Le recyclage et la valorisation des déchets, dans le sens où ils permettent de réduire les besoins en matières premières "vierges", sont des pistes à développer pour parvenir à un développement plus durable. Actuellement, il s’agit principalement de traiter les produits une fois utilisés et consommés. Mais ne pourrait-on pas aller plus loin ? Une autre démarche, qui retient de plus en plus l’attention ces dernières années, consiste à penser la gestion des "déchets" ou "produits en fin de vie" non plus après l’usage mais dès la conception.

Nous avions précédemment [1] évoqué le concept d’"écologie industrielle" qui propose une organisation de l’activité industrielle sur le modèle de la chaîne alimentaire. Cette approche part du double constat de la raréfaction des ressources naturelles mais aussi des pollutions engendrées par nos modes de production.

Mais même généralisée, l’écologie industrielle ne saurait constituer seule la solution à la diminution du stock Stock Sous sa forme économique, c’est l’ensemble des avoirs (moins les dettes) d’un acteur économique à un moment donné (par exemple, le 31 décembre 2007). Ce qui sort ou qui entre durant deux dates est un flux. Le stock dans son sens économique s’oppose donc au flux. Sous son interprétation comptable, le stock est l’ensemble des marchandises achetées qui n’ont pas encore été produites ou dont la fabrication n’a pas été achevée lors de la clôture du bilan ou encore qui ont été réalisées mais pas encore vendues.
(en anglais : stock ou inventory pour la notion comptable).
de matières premières. Outre le recyclage, l’inclusion de préoccupations environnementales dans la conception des produits, voire même dans la manière de les vendre ou de les produire (peu ou pas du tout) pourraient être des pistes d’actions complémentaires. Seront-elles suffisantes ?

 Développer les filières de recyclage

L’économie circulaire fait le pari de la réutilisation, de la valorisation des déchets ainsi que du recyclage. En Europe, selon l’agence européenne de l’environnement, 35% des déchets municipaux ont été recyclés en 2010 [2], l’objectif étant fixé à 50% en 2020.

La métallurgie, l’industrie alimentaire et l’industrie chimique sont les plus gros producteurs de déchets en Wallonie. En France, les déchets de la construction sont les plus importants, représentant quasiment les trois quarts du volume des déchets produits [3].Le service Service Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
public wallon pour l’environnement [4] affirme qu’environ 88% des déchets de l’industrie sont valorisés [5].

Les différents déchets sont classables de la manière suivante : les déchets inertes (résidus de démolition de construction, terre, gravats), les déchets organiques (déchets de jardin et de cuisine principalement), les déchets ménagers et assimilés et les déchets dangereux (chimie, solvants, hydrocarbures).

Si pour les déchets inertes et les déchets organiques, des solutions de valorisation existent (réutilisation pour des travaux de génie civil, compostage, bio-méthanisation), elles ne sont pas encore suffisamment généralisées. De même pour les déchets ménagers, le recyclage est déjà mis en œuvre pour le papier, les plastiques, les métaux ou le verre mais l’essentiel n’est toujours pas valorisé mais bel et bien enfoui ou incinéré.

 Peut-on tout recycler ?

Dans l’état actuel, une partie des déchets ménagers n’est techniquement et/ou économiquement pas recyclable : les sacs plastiques, les lingettes, certains emballages (pots de yaourts, polystyrène…) mais aussi des jouets, la vaisselle...

Se pose également le problème, pour atteindre des taux de recyclage importants, des usages dispersifs [6] qui sont faits de certaines ressources, notamment des métaux. Ceux-ci sont utilisés en si petites quantités pour certaines applications qu’il sera impossible de les récupérer pour les recycler : on pourra citer le cobalt ou le nickel utilisés dans les encres et peintures, le zinc et l’aluminium dans les produits cosmétiques ou les déodorants,mais aussi les usages de métaux pour les lubrifiants ou les engrais agricoles.

D’autres limites font que le recyclage n’est pas la panacée (voir encadré). Il vaut mieux réutiliser et réparer quand on le peut, plutôt que recycler. Cela ne veut pas dire qu’il faut mettre de côté la piste du recyclage, bien au contraire (passer d’un taux de 40% de recyclage à 80% permettrait de multiplier les réserves par 3 [7] !).

