La société de croissance Croissance Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
comme elle a fonctionné depuis l’après-guerre semble aujourd’hui s’essouffler et ce pour plusieurs raisons.

D’une part, le partage des richesses s’opère de façon de plus en plus déséquilibrée, remettant ainsi en cause le modèle fondé sur la répartition. La baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée Valeur ajoutée Différence entre le chiffre d’affaires d’une entreprise et les coûts des biens et des services qui ont été nécessaires pour réaliser ce chiffre d’affaires (et qui forment le chiffre d’affaires d’une autre firme) ; la somme des valeurs ajoutées de toutes les sociétés, administrations et organisations constitue le produit intérieur brut.
(en anglais : added value)
en est une illustration [1] au même titre que la remise en cause progressive des mécanismes redistributifs ou la financiarisation Financiarisation Terme utilisé pour caractériser et dénoncer l’emprise croissante de la sphère financière (marchés financiers, sociétés financières...) sur le reste de l’économie. Cela se caractérise surtout par un endettement croissant de tous les acteurs économiques, un développement démesuré de la Bourse et des impératifs exigés aux entreprises par les marchés financiers en termes de rentabilité.
(en anglais : securitization ou financialization)
de l’économie. Bien que centrale, cette question ne sera pas l’objet de cette analyse.

D’autre part, et ce sera notre propos dans la présente analyse, le temps du système productiviste fondé sur une énergie et des matières premières bon marché, « inépuisables » et faciles d’accès semble s’éloigner tout comme les problèmes environnementaux, liés pour une bonne part à notre manière de produire et de consommer sont de plus en plus prégnants.

L’épuisement inéluctable des réserves de matières premières (énergie, minerais) - 30, 50, 100 ans ou plus selon les matières et des estimations qui font toujours débat -et la course pour leur accaparement sont à mettre en lien avec nombre de conflits ayant eu lieu ces dernières décennies (Irak, Kivu, Libye…).

A côté de cela, le changement climatique, l’augmentation des maladies dues à l’environnement et à l’alimentation (cancers, allergies…) sont aujourd’hui largement imputables à la manière dont les industries produisent et rejettent par la même occasion divers types de substances toxiques dans l’air, l’eau ou les sols.

Ces éléments doivent nous conduire à repenser notre manière de consommer, mais aussi de produire. Les objectifs du millénaire pour le développement toucheront à leur fin en 2015 et les objectifs du développement durable prendront le relai. L’occasion de réfléchir à de nouvelles approches plus viables, et à ce que pourrait être une « entreprise environnementalement durable ».

L’économie circulaire et l’écologie industrielle sont deux pistes à étudier. Essayons de voir en quoi ces concepts peuvent représenter une alternative par rapport à la situation actuelle et quelles en sont les limites.

 De l’économie linéaire…

Erkman, professeur à l’Université de Lausanne, et Stahel [2], consultant et fondateur de l’institut de la durée à Genève, entre autres, parlent d’économie linéaire pour caractériser le système de production actuel. Le schéma suivant illustre de manière simplifiée ce concept.

Structure linéaire de l’économie industrielle (ou économie « rivière »)

Source : Stahel Walter et Reday Genevière (1976/1981) Jobs for Tomorrow, the potential for substituting manpower for energy ; rapport de la Commission des communautés européennes, Bruxelles/ Éd. Vantage, NY

Les matières premières (énergies, métaux…) sont transformées en matériaux de base puis en produits finis qui sont eux-mêmes vendus aux consommateurs et transformés en déchets après utilisation. Le système actuel n’est pas totalement linéaire, une partie des déchets sont d’ores et déjà recyclés mais de manière encore très insuffisante [3].

Dans une société où la croissance est devenue l’objectif prioritaire, les matières premières devront être disponibles en quantités croissantes, ce qui ne pose pas de problème à la théorie économique classique qui les considère comme infinies. La réalité physique (les réserves) et géopolitique (la localisation de ces réserves et leur accès) est toute autre.

Face à ce double problème de l’épuisement des réserves de matières premières (auquel on peut joindre les tensions que cela engendre pour leur accaparement) et des effets sur l’environnement des activités humaines, plusieurs auteurs ont proposé un changement dans la manière de concevoir les activités de production.

