Carte d'identité
Secteur | Cosmétique |
---|---|
Naissance | 30 juillet 1909 |
Siège central | Paris |
Chiffre d'affaires | 41,2 milliards d’euros |
Bénéfice net | 6,2 milliards d’euros |
Effectifs | 90.293 personnes |
Site web | https://www.loreal.com/fr/ |
Président | Nicolas Hieronimus |
---|---|
Actionnaires principaux | (24 avril 2024): Bettencourt Family (34, 73%), Nestlé SA (20, 13%), Amundi Asset Management SA (1, 15%) |
Marques | L’Oréal, Lancôme, Giorgio Armani, Yves Saint Laurent, Biotherm, Kiehl’s, Ralph Lauren, Shu Uemura, Cacharel, Viktor&Rolf, Helena Rubinstein, Clarisonic, Diesel, Yue Sai, Maison Margiela, Urban Decay, Guy Laroche, Paloma Picasso, Proenza Schouler, Garnier, Maybelline, NYX Cosmetics, Softsheen.Carson, Essie, Kérastase, Redken, Matrix, Pureology, Mizani, Carita, Decléor, Vichy, La Roche-Posay, SkinCeuticals, Roger&Gallet, Sanoflore, The Body Shop |
Filiales | The Body Shop, Kiehl's, Lancôme, LaSCAD et L'Oreal (United States) |
Comité d'entreprise européen | oui |
Ratios 2023 |
|
---|---|
Marge opérationnelle % | 19,77 |
Taux de profit % | 21, 26 |
Taux de solvabilité % | 21, 12 |
Taux de dividende % | 55, 39 |
Part salariale % | 44, 16 |
Taux de productivité (€) | 195.522 |
Fonds roulement net (€) | 1, 4 milliards |
Observatoire des Comptes
Actionnariat du groupe 2024
Voir les données : Tableau
Télécharger les données : csv
Actionnariat et contours
du groupe en Wallonie
Toutes les données
Historique
Des débuts à petite échelle
L’Oréal a fait du chemin depuis sa création par Eugène Schueller, sorti major de sa promotion à l’école nationale supérieure de chimie de Paris le 30 juillet 1909. Ayant fourni sa première teinture pour cheveux intitulée « l’Auréale » suite à la demande d’un coiffeur en 1907 et après avoir déposé son premier brevet en 1908 [1], Eugène Schueller va recevoir l’aide financière d’André Spery (25.000 francs français de l’époque), alors comptable de Cusenier, une société de spiritueux. À deux, ils vont fonder la véritable [2] « Société Française Des Teintures Inoffensives Pour Cheveux » [3] qui deviendra par la suite L’Oréal, reconnu aujourd’hui comme le leader mondial du secteur des cosmétiques. En octobre 1909, Schueller sort également le premier numéro de « la Coiffure de Paris » qui rassemble des médecins, écrivains et lui-même. Peu de temps après, Eugène Schueller se met à vendre ses produits partout en France et ouvre une école de teinture à Paris, rue du Louvre en 1910. À partir de cette date, L’Oréal se tourne vers l’international et exporte : l’Italie en 1910, l’Autriche en 1911, la Hollande en 1913. Ce développement continue après la 1re guerre mondiale. L’Oréal s’exporte de plus en plus, au point d’être présent dans plus de 17 pays en 1920 : USA, Canada, Angleterre, Brésil... À l’époque, l’accent est déjà mis sur la recherche et l’innovation qui seront, durant toute son histoire, les pierres angulaires du développement de l’entreprise. La publicité et le marketing deviendront progressivement d’autres points forts de L’Oréal. En 1923, L’Oréal envoie son premier bulletin à tous les coiffeurs de France et sera traduit en plusieurs langues : Espagnol, Italien et Allemand [4].