Des limites au recyclage


  • Problème de la mise en place de filières de recyclage efficaces : 80% de l’aluminium est actuellement recyclé, mais avec des disparités (presque 100% pour l’aluminium utilisé dans les transports et l’aéronautique mais seulement 60% pour les emballages), pour certains métaux comme le nickel qui est utilisé dans plus de 3000 alliages différents, on voit mal comment une filière de recyclage efficace pourrait être mise en place
  • Des problèmes techniques existent : pour le recyclage de certaines matières (métaux rares), pour les superalliages dont certains peuvent comporter jusqu’à 15 métaux différents. De plus, le recyclage comporte toujours des pertes (ex : la refonte d’un lingot d’aluminium provoque une perte de 1 à 2% de matière)
  • Perte de qualité avec le recyclage : un exemple est celui de la bouteille en plastique qui ne sera jamais recyclée en bouteille mais en chaise de jardin par exemple ou du verre qui, s’il n’est pas trié (verre blanc et de couleur), ne permettra qu’un recyclage pour du verre « bouteille » mais pas pour du verre plat (vitres automobile, bâtiment).
  • Consommation d’énergie : nos produits – donc nos déchets – sont de plus en plus complexes dans leur conception, et comportent une multitude de composants. Si cette complexification peut avoir pour objectif de réduire la consommation d’énergie, les procédés de recyclages se complexifient eux aussi et la récupération des ressources nécessite alors une consommation d’énergie croissante (ce qui va à l’encontre de l’objectif de départ)

 De l’intérêt de l’éco-conception

Tous nos déchets ne sont donc pas traitables de manière efficace, surtout pour ce qui est des usages dispersifs et des produits dangereux.

Afin d’anticiper ces problèmes, une autre approche que celle consistant à gérer les déchets en aval serait de concevoir en amont les produits de sorte à ce que ceux-ci soient facilement réparables, démontables, réutilisables et contiennent moins de produits dangereux. C’est ce qu’on appelle l’"éco-conception".

L’éco-conception est la prise en compte de l’environnement dans la fabrication des produits. Elle se base sur l’analyse des différentes phases de la vie d’un produit et se donne pour but de réduire les impacts environnementaux pour chaque étape (fabrication, transport, consommation, fin de vie). L’éco-conception peut a priori concerner n’importe quel produit.

Il peut s’agir de réduire l’usage de produits dangereux et la consommation d’énergie fossile dans la fabrication des emballages, de réduire le besoin en énergie d’un four ou d’un ordinateur, de diminuer la quantité de matériaux d’un véhicule, de prévoir le démontage des pièces d’un appareil électroménager, etc. L’objectif serait, à terme, de pouvoir minimiser l’utilisation d’intrants non renouvelables et d’être en mesure de réutiliser l’intégralité des composants des produits.

On pourrait dans cette optique imaginer la mise en place d‘indicateurs de recyclabilité et de valorisation des produits [8] (en pourcentage du poids du produit qui est valorisable ou recyclable par exemple) et pourquoi pas une fiscalité adossée à ces indicateurs.

Plusieurs avantages peuvent découler de ces démarches d’éco-conception pour l’entreprise, principalement en termes de réduction des coûts. L’incorporation de produits recyclés peut s’avérer moins coûteuse que les matières vierges, des emballages allégés peuvent aussi être source d’économie pour la fabrication, les transports ou la logistique. La réduction de l’usage de produits dangereux est un gain pour la sécurité des travailleurs, etc. Les économies ainsi réalisées pourraient être répercutées sur les salaires ou les prix de vente. En plus de l’aspect environnemental, il s’agit également d’une réelle rationalisation industrielle.

 Économie de fonctionnalité

Une autre piste réside dans ce que l’on nomme l’économie de fonctionnalité. L’économie de fonctionnalité consiste pour une entreprise, au lieu de vendre un bien dont l’acheteur deviendra propriétaire, à proposer l’équivalent sous forme de service. Cette approche est tout à fait complémentaire de celle de l’éco-conception.

Des exemples existent déjà. Le plus souvent cité est celui des imprimantes Xerox, qui pour certaines gammes ne sont plus vendues directement au client mais louées. L’entreprise est rétribuée au nombre de copies imprimées et propose un service de maintenance au client en cas de problème. Quand le contrat de location (ou leasing) est expiré, Xerox récupère le matériel qui est en règle générale en assez bon état, le répare éventuellement puis le propose à nouveau en location. L’avantage pour le client est qu’il n’a plus à s’occuper de la maintenance de son appareil ni à acheter d’imprimante. L’avantage pour Xerox est qu’il peut réutiliser ses produits plusieurs fois et ainsi augmenter ses marges. L’entreprise dans ce modèle est incitée à fabriquer des produits facilement démontables avec des pièces récupérables pour réduire ses consommations de matières premières.

De la même manière, Michelin propose de ne plus vendre ses pneus aux transporteurs routiers mais de leur proposer un service au kilomètre et de prendre en charge le cycle de vie du pneu (gonflage, conseils au conducteur pour la conduite, récupération des pneus usés). Au lieu d’utiliser les pneus jusqu’à usure complète, le constructeur de pneumatiques reprend les pneus "au bon moment" puis les recreuse et les rechape. Ceci permet à l’entreprise d’utiliser 20 pneus quand elle en aurait utilisé 64 et au transporteur de ne pas avoir à se soucier de la gestion des pneus. Le transporteur fait une économie sur la consommation de carburant (du fait d’une meilleure gestion du matériel) et Michelin réalise des économies en produisant moins de pneus mais en les réutilisant plusieurs fois.