 …vers l’économie circulaire

En opposition au modèle linéaire, Stahel propose un modèle d’économie circulaire (voir schéma ci-dessous).

Comme dans le « modèle standard » de production, des ressources en matières premières sont nécessaires. Celles-ci sont transformées en matériaux de base puis en produits finis.

C’est là qu’apparait l’intérêt du système d’économie circulaire : les rejets qui constituaient des déchets ou des pollutions vont être récupérés, valorisés, grâce à un système de « boucles », pour servir à nouveau de matières premières ou de matériaux de base à la production d’autres biens et services.

De même, au stade final du cycle de vie du produit, celui-ci est réutilisé, réparé ou recyclé pour produire de nouveaux produits. Ce système simple à comprendre veut s’inspirer de la nature, avec l’idée de créer une « chaine alimentaire industrielle » et de reproduire un « métabolisme industriel » au sein d’un réseau d’entreprises.

Les précurseurs de cette théorie, Frosch et Gallopoulos [4], anciens vice-présidents de la recherche industrielle et sur les moteurs chez General Motors, décrivaient leur idée ainsi : « Un écosystème industriel pourrait fonctionner comme un écosystème biologique : les végétaux synthétisent des substances qui alimentent les animaux herbivores, lesquels sont mangés par les animaux carnivores, dont les déchets et les cadavres servent de nourriture à d’autres organismes. On ne parviendra naturellement jamais à établir un écosystème industriel parfait, mais les industriels et les consommateurs devront changer leurs habitudes s’ils veulent conserver ou améliorer leur niveau de vie, sans souffrir de la dégradation de l’environnement » [5].

Les principales boucles d’une économie circulaire - et les points d’intersection entre les boucles et une économie linéaire industrielle

Source : Stahel Walter et Reday Genevière (1976/1981) Jobs for Tomorrow, the potential for substituting manpower for energy ; rapport de la Commission des communautés européennes, Bruxelles/ Éd. Vantage, NY

 Des exemples concrets

Voyons quelques cas de mise en œuvre de l’économie circulaire dans le domaine industriel. On parlera ici d’écologie industrielle. La littérature parle aussi d’ « éco-parcs industriels », d’ « échange de sous-produits », d’ « écosystème industriel » ou de « symbiose industrielle ».

L’exemple le plus couramment évoqué est celui de la « symbiose industrielle » de Kalundborg au Danemark qui constitue l’une des références dans le domaine.

La symbiose industrielle de Kalundborg

Source : Tiré de : Erkman, « L’écologie industrielle, une stratégie de développement », Le Débat, 2001/1 n° 113, p. 106-121. DOI : 10.3917/deba.113.0106

Cinq partenaires principaux constituent le cœur de ce système : une centrale électrique, une raffinerie, une société qui travaille dans les biotechnologies, une société de panneaux de constructions et les pouvoirs publics par le biais de la ville de Kalundborg. Ce projet a débuté dans les années 60 pour répondre à la question de l’approvisionnement en eau dont on redoutait la surexploitation à moyen-long terme.

La raffinerie consommant des quantités très importantes, et s’approvisionnant dans un lac à proximité, il a vite été question de gérer les ressources de manière plus durable. Les entreprises ont alors commencé à s’échanger de l’eau en 1961 afin de limiter les puisements dans le lac. L’idée s’est ensuite étendue aux échanges de gaz à partir de 1972, puis de chaleur, de vapeur…

Les échanges se déroulent de la manière suivante : la raffinerie fournit de l’eau (usée, froide et/ou sous forme de vapeur) à la centrale électrique à l’aide d’un système de pipeline. Celle-ci, en plus de proposer de l’électricité fournit de la vapeur à l’entreprise de biotechnologies mais également de la chaleur excédentaire à une ferme d’aquaculture qui s’est installée par la suite. La chaleur est également utilisée pour alimenter la ville en chauffage. La centrale électrique produit du gypse [6] (sous-produit issu de la production d’électricité) qui va être revendu à la société de panneaux de construction qui le valorisera pour sa production. Les cendres également produites par la centrale électrique serviront ensuite pour fabriquer du ciment et pour la construction de routes. L’entreprise de biotechnologies valorisera les boues issues de son processus de production pour réaliser des engrais….

