La pandémie de covid-19 et le confinement laisseront des traces dans les esprits de nombre d’entre nous. Cette analyse revient sur les origines environnementales de la crise, au miroir des engagements environnementaux pris ces dernières années. Il s’agit de tirer quelques enseignements de la séquence particulière que nous avons vécue lors de ce premier semestre 2020 et, à partir de là, apporter quelques réflexions sur le tant attendu « monde d’après ».

La séquence qui se déroule depuis la fin de l’année 2019 avec la pandémie de covid-19, prolongée par une période de confinement, a laissé de nombreuses questions en suspens, notamment sur les origines et les conséquences environnementales de la crise. Ces questions doivent être analysées au regard des engagements climatiques pris ces dernières années afin de saisir l’ampleur des efforts à réaliser pour remettre nos économies sur une trajectoire écologiquement et socialement soutenable. Cet exercice sera l’occasion de discuter de l’épisode de décroissance (subie) que nous venons de vivre, pour esquisser quelques pistes concernant le futur.

 L’extractivisme à l’origine de la pandémie ?

Les virus, dont la plupart ne sont pas pathogènes [1], sont omniprésents dans notre environnement. En revanche, le déclenchement d’épidémies, voire de pandémies, au rythme de ces dernières décennies est révélateur des excès de l’extractivisme – l’exploitation industrielle des ressources naturelles énergétiques, minières, végétales, animales, etc.

Parmi les maladies infectieuses émergentes observées [2] entre 1940 et 2004, 60,3% sont des zoonoses, c’est-à-dire qu’elles se transmettent de l’animal à l’humain. 71,8% proviennent d’animaux sauvages. Parmi ces zoonoses, on retrouve les tristement célèbres Ebola, maladie de Lyme, grippe aviaire, MERS ou les coronavirus à syndrome respiratoire (SARS-CoV et plus récemment SARS-CoV-2). L’émergence de ces nouvelles maladies augmente de façon significative au cours du temps (voir Figure 1). Les zoonoses ne sont pas un phénomène nouveau. Dès le néolithique, avec les destructions d’habitats naturels pour pratiquer l’agriculture et les premières domestications de bêtes de somme, les animaux nous ont transmis des maladies comme la rougeole et la tuberculose (par les vaches), la coqueluche (par les cochons) ou la grippe (transmise par les canards) [3]. La question qui se pose dès lors est la suivante : pourquoi les maladies transmises par des animaux se multiplient-elles depuis plusieurs décennies ?

Bien que les mécanismes de transmission et de coévolution de ces infections avec d’autres espèces ne soient pas complètement compris [4], nous pouvons tout de même avancer quelques pistes d’explication. Le premier élément est à rechercher dans la crise de la biodiversité. L’extractivisme conduit à réduire les habitats de nombreuses espèces sauvages. Chaque mine, chaque champ pétrolier participe de ce phénomène. Chaque abatage d’arbre pour y implanter des monocultures ou l’élevage intensif d’espèces appauvries génétiquement et entassées dans des espaces restreints y contribue également. Il a par exemple été montré que les résurgences d’Ebola, localisées chez plusieurs espèces de chauves-souris, ont été plus fréquentes en Afrique centrale et en Afrique de l’ouest dans des zones récemment en proie à la déforestation. Même constat pour les maladies transmises par les moustiques [5]. En parallèle, l’urbanisation et l’artificialisation croissantes des milieux naturels concourent aussi à réduire les habitats sauvages.

Les espèces animales occupant ces milieux, si elles ne disparaissent pas purement et simplement, doivent migrer pour leur survie et se rapprocher des espaces occupés par les humains. La conséquence est simple : les espèces sauvages, domestiquées et humaines sont amenées à avoir plus de contacts entre elles, et les risques de transmission d’infections ou d’éléments pathogènes qui pourraient s’adapter d’une espèce à l’autre augmentent.

Ajoutons à cela une croissance Croissance Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
démographique importante, et des sociétés hyperconnectées avec des avions qui décollent toutes les secondes pour relier les quatre coins du monde, et nous disposons de tous les éléments pour la diffusion plus fréquente et plus rapide d’épidémies.

Figure 1. Nombre de maladies infectieuses émergentes par décennie et par type de transmission.

