Le Salon de l’Auto bruxellois fermera ses portes le 20 janvier. Mais cela ne changera guère les choses car c’est une affaire assez "fermée" par définition. Ce qu’il y a dans une bagnole - son économie mondialisée, avec son exploitation des pays du Sud - n’est pas exposé. Le fait, par exemple, que les voitures regorgent de cuivre. On y trouve aujourd’hui un kilomètre et demi de fil de cuivre, trente fois plus que dans les voitures des années quarante...
Ne cherchez pas des camionnettes futuristes au Salon de l’Auto sans vous munir de verres grossissants. Il paraît que c’est le salon des véhicules utilitaires. Mais ce sont les voitures particulières qui sont le plus présentes ; en outre, il n’existe pas encore pour ainsi dire d’utilitaires "verts". Ces engins roulent au gas-oil...
À en juger par ce salon, les choses ne sont pas près de s’améliorer. La primeur la plus ’sympa’ nous vient de Merksem (près d’Anvers), où De Kringwinkel a acheté un "ecotruck" hybride de Fuso (Mitsubishi), le premier du genre en Flandre. Ford n’a pas d’utilitaires "verts" (électriques ou hybrides) ; la Berlingo de Citroën ne sortira que plus tard cette année ; la Kangoo de Renault est une valeur confirmée mais elle reste si chère que, pour le prix d’une Kangoo (20.000 euros hors TVA pour le modèle de base), vous pouvez déjà acheter un camion léger à double cabine (et moteur diesel). Et c’est terminé, j’ai déjà fait le tour complet des "véhicules utilitaires du futur".
Les constructeurs continuent donc à développer avant tout des voitures particulières. Ou qui sont censées passer comme telles. Cette fois, c’est Citroën qui sort le concept car le plus branché : la Tubik, un "cocon dans le plus pur esprit lounge", avec un écran plat en demi-lune et une tonalité d’ambiance de haute définition. La surenchère dans le gadget coûteux reste toujours le moyen le plus sûr d’appâter les clients. Çà et là surgissent de nouveaux matériaux, comme le carbone ultra-résistant dans l’iLifeDrive de BMW.
De l’aluminium au zirconium
Mais la principale tendance reste celle-ci : les voitures absorbent de plus en plus de matériaux, tant sur le plan de la quantité que sur celui de la diversité. Quelle quantité de matériaux ? Les constructeurs ne disent mot, à ce propos. Ils n’expliquent jamais exhaustivement, de a (aluminium) jusqu’à z (zirconium), de quoi sont faites leurs voitures. Cette information, vous devez la glaner à gauche et à droite, par voies détournées.
Pour mon livre sur la traque aux matières premières, ça m’a valu un beau surcroît de travail [1]. Une auto ordinaire contient près d’une tonne de fer et plus de 100 kilogrammes d’aluminium. C’est pour le cuivre que la tendance surprend le plus. Les autos en regorgent littéralement. On trouve dans une voiture contemporaine un kilomètre et demi de fil de cuivre, soit trente fois plus que dans une auto des années quarante. Et encore, c’est sans faire état du cuivre des moteurs électriques et des dynamos, et des batteries des autos "vertes".
Le cuivre provient entre autres de la Zambie et du Congo. En d’autres termes, c’est le Congo qui fait marcher nos dynamos. Et ce n’est pas terminé. On trouve au bas mot une douzaine de minéraux et de métaux usuels dans une voiture mais si l’on prend également en compte les minéraux moins courants, on arrive facilement à soixante matériaux différents (voir tableau en fin de texte). Il s’agit surtout de matières premières non renouvelables d’origine minérale.
Les réserves terrestres de ces matières premières sont limitées. Il s’agit donc d’en user avec une extrême parcimonie. Ces matières premières, on ne les trouve pas dans le sous-sol de la Belgique. Dans le meilleur des cas, elles proviennent d’un recyclage, entre autres, de la ferraille, mais, généralement, elles proviennent de l’exploitation minière classique.
La sous-traitance commence là-bas
Ces mines ne se situent plus sous nos cieux mais bien hors de Belgique, et même très loin hors d’Europe, pour la grande majorité des minéraux. Avec la fermeture annoncée de l’usine Ford de Genk, nous l’avons réappris : pour fabriquer une auto, il faut des sous-traitants, des fournisseurs extérieurs.
Tout au début de cette longue chaîne, il y a les exploitations qui extraient les minerais. Ce qui constitue une complication de plus. Une bonne moitié de toute la production de pétrole et autres minerais est absorbée par les économies et industries occidentales (l’OCDE
OCDE
Organisation de Coopération et de Développement Économiques : Association créée en 1960 pour continuer l’œuvre de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) chargée de suivre l’évolution du plan Marshall à partir de 1948, en élargissant le nombre de ses membres. A l’origine, l’OECE comprenait les pays européens de l’Ouest, les États-Unis et le Canada. On a voulu étendre ce groupe au Japon, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’OCDE compte 34 membres, considérés comme les pays les plus riches de la planète. Elle fonctionne comme un think tank d’obédience libérale, réalisant des études et analyses bien documentées en vue de promouvoir les idées du libre marché et de la libre concurrence.