Ainsi, du simple échange d’eau au départ, 25 flux Flux Notion économique qui consiste à comptabiliser tout ce qui entre et ce qui sort durant une période donnée (un an par exemple) pour une catégorie économique. Pour une personne, c’est par exemple ses revenus moins ses dépenses et éventuellement ce qu’il a vendu comme avoir et ce qu’il a acquis. Le flux s’oppose au stock.
(en anglais : flow)
d’énergies et de matières s’échangent désormais entre une quinzaine d’entreprises et de services publics [7].

Ce système d’économie circulaire ou de symbiose industrielle permet des économies non négligeables.

On estime que 45.000 tonnes de pétrole, 15.000 tonnes de charbon et 3millions de m³ d’eau sont économisés chaque année. Auxquels s’ajoutent une réduction d’émission de gaz à effet de serre de 175.000 tonnes par an de CO2 et 10.200 tonnes de dioxyde de souffre. 130.000 tonnes de cendres par an sont valorisées, 4.500 tonnes de souffre et 600 tonnes de phosphore [8].

Ce système comporte plusieurs avantages. Le premier, facile à comprendre, pour l’environnement, en diminuant les rejets polluants et en évitant par la même occasion la production et l’importation d’énergie et de matières premières.

Le deuxième avantage est un gain pour les entreprises participantes. L’entreprise de panneaux de construction n’a par exemple plus besoin d’importer de gypse puisque la centrale lui en fournit à un prix inférieur. La centrale quant à elle gagne de l’argent à la vente du gypse alors qu’elle aurait dû trouver un moyen de se débarrasser de ces déchets avec un coût pour les traiter…

D’autres exemples de synergies entre plusieurs partenaires ont été mis en œuvre ailleurs dans le monde.

On pourra citer le cas de Kwinana [9] en Australie parmi les expériences les plus poussées. Les entreprises participantes appartenant à l’industrie lourde pour la plupart (minéralurgie, métallurgie, produits chimiques, hydrocarbures, gaz …). Le principe reste le même, il s’agit de s’échanger des sous-produits, de l’énergie et/ou de partager des infrastructures. Dans ce cas, l’usine chimique vend du gypse à la raffinerie d’aluminium, l’usine de pigments fournit de l’air comprimé à la centrale électrique, l’eau de la centrale d’épuration est acheminée vers l’usine d’aluminium, la cimenterie fournit de la chaux à l’usine de pigment, etc. 47 projets de synergie ont ainsi été mis en place dont 32 pour des sous-produits et 15 pour de l’énergie ou des infrastructures partagées [10].

Plus près de nous, on citera le cas du parc d’activités de Kaiserbaracke [11] dans la province de Liège en Belgique qui associe trois entreprises du secteur du bois et une centrale de cogénération de biomasse. Les trois entreprises revendent leurs déchets de bois non contaminés qui permettent d’alimenter la centrale en combustible et ainsi produire de la chaleur et de l’électricité qui serviront à ces trois mêmes entreprises, créant un avantage financier pour chacun des protagonistes et une baisse générale des consommations d’énergie.

A noter également, toujours en Belgique, un appel à projet éco-zoning [12] a eu lieu en 2010-11 afin de mettre en œuvre des projets d’écologie industrielle, dont 5 ont été retenus. Une plateforme pour l’écologie industrielle (Next) [13] a été mise en place en 2012, à l’initiative du ministre de l’économie Jean-Claude Marcourt. Plusieurs formations sont prévues en 2013 sur le sujet, avec le concours du RISE - réseau intersyndical de sensibilisation à l’environnement (FGTB-CSC) [14].

En Suisse, dans le canton de Genève, une loi incite à la « prise en compte des synergies entre activités économiques en vue de minimiser leur impact sur l’environnement ». Des études ont été lancées ces dernières années afin de déterminer les synergies possibles visant l’échange de flux de matières premières et d’énergie entre entreprises, et à créer des économies en rationalisant les coûts de transport ou en partageant des infrastructures. Cette démarche a permis d’identifier les matières (carton, eau déminéralisée, matériaux de construction, solvants…) les plus présentes dans l’économie du canton afin de mettre en lumière les synergies possibles [15]. Sur 19 entreprises ayant accepté de participer à l’étude, on a pu identifier 25 pistes de synergies. Mais les taux de réponses ont été faibles, du fait du scepticisme de certains entrepreneurs et de la crainte que des informations sensibles sur l’entreprise soient rendues publiques.