Source : Jones, K., Patel, N., Levy, M. et al. Global trends in emerging infectious diseases. Nature 451, 990–993 (2008)

 Effets bénéfiques sur l’environnement

Le confinement, s’il a pu avoir des effets délétères pour certaines tranches de la population (perte de revenu, chômage imposé, mal-logement encore plus difficile à vivre, santé mentale…) a aussi permis une réduction temporaire de certaines pollutions. En Belgique, la réduction du trafic routier a induit une nette amélioration de la qualité de l’air pendant le confinement. Du fait de la baisse du trafic automobile et, dans une moindre mesure, de la baisse des activités industrielles, les quantités de dioxyde d’azote (NO2) dans l’air observées en semaine ont été proches des valeurs généralement mesurées les week-ends [6]. Pour la Région bruxelloise [7], on a pu observer une baisse de 75% des concentrations de monoxyde d’azote (NO) dans des zones à fort trafic automobile et de 50% pour le NO2. Ces baisses sont moins spectaculaires pour les zones moins exposées au trafic routier, de l’ordre de 30 à 40% pour le NO et le NO2. Bruxelles Environnement précise également que la pollution de l’air importée de l’extérieur a fortement diminué pendant le confinement. Les mêmes constats sont valables pour le black carbon [8], aussi lié au trafic routier.

Au niveau européen, la production électrique à base de charbon a diminué de 40% et la consommation de pétrole de plus d’un tiers lors du premier mois de confinement (mi-mars à mi-avril 2020). Les concentrations de NO2 ont ainsi chuté de 37% et celles des particules fines PM2.5 de 10%, selon le Centre de recherche sur l’énergie et l’air (CREA) [9]. La même source indique que la meilleure qualité de l’air pendant la période a permis d’éviter 11.000 morts au sein de l’UE UE Ou Union Européenne : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
.

À l’échelle mondiale, la réduction de l’activité imposée par le confinement a engendré une réduction drastique de la demande d’énergie pour les transports, les industries, les administrations et le commerce. Selon une étude publiée dans Nature [10], la baisse des émissions de CO2 est estimée à 17% début avril, proche des niveaux observés en 2006. Cette baisse a pu osciller selon les pays. Au plus bas de l’activité, les émissions belges auraient ainsi chuté de plus de 27,7% [11]. Des observations similaires ont pu être réalisées en Chine [12] (chute de 25% des émissions de CO2), en Inde, aux États-Unis et dans de nombreuses régions confinées.

Pourtant, tous les indicateurs n’ont pas suivi la même évolution. À la mi-avril par exemple, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique à Hawaï a observé un pic de CO2 historique à 416 ppm [13] (parties par millions), la mesure la plus élevée constatée depuis 1958. En effet, malgré la réduction de l’activité économique, la quantité de gaz carbonique présente dans l’atmosphère ne diminue pas – confinement ou pas. Le CO2 demeure au moins un siècle dans l’atmosphère et les océans. Les quantités émises, même moindres, s’accumulent au stock Stock Sous sa forme économique, c’est l’ensemble des avoirs (moins les dettes) d’un acteur économique à un moment donné (par exemple, le 31 décembre 2007). Ce qui sort ou qui entre durant deux dates est un flux. Le stock dans son sens économique s’oppose donc au flux. Sous son interprétation comptable, le stock est l’ensemble des marchandises achetées qui n’ont pas encore été produites ou dont la fabrication n’a pas été achevée lors de la clôture du bilan ou encore qui ont été réalisées mais pas encore vendues.
(en anglais : stock ou inventory pour la notion comptable).
existant dans l’atmosphère.

Notons aussi que toutes les pollutions n’ont pas diminué durant le confinement, certaines activités n’ayant pas observé de pauses comme la grande distribution, l’agriculture ou des installations de production d’énergie. Le centre flamand de la circulation a enregistré à peu près le même nombre de camions sur les routes [14] au cours du confinement, notamment pour approvisionner les grandes surfaces fonctionnant à plein régime.

