assemblage à partir de pièces importées. Cette politique qui vise à attirer l’investissement étranger va par contre participer à la disparition des producteurs belges. Des 21 constructeurs automobiles belges recensés en 1910, il n’en reste que trois (Minerva, la FN et Imperia) à la fin des années 1920. Les entreprises belges n’avaient pas adapté leur organisation aux exigences de la production de masse. Le coup de grâce leur est cependant porté en 1935 lorsque le gouvernement belge décide de favoriser les implantations américaines en réduisant les droits de douane, il enterre dans le même temps ce qui reste de la production et de l’assemblage automobile belge [5].
Jusqu’à la fin des années 1940, l’automobile fait cependant figure d’exception. La plupart des entreprises belges sont sous le contrôle de la Société Générale et des holdings nationaux (Lambert, Brufina…), des sociétés financières privées qui possèdent des participations dans des entreprises aux activités diverses. Les multinationales sont surtout présentes en Flandres (Gand, Anvers) dans les secteurs délaissés par la bourgeoisie. A la fin des années 1940, la forte demande internationale de produits belges conduit à parler du "miracle belge" [6]. Le miracle fera long feu. Contrairement aux pays voisins, l’appareil industriel belge n’a pas été complètement détruit par le second conflit mondial. La reprise a été rapide mais, dès les années 1950, l’industrie belge vieillissante n’est plus en mesure de concurrencer celle remise à neuf en France, aux Pays-Bas et en Allemagne. Au plan financier, les sociétés financières tout comme les épargnants se tournent progressivement vers les placements à l’étranger. Devant cette situation, l’État belge fait ce qu’il sait faire, il ouvre les frontières et tente d’attirer les investissements étrangers. En 1959, les lois d’expansion économique du gouvernement Eyskens III font une grande place "aux subsides en intérêts
Intérêts
Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
et autres aides à l’investissement en faveur des succursales étrangères des grands groupes multinationaux" [7]. Le succès de ce plan de développement économique est très mitigé. Il ne permit pas de relever significativement le taux d’investissement en Belgique. Ces aides publiques profitèrent surtout à des opérations financières et à des processus de fusions et acquisitions. Par contre, il marque le début d’une période de trente ans (1960-1990) qui va accélérer la dépendance de l’économie belge envers des centres de décision situés à l’étranger. Ces investissements directs étrangers se localisent d’abord en Flandre qui initie, grâce à eux, un véritable processus d’industrialisation. L’économie wallonne va rester contrôlée par les holdings jusque dans les années 1980.
La crise de surproduction
Surproduction
Situation où la production excède la consommation ou encore où les capacités de production dépassent largement ce qui peut être acheté par les consommateurs ou clients (on parle alors aussi de surcapacités).
(en anglais : overproduction)
qui frappe l’Europe au milieu des années 1970 et le ralentissement économique qui en découle conduit les grands holdings belges à se désengager plus avant de l’industrie pour investir leurs capitaux dans la finance. Le pouvoir politique comme les organisations syndicales perdent progressivement les relais qu’ils avaient dans les grandes entreprises.
Très longtemps, les entreprises multinationales sont surtout installées en Flandre en se substituant d’abord à une bourgeoisie industrielle flamande quasi inexistante, puis en profitant des politiques d’attractivité mises en place par les gouvernements belges. En Wallonie, la situation change à partir des années 1980. Les ventes d’Albert Frère, La prise de contrôle et le démembrement de la Société générale de Belgique par le groupe français Suez en 1988 [8], le passage sous contrôle étranger des raffineries tirlemontoises, de CBR, de Côte d’Or ou de GB, la prise de contrôle de la sidérurgie wallonne par les groupes français Usinor et Duferco entre 1997 et 2000, incarnent l’accélération de la dépendance de l’économie wallonne vis-à-vis de l’étranger et la perte de pouvoir du monde politique sur les entreprises dont les centres de décision sont désormais situés, de façon croissante, en France, aux Pays-Bas et aux États-Unis. Selon la Cnuced
CNUCED
Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement : Institution des Nations unies créée en 1964, en vue de mieux prendre en compte les besoins et aspirations des peuples du Tiers-monde. La CNUCED édite un rapport annuel sur les investissements directs à l’étranger et les multinationales dans le monde, en anglais le World Investment Report.