 Des motifs d’espoir ... et d’incertitude

Des solutions existent donc pour réduire l’impact de nos modes de production et de consommation : écologie industrielle, éco-conception, économie de fonctionnalité.... Et les gains en termes d’énergie et de ponction sur les matières premières sont loin d’être négligeables. Le but serait de pouvoir atteindre à terme une économie (quasi) circulaire qui ne nécessiterait qu’une ponction minime sur les minerais et les ressources fossiles (pétrole, gaz, charbon).

Des gains substantiels sont réalisables sans réduire notre "confort". Nos déchetteries contiennent des stocks impressionnants de matières premières qui ne sont pas suffisamment valorisées. Selon un rapport de l’ADEME [9], qui cite le professeur Komei Hamada de l’institut de la science des matériaux : les décharges japonaises pourraient contenir jusqu’à 6.800 tonnes d’or (soit 16% des réserves d’or exploitables dans le monde), 60.000 tonnes d’argent et 1.700 tonnes d’iridium provenant des quelque 20 millions de téléphones cellulaires, téléviseurs, ordinateurs ou autres baladeurs MP3 et appareils photos numériques remplacés chaque année.

Si des raisons d’espérer se profilent, les évolutions des dernières années, bien qu’encourageantes d’apparence, pourraient bien réserver quelques surprises. Et notamment en ce qui concerne le recours au "tout-technologique". La dématérialisation qui a été mise en avant pour économiser papier et matières premières se fait au prix d’une substitution par l’informatique, grand consommateur d’électricité et de métaux. De même, la "croissance Croissance Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
verte" tirée par le passage aux énergies renouvelables, telles les éoliennes et les panneaux solaires passe par une consommation accrue de métaux rares (indium, gallium, germanium, lanthanides pour les aimants permanents des éoliennes) nécessitant des quantités phénoménales d’énergie pour leur extraction et posant également le problème de l’approvisionnement [10]. Des arbitrages démocratiques - hors de l’influence des lobbys industriels, pétroliers etc. - devront être faits sur ces questions dans un avenir proche.

"Nous n’avons pu exploiter des mines comme Chuquimata au Chili – de l’ordre de 15km³ de stériles, 65 millions de tonnes déplacées par an - au Bingham Canyon [11] dans l’Utah – 6 milliards de tonnes de gravas en un siècle – que grâce à un pétrole abondant et bon marché. Nous aurons du mal à remplacer les 70 camions (dumpers) de 290 tonnes de charges utiles du Bingham Canyon, parcourant au total 20.000 km par jours par des véhicules électriques, solaires ou quelques millions de mulets !" [12]

Il demeure que les niveaux de consommation en occident sont toujours sans commune mesure avec ceux que l’on peut observer dans les pays dits en développement. Bien que l’essor économique de la Chine depuis une dizaine d’années ait conduit à un rattrapage relatif [13] des niveaux de consommation de métaux et d’énergie par habitant ; les pays de l’OCDE OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économiques : Association créée en 1960 pour continuer l’œuvre de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) chargée de suivre l’évolution du plan Marshall à partir de 1948, en élargissant le nombre de ses membres. A l’origine, l’OECE comprenait les pays européens de l’Ouest, les États-Unis et le Canada. On a voulu étendre ce groupe au Japon, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’OCDE compte 34 membres, considérés comme les pays les plus riches de la planète. Elle fonctionne comme un think tank d’obédience libérale, réalisant des études et analyses bien documentées en vue de promouvoir les idées du libre marché et de la libre concurrence.
(En anglais : Organisation for Economic Co-operation and Development, OECD)
consomment toujours, par habitant (fer excepté), deux à quatre fois plus que la moyenne mondiale. De la même manière, si la Chine et l’Inde atteignaient les niveaux européens, cela nécessiterait un quasi doublement de la production de métaux. Avec toutes les conséquences sur l’environnement et les populations que l’on connait.

 Un manque de volonté politique

Enfin, il est tout de même bon de rappeler que toutes les solutions évoquées (économie circulaire, recyclage, éco-conception...) postulent implicitement que notre confort matériel ne diminuera pas dans l’avenir. Or, la "croissance verte" ne semble pas être une solution durable aux problèmes évoqués, tout juste une atténuation.

Le recyclage et le développement d’alternatives demeureront inefficaces tant que des pratiques comme l’obsolescence programmée ne seront pas condamnées. Et le refus d’une partie de la classe politique de prendre ces sujets à bras le corps, souvent pour ne pas porter atteinte à la croissance (et aux intérêts Intérêts Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
des industriels) en est une illustration [14].

Une allocation plus équitable des ressources énergétiques et minérales au niveau mondial est donc plus que souhaitable. Cela devra passer par un modèle économique moins prédateur tant sur le plan commercial, environnemental que social. Il pourrait en découler une sérieuse remise en question de nos modes de consommation et de production – à bout de souffle ? - Tels qu’on les connait aujourd’hui.