Rien ne va plus dans l’économie européenne. L’euro qui devait protéger l’union monétaire des effets perturbateurs de déséquilibre entre pays en arrive à favoriser le contraire. C’est le chacun pour soi compétitif où seuls les plus forts s’en sortent provisoirement.…

“Le risque d’implosion de l’euro n’existe plus”, affirmait l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, sur RTL, après un de ces nombreux sommets discutant des plans de sauvetage de la Grèce [1]. Une des nombreuses affirmations qui n’engagent que lui et qu’une bonne partie des économistes contestent. Ainsi, Patrick Artus, chef économiste chez Natixis, pouvait lui répondre : “On arrive au bout. Maintenant, on est au bord du gouffre” [2]. Plus qu’un grand pas en avant ?

Les politiques d’austérité et de rigueur imposées au niveau européen, sous l’impulsion de plusieurs gouvernements à la tête desquels on trouve l’Allemagne, ont de quoi surprendre. C’est ce qu’on appelle des remèdes de cheval. Mais pour quel résultat” ?

Lors d’un discours devant un think tank Think tank Littéralement « boîte à idée » ; organisme regroupant généralement des chefs d’entreprise, des responsables politiques, des professeurs d’université ou chercheurs, des journalistes pour discuter de problématiques importantes pour un pays, une région, la planète et pour ainsi influer sur les grandes orientations politiques.
(en anglais : think tank)
ultra-libéral, The Lisbon Council [3], le président de la Commission, José Manuel Barroso, commentait les chiffres provenant de ses propres officines de statistiques : “Nous connaissons tous le défi qui nous fait face : la crise économique et financière a touché durement l’Union européenne Union Européenne Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
. Les prévisions économiques que la Commission a publiées la semaine passée ne sont pas aussi bonnes que nous l’aurions souhaité”
 [4]. De fait, au lieu d’une croissance Croissance Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
certes faible, ce sera sans doute une performance négative. L’Union replonge dans la crise. Mais pourquoi ? L’économie européenne est-elle en si mauvais état ? Et dans ce cas, ne serait-il pas temps de changer les dirigeants ?

Mais un rapide survol ne fait apparaître aucune malformation ou dysfonctionnement pire que ce qui existe aux États-Unis. Pourquoi, alors qu’on pronostique un redressement outre-Atlantique, l’Union reste-t-elle à la traîne ? N’y a-t-il pas une erreur d’analyse chez les responsables européens, un biais alimenté par des intérêts divergents entre des bourgeoisies qui ne sont sans doute pas encore aussi intégrées qu’on le voudrait ou qu’on le dit ?

 Bouclier monétaire percé

C’est un peu comme un barrage de fortune construit pour protéger les populations d’un tsunami. Évidemment, au départ, l’idée d’un tel ouragan semblait inconcevable. Une fois qu’il était devant tout le monde et s’attaquait aux digues érigées à la hâte, on se dit que celles-ci allaient tenir. Mais l’eau filtrait de partout. On devait sans cesse colmater des brèches qui s’agrandissent. A chaque fois qu’un trou était enfin rebouché, on annonçait la fin des efforts. Mais les réparations ne tenaient pas longtemps et d’autres ouvertures apparaissaient. A ce stade, on se demandait combien de temps encore la protection allait servir avant l’éclatement complet. C’est un peu la situation de l’euro à l’heure actuelle.

Pourtant, rappelons-nous, il n’y a pas si loin, les dirigeants européens chantaient les vertus de la monnaie Monnaie À l’origine une marchandise qui servait d’équivalent universel à l’échange des autres marchandises. Progressivement la monnaie est devenue une représentation de cette marchandise d’origine (or, argent, métaux précieux...) et peut même ne plus y être directement liée comme aujourd’hui. La monnaie se compose des billets de banques et des pièces, appelés monnaie fiduciaire, et de comptes bancaires, intitulés monnaie scripturale. Aux États-Unis et en Europe, les billets et les pièces ne représentent plus que 10% de la monnaie en circulation. Donc 90% de la monnaie est créée par des banques privées à travers les opérations de crédit.
(en anglais : currency)
unique. En octobre 2009, la Commission rédige une déclaration sur la situation de l’euro pour le Parlement et les autres organes institutionnels de l’Union. Elle souligne : “L’euro a été un bouclier précieux durant la crise. La monnaie unique a protégé efficacement la zone euro contre les fluctuations des taux de change et des taux d’intérêt Taux d’intérêt Rapport de la rémunération d’un capital emprunté. Il consiste dans le ratio entre les intérêts et les fonds prêtés.
(en anglais : interest rate)
qui avaient été particulièrement néfastes pour les États membres lors d’épisodes précédents de turbulences sur les marchés financiers. Elle a également joué un rôle précieux pour l’ancrage des politiques macroéconomiques saines des États membres qui préparent activement l’adoption de l’euro, ou dont les monnaies sont liées à l’euro.