François Jadoul*
Dans le même temps, L’Oréal élargit sa gamme de produits avec la fabrication de vernis, de celluloïds [5] en 1925 et du premier produit qui s’apparente à un shampoing en 1928. La même année, L’Oréal fait sa première acquisition en rachetant la société Monsavon (créée en 1920) dont l’usine, située à Paris deviendra, ensuite, le siège principal de L’Oréal. L’Oréal fait ainsi son entrée sur le marché des produits de consommation et continue à récolter les succès en créant une des premières lotions décolorantes pour cheveux, Imédia, un produit de coloration durable et confortable et enfin Dopal, premier shampoing sans savon qui deviendra le célèbre Dop en 1934. Schueller a compris l’importance de la pub. La présence médiatique de L’Oréal s’intensifie via différents canaux : la radio, le cinéma, la presse. L’entreprise publie le magazine mensuel « Votre Beauté » dans lequel Schueller met l’accent sur l’importance de l’esthétique chez les femmes. En 1936, L’Oréal devient une Société Anonyme à Responsabilité Limitée avant de devenir, une bonne fois pour toutes, une Société Anonyme en 1939 et va s’étendre durant l’entre-deux-guerres, au Royaume-Uni, à l’Argentine et à l’Algérie [6].... Simultanément, Schueller se penche sur le concept libéral de flexibilité salaire [7] qui prévoit que le salaire d’un employé soit calculé en fonction de différents facteurs : leur productivité, l’activité de l’entreprise et le nombre d’enfants dans sa famille.
Les heures sombres : les relations de L’Oréal avec l’extrême droite.
Durant cette même période, Schueller va s’investir dans l’extrême droite via la création du comité secret d’action révolutionnaire (CSAR) appelé par la suite « la Cagoule [8] » dont André Bettencourt, son futur gendre, fait partie. Il met à disposition du comité ses bureaux pour diverses réunions, mais finance également, en partie, celui-ci. Le temps passe et le CSAR noue des liens de plus en plus poussés avec le gouvernement de Mussolini d’abord, puis avec le gouvernement nazi. L’organisation participe au trafic d’armes et crée le Mouvement Social Révolutionnaire (MSR) avec l’approbation de la Gestapo. Les réunions de ce dernier se tiendront à nouveau dans les bureaux de L’Oréal. André Bettencourt crée et publie « la Terre française », un pamphlet nazi visant l’éducation rurale dans lequel Schueller intervient régulièrement. À l’époque de la libération, Schueller va être innocenté, de façon assez douteuse [9], grâce à plusieurs témoignages et va se réorienter vers son autre activité : les produits cosmétiques. André Bettencourt rejoint la direction du groupe et crée une filiale de celui-ci en Espagne, François Mitterrand prend les commandes du magazine « Votre Beauté » et enfin Jacques Corrèze, également membre de la Cagoule prend la direction de L’Oréal USA. Hautement décrié pour ces faits extrémistes, Schueller passera une bonne partie de la fin de sa vie à se repentir et tout faire pour que ces évènements tombent dans l’oubli, mais cela n’empêchera pas L’Oréal d’avoir de nouveaux ennuis liés à un présupposé antisémite par la suite lors de la publication du livre de Bar-Zohar en 1996. Nous reviendrons sur cet évènement ci-dessous.
En 1991, L’Oréal est ébranlé par un autre scandale suite à un conflit avec Jean Frydman, ancien directeur de Paravision. Possédant la double nationalité Franco-Israélite, Frydman intenta un procès à L’Oréal pour discrimination raciale. Frydman fut contraint, sous la pression émise par L’Oréal, de céder ses parts de Paravision à un prix jugé trop peu élevé à cause d’un boycott antisémite émanant de pays arabes. Le procès fut finalement abandonné suite à une lettre d’excuses de l’ancien PDG, François Dalle. Cependant, ces évènements soulevèrent, à nouveau le passé : le lien antisémite de Schueller suite à ses agissements durant la 2e guerre mondiale et le boycott de Frydman. Cette affaire fera, ensuite, l’objet d’un livre écrit par Michel Bar Zohar, journaliste israélien, dans lequel il dénonce les malversations de L’Oréal, et revient aussi sur l’histoire fasciste de Schueller et d’autres membres de la société.
Enfin, après les affaires « Cagoule » et « Frydman », une dernière affaire va secouer L’Oréal dans le cadre des accusations « antisémites » dont la société fait l’objet durant toute son histoire : en 2004, Monica Waitzfelder, fille de déportés juifs durant la 2e guerre mondiale va accuser L’Oréal d’avoir racheté sa maison ainsi que le terrain l’entourant, en connaissance de cause, en 1954 après que ce celle-ci ait été abandonnée aux Allemands en 1938. Le terrain en question aurait été utilisé comme siège social de L’Oréal en Allemagne. Elle publiera même un livre intitulé « L’Oréal a pris ma maison ». La famille de Monica Waitzfelder intentera un procès à L’Oréal, pour extorsion d’un bien immobilier, qui n’aura finalement pas lieu, L’Oréal sera blanchi pour motif de prescription [10].