Ceci se reflète dans les concentrations de particules fines. Bruxelles Environnement précise qu’ « au cours de la période de confinement du 19 mars au 19 avril 2020, les niveaux de PM10 et de PM2.5 étaient légèrement plus élevés que la valeur normale pour un mois de mars ou avril. Ceci s’explique par la multiplicité des sources qui contribuent à la présence des particules fines dans l’air ambiant ». Dans le nord de la France, des pics de pollution ont été observés à la fin mars, du fait des épandages agricoles à l’origine d’émissions d’ammoniac, des conditions météorologiques défavorables (soleil, peu de vent), mais également du chauffage domestique (au bois) au cours d’une période où de nombreuses personnes ont télétravaillé ou étaient en chômage temporaire. Une autre explication voudrait qu’une partie des pollutions aient été importées [15] (des centrales à charbon polonaises, et/ou avec des nuages de sables du Sahara).

Figure 2. : Observations par satellite de NO2 pour 2019 (à gauche) et 2020 (à droite). Les données sont moyennées sur toute la durée du confinement en Belgique, du 18 mars au 4 mai 2020.

Source : https://www.aeronomie.be

 Les accords de Paris atteints en 2020 ?

En 2016, 196 États, dont la Belgique, ont signé l’accord de Paris, qui prévoit de contenir d’ici 2100 le réchauffement climatique à un niveau nettement inférieur à 2°C par rapport à la période préindustrielle, en poursuivant les efforts pour le limiter à 1,5°C. Les États signataires ont dévoilé les mesures prévues pour atteindre cet objectif [16]. Comme demandé par l’Union européenne Union Européenne Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
, la Belgique a aussi publié un Plan national énergie-climat (PNEC) [17], dans lequel elle s’engage à réduire de 35% ses émissions de gaz à effets de serre (GES) en 2030 par rapport à 2005. D’ici 2050, les émissions de GES de pays de l’UE devront avoir chuté de 80%.

Pour l’heure, les engagements ne sont pas tenus. Selon les années, la Belgique a même vu ses émissions croitre ou stagner depuis 2015. Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) l’écrivait dans son Emissions Gap Report 2019 [18] : « Les conclusions du rapport sont consternantes ; puisque les gouvernements n’ont pas réussi à freiner l’augmentation des émissions mondiales de gaz à effet de serre, il convient aujourd’hui d’intensifier et d’accélérer ces réductions », ajoutant que lors de la dernière décennie, les émissions de GES avaient augmenté de 1,5% par an avec une stagnation entre 2014 et 2016. Le PNUE précise que la réduction des émissions annuelles mondiales doit être de 3% par an pour rester sous les 2°C, et de 7% pour rester sous les 1,5°C.

L’épisode du confinement et de la baisse temporaire des émissions permettra-t-il d’atteindre les objectifs pour l’ensemble de l’année 2020 ? Les quantités totales de GES émises ne seront connues au mieux qu’en 2021. Il est toutefois possible d’estimer les résultats, qui dépendront de la durée et de l’étendue du confinement dans les différents pays qui l’ont pratiqué.

Une première estimation provient de l’Agence internationale de l’énergie [19] : au vu de la situation fin avril, la réduction dans la consommation totale d’énergie pourrait atteindre les 6% en 2020, c’est-à-dire que l’impact de la pandémie de covid-19 sur la demande d’énergie pourrait être 7 fois supérieur à celui de la crise de 2008. Les émissions totales de CO2 pourraient ainsi décroitre de 8%, pour revenir aux niveaux d’il y a 10 ans.

Pour les auteurs de l’étude parue dans Nature [20], évoquée plus haut, les émissions de CO2 pourraient chuter de 7,5% pour l’ensemble de l’année 2020. Pour le site britannique Carbon Brief, qui avait réalisé son étude un peu plus tôt au mois d’avril, la chute des émissions pourrait atteindre 5,5% en 2020.
Ces études ont toutes été réalisées avant juin 2020 et prenaient en compte différentes hypothèses sur les dates de sortie du confinement, mais aussi sur l’ampleur de la reprise économique. Une prolongation de la crise aux États-Unis ou le reconfinement de zones en Chine ou en Europe avant la fin 2020 modifieraient évidemment ces données, de même qu’une reprise de l’activité plus forte qu’escomptée.

Au regard des ordres de grandeur en présence, la baisse des émissions sera – mise en pause de l’économie et confinement inclus – dans le meilleur des cas à peine suffisante pour atteindre l’objectif 2020. Rappelons que la baisse de 7% des émissions annuelles mondiales doit se reproduire chaque année, de manière cumulative jusque 2050, pour espérer rester sous le seuil de 1,5°C à l’horizon 2100. En 2021, les émissions devront donc être 7% inférieures à celles de 2020, et celles de 2022, 7% inférieures aux émissions de 2021, et ainsi de suite. D’une manière ou d’une autre, notre empreinte environnementale devra se réduire, décroitre. Reste à savoir de quelle décroissance nous parlons.