Enfin, la capacité de la zone euro à agir rapidement en coordination avec d’autres banques centrales a contribué à préserver la stabilité du système monétaire international dans son ensemble. La crise financière a renforcé l’attrait de l’euro pour les États membres hors zone euro. Il convient de mettre en avant deux avantages éventuels de l’appartenance à la zone euro : tout d’abord, elle éliminerait le risque de fluctuations brutales et néfastes du taux de change ; ensuite, elle donnerait aux institutions nationales l’accès à l’Eurosystème pour des opérations de refinancement” [5].

Risible ! Ridicule ! Mal lui en prit, en tous les cas, car c’est justement à ce moment que les problèmes surgirent, que le gouvernement grec annonça qu’il avait des déficits budgétaires plus importants que prévus et que les divergences au sein de la zone sont apparues et n’ont pas été résolues depuis lors. Mais pourquoi soudain le tsunami a-t-il eu raison des bâtisseurs qui s’enorgueillissaient de leur magnifique rempart ?

C’est que le barrage avait été construit sur du sable mouvant. Une zone monétaire peut se développer entre des économies à la situation similaire ou aux perspectives convergentes. D’une part, la devise unique égalise les conditions de production dans toute la zone et met les entreprises en concurrence directe à valeur égale (et donc à prix s’approchant). De ce fait, les plus faibles sont impitoyablement éliminés au profit des plus forts. Cela a évidemment des conséquences sur le plan du développement industriel régional. Des zones entières peuvent être complètement désertifiées, poussant alors les populations à émigrer [6].

D’autre part, il ne peut y avoir qu’une seule politique monétaire appliquée à toutes les contrées. Mais si certaines sont en situation d’exportation et dominent, elles vont imposer une stabilité de la devise, alors que les autres fortement déficitaires auraient besoin d’une dévaluation Dévaluation Baisse du taux de change d’une devise par rapport aux autres devises. En général, une dévaluation se passe en système de change fixe, parce que la réduction a lieu par rapport à la devise clé.
(en anglais : devaluation).
pour booster leur activité.

En l’absence de cette convergence, il aurait fallu mener une politique d’aide forte et de solidarité pour mettre à niveau les économies “en retard”. Dans la zone euro, il n’y a pas d’équivalence dans les situations. Entre les plus avancés et ceux “à la traîne”, il y a un écart de 1 à 4 en matière de création de valeur et de 1 à 5 en termes de coûts salariaux. Aucun mécanisme d’entraide n’a été mis en place. Au contraire, il est presque interdit par les traités d’apporter un soutien financier à un État en détresse.

Les règles imposées, essentiellement par Berlin, ont été d’ordre financier. Celles qui demeurent à travers le pacte de stabilité et de croissance étaient que le déficit budgétaire Déficit budgétaire Différence négative entre ce que les pouvoirs publics dépensent et ce qu’ils reçoivent comme recette durant une période déterminée (souvent un an). Ce déficit peut être compensé par des revenus supplémentaires, par une réduction des dépenses ou par un nouvel emprunt (mais qui se traduira à l’avenir par des charges financières accrues qui grèveront les comptes budgétaires des années suivantes).
(en anglais : general government imbalance, public fiscal imbalance ou deficit spending)
ne pouvait excéder 3% du PIB PIB Produit intérieur brut : richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
 [7] et la dette publique Dette publique État d’endettement de l’ensemble des pouvoirs publics (Etat, régions, provinces, sécurité sociale si elle dépend de l’Etat...).
(en anglais : public debt ou government debt)
60% de celui-ci. Mais il fallait également des processus de convergence dans le domaine de l’inflation Inflation Terme devenu synonyme d’une augmentation globale de prix des biens et des services de consommation. Elle est poussée par une création monétaire qui dépasse ce que la production réelle est capable d’absorber.
(en anglais : inflation)
et des taux d’intérêt. Et ne pas avoir dévalué auparavant pour entrer dans la zone. Tout pays qui correspondait à ces critères pouvait adhérer.