En 2006, L’Oréal est condamné à payer 30.000 euros suite à une affaire de discrimination datant de 2001 [11]. En effet, Garnier, une des multiples filiales de L’Oréal, aurait fait appel, pour un évènement promotionnel, à des hôtesses BBR (Bleu Blanc Rouge), code connu dans le parti d’extrême droite, le Front national pour caractériser les Françaises « pur jus » en excluant les citoyens d’origine africaine, arabe ou chinoise. L’amende ne représente pas grand-chose pour la multinationale, par contre la publicité faite à Garnier et donc indirectement à L’Oréal n’est, à nouveau, que peu enviable.
La stratégie de développement de L’Oréal : rachats massifs et diversification du shampoing à la pharma
Eugène Schueller va rester proactif jusqu’à la fin de sa vie : il recevra d’ailleurs l’oscar de la publicité en 1953. Durant la même année, L’Oréal devient Cosmair aux USA. En 1954, il continue à promouvoir la beauté et l’hygiène pour tous en lançant notamment une vaste campagne de sensibilisation dans les écoles appelée « Journées des Enfants propres » [12] et met également sur pied des accords techniques avec les laboratoires industriels de Vichy. Ce faisant, L’Oréal fait son entrée dans le monde pharmaceutique.
Schueller, fondateur de L’Oréal, s’éteint en 1957 et est remplacé en tant que PDG par François Dalle.
Dès son arrivée à la tête de la société, Dalle se fixe comme objectif de faire grandir la société et d’en faire véritablement un géant de l’industrie cosmétique. Pour ce faire, Dalle va mettre en œuvre une série d’achats intercontinentaux : déjà présent au Brésil depuis les années 1930, L’Oréal va réaffirmer son activité sur place en créant sa propre filiale : PROCOSA [13], afin également de satisfaire la demande croissante au Brésil. L’Oréal va à nouveau sortir plusieurs produits qui vont contribuer à son hégémonie cosmétique : « Belle Color », un des premiers shampoings colorants et « Elnett », une laque différente de celles qui existent déjà. L’ouverture d’un nouveau centre de recherches amenant le nombre de chercheurs L’Oréal à 300 personnes marque également l’année 1960. En 1961, L’Oréal décide de se séparer de Monsavon qui est revendu à Procter et Gamble. Il décide ainsi de se concentrer sur ses activités principales : les cosmétiques et surtout le capillaire. L’Oréal acquiert la même année Cadoricin, spécialiste de l’hygiène capillaire.
L’IPO
L’année 1963 marque un tournant important pour L’Oréal dans sa phase de développement : L’Oréal fait son entrée en Bourse. Sa capitalisation boursière va, dès lors, grandir et recevoir l’apport de nouvelles ressources jusqu’à atteindre 490 fois sa capitalisation d’époque aujourd’hui [14]. La suite des années 1960 est marquée par plusieurs acquisitions de haut vol par L’Oréal : Lancôme en 1964, Garnier en 1965. Ces 2 acquisitions permettent à L’Oréal de faire véritablement son entrée dans le monde des produits de luxe respectivement les parfums et les produits capillaires. Enfin dans le même temps, L’Oréal continue son expansion au niveau mondial avec des implantations dans plusieurs pays supplémentaires : au Pérou, en Uruguay, au Canada, au Mexique… En 68, L’Oréal rachète André Courrèges, une maison de parfums de luxe. Le début des années 1970 est dans la continuité des années 1960 : L’Oréal acquiert Biotherm en 1970 avant d’accélérer en rachetant notamment Gemey et d’investir dans Synthélabo en 1973. L’Oréal veut continuer à grandir et fait tout pour y arriver : un joint-venture est mise sur pied en 1974 avec Nestlé [15] afin d’obtenir plus de fonds pour continuer à financer sa politique massive de fusions et d’acquisitions et poursuivre sa politique d’innovation toujours basée sur la recherche. Cette opération de participation croisée avec Nestlé implique la création d’un holding français, Gesparal [16] qui vise également à empêcher un potentiel rachat de L’Oréal par Elf, contrôlé par l’État, qui crée par après Sanofi. L’expansion vers le reste du monde se poursuit dès lors : l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Hong Kong et le Japon font désormais partie des territoires de chasse de L’Oréal [17]. À la fin des années ’70, L’Oréal se renforce dans le secteur parfumerie avec Cacharel et réaffirme une fois de plus sa stratégie marketing comme un atout en rachetant des parts de Marie Claire et de Cosmopolitan en 1977.