 La décroissance subie n’est pas la solution

Au vu des éléments exposés précédemment, les efforts pour replacer nos économies dans une trajectoire respectueuse des engagements pris lors de la COP21 peuvent paraître inatteignables. En parallèle, la situation économique risque de se dégrader dans les prochains mois avec des faillites et une consommation en berne. En Europe, les entreprises ont déjà annoncé des dizaines de milliers de licenciements dans les secteurs [21] aéronautiques (à l’image d’Airbus et de nombreuses compagnies aériennes), automobiles (Renault, Aston Martin, mais aussi des fabricants de pièces détachées comme LKQ), des raffineurs, de l’Horeca, du tourisme…

En Belgique, le nombre de faillites introduites par les gérants de sociétés s’élève à plus de 2.000 entre mars et juin 2020, alors même qu’un moratoire avait gelé les dossiers pendant le confinement. Les recettes publiques ont également chuté tandis que les dépenses explosaient du côté de l’assurance chômage, laissant craindre une nouvelle cure d’austérité Austérité Période de vaches maigres. On appelle politique d’austérité un ensemble de mesures qui visent à réduire le pouvoir d’achat de la population.
(en anglais : austerity)
dans les mois et années à venir.

Au cours du premier semestre 2020, l’économie s’est contractée. Les quantités d’énergies utilisées, tout comme leur corolaire le PIB PIB Produit intérieur brut : richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
ont diminué, ou pour le dire autrement ont connu une décroissance. Mais cette décroissance subie – les économistes parlent poliment de récession Récession Crise économique, c’est-à-dire baisse du produit intérieur brut durant plusieurs mois au moins.
(en anglais : recession ou crisis)
– n’a rien à voir avec celle appelée de nos vœux.

Pour être soutenables écologiquement et socialement, nos économies devront à la fois réduire les productions impactant l’environnement (énergies fossiles, activités nécessitant d’importantes quantités de matières premières, artificialisation des terres, agriculture intensive…), mais également s’attaquer aux inégalités par une meilleure répartition des richesses au niveau national (au travers de mécanismes qui devront être déterminés collectivement : gratuité des biens et services de base, renforcement des services publics, revenu maximal, salaire à vie ou dotation inconditionnelle d’économie par ex.) et international (relocalisation d’un maximum de productions, ralentissement du libre-échange tous azimuts pour permettre une autonomie de développement à de nombreux pays …).

Évidemment, la décroissance dont nous parlons ne consiste pas à réduire quantitativement tous les pans de nos sociétés. Les liens sociaux, la solidarité, la culture, l’art, la qualité de l’air ou de l’eau et de nombreux services non marchands devront croitre. La décroissance est tout le contraire de la récession et de l’austérité. La mise à l’arrêt partiel de l’économie dans l’urgence de la pandémie, en laissant de côté les engagements environnementaux, n’est pas de nature à solutionner la crise écologique pointée depuis plusieurs décennies.

De notre point de vue, c’est bien parce que la décroissance a été subie, non planifiée, et ne contenait aucune volonté de s’attaquer aux inégalités ni aux problèmes écologiques qu’elle n’a pas produit d’effets suffisants pour nous rapprocher d’une trajectoire climatique et environnementale soutenable. La décroissance dans une société de croissance ne cause que des désastres économiques, sociaux et démocratiques et ne répond en rien à l’urgence environnementale.

 La décroissance vue par les tenants du business as usual

Les partisans du business as usual n’auront pas manqué de rappeler à quel point la « décroissance » est néfaste pour l’économie. Pour Georges-Louis Bouchez, président du MR, « la décroissance qu’on nous vend à gauche, c’est ce que nous vivons aujourd’hui. Le résultat, c’est la récession, la perte de richesse Richesse Mot confus qui peut désigner aussi bien le patrimoine (stock) que le Produit intérieur brut (PIB), la valeur ajoutée ou l’accumulation de marchandises produites (flux).
(en anglais : wealth)
 ». Même son de cloche chez Jacques Attali, ancien conseiller de François Mitterrand, puis soutien de Sarkozy, Hollande et Macron : « Si on croyait que la décroissance était une solution au problème du climat, on vient d’avoir la preuve que ce n’est pas possible puisque la décroissance que nous connaissons aujourd’hui (...) n’amène pas, sauf à la maintenir au même taux pendant dix ans, à régler le problème du climat ». Problème, ni l’un ni l’autre ne semble savoir de quoi il parle, entretenant la confusion entre décroissance et récession ; ou entre une décroissance voulue, délibérée collectivement et la décroissance subie à laquelle nous sommes contraints actuellement.