 Conditions de la mise en œuvre de l’écologie industrielle

Le principe de s’échanger des sous-produits n’est pas récent. L’éleveur qui fournit du fumier à l’agriculteur est un exemple d’échange d’un sous-produit.

Chertow (professeure à l’université de Yale aux États-Unis) propose dans son article de 2007 [16] une définition de la symbiose industrielle, la règle des « 3-2 », afin de faire la distinction avec d’autres types d’échanges industriels. Pour pouvoir parler de symbiose, au sens de Chertow, il faut au minimum 3 entreprises qui s’échangent au moins 2 produits ou matières.

L’article présente également une vue historique des motivations qui conduisent les entreprises à mettre en œuvre l’économie circulaire. Outre l’existence de sous-produits réutilisables et le partage d’infrastructures communes (électricité, transports…), plusieurs facteurs semblent jouer un rôle important au départ des symbioses.

La première observation que l’on peut faire est que le motif environnemental n’a pas toujours été le premier facteur qui a poussé les entreprises à s’associer dans de tels systèmes. Dans le cas de Kalundborg, le point de départ a été la rareté de l’eau. A Kwinana, les pressions croissantes des communautés locales concernant la qualité de l’air, la gestion de l’eau et la préservation de l’environnement marin ont été à l’origine de la réflexion sur la synergie. Mais ce sont souvent les motifs économiques (pouvoir revendre une partie de ses déchets, se procurer des matières premières moins chères) qui sont à la base de la mise en place de telles associations. En d’autres termes, si les entreprises n’y voient pas d’avantage économique à court ou moyen terme, le système ne sera vraisemblablement pas mis en œuvre, à moins de contraintes ou d’incitations réglementaires fortes.

Un autre facteur important est le besoin de communication entre les acteurs. La proximité des chefs d’entreprise à Kalundborg (il s’agit d’une ville de 20.000 habitants) et le fait qu’ils dialoguaient entre eux au sein d’une association regroupant les industriels de la ville ont constitué des facteurs clés dans le développement de la symbiose danoise. A Kwinana, les industriels sont également regroupés dans une association : le Kwinana Industrial Council.

La connaissance et la capacité à mesurer les quantités de matières et d’énergie qui circulent (entrée et sortie) est aussi une condition non négligeable. Ceci a pu se réaliser par la proximité relationnelle des entreprises à Kalundborg. L’initiative suisse de mesurer les flux de matières et d’énergie constitue aussi une étape importante. Dans le même esprit, une bourse Bourse Lieu institutionnel (originellement un café) où se réalisent des échanges de biens, de titres ou d’actifs standardisés. La Bourse de commerce traite les marchandises. La Bourse des valeurs s’occupe des titres d’entreprises (actions, obligations...).
(en anglais : Commodity Market pour la Bourse commerciale, Stock Exchange pour la Bourse des valeurs)
des résidus industriels a par exemple été mise en place au Québec [17].

Chertow dans son étude, passe en revue une vingtaine d’initiatives pouvant s’apparenter à l’écologie industrielle et fait le constat que les symbioses ont été soit planifiées, soit spontanées. La symbiose de Kalundborg a par exemple été initiée dans les années 60 par les entreprises locales mais n’a été « découverte » et étudiée que dans les années 80. Suite à cette « découverte », des dizaines d’expériences ont été tentées un peu partout dans le monde. Selon Chertow, les expériences spontanées, qui ne se définissaient pas forcément comme des symbioses ou comme une forme d’écologie industrielle à la base sont celles qui ont connu le plus de succès.

Aux États-Unis, plusieurs projets ont été impulsés par les pouvoirs publics mais n’ont pas abouti. Gibbs [18], cité par Chertow, a étudié 15 initiatives planifiées par les pouvoirs publics américains (agence pour l’environnement, conseil du développement durable) sous l’administration Clinton. Entre le début de l’étude en 1996 et 2006, aucun de ces 15 projets n’était devenu un parc-éco industriel comme prévu. 5 étaient ouverts (dont quatre sont entre-temps devenus des parcs industriels conventionnels et un avec un projet de « développement durable »), 3 avaient fermé et 7 étaient toujours à l’état de projet ou n’avaient pas connu de suite en 2006.