(En anglais : Organisation for Economic Co-operation and Development, OECD)
). Le riche Nord consomme la plupart des matières premières, mais celles-ci sont surtout produites dans le Sud, où l’exploitation est principalement assurée par des entreprises occidentales. Pour celles-ci, l’affaire est très lucrative (avec, ces dix dernières années, pour le "top 10" des sociétés minières, un retour total sur les investissements d’au moins 39 pour cent).
Le Sud, hélas, reçoit, lui, bien peu en retour. Les entreprises occidentales sur place, on s’en doute, ne font pas dans le développement. Au contraire, afin de conforter leurs intérêts et ceux de leurs propriétaires et actionnaires, elles font tout pour contrecarrer ce développement.
De plus en plus de pays d’Afrique ou d’ailleurs dans le Sud réclament leur part des revenus. Et on leur reproche alors de verser dans le "nationalisme des matières premières" ! Ils seraient égoïstes, ce faisant, ils effraieraient les investisseurs et s’excluraient ainsi de l’économie mondiale.
En principe, pense-t-on ; ces pays devraient pouvoir disposer eux-mêmes de leurs propres richesses naturelles. Dans la pratique, ce droit est la chasse gardée des intérêts occidentaux. Les "égoïstes" subissent les menaces des entreprises et des banques comme Barclays, BlackRock et De Beers, qui ne sont pas des nains. Le Fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
monétaire international sursoit à l’annulation de la dette pour les pays qui refusent de marcher au pas. Ce ne sont pas les exemples qui manquent, auprès des entreprises, des bailleurs de fonds internationaux et des fameux partenaires commerciaux, de lobbys agissant contre toute forme d’autodétermination.
La politique européenne de puissance
Cela nous confronte à un dilemme. Chez nous, les usines ont besoin de matières premières, mais les pays d’où proviennent ces mêmes matières premières aimeraient qu’elles servent à leur propre développement. C’est leur droit le plus strict et le plus légitime.
L’Afrique a pleinement compris que ses richesses naturelles constituaient le noyau de son futur développement. Depuis 2009, cette vision a été consignée noir sur blanc et elle a fait son chemin dans tous les gouvernements, même si, chez nous, la chose est très peu connue.
Mais, ici, la Commission européenne prend position de façon très agressive. Elle exige que l’Europe ait accès partout et en permanence aux matières premières, quelles que soient les conséquences pour les pays du Sud. Cette politique de puissance a la vue courte et elle est intenable. Un glissement vers une politique équitable des matières premières est indispensable.
Les pays industrialisés de l’UE
UE
Ou Union Européenne : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
doivent discuter la chose avec le Sud. Sinon, ils risquent un jour ou l’autre de tomber à court de matières premières.
Cette analyse est d’abord parue en version néerlandaise, dans un format un peu plus court, dans l’édition du samedi 12 janvier 2013 du journal De Morgen.
Volume des minéraux de base dans une voiture moyenne (en 2006
Minéral | Poids (en 2006) | Qualités et Application |
---|---|---|
Fer et acier | 963 kg | Dur et durable. Châssis et moteur. |
Aluminium | 109 kg | Léger mais dur. Châssis, moteur, carrosserie. |
Carbone | 23 kg | Solidité. Châssis, pneus, autres composantes en caoutchouc. |
Cuivre | 19 kg | Conducteur d’électricité. |
Silicones | 19 kg | Solidité. Pare-brise, vitres. |
Plomb | 11 kg | Conducteur (accumulateurs) |
Zinc | 10 kg | Pour galvaniser (appliquer des couches des protection) |
Manganèse | 8 kg | Durcisseur d’alliages métalliques. |
Chrome | 7 kg | Résistance à la corrosion. |
Nickel | 4 kg | Résistance aux températures élevées. |
Magnésium | 2 kg | Élément d’alliage autres métaux (aluminium) |
Soufre | 0,9 kg | Renforce les pneus en caoutchouc |
Molybdène | 0,450 kg | Métal blanc, dur, cassant et peu fusible. Durcisseur d’alliages. |
Vanadium | Moins de 450 grammes | Métal blanc, fondant vers 1750 °C. Durcisseur d’alliages de poids légers. |
Platine | De 1,5 à 3 grammes | Propriétés de catalyse. |
Source : Minerals, Critical Minerals and the US Economy,National Research Council, Washington 2007.