A cela s’ajoute une stratégie allemande menée depuis le milieu des années 90 pour axer son développement sur les exportations, c’est-à-dire sur les ventes à l’étranger plutôt que sur son propre marché Marché Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
intérieur. Le pays a donc mis la pression sur ses coûts salariaux, multiplié les emplois précaires, à tel point qu’un organisme tel que l’OCDE OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économiques : Association créée en 1960 pour continuer l’œuvre de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) chargée de suivre l’évolution du plan Marshall à partir de 1948, en élargissant le nombre de ses membres. A l’origine, l’OECE comprenait les pays européens de l’Ouest, les États-Unis et le Canada. On a voulu étendre ce groupe au Japon, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’OCDE compte 34 membres, considérés comme les pays les plus riches de la planète. Elle fonctionne comme un think tank d’obédience libérale, réalisant des études et analyses bien documentées en vue de promouvoir les idées du libre marché et de la libre concurrence.
(En anglais : Organisation for Economic Co-operation and Development, OECD)
 [8] s’en est inquiété à plusieurs reprises.

Mais pour vendre à l’étranger, il faut qu’il y ait un pouvoir d’achat. Or, les firmes du sud de l’Europe subissaient une concurrence violente des entreprises du “nord” ou en dehors de l’Union, étant sur des créneaux peu technologisés. Avec une perte d’activité industrielle, ils ont misé davantage sur la construction, l’immobilier et le tourisme.

A cela s’ajoute le fait que les taux d’intérêt à l’approche de l’entrée en fonction de l’euro sont devenus particulièrement attractifs. Dans certains cas, ils étaient même négatifs en termes réels. Ils s’établissaient par exemple à 3%, alors que l’inflation se chiffrait à 4% par an. Ainsi, quelqu’un pouvait emprunter 100.000 euros pour construire une maison. Après un an, outre le remboursement du capital Capital Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
, il devait payer 3.000 euros d’intérêts Intérêts Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
. Mais sa maison était valorisée à 104.000 euros. Il gagnait 1.000 euros dans l’affaire. Cela a provoqué une croissance faramineuse des prêts hypothécaires privés des ménages : 25% par an en Grèce, 19% en Irlande, 16% en Espagne entre 2000 et 2008 [9].

 Crédit privé, dette publique

Les instances européennes épinglent les États membres responsables de leur propre déchéance. Ils n’auraient pas respecté les consignes élémentaires de prudence. C’est donc de leur faute et c’est à eux de payer. C’est un discours qui fait mouche outre-Rhin, où le gouvernement d’Angela Merkel ne cesse de condamner les Grecs d’avoir profité des soutiens allemands durant des années. Mais si Athènes peut être critiquée de ne pas avoir respecté les critères mis en place par l’Union [10], cela n’était pas le cas ni de Madrid, ni de Dublin. Au contraire, ces deux pays étaient les modèles européens. Leur croissance économique était supérieure à la moyenne. Ils créaient le plus grand nombre d’emplois, comme aucun autre État membre. Leurs finances publiques étaient saines. Aucun déficit budgétaire avant le déclenchement de la crise. Au contraire, des excédents successifs.

En 2007, la dette publique irlandaise s’élevait à 25% du PIB et celle de l’Espagne à 36%. A ce moment, le grand donneur de leçons, l’Allemagne, avait un niveau de 65%, c’est-à-dire au-delà de ce qui était permis.

Comment expliquer ce basculement ? Par la crise justement. Lors d’une récession Récession Crise économique, c’est-à-dire baisse du produit intérieur brut durant plusieurs mois au moins.
(en anglais : recession ou crisis)
, les recettes ont tendance à diminuer et les dépenses à augmenter. C’est le cas de tous les pays de l’Union. En 2009, 23 des 27 États membres avaient dépassé leur quota de 3% de déficit budgétaire. Mais deux éléments vont aggraver la situation dans le sud de l’Europe et en Irlande. D’abord, l’activité est tirée par la construction et l’immobilier qui s’effondrent tous deux, avec la crise des subprimes [11]. D’où des recettes particulièrement en berne. Ensuite, le montant des prêts hypothécaires à des familles qui n’ont plus de travail, donc peu de possibilités de rembourser, fragilise le système bancaire. L’Irlande doit sauver toutes ses banques et avancer 70 milliards d’euros, soit l’équivalent de la moitié de son PIB, dans cette opération. Pour l’Espagne, l’heure des comptes a sonné et on peut craindre le pire pour les prochains mois.