Si la planification Planification Politique économique suivie à travers la définition de plans réguliers, se succédant les uns aux autres. Elle peut être suivie par des firmes privées (comme de grandes multinationales) ou par les pouvoirs publics. Elle peut être centralisée ou décentralisée.
(en anglais : planning)
n’a pas réellement eu les effets escomptés dans le cas américain, les raisons de ces échecs peuvent être multiples. Certains des projets avaient probablement été mis en avant dans les médias afin d’attirer l’attention avant les élections de1996. D’autres avaient des objectifs différents à l’origine, allant de l’économie d’agglomération à la réhabilitation de quartiers défavorisés en passant par le développement rural. Il s’est avéré par la suite que l’écologie industrielle n’était pas toujours la priorité visée.

L’action publique a en revanche été déterminante pour la poursuite d’un certain nombre de projets (subventions, animation et organisation de tables- rondes et de groupes de travail…). Ceci amène Chertow à penser qu’il vaut mieux essayer de repérer les synergies déjà existantes, si petites soient –elles et ensuite les encourager, voire les étendre.

 Intérêts et limites

Certaines limites à l’écologie industrielle viennent d’être évoquées comme la difficulté d’organiser et de prévoir de telles réalisations sur le long terme avec l’implication de tous les acteurs (pouvoirs publics, entreprises, syndicats…). Les exemples américains ont été portés par les pouvoirs publics mais l’écologie industrielle n’était pas forcément le premier objectif. La concertation suisse pourrait cependant contrarier cette thèse de l’irréalisable planification. L’implication des syndicats et des salariés, relativement absents des études existantes, pourrait aussi contribuer à la réussite de tels projets dans leur conception, mais aussi dans la répartition des gains qui en résulteront. Les PME sont peu présentes dans les modèles existants, il serait cependant imaginable de les inclure.

L’échange de matières peut révéler des difficultés techniques (construction de pipelines, par ex.) et bien que les économies d’énergie et de matières soient encourageantes, toutes les émissions de gaz ou les rejets ne sont pas traités ni même traitables à l’heure actuelle.

D’autres éléments peuvent constituer un frein, comme le fait que les entreprises soient dépendantes les unes des autres dans un tel système : si une entreprise fait faillite, c’est toute la chaîne de l’économie circulaire qui en sera perturbée.

Enfin, et ceci constitue certainement l’obstacle le plus important, ce type de projet ne peut se réaliser que dans une vision à long terme, ce qui ne correspond pas nécessairement à l’attitude prédominante, privilégiant bien souvent la vision de court-terme. Le « court-termisme » est autant le fait des élus (qui ne voient pas toujours plus loin que la durée d’un mandat et n’ont pas d’intérêt direct à mettre en œuvre des actions dont les fruits seront récoltés par leurs successeurs) que des entrepreneurs (souvent plus intéressés par les résultats trimestriels et la rémunération des actionnaires).

Cette approche ne semble donc pour le moment que difficilement généralisable, mais plusieurs aspects sont tout à fait encourageants, à commencer par les économies d’énergies et de matières réalisables.

Les avantages pour les entreprises se situent dans les économies potentiellement réalisables (rationalisation de la consommation d’énergie, approvisionnement local, revente possible de déchets) et sur le gain en termes d’image que de telles initiatives peuvent apporter. Il faudra également être attentif à ce que ces projets de synergies ne soient pas instrumentalisés par des entreprises afin de vanter leur intérêt pour l’environnement tout en continuant leurs activités polluantes sur le reste de leurs sites.

Le passage d’une comptabilité exclusivement financière (le PIB PIB Produit intérieur brut : richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
mesuré en valeur monétaire) à une comptabilité également physique (mesure de la consommation d’eau, de gaz, voire d’azote ou de phosphore…) semble être un progrès important. Cela rejoint les débats sur les indicateurs économiques alternatifs. Connaître de manière précise les consommations et les rejets directs et indirects des acteurs est le premier pas pour réfléchir à une politique différente. On pourrait imaginer dans l’avenir des politiques basées à la fois sur des objectifs économiques, mais aussi sur des objectifs énergétiques (stabiliser la consommation d’eau, d’électricité) permettant un « découplage » entre consommation d’énergie et production de richesses.