(En anglais : United Nations Conference on Trade and Development, UNCTAD)
[9], le stock
Stock
Sous sa forme économique, c’est l’ensemble des avoirs (moins les dettes) d’un acteur économique à un moment donné (par exemple, le 31 décembre 2007). Ce qui sort ou qui entre durant deux dates est un flux. Le stock dans son sens économique s’oppose donc au flux. Sous son interprétation comptable, le stock est l’ensemble des marchandises achetées qui n’ont pas encore été produites ou dont la fabrication n’a pas été achevée lors de la clôture du bilan ou encore qui ont été réalisées mais pas encore vendues.
(en anglais : stock ou inventory pour la notion comptable).
d’IDE entrant en Belgique et au Luxembourg passe de 7,3 milliards de dollars en 1980 à plus de 179 milliards en 1999. L’IDE sortant suit la même courbe.
Centre de coordination
Centre de coordination
Société financière fortement capitalisée destinée à réaliser des opérations à caractère financier pour le compte du groupe auquel elle appartient, comme par exemple le financement des investissements. En Belgique, ces firmes étaient faiblement taxées en rapport à leurs bénéfices.
(en anglais : coordination centre)
et intérêts notionnels
Intérêts notionnels
Avantage fiscal propre à la Belgique, consistant à calculer fictivement un intérêt sur les fonds propres d’une firme comme si ces derniers étaient considérés comme du capital emprunté et de déduire le montant obtenu du bénéfice imposable.
(en anglais : notional interests)
En 1982, le gouvernement Martens V instaure par arrêté royal un régime fiscal préférentiel pour les filiales des multinationales présentes en Belgique. Ce régime permet à un groupe d’installer en Belgique une filiale active dans la publicité, les opérations financières ou la comptabilité. Cette filiale sera exemptée en tout ou en partie d’une série d’impôts. Comme auparavant, l’objectif du gouvernement belge est d’attirer les capitaux étrangers. L’effet d’aubaine pour les entreprises multinationales est énorme. Les bénéfices réalisés en Belgique et ailleurs transitent désormais par ces centres de coordination. En 2003, la Commission européenne réclame la suppression de cette disposition qu’elle considère comme contraire à la libre concurrence. En 2006, par un tour de passe-passe, la Belgique remplace les centres de coordination par les intérêts notionnels. Les centres de coordination sont, le plus souvent, rapatriés au sein du périmètre des entreprises multinationales. Mais, d’un point de vue fiscal, les avantages pour les groupes se maintiennent [10]. Condamnées par certains partis et les organisations syndicales, ces mesures fiscales, profondément injustes, ne donnent aucune garantie quant à l’investissement et à l’emploi. Au contraire, nous pourrions formuler l’hypothèse que les intérêts notionnels contribuent à la désindustrialisation en emploi que connait l’économie belge. En effet, une entreprise multinationale peut très bien amasser des fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
propres en Belgique sans pour cela y développer une activité porteuse d’emploi. Alors qu’il va fermer son usine de Gosselies, Caterpillar pourrait très bien continuer à bénéficier des intérêts notionnels en conservant son site de Grimbergen et en y faisant transiter les bénéfices de sa filiale française (Grenoble) par exemple.
Décennie 2000 : la mode est au cluster
L’argumentaire des défenseurs des politiques d’attractivité comme moteur du développement économique repose sur trois préceptes fondamentaux. Selon eux, l’établissement de filiales d’entreprises multinationales dans un pays permet tout d’abord d’assurer la diffusion technologique sur le territoire et la montée en gamme de la production nationale. Par leur activité, les filiales vont également augmenter la demande de biens et services auprès du tissu économique local et les exportations nationales. Enfin, plus ces filiales s’insèreront dans l’économie locale (management, ingénieurs, sous-traitants locaux), moins il sera aisé pour le groupe de délocaliser la filiale.
En Flandre, à la fin du 20e siècle, le pouvoir public et certaines organisations syndicales du secteur automobile ont défendu la création de parcs de sous-traitance autour des usines des grands constructeurs afin d’assurer l’ancrage belge des grandes marques étrangères. Les fermetures d’Opel Anvers en 2010, de Ford Genk en 2012 ou de Caterpillar le mois dernier ont démontré que la forte insertion d’une multinationale dans l’économie locale n’est en rien une garantie de stabilité.