Les années 1980 vont marquer un certain nombre de changements importants : François Dalle décide de passer le flambeau en 1984 et est remplacé à la tête de L’Oréal par Charles Zviak [18]. Tout comme ses prédécesseurs, Zviak mettra l’accent sur la recherche chez L’Oréal regroupant plus de 1000 chercheurs à la fin de l’année. L’Oréal décide également d’acquérir des parts à hauteur de 10% dans Canal +, la chaîne de télévision payante en France. À cette occasion, L’Oréal lance doucement un processus de diversification qui l’amènera 30 ans plus tard au sommet des conglomérats mondiaux et plus uniquement au sommet des cosmétiques. 1985 marque l’acquisition de Warner Cosmetics par Cosmair, filiale de L’Oréal aux USA, Warner Cosmetics regroupant Ralph Lauren, Gloria Vanderbilt et Paloma Picasso, des marques prestigieuses. L’Oréal continue à évoluer de manière dynamique. Par la suite, L’Oréal et Nestlé vont renforcer leur collaboration via la création de Galderma, un joint-venture en 1986. Cette même année, c’est la première fois que L’Oréal se classe n°1 mondial sur le marché des cosmétiques en termes de chiffres d’affaires [19]. Ses principaux concurrents sont Procter & Gamble, mais aussi Shiseido, raison pour laquelle L’Oréal investira massivement au Japon pour y obtenir des parts de marché. Ces groupes disposent de collaborateurs observant les moindres faits et gestes de L’Oréal afin de réagir en cas de création d’une nouvelle gamme de produits ou d’une quelconque innovation.
Une autre première est à signaler chez L’Oréal : 1986 marque la première distribution d’actions aux investisseurs en dehors de la France. Devenu un géant mondial, L’Oréal va quelque peu se réorganiser d’un point de vue financier afin de centraliser les informations relatives aux finances du groupe en créant « L’Oréal Finance » en 1987. Durant la même année, L’Oréal réalise un « stock split [20] » de 1 pour 5 c’est-à-dire que, dans ce cas précis, que L’Oréal a regroupé certaines de ses actions par groupe de 5, ce qui revient à quintupler leur prix. Différentes raisons peuvent être avancées pour ce type d’opération : la réduction des coûts de transaction liée au plus petit nombre (c’est sûrement le cas ici) : en effet, toute opération en Bourse engendre des frais pour la personne qui l’entreprend, qu’il s’agisse d’une vente, d’un rachat… Le fait de réduire le nombre d’actions en les fusionnant ensemble implique, à fortiori, des frais administratifs moins élevés. Ce « stock split » a également, pour conséquence, le fait d’éviter de ne plus être listé par le gestionnaire de marché en descendant sous une certaine valeur : il arrive parfois que le prix d’une action descende en dessous d’une valeur fixée (ex. : sous 1 dollar), dès lors, sa valeur n’est plus reprise dans la liste des actions boursières habituellement présentées par un indice boursier qui regroupe plusieurs entreprises importantes. Enfin, suite à a ce processus d’internationalisation amorcé 25 ans auparavant, L’Oréal aura multiplié par 20 son CA en dehors de la France : passant de 3 à 60%.
Un leadership assumé
Après seulement 4 ans à la tête de L’Oréal, Charles Zviak passe la main, suite à une grave maladie, à Lindsay Owen-Jones, auparavant déjà responsable de la filière nord-américaine de L’Oréal. Owen-Jones va poursuivre les grandes manœuvres entreprises par Zviak. L’Oréal investit dans Paravision International, une société de production audiovisuelle, signe un accord de licence avec Giorgio Armani en 1988, et fait l’acquisition définitive de Helena Rubinstein, en proie à des difficultés financières, en 1989. Les dernières opérations de L’Oréal durant la même période sont à double sens : vente des laboratoires Ruby d’Anglas et Chiminter et acquisition des laboratoires la Roche-Posay, connus mondialement au niveau cosmétique. La fin des années 1980 marque également une période de scandale pour L’Oréal : de nombreux tests et expérimentations de produits avaient lieu sur des animaux. Ce qui amène L’Oréal à abandonner ces pratiques.
De plus, L’Oréal doit petit à petit réduire ses émissions de gaz nocifs pour la couche d’ozone et opérer un changement de bord au niveau environnemental.