Erkman évoque [19] la potentialité en termes d’emploi de ce nouveau pan de l’économie – des comptables « matières », des gestionnaires territoriaux s’occupant de l’aspect technique et de l’aspect relationnel ou la création de nouvelles filières de recyclage et de valorisation. L’écologie industrielle tend vers une relocalisation en consommant de préférence des matières et des produits locaux. De plus, le passage d’une économie où les activités d’extraction (à forte intensité capitalistique) prédominent à une économie où les activités de maintenance, d’entretien ou de réparation à forte intensité de travail sont privilégiées serait aussi susceptible de créer des emplois peu délocalisables.

Une telle approche réduira par ailleurs les tensions sur les matières premières puisqu’on en aurait besoin en moins grande quantité. Une autre idée est de passer d’une relation de concurrence entre les acteurs à une relation plus « coopérative ».

L’écologie industrielle ne constitue donc évidemment pas la solution à toutes les nuisances environnementales induites par l’activité économique (surconsommation des matières premières, rejets polluants…) ni aux questions concernant l’accès aux matières premières et leur raréfaction. Cependant, cette approche constitue un progrès dans la manière de concevoir des processus de production plus respectueux de l’environnement et des entreprises plus durables car rendues responsables de leurs déchets et consciencieuses de leurs consommations.

Notes

[1Voir R. Savage et M. Husson, Salaire et compétitivité. Pour un vrai débat. Couleur livres 2013. http://www.gresea.be/spip.php?article1125

[2- Erkman Suren, « L’écologie industrielle, une stratégie de développement », Le Débat, 2001/1 n° 113, pp. 106-121. DOI : 10.3917/deba.113.0106 http://bit.ly/1WdtQv9 - Stahel, Walter et Reday, Geneviève (1976/1981) Jobs for Tomorrow, the potential for substituting manpower for energy ; rapport de la Commission des communautés européennes, Bruxelles / Éd. Vantage, N.Y.

[325% des déchets ménagers sont recyclés – l’objectif est de 50% en 2020 - et 15% compostés en Europe (http://bit.ly/1i8PMdp). Une partie des déchets des entreprises est également recyclée ou réutilisée mais il est difficile d’obtenir des données précises à ce sujet.

[4Robert A. Frosch et Nicholas E. Gallopoulos, « Strategies for Manufacturing », Scientific American, vol. 261, n° 3, septembre 1989, pp. 94-102 (numéro spécial : « Managing Planet Earth »). http://bit.ly/1RwNLE2

[5Citation tirée d’Erkman(2001), op.cit.

[6Il s’agit d’une centrale à charbon ! Le gypse synthétique est obtenu par traitement des fumées chargées en souffre de la centrale. Différents procédés (humide, sec) permettent d’obtenir un gypse synthétique à partir des fumées sulfurées.

[7Voir Christensen, International Conference on Industrial Ecology. Lausanne, 30 November 2006. http://bit.ly/206XXcl

[8Erkman (2001) op.cit.

[9Voir sur cet exemple : Van Beers, D., G. Corder, A. Bossilkov, and R. van Berkel. “Industrial symbiosis in the Australian minerals industry : The cases of Kwinana and Gladstone”. Journal of Industrial Ecology 11(1) : 55–72. 2007. http://bit.ly/1jKL2N0

[10Van Beers, Bossiklov, Van Berkel, “Capturing regional synergies in the Kwinana Industrial Area”.
August 2005. Center for sustainable resource processing. http://bit.ly/1GCLw1r

[11Voir Bory, A., F. Brévers, et al. (2010). Annexe 2 : Eco-zoning - Note de synthèse du benchmarking "eco-zoning". Région Wallonne, Conférence Permanente du Développement Territorial, Université de Liège, p.46. http://bit.ly/206XY0b

[15Voir par exemple le rapport public de 2006 : « Recherche de synergies éco-industrielles sur le territoire du canton de Genève » Systèmes durables.
http://bit.ly/1MeBAaH

[16Chertow M., ""uncovering" industrial symbiosis", Journal of Industrial Ecology, 11(1), 11-30. 2007
http://cie.research.yale.edu/sites/default/files/uncovering%20IE.pdf

[18Gibbs, D. C. 2003. Trust and networking in interfirm relations : The case of eco-industrial development. Local Economy 18(3) : 222–236.