De ce fait, en 2011, la dette publique de l’Irlande passe à 108% du PIB et celle de l’Espagne à 70%. De modèles, ces États sont devenus des parias. Et leur performance antérieure ne les absout nullement de l’obligation européenne de redresser la barre au plus vite, même si la population locale doit en pâtir.

Il y a déjà un phénomène complètement absurde dans la logique imposée par l’Union et par Berlin : en s’attaquant aux finances publiques, on s’en prend au résultat, à la conséquence, et non à la cause de la situation déficitaire. Comment peut-on croire une seconde qu’une telle stratégie soit efficace ? Mais il y a pire.

 Europe au bord de l’explosion

Quel peut être l’effet d’une politique de rigueur dans des pays qui souffrent déjà d’un retard économique ? Les salariés du sud de l’Europe gagnent environ la moitié du revenu moyen d’un travailleur belge, mais doivent payer des loyers et des biens à des prix relativement comparables. Les dirigeants européens leur disent : vous devez encore réduire votre niveau de vie de moitié. Et ils ont le toupet d’ajouter que c’est pour leur bien. Autant dire à un patient malade : on va vous couper un bras et une jambe, mais ne vous en faites pas, cela repoussera.

Une seule petite analyse et un court exemple montrent qu’au contraire on pousse ces pays dans la voie inverse qui leur serait bénéfique. Au lieu de les sortir de la crise, on les y enfonce. On noie la personne qui se débat pour sortir la tête de l’eau.

Un exemple simple donc. Supposons une économie dont le PIB vaut 100. Les recettes fiscales, au sens que l’entend l’Union européenne (c’est-à-dire avec les contributions à la sécurité sociale), s’élèvent à 40, soit 40% du PIB [12]. C’est en général un montant stable à court terme. Cela reflète le fait qu’elles dépendent essentiellement du niveau d’activité dans le pays. Avec la crise, la somme totale des dépenses publiques se monte à 50. Inutile d’être un grand mathématicien pour conclure que le déficit se chiffre à 10, soit 10% du PIB. C’est 7% de trop pour la Commission.

Mais celle-ci est “compréhensive”. Elle se rend bien compte que c’est la récession la plus sévère depuis les années 30. Elle ne demande pas un ajustement immédiat, mais progressif. Pour l’année suivante, elle va proposer un déficit ramené à 5%. Le gouvernement sent qu’il n’a pas d’autre choix que d’obtempérer. Il coupe donc principalement dans les dépenses. C’est le plus rapide, car s’il augmente les impôts il devra attendre l’année suivante pour en voir les effets. Il peut aussi hausser la TVA. Pour la simplicité, on ne retiendra pas cette option, parce que la conséquence sur la consommation est la même qu’une diminution des dépenses. Dès lors, le nombre de fonctionnaires est abaissé, leurs salaires limités, des allocations sont réduites, d’autres avantages supprimés… Les dépenses sont ainsi ramenées à 45.

Quel impact sur le PIB ? Difficile à établir, mais certainement pas nul, car toutes les mesures contraignent la consommation privée des ménages. On va retenir l’hypothèse la plus simple pour les calculs : le montant de la baisse des dépenses va entraîner une diminution correspondante du PIB [13]. Celui-ci passe donc à 95. Mais cela implique aussi que les recettes fiscales vont se compresser. Notre hypothèse est qu’elles restent au niveau de 40%. Elles atteignent 38 dans ces conditions [14]. Le déficit budgétaire s’établit ainsi à 7 (45-38).