La suite des années 1990 est marquée par plusieurs opérations : lancement d’un joint-venture intitulé Soreal avec Mosbitchim [21] : une entreprise russe en 1993, revente de ses parts restantes de Canal +, acquisition de la maison de couture et de parfums Lanvin dans un joint-venture avec Orcofi (filiale de LVMH), mais surtout de Maybelline USA, en décembre 1995, via une OPA [22], la première de L’Oréal, à plus de 600 millions de dollars, dont une bonne partie financée par la dette. Dans le même temps, L’Oréal décide de racheter les parts de Cosmair USA et Canada à Nestlé [23] (pour plus de 4 milliards de francs français à l’époque c’est-à-dire environ 728 millions d’euros) et Liliane Bettencourt d’en devenir l’unique gestionnaire. Avec ce rachat et l’OPA sur Maybelline, L’Oréal confirme vouloir occuper une position importante sur le marché nord-américain.
Avec les années, la concurrence s’est accrue dans le secteur des cosmétiques notamment suite à l’arrivée de multinationales venant de pays émergents, par exemple, Shiseido, mais aussi l’affirmation d’autres comme Unilever ou Procter & Gamble, néanmoins L’Oréal se bat pour préserver son statut de leader mondial. Procter & Gamble, centré sur la grande consommation, base également son business sur un marketing important et une recherche poussée tout en restant un cran en dessous de L’Oréal. On retrouve aussi dans le secteur de la grande consommation, Unilever, un des leaders, basant son expansion notamment sur une forte présence dans les pays émergents. Johnson & Johnson a, pour sa part, la plus grande partie de son activité dans le matériel médical, mais s’est diversifié, au fur et à mesure des années, notamment dans la grande consommation : les pays émergents sont également une cible de leur politique de développement.
« Parce que je le vaux bien »
En 1996, L’Oréal poursuit son processus de diversification en s’associant aux 3 Suisses et au groupe japonais Otto Sumisho pour se lancer dans la vente par correspondance de parfums et cosmétiques [24]. S’appuyant sur une stratégie marketing toujours omniprésente, L’Oréal lance la célèbre campagne « Parce que je le vaux bien » avec l’aide de nombreuses stars mondiales de l’époque [25] en 1998. Mondialement connue, cette campagne va permettre à L’Oréal de renforcer sa position de leader mondial et de poursuivre sa prise de position dans les pays émergents, en particulier en Chine. La même année, via sa filiale Cosmair, L’Oréal rachète Soft Sheen Products, société de soin capillaire dite ethnique, première mondiale du défrisage.
Plus tard dans l’année, L’Oréal signe un accord de partenariat de 5 ans avec l’UNESCO afin d’encourager la recherche féminine.
L’année 2000 est placée une fois de plus sous le signe des fusions et acquisitions : L’Oréal acquiert les shampoings Respons de Colgate, investit à hauteur de 35% dans la société de maquillage japonaise Shu Uemura [26] afin de renforcer sa présence au Japon, poursuit ses acquisitions dites « ethniques » en rachetant Carson Inc., une société spécialisée dans les soins capillaires afros, pour 250 millions de dollars (228 millions d’euros) aux USA. Ce n’est pas tout : L’Oréal s’empare des laboratoires Ylang, leader du maquillage en Argentine, de la société Matrix Essentials, n°1 des soins capillaires professionnels aux USA et enfin du scandinave Kiehl’s Since 1851, une firme scandinave responsable notamment de Colgate et Palmolive. Pour clôturer l’année, Cosmair change son appellation en L’Oréal USA. L’Oréal est, plus que jamais, le leader mondial du marché des cosmétiques.
L’Oréal continue à se baser sur les mêmes fers de lance en investissant dans la recherche, en ouvrant en 2005, son 14e centre de recherche [27], le 1er en Chine, mais rachète également Skinceuticals, société américaine, afin de renforcer son expertise en soins de la peau.
Les années à venir vont continuer à être, globalement, roses pour L’Oréal. En 2006, L’Oréal acquiert SkinEthic. SkinEthic est une société spécialisée dans l’ingénierie tissulaire, méthode utilisée comme alternative à celle des tests sur les animaux. Durant la même année, L’Oréal fonce sur les marchés bios en achetant The Body Shop pour 940 millions d’euros [28].
Durant la même année afin de redorer son image, L’Oréal créé sa propre fondation, avec comme objectif principal, de continuer à encourager la recherche.