 Quelques pistes pour le « monde d’après »

Plusieurs constats issus de cette crise nous donnent des pistes pour délimiter les contours d’un « monde d’après » [22], dont le but ne serait pas la recherche obsessionnelle de la croissance, mais plutôt le bien-être et la dignité pour le plus grand nombre.

Le premier de ces constats a trait à la nécessité de disposer de services publics, notamment dans le domaine de la santé, accessibles à tout un chacun. Ces services doivent être dotés de moyens suffisants pour fonctionner, à plus forte raison en période de crise sanitaire, et nécessitent donc qu’une partie suffisante de la richesse produite leur soit consacrée. L’obsession idéologique de réduire les cotisations sociales depuis plus de 30 ans a eu pour conséquence de diminuer les ressources de nos systèmes de santé. Avec le tax shift, la coalition suédoise (N-VA / MR / CD&V / Open VLD) au pouvoir de 2014 à 2018 a intensifié cette déconstruction du système de protection sociale. Le confinement s’est essentiellement justifié par la nécessité de disposer de suffisamment de lits d’hôpitaux pour accueillir les personnes touchées par le SARS-CoV-2. Un retour sur les réformes du financement de la protection sociale et de l’organisation hospitalière [23] engagées par la ministre De Block serait plus qu’opportun pour comprendre la situation des hôpitaux lors la pandémie de covid-19.

Se pose ainsi la question de la capacité de nos services publics à faire face à des situations sanitaires, voire environnementales, exceptionnelles. À la mi-mars, en quelques jours, les autorités ont dressé une liste des « commerces, entreprises et services privés et publics qui sont nécessaires à la protection des besoins vitaux de la Nation et des besoins de la population », selon les termes de l’arrêté ministériel. Celles-ci ont inclus les services de sécurité, santé, justice, eau, énergie, ports, médias, commerces alimentaires et quelques autres activités liées [24]. Les services publics avaient la part belle dans cette liste, confirmant le caractère indispensable de ces derniers.

Mais certaines de ces activités « indispensables » ont contribué à maintenir des niveaux de pollution trop élevés au regard des engagements climatiques pris et mériteraient donc d’être repensées dans leur fonctionnement. Parmi les secteurs essentiels, on a évidemment retrouvé les activités agricoles, agroalimentaires et la grande distribution. Comme évoqué précédemment, une partie des pollutions (émissions de GES, particules fines, ammoniac…) observées pendant le confinement est liée à ces activités. La promotion de modèles d’agriculture moins dépendants des intrants et moins polluants s’avère indispensable. De même, une agriculture plus locale, paysanne et en circuit court permettrait de réduire la distance parcourue par les aliments jusqu’au consommateur. Le rôle des pouvoirs publics pour créer un cadre réglementaire strict à ces productions est primordial. Une autre source de pollution est à rechercher dans la production d’énergie (toujours fossile pour les trois quarts) et l’habitat. Un grand plan d’isolation des logements et de remplacement des systèmes de chauffage les plus polluants devra impérativement être engagé dans les prochaines années, avec, là encore, le soutien des pouvoirs publics.

La crise de la covid-19 aura aussi mis en lumière la nécessité de relocaliser un certain nombre de productions, comme celles liées au matériel médical et de protection. Plus largement, la relocalisation d’activités industrielles, agricoles, de services – au niveau belge ou au moins européen – serait aussi une occasion de réduire la pression sur les écosystèmes de pays dans lesquels nous avons délocalisé de nombreuses activités depuis plusieurs décennies, notamment en Asie, d’où est partie la pandémie. Outre le potentiel de création d’emplois des relocalisations, une réduction de notre empreinte écologique importée, accompagnée d’une politique volontariste pour protéger les habitats naturels et réduire les contacts entre espèces sauvages, domestiques et humaines ne serait que bénéfique pour ralentir l’apparition de maladies émergentes. Une telle relocalisation nécessitera forcément de revoir les règles commerciales afin de sortir d’une concurrence qui ne favorise que le moins-disant social et environnemental.