Ce principe d’insertion des multinationales dans l’économie locale par la création de grappes d’entreprises appelées clusters ou pôles de compétitivité est également au cœur du plan Marshall
Plan Marshall
Ensemble de dons et de crédits fournis par les États-Unis aux pays européens à partir de 1948 en vue de reconstruire le territoire dévasté par la guerre. Ce programme a été lancé par le secrétaire d’État de l’époque, le général George Marshall, le 5 juin 1947. Washington se donnait le droit de regard sur l’utilisation de ces fonds, ce qui lui permit de favoriser les investissements américains sur le vieux continent, ainsi que l’adoption des produits et habitudes de consommation américains. L’Est européen refusa ses conditions, ce qui coupa alors (et non auparavant) l’Europe en deux. L’aide était gérée à partir de l’Organisation européenne de coopération économique, dont étaient aussi membres les États-Unis et le Canada. Celle-ci deviendra l’OCDE en 1960.
(En anglais : Marshall plan)
Wallon depuis 2005. La stratégie est assez simple. A partir de financements publics assez peu élevés au regard du PIB
PIB
Produit intérieur brut : richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
, il s’agit d’impulser des dynamiques de création de grappes d’entreprises dans certains secteurs d’activité en Wallonie. A la différence notable de la Silicon Valley où les entreprises donneuses d’ordre sont américaines, certains pôles de compétitivité en Wallonie sont dominés outrageusement par un ou deux grands groupes étrangers. Qu’adviendra-t-il du pôle BioWin si GSK, la multinationale pharmaceutique américaine dont les actionnaires [11] sont du même type que ceux de Caterpillar, trouve l’herbe plus verte ailleurs ?
La mise en place du Plan Marshall répondait autant à l’urgence de la situation économique de la région qu’aux diktats de la stratégie européenne pour l’emploi. Dans un tel contexte, ce plan est un moindre mal. Il ne faut cependant pas le confondre avec une véritable politique industrielle. Le plan Marshall Wallon est une stratégie des pouvoirs publics pour attirer l’investissement étranger et, espérer, que celui-ci débouche sur des emplois. Il n’est en rien une intervention directe de ces mêmes pouvoirs publics sur la structure industrielle de la Wallonie. En d’autres termes, la Région wallonne, comme ailleurs en Europe, propose un cadre propice à l’investissement et les multinationales décident de la stratégie industrielle qui s’y appliquera.
Que produit-on ? Comment le produit-on ? Ces questions sont progressivement sorties du débat démocratique depuis bientôt 60 ans. Sur cette période, la Belgique et ses régions sont passées d’un système de planification
Planification
Politique économique suivie à travers la définition de plans réguliers, se succédant les uns aux autres. Elle peut être suivie par des firmes privées (comme de grandes multinationales) ou par les pouvoirs publics. Elle peut être centralisée ou décentralisée.
(en anglais : planning)
publique souple à une privatisation complète de la politique industrielle. Cette évolution est une des conséquences des politiques d’attractivité mises en place aux différents niveaux de pouvoir. Ces dernières vont également contribuer à modifier les relations socio-professionnelles dans notre pays.
Un autre système industriel
Pour comprendre l’évolution industrielle d’une région ou d’un État, il est réducteur de s’arrêter à l’analyse du couple "État-entreprise". Un comité de quartier ou une association environnementale peuvent très bien bloquer la construction d’une usine polluante et, en cela, changer la nature ou la géographie de l’investissement. On parlera alors d’un système industriel au sein duquel différents acteurs interagissent. De ce point de vue, la place du syndicat dans notre système industriel a fortement changé depuis plusieurs décennies. Jusque dans les années 1980, lors de restructuration ou de fermetures, les syndicats pouvaient agir à priori sur les changements industriels et en modifier le sens soit directement, soit par le relais des pouvoirs publics. A cette époque, la Grève offensive fait partie intégrante du répertoire d’actions des organisations syndicales. L’éloignement des centres de décision et la disparition du levier de la nationalisation ont depuis lors remis en question, chez un nombre croissant de travailleurs, la pertinence de la grève comme un moyen efficace de lutte lors des restructurations. Le recours à la grève y est nettement moins évident. Quand la grève est mobilisée, elle est généralement de courte durée et essentiellement défensive. La grève pour l’emploi perd son sens. Depuis la crise de 2008, l’observation des restructurations dans les filiales des multinationales montre que les directions étrangères ne renoncent plus jamais à leur intention de restructurer ou de fermer les sites. Tout au plus, dans quelques rares cas, elles acceptent de réduire quelque peu le nombre d’emplois perdus. Depuis le conflit chez VW en 2006, les seuls « succès » possibles semblent finalement se situer au niveau de la gestion des conditions de départ que ce soit sous la forme de primes ou d’accès à la pré-retraite [12].