L’affaire Bettencourt
L’année 2007 est fortement marquée par l’affaire Liliane Bettencourt, actionnaire importante et héritière de L’Oréal et accessoirement personnalité la plus riche de France. Éric Woerth alors trésorier de campagne de Sarkozy en 2007 aurait reçu 50.000 euros de la part de Liliane Bettencourt, auteure d’autres dons à d’autres membres du gouvernement sur conseil de son gestionnaire de fortune, Patrick de Maistre (c’est-à-dire des pots de vin). L’accusation portait à l’époque sur le fait que ce don envers Woerth, ministre du Budget, intervenait lors de sa campagne contre la fraude fiscale en Suisse. On se rendit compte, par la suite, que L. Bettencourt détenait plusieurs comptes en Suisse à hauteur de près de 80 millions d’euros, [29] mais aussi à Singapour et aux Seychelles échappant au fisc français. Tout cela démontrant de sacrés conflits d’intérêts avec en point d’orgue la femme de Woerth travaillant pour Clymène, société gestionnaire de la fortune de L. Bettencourt. Suite à l’écoute de plusieurs enregistrements sonores durant son procès, Liliane Bettencourt a dû reconnaître sa culpabilité et a depuis lors « régularisé » sa situation et coopéré avec le fisc [30]. Cela pose une nouvelle fois question quant aux pratiques des multinationales liées à la fraude fiscale et ce, même si L’Oréal avait toujours juré respecter la loi et qu’il s’agit en l’occurrence de son héritière et non pas de la société en elle-même.
Indépendamment de toute cette affaire, L’Oréal est condamné à payer une amende d’environ 500.000 euros aux Pays-Bas pour une affaire de publicité mensongère [31] liée à certains de ses produits cosmétiques. En 2007 toujours, la part de marché du groupe L’Oréal, dans le secteur des cosmétiques, est évaluée à 15,3% avec un CA de 17 milliards d’euros [32].
2008 est marquée d’une part, par l’acquisition de Yves Saint-Laurent par L’Oréal pour plus de 1 milliard d’euros, mais surtout par les restructurations chez L’Oréal [33]. La période de crise est invoquée pour justifier les mesures prises durant la fin de la première décennie chez L’Oréal. Il n’empêche que ce sont, au total, 1300 employés en cumulé qui perdront leur emploi durant la période 2002-2009 [34] : 500 employés licenciés en Amérique du Nord et 275 dans la filiale The Body Shop, ce sans le moindre plan social pour les aider à se réorienter. L’Oréal fait des coupes un peu partout dans son budget : phénomène assez inhabituel, étant un habitué de la croissance à 2 chiffres. Cela ne l’empêche pourtant pas de continuer à enregistrer un nombre incalculable de brevets. Le président tente de tempérer les voix qui s’élèvent en mentionnant les possibilités à disposition de L’Oréal : fusions, acquisitions, lancement de produits innovants, mais cela ne suffit pas à convaincre tous les sceptiques.
En mars 2011, Jean Paul Agon succède à Lindsay Owen-Jones en tant que PDG de L’Oréal. En 2012 L’Oréal ouvre la plus grande usine de son groupe en Indonésie, mais également une filiale au Kenya et rachète encore d’autres entreprises.
En 2013, L’Oréal poursuit son développement en Afrique de l’Est en acquérant Interbeauty Interconsumer Products Limited au Kenya, mais aussi Cheryl’s Cosmeceuticals en Inde où c’est sa première acquisition. Enfin, The Body Shop, filiale de L’Oréal acquiert Emporio Body Store au Brésil démontrant ainsi que la stratégie de L’Oréal visant à investir dans les pays émergents est toujours d’actualité. 2014 est une année faste, L’Oréal rachète Décléor et Carita, respectivement une société d’huiles essentielles, 1re marque mondiale d’aromathérapie, et une société de soins de beauté, poursuit son développement en Chine via l’acquisition, pour 843 millions de dollars (762 millions d’euros), de Magic Holdings International Limited, leader dans les masques pour le visage [35]. Cet achat permet également à L’Oréal de devenir leader des cosmétiques en Chine, après l’Europe et les USA. Dans le rapport d’activités de L’Oréal fin 2013, on observe que L’Oréal est toujours n°1 du secteur des cosmétiques avec un chiffre d’affaires de plus de 30 milliards de dollars, ses 2 principaux concurrents : Unilever et Procter & Gamble respectivement 2e et 3e du marché, complètent le podium avec 21,3 et 20,5 milliards de chiffre d’affaires. Estée Lauder et Shiseido suivent avec des chiffres d’affaires nettement moins importants atteignant 10,3 et 7 milliards de dollars [36]. Contrairement à ses concurrents Unilever, Johnson & Johnson et Procter & Gamble, L’Oréal évolue quasi uniquement dans le secteur des cosmétiques, cela lui permet d’occuper « tout le terrain » : aussi bien le secteur de la grande distribution (49% de son CA), que la distribution sélective (26%) ou la vente directe (5%) [37].