Horreur ! Un tel montant ne correspond pas à ce qui a été demandé par la Commission. En effet, il s’élève à 7,37% du PIB [15] et non pas aux 5% recommandés. Il faut que l’État établisse un nouveau plan d’ajustement, qui va s’attaquer une nouvelle fois aux dépenses, etc. En fait, le processus prendra fin lorsque le PIB aura atteint 90,91. Les recettes vaudront alors 36,36, les dépenses 40,91 et le déficit 4,55. Faites le calcul : ces 4,55 correspondent bien aux 5% de déficit autorisés. Mais qu’a-t-on dû faire pour y arriver ? Réduire le PIB de plus de 9% ! Ce n’est pas une stratégie de sortie de crise, c’est la plongée pure et simple dans la dépression Dépression Période de crise qui perdure, avec une croissance économique lente et un chômage important. C’est l’équivalent d’une crise structurelle.
(en anglais : depression).
 ! Or, c’est ce qui est demandé sans sourciller et sans possibilité de changement par Bruxelles et Berlin. C’est une analyse largement partagée par nombre d’économistes. Ainsi, Eric Hever, qui travaille à l’OFCE [16], répond de cette façon à un internaute qui lui demande s’il considère des améliorations dans le futur : “Si la stratégie européenne n’évolue pas, il me semble difficile d’être optimiste pour les années à venir, car sans modification de stratégie, la croissance en France et en zone euro sera insuffisante pour engager une baisse du taux de chômage. Et l’explosion du chômage aboutira rapidement à une explosion de la pauvreté dans tous les pays” [17]

 L’Europe de la paix sociale ?

Bref, l’Union et la zone euro cultivent des graines de désagrément économique, de frustrations sociales et de divergences politiques qui risquent de l’entraîner vers l’éclatement. Contrairement à ce que racontait Nicolas Sarkozy, le scénario du pire est bel et bien à l’ordre du jour. On est au bord du précipice. La situation actuelle est de toute façon intenable. Pour les pays dominateurs, un euro stable et donc fort est indispensable. Pour les autres, ceux du sud notamment, il faudrait dévaluer. Abaisser leurs niveaux de vie ne va pas améliorer leur attractivité ou alors il faut descendre aux coûts salariaux versés en Asie de l’Est. Cela va de toute façon élargir les différences à l’intérieur de la zone, donc accentuer les forces centrifuges. Diminuer les frais scolaires, de santé, d’infrastructures va manifestement dans le mauvais sens. Que reste-t-il donc comme espoir si les dirigeants défaillent ? Que les citoyens et les populations prennent enfin leur sort en mains et qu’ils orientent l’économie non plus dans le sens des intérêts capitalistes et financiers, mais vers la satisfaction des besoins locaux. Le développement des mouvements sociaux dans le sud de l’Europe est porteur de cette espérance.

P.-S.

Cette analyse a été publiée dans le Gresea échos n°70 daté d’avril-mai-juin 2012.

Notes

[1Les Echos, 20 avril 2012.

[2Le Monde, 20 avril 2012.

[3C’est également un puissant lobby qui incite les gouvernants à appliquer le plus strictement possible le processus de Lisbonne devant faire de l’Union européenne l’économie de la connaissance la plus compétitive et dynamique du monde.

[4José Manuel Barroso, « Towards Europe 2020 : Building a foundation for future prosperity », discours à The Lisbon Council : The Europe 2020 Summit Brussels, 27 février 2012 : http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=SPEEC H/12/125.

[5Commission européenne, ‘‘Déclaration annuelle 2009 sur la zone euro’’, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen, au Comité des régions et à la Banque centrale européenne, Bruxelles, 7 octobre 2009, p.2 : http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/09/st14/st14397.fr09.pdf

[6Mais, dans le cas de l’Europe, avec des populations parlant des langues différentes et ayant souvent des cultures fort différentes, où émigrer ?

[7Le produit intérieur brut (PIB) est la richesse marchande et monétaire produite sur un territoire durant une année.

[8L’Organisation de coopération et de développement économiques regroupe théoriquement les 30 pays « capitalistes » les plus développés dans le monde. Elle publie nombre d’études analytiques, mais sur la base d’une idéologie très libérale.

[9Henri Houben, « La crise, entre implosion et explosion », Gresea, 28 décembre 2011 : http://www.gresea.be/spip.php?article918

[10On ne se prononce pas ici sur le fait de savoir si ces critères étaient justifiés ou non.

[11Le subprime est un crédit accordé à une famille qui ne remplit pas les conditions « normales » de remboursement du prêt.

[12C’est un pourcentage moyen pour l’Union. En fait, cela va de 35%pour l’Espagne à 50%pour les pays scandinaves

[13Ce n’est pas une hypothèse totalement irréaliste. D’un côté, la consommation peut se porter sur des produits importés et donc affecter des pays étrangers. De l’autre, elle a un impact sur l’activité des entreprises qui risquent de licencier, donc amener une contraction encore plus grande de la consommation, etc.

[1438=40%de 95.

[157,37=7/95.

[16Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le centre de recherche et de prévision économiques de Sciences Po.

[17Le Monde, 23mai 2012.