La crise sanitaire devrait aussi nous conduire à réfléchir au contenu des activités essentielles, et à celui d’autres, beaucoup plus dispensables. La réduction des voyages en avion fait partie des éléments évoqués pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Le secteur aérien a été durement touché par les conséquences du confinement et les licenciements se comptent d’ores et déjà en dizaines de milliers. Il semble cohérent de penser que cette activité ne devrait pas être relancée sur les mêmes bases qu’avant la pandémie. Les aides publiques prévues pour ce secteur devraient d’abord servir à réorienter les effectifs dans des activités respectueuses de l’environnement. L’intervention de l’État belge pour le sauvetage de Brussels Airlines ne contient malheureusement aucune mesure environnementale. Plus généralement, une manière de résoudre le problème de l’emploi pourrait résider dans la réduction collective et le partage du temps du temps de travail. La même réflexion sur le contenu et les finalités de nos productions pourrait concerner l’ensemble de nos économies.

De la même manière, les fonds Fonds (de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
injectés dans les plans de relance devront d’abord servir les activités environnementalement et socialement soutenables, plutôt qu’à résorber les trous de trésorerie Trésorerie Ce qu’un acteur économique, souvent une entreprise, dispose comme actifs directement disponibles, c’est-à-dire dans ses caisses ou sous forme de comptes bancaires utilisables.
(en anglais : cash)
de sociétés multinationales
. Il a été dit dans plusieurs pays européens, notamment en Belgique [25], que les pouvoirs publics ne permettraient pas que des entreprises basées dans des paradis fiscaux perçoivent des aides publiques. Problème : l’UE [26] et la Belgique [27] (qui utilise la liste de l’OCDE OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économiques : Association créée en 1960 pour continuer l’œuvre de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) chargée de suivre l’évolution du plan Marshall à partir de 1948, en élargissant le nombre de ses membres. A l’origine, l’OECE comprenait les pays européens de l’Ouest, les États-Unis et le Canada. On a voulu étendre ce groupe au Japon, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’OCDE compte 34 membres, considérés comme les pays les plus riches de la planète. Elle fonctionne comme un think tank d’obédience libérale, réalisant des études et analyses bien documentées en vue de promouvoir les idées du libre marché et de la libre concurrence.
(En anglais : Organisation for Economic Co-operation and Development, OECD)
) ont des définitions très lâches des paradis fiscaux, qui n’incluent aucun État membre de l‘UE, pas même les paradis fiscaux notoires. Ces restrictions ne poseront donc aucun problème à de grandes sociétés pratiquant l’optimisation fiscale agressive.
Il avait aussi été question d’exclure de ces mêmes aides les entreprises distribuant des dividendes. Aucune action Action Part de capital d’une entreprise. Le revenu en est le dividende. Pour les sociétés cotées en Bourse, l’action a également un cours qui dépend de l’offre et de la demande de cette action à ce moment-là et qui peut être différent de la valeur nominale au moment où l’action a été émise.
(en anglais : share ou equity)
contraignante n’a été décidée en ce sens. Cela n’aurait de toute façon pas empêché les sociétés en question de reporter la distribution des dividendes à l’année suivante. Il n’a par contre jamais été question de faire contribuer les entreprises à l’effort fiscal lors de la pandémie [28], ni celles qui ont bénéficié des rachats de dette de la BCE ces dernières années, de subsides publics et encore moins celles qui ont réalisé des surprofits lors de la pandémie (grandes surfaces [29], commerce en ligne par ex.).

 Urgence démocratique

La plupart des idées rapidement esquissées précédemment ne sont pas neuves. Mais leur mise en œuvre ne parvient pas à se concrétiser par des lois ou des règlements contraignants. Les études faisant état d’une influence des pouvoirs économiques sur les décisions publiques sont légion. Elles mettent en doute la capacité de certains de nos dirigeants à garantir l’intérêt général face aux intérêts Intérêts Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
privés. La question s’est récemment posée lorsque le ministre De Backer, responsable de la task force en charge de la recherche des matériaux indispensables à la lutte contre le coronavirus a préféré recourir aux services des industriels plutôt qu’à ceux des laboratoires cliniques agréés [30]. En France, un récent rapport [31] épinglait le rôle de lobbies pendant la crise du coronavirus, pour obtenir des aides publiques ou revoir à la baisse les régulations sociales et environnementales, tant aux niveaux nationaux qu’européens.