Enfin, en 2014 toujours, L’Oréal fait l’acquisition de NYX Comestics, un concurrent de Estée Lauder, mais également de sociétés provenant d’Israël, du Brésil ou encore d’Afrique. [38] Ces acquisitions démontrent une fois de plus la volonté d’internationalisation de L’Oréal.
L’Oréal hors la loi !
À la fin de l’année, L’Oréal, en compagnie d’autres multinationales telles que Unilever, Henkel, Procter & Gamble fait l’objet de la plus lourde amende de l’histoire de l’Autorité de la Concurrence pour entente sur les prix à hauteur, au total de 951 millions d’euros dont 189,5 pour L’Oréal [39]. Une entente sur les prix dans les secteurs des produits d’entretien et d’hygiène entre 2003 et 2006 explique le montant de cette amende. L’Oréal nie et considère la sanction comme disproportionnée. L’affaire est en cours. Une autre affaire d’entente sur les prix éclatera en 2015 suite à une enquête dans plusieurs supermarchés belges [40]. L’amende est, ici, bien moins élevée : elle s’élèverait à 8 millions d’euros. On ne peut que constater que L’Oréal, ayant toujours juré respecter les normes mises en place au niveau de la concurrence, n’hésite pas à enfreindre sa parole pour augmenter ses parts de marché ainsi que son profit. Après le scandale de fraude fiscale de Liliane Bettencourt, cette amende à payer vient aussi entacher la réputation d’entreprise durable et éthique de L’Oréal.
Aujourd’hui, L’Oréal est devenu une multinationale présente dans plus de 130 pays, touchant plus d’1 milliard de consommateurs à travers le monde et générant plus de 17,5 milliards d’euros de Chiffre d’Affaires. En mettant l’accent sur la recherche et le marketing pour devenir un géant des cosmétiques, L’Oréal a toujours véhiculé une image d’entreprise éthique, mais on peut s’interroger aujourd’hui sur ses pratiques en matière de brevets. Baser son succès sur la recherche et le développement (et donc le dépôt de brevets) c’est une chose, mais dans le cas de L’Oréal, il s’agit véritablement d’un matraquage permanent. L’Oréal disposerait aujourd’hui de plus de 25.000 brevets avec une moyenne sur les dernières années de 600 par an. Seulement 17% des brevets déposés par L’Oréal correspondraient à des produits commercialisés [41] et cela signifierait donc bien que les autres sont déposés à titre préventif afin de ne laisser que la plus petite marge de manœuvre possible voire aucune à ses concurrents. On peut donc se poser des questions quant à cette pratique en termes de concurrence. Une affaire liée à la politique de brevets de L’Oréal a d’ailleurs éclaté en 2015 : un avocat de L’Oréal, Steven Trzaska est licencié de chez L’Oréal après ne pas avoir déposé des brevets sur des « inventions qui n’en étaient pas » [42] et cela, dans le but d’atteindre un quota fixé de 500 [43]. L’Oréal nie ces accusations en insistant sur le fait qu’ils dépensent chaque année un montant important dans la recherche, là aussi l’affaire est en cours même si on ne peut que douter de la politique de L’Oréal dans ce cas-ci.
*Chercheur Gresea
Jadoul, François, "Des débuts à petite échelle", Gresea, novembre 2015, texte disponible à l’adresse : http://www.mirador-multinationales.be/secteurs/cosmetique/article/l-oreal
[1] Le premier d’une très longue série pour L’Oréal, « Pourquoi L’Oréal combat ses concurrents à coups de brevets ? », Capital.fr (17/08/2009).
[2] En effet, jusqu’alors la société consistait uniquement en la préparation de teintures par Schueller dans son appartement 2 pièces, rue d’Alger. (Source : L’Entreprise n° 559, 26 mai 1966, pp. 47-55).
[3] L’oreal.fr/groupe/histoire.
[4] « Trois siècles de publicité en France », Marc Martin, Odile Jacob, 1992, Paris.
[5] Première matière plastique artisanale (Source : Larousse.fr).
[6] Referenceforbusiness.com.
[7] « Histoire secrète de L’Oréal », Thierry Meyssan, voltairenet.org.