En cela, les syndicats et les pouvoirs publics en Belgique suivent les recommandations de la Commission européenne pour qui les restructurations sont nécessaires à la compétitivité des entreprises européennes. Il est, toujours selon la Commission, dès lors contre-productif de s’y opposer. Elle est néanmoins consciente des coûts sociaux et environnementaux de ce "laissez-faire". C’est pourquoi elle attribue aux acteurs nationaux (les pouvoirs publics et les syndicats) le soin de gérer les conséquences des choix stratégiques des entreprises [13].
Conclusion
Un ministre des finances qui refuse de récupérer 700 millions d’euros de cadeaux fiscaux illégalement accordés à 25 multinationales en février 2016. La compagnie Brussels Airlines sera sans doute bientôt livrée à la Lufthansa pour une bouchée de pain sans aucune certitude sur le maintien de l’emploi. L’histoire économique de la Belgique semble bégayer. Progressivement, les entreprises multinationales transforment l’économie belge. D’un centre industriel et financier important au cœur de l’Europe, cette dernière devient une plateforme logistique. Les marchandises y passent mais elles y sont de moins en moins fabriquées ou transformées.
Si, depuis les années 1960, elles ont pu attirer certains investisseurs étrangers en Belgique, les politiques d’attractivité n’ont plus le même succès aujourd’hui. Elles ont par contre progressivement disqualifié la politique industrielle en Belgique mais également dans nombre d’États européens. Celle-ci s’est vue remplacée par une planification privée parfois décidée hors des frontières européennes. La dépendance externe de l’économie belge condamne-t-elle notre pays à une instabilité chronique ? Peut-on imaginer, au 21e siècle, un développement économique moins dépendant des grands groupes internationaux ?
Une réponse positive à cette question suppose tout d’abord, à court terme, d’arrêter les privatisations. Cela peut paraitre trivial. Pourtant, dans certains états major de partis politiques, au Nord comme au Sud du pays, l’idée d’un retrait de l’État de certaines entreprises publiques fait son chemin. Or, le contexte économique international actuel est caractérisé par des taux d’intérêts très bas et des fonds financiers ou des multinationales disposant de liquidités importantes sans perspective d’investissement. Mettre sur le marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
Belfius, Proximus, la SNCB ou encore la RTBF dans ce cadre reviendrait à en faire des proies faciles pour des fonds d’investissement
Fonds d'investissement
Société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
internationaux dont le premier objectif serait de les « rationnaliser »…En comparaison d’une restructuration d’ampleur à la SNCB (30.000 emplois), la fermeture de Caterpillar pourrait passer pour un épiphénomène.
Ces dernières années, les gouvernements belges se réfugient souvent derrière des contraintes européennes (respect de la concurrence par exemple) pour justifier leur immobilisme. Dans le contexte de globalisation financière que nous connaissons, il est clair que leur marge de manœuvre est faible. Néanmoins, devant le manque de résultats des politiques d’attractivité en termes de création d’emplois et de valeur, certains leviers, comme la restitution des aides publiques, la fin des commandes publiques ou l’expropriation des avoirs de l’entreprise pour assurer la continuité de l’activité, pourraient être actionnés en cas de restructurations financières.
Nos représentants politiques peuvent aussi œuvrer pour la mise en place d’une coordination industrielle européenne. A l’heure actuelle, la DG Entreprise et Industrie de la Commission européenne est une coquille vide qui répond aux problèmes structurelles de l’industrie européenne en se défaussant sur la concurrence déloyale chinoise. Chaque État-membre mène sa propre politique de compétitivité. Les clusters ou pôle de compétitivité s’additionnent et entrent en concurrence. Caterpillar joue Grenoble contre Gosselies sans que cela n’engendre une réaction européenne forte.
Cette coordination industrielle européenne implique nécessairement un retour à des systèmes de planification publique dans lesquels les parlements ont leur mot à dire. Le concept fait peur. Il est chargé d’histoire. Néanmoins, aucune coordination industrielle n’est possible sans sortir du dogme de la compétitivité. Dans la pratique, l’économie est toujours planifiée. Selon les époques et les contextes, c’est le planificateur qui change. L’État, l’actionnaire, le manager…Le citoyen ? Sortir à plus ou moins long terme d’une planification par les multinationales implique de réaffirmer à court terme notre volonté de planification démocratique.