Le passage à un « monde d’après » désirable ne fera pas non plus l’économie d’une refonte de nos démocraties et d’une participation plus importante des citoyens aux prises de décisions. L’exemple français de la Convention citoyenne pour le climat est intéressant à ce titre. La Convention citoyenne est née de la pression populaire portée par le mouvement des gilets jaunes dont une partie des revendications tournait autour de la démocratie participative, notamment au travers du RIC (référendum d’initiative citoyenne). En avril 2019, le président Macron, de plus en plus acculé par un mouvement recueillant la sympathie d’une large part de la population, est contraint d’accepter le principe d’une assemblée de citoyens tirés au sort, pour réfléchir à une série de mesures pour lutter contre le réchauffement climatique. Après une année de débats, d’auditions d’experts et de réflexions de l’assemblée, une série de 150 propositions est présentée [32]. Parmi ces propositions : réduire la TVA sur le train, interdire la commercialisation de véhicules neufs très polluants et la publicité des produits les plus émetteurs, instaurer la consigne du verre, contraindre les bailleurs à rénover les logements en location, interdire l’artificialisation des terres tant que des réhabilitations de friches et sites industriels sont possibles, faire respecter la loi sur l’obsolescence programmée, ou encore renégocier le CETA pour y inclure les objectifs climatiques de l‘accord de Paris… La balle est désormais dans le camp de l’exécutif qui a déjà annoncé qu’il se refuserait d’appliquer certaines mesures [33].

Si l’ensemble des propositions n’est pas révolutionnaire, et que celles-ci demeurent souvent plus contraignantes pour les citoyens que pour les pouvoirs publics, nous ne pouvons que nous réjouir d’y voir apparaitre de nombreuses mesures de bon sens. Et ceci est probablement l’une des leçons à retenir de cet exercice. 150 personnes tirées au sort, sans compétences particulières sur la matière débattue, sont parvenues en moins d’un an à des propositions solides, que les représentants élus avaient été incapables de proposer ces dernières décennies. De quoi faire sérieusement réfléchir sur le fonctionnement de nos institutions, mais aussi rappeler la nécessité de mouvements sociaux forts et capables d’endosser un rôle de contre-pouvoir et de proposition, indispensable à la bonne santé de nos démocraties.


Article paru dans le Gresea Échos 103 "La démocratie sous le masque : chroniques d’un confinement", septembre 2020.


Pour citer cet article : Romain Gelin, "Crise sanitaire : quels enseignements environnementaux ?", Gresea, mai 2022.


Notes

[1. « Les virus sont une des forces majeures qui façonnent la biosphère », CNRS Le journal, [En ligne], 13 mai 2020, Interview de Franck Courchant, directeur de recherche au CNRS. Propos recueillis par Philippe Testard-Vaillant.

[2. Jones, K., Patel, N., Levy, M. et al. « Global trends in emerging infectious diseases », Nature 451, 990–993 (2008).

[3. Shah, S., Contre les pandémies, l’écologie, Le Monde diplomatique, mars 2020.

[4. Dobigny, G., « Maladies émergentes d’origine animale : d’où viendra la prochaine menace ? », The conversation, [En ligne], 14 mai 2020.

[5. Shah, S., 2020, op.cit.

[6. Notons que les conditions météorologiques ont aussi une influence sur les concentrations d’oxyde d’azote dans l’air. En février 2020, donc avant le confinement, les conditions météorologiques particulièrement propices (forte dispersion et précipitations importantes) avaient permis d’observer une réduction de 60% des concentrations de NO2, encore plus importante que celle observée pendant le confinement. Cellule Interrégionale de l’Environnement, Impact du confinement sur la qualité de l’air, irceline.be

[7. Bruxelles Environnement, « Evaluation de l’impact des mesures prises dans le cadre de la pandémie de Covid-19 sur la qualité de l’air en Région de Bruxelles-Capitale », Rapport intermédiaire du 6 mai 2020.