[8] La Cagoule serait responsable des assassinats de 2 dirigeants antifascistes italiens Carlo et Nello Rosselli, mais aussi de Max Dormoy, ancien ministre de l’Intérieur (source : Libération 04/02/1997).
[9] « La Cagoule, organisation fasciste et française », Jacques Serieys, source : gauchemip.org (14/10/2015).
[10] « Spoliation, L’Oréal ne sera pas poursuivi », Le Nouvel Obs. (12/11/2004).
[11] « L’Oréal accusé d’apartheid chic », gresea.be (01/06/2006).
[12] Source : loreal-finance.com, rapport pour le centenaire.
[13] Productos Cosmeticos SA
[14] C’est-à-dire environ 96 milliards d’euros, source : bourse.lesechos.fr (27/10/2015).
[15] Liliane Bettencourt vend presque 50% de ses parts de L’Oréal à Nestlé, mais récupère 4% de Nestlé en échange (source : referencebusiness.com).
[16] Détenu à 51% par Bettencourt et 49% par Nestlé, Gesparal dispose de plus de 70% des droits de vote de L’Oréal et plus de 50% de son capital.
[17] « Le monde de la beauté : comment le marketing et l’industrie changent notre look », M. Tungate, Dunod, 2012.
[18] En effet, Zviak était gestionnaire de recherche appliquée chez L’Oréal.
[19] "L’Oréal, La beauté de la stratégie", B. Collin et JF Delplancke, Dunod 2015.
[20] Opération financière qui vise en divisant les actions de l’entreprise en plusieurs actions à réduire leur prix et à les rendre plus attractives aux yeux des investisseurs. Ce procédé est censé ne pas affecter la valeur totale de l’entreprise. Ici, il s’agit bien d’un « reverse split » où l’on rassemble différentes actions ensemble (Source : Investopedia).
[21] A posteriori un échec (source : Libération 03/05/1995).
[22] Offre Publique d’Achat : Opération financière durant laquelle une entreprise a souhaité acquérir une entreprise B en échange de cash. Elle peut être hostile ou amicale en fonction de la volonté du conseil d’administration à vendre ou conserver son entreprise (source : blogfinance.canalblog.com 13/03/2009).
[23] Source : l’Echo (14/06/1994).
[24] Source : l’Echo (21/09/1996).
[25] Catherine Deneuve, Michael Schumacher par exemple (Source : Les Echos 01/01/2005).
[26] Dont il deviendra actionnaire majoritaire en 2003 (source : www.loreal-finance.com/fr/communique/produits-luxe-279.htm ).
[27] Source : http://www.loreal-finance.com/fr/communique/loreal-ouvre-a-shanghai-le-premier-centre-recherche-dedie-a-letude-la-peau-du-cheveu-chinois-380.htm
[28] Source : l’Echo (18/03/2006).
[30] « Le fisc ne portera pas plainte contre Liliane Bettencourt », Le Monde (30/11/2011).
[31] « L’Oréal écope d’une amende de 500.00 euros en Hongrie », Source : fr.reuters.com (17/03/2009).
[32] Source : planetoscope.com
[33] « L’Oréal festoie à bureau fermé », source : gresea.be (21/04/2009) et « L’Oreal to lay off 500 U.S. employees » source : adage.com (18/12/2008).
[34] « L’Oréal apprend à composer avec la fin de l’opulence », Le Monde (03/06/2009).
[35] « Avec Magic Holdings, L’Oréal élargit sa palette de cosmétique chinoise », Le Monde (16/08/2013).
[36] Source : l’oreal-finance.com/fr/rapport-activite-2014.
[37] "L’Oréal, La beauté de la stratégie", B. Collin et JF Delplancke, Dunod 2015.
[38] « L’Oréal et CFAO signent un accord de production et de distribution en Côte d’Ivoire », cfaogroup.com (06/03/2015).
[39] « L’Oréal fait appel de l’amende record de l’autorité de la concurrence », http://bfmbusiness.bfmtv.com/ (18/12/2004).
[40] « Price fixing scandal : P&G and L’Oréal among 17 firms fined a total of €174 million by Belgian competition authority », globalcosmeticsnews.com (24/06/2015).
[41] « Pourquoi L’Oréal combat ses concurrents à coups de brevets », capital.fr (17/08/2009).
[42] « Réquisitoires contre la politique de brevets de L’Oréal », Le Monde (02/07/2015).
[43] “Fired L’Oreal Lawyer Says Patent Push Was Only Cosmetic”, Bloomberg.com (21/04/2015).