[8. Le black carbon est un composé particulaire dont la taille est inférieure à 0,5 µm (compris dans la fraction des particules fines PM10 et PM2.5), principalement émis par les processus de combustion, soit principalement le trafic routier (en particulier les moteurs diesel) et dans une moindre mesure, le chauffage des bâtiments.

[94. Myllyvirta, L., 11,000 air pollution-related deaths avoided in Europe as coal, oil consumption plummet, Centre for Research on Energy and Clean Air, April 30, 2020.

[10. Le Quéré, C., Jackson, R.B., Jones, M.W. et al. « Temporary reduction in daily global CO2 emissions during the COVID-19 forced confinement ». Nat. Clim. Chang. 10, 647–653 (2020).

[11. « Le confinement a fait baisser les émissions de CO2 belges de 28% », L’Echo, [En ligne], 19 mai 2020.

[12. Myllyvirta, L., « Coronavirus temporarily reduced China’s CO2 emissions by a quarter », Carbon brief, [En ligne], February 19, 2020, Updated March 30, 2020,

[13. Depuis 800.000 ans, la concentration de CO2 a toujours oscillé entre 185 et 278 ppm environ. « Nouveau record dans la concentration atmosphérique de CO2 malgré la crise du coronavirus », 14 mai 2020, climat.be

[14. « Files in coronacrisis ? 48,5 procent minder auto’s op de weg maar hamsteren veroorzaakt wel méér vrachtverkeer », VRT, [En ligne], 27 mars 2020.

[15. Mayer, N., « Pourquoi la pollution de l’air a augmenté ce week-end malgré le confinement ? », Futura Sciences, [En ligne], 30 mars 2020.

[18. « Emissions Gap Report 2019 », UN Environment Programme, [En ligne], november 2019.

[19. « The impacts of the Covid 19 crisis on global energy demand and CO2 emissions », IEA, Global Energy Review 2020.

[20. Le Quéré & alii, 2020, op.cit.

[21. Le Gresea Échos N°106 (décembre 2020) traitera des conséquences de la pandémie sur les différents secteurs économiques.

[22. Les éléments repris dans cette partie ne sont pas exhaustifs. D’autres propositions ont été faites comme celles d’un collectif d’association français dont Attac (https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/plus-jamais-ca-34-mesures-pour-un-plan-de-sortie-de-crise), ou celui de la FGTB (http://www.fgtb-wallonne.be/outils/publications/solutions-post-corona)

[23. Voir par exemple le numéro spécial : « Les hôpitaux sous tension » Contrastes N°194, Septembre-Octobre 2019 ou Teret, C., « Hôpitaux : nouveau paysage ou démembrement ? », Alter Echos, 15 mars 2018 »

[25. « Contrôle strict de l’aide publique aux entreprises dans le cadre de la crise du coronavirus », L’Echo, [En ligne], 23 mai 2020.

[26. « Fiscalité : liste de l’UE des pays et territoires non coopératifs », Conseil européen, [En ligne], mis à jour le 29 juin 2020.

[27. Voici la liste utilisée par la Belgique : Bermudes, Îles Vierges britanniques, Îles Caïmans, Dubaï, Fujairah, Guernesey, Jersey, Île de Man, Îles Marshall, Micronésie , Monaco, Monténégro, Nauru, Ouzbékistan, Palau, Îles Pitcairn, Ras al Khaimah, Saint-Barthélemy, Charjah, Somalie, Turkménistan, Îles Turques-et-Caïcos, Umm al Quwain, Vanuatu, Wallis-et-Futuna.

[28. Lire Bauraind, B. « Dividendes et chômage économique. 2% suffiraient », Gresea, [En ligne], Avril 2020

[29. Lire Gelin, R. « La grande distribution grand bénéficiaire du confinement », Le drapeau rouge n°81, Juillet-Aout 2020.

[30. « Délaissés au profit des industriels pour le dépistage massif, les labos de biologie clinique agréés sont déçus du gouvernement », RTBF, [En ligne], avril 2020.

[31. « Lobbying : L’épidémie cachée », Les Amis de la Terre France et l’Observatoire des multinationales, [En ligne], juin 2020,

[32. Convention citoyenne pour le climat, [En ligne] https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/

[33. Roussel, F., « Emmanuel Macron valide 146 des 149 propositions de la Convention citoyenne sur le climat », Actu Environnement, [En ligne], juin 2020.