Carte d'identité
Secteur | Pharmaceutique |
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Naissance | 1973 |
Siège central | Paris |
Chiffre d'affaires | 45,4 milliards d’euros |
Bénéfice net | 8,4 milliards d’euros |
Production | Produits pharmaceutiques, vaccins, produits vétérinaires |
Effectifs | 91.573 personnes |
Site web | http://www.sanofi.com |
Président | Paul Hudson |
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Actionnaires principaux | (février 2024) L’Oréal (9, 38%), BlackRock (7, 06%), Autocontrole (0, 97%) |
Filiales | Sanofi Genzyme, Chattem, Bioverativ, BMP Sunston, Medley, Kendrick, Nichi-Iko, Sanofi India, Sanofi Aventis, Zentiva |
Comité d'entreprise européen | oui |
Ratios 2022 |
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Marge opérationnelle % | 23,48 |
Taux de profit % | 11, 19 |
Taux de solvabilité % | 22, 41 |
Taux de dividende % | 49, 79 |
Part salariale % | 41, 51 |
Taux de productivité (€) | 262.818 |
Fonds roulement net (€) | 9, 8 milliards |
Observatoire des Comptes
Actionnariat du groupe 2024
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Actionnariat et contours
du groupe en Wallonie
Historique
Sanofi est le quatrième groupe pharmaceutique mondial (en termes de chiffre d’affaires) et le premier en France. Il résulte de la fusion entre Sanofi-Synthélabo et la firme franco-allemande Aventis en 2004, donnant naissance à Sanofi-Aventis.
Natalia Hirtz
Les groupes Sanofi et Synthélabo fusionnent en 1999, pour constituer Sanofi-Synthélabo. Il s’agit de deux jeunes firmes, fondées respectivement en 1973 (Sanofi) et 1970 (Synthélabo).
Aventis fut fondé par la fusion des groupes Hoechst Marion Roussel et Rhône-Poulenc (division pharmaceutique), en 1999. Cinq ans plus tard, Sanofi-Synthélabo prend le contrôle d’Aventis, donnant naissance à Sanofi-Aventis. En 2011, la firme simplifie son nom en Sanofi. Ses origines sont diverses, comme le montre le graphique simplifié ci-dessous.
Sanofi-Synthélabo
Sanofi fut fondé en 1973 par la Société Nationale des Pétroles d’Aquitaine (SNPA) – qui fera partie du groupe ELF à partir de 1976 - afin de gérer ses intérêts dans le secteur pharmaceutique. Dans un contexte marqué par la nationalisation du pétrole du Sahara et l’épuisement des ressources énergétiques de la France, le groupe diversifie ses activités vers le secteur de la chimie et de la pharmacie. C’est ainsi que la SNPA acquiert 88% du capital du groupe pharmaceutique belge Labaz et fonde l’Omnium Financier Aquitaine pour l’hygiène et la santé « Sanofi » [1] .
L’origine de Sanofi est donc étroitement liée non seulement au secteur énergétique français, mais aussi au secteur pharmaceutique belge. Labaz (anciennement « Laboratoires de la société Belge de l’Azote ») fut fondé en 1941, par la Société belge de l’Azote et des produits chimiques du Marly (SBACM). Cinq ans plus tard, Labaz s’associe avec la Compagnie générale industrielle pour la France et l’Étranger (dont le principal actionnaire est la Banque de Paris et des Pays-Bas) et fonde la Société française des Laboratoires Labaz (à Paris). À partir des années 1960, le groupe commence à s’élargir : il acquiert des groupes pharmaceutiques et crée des filiales en Hollande, en Espagne, en Suisse et en Allemagne. Or en 1968, la SBACM a besoin de liquidités. Elle fait donc entrer dans la Société française des Laboratoires Labaz, des marques, des brevets et des participations de la société belge Labaz. C’est ainsi que la société française Labaz, au départ filiale de la société belge, finit par prendre le contrôle du groupe, elle-même contrôlée par Paribas [2] .
En 1972, Labaz devient le quatrième groupe pharmaceutique français après Rhône-Poulenc, Rouseel Uclaf (qui seront acquis par Aventis quelques années plus tard) et Clin-Midy (acquis par Sanofi en 1980).
Lorsque la SNPA acquiert Labaz et fonde Sanofi, en 1973, la firme connaît une croissance régulière. Si auparavant, très peu des firmes dépassaient 5% du marché mondial, la fin des années 1970, marque le début de la constitution des grands groupes pharmaceutiques par le processus de fusions-acquissions. Sanofi se constitue durant ces années, en rachetant, au départ ; des entreprises familiales comme Parcor (22% des actions en 1974, acquisition en 1979), Galoir (en 1979) ou Michel Robilliart (1978). Le groupe se lance également dans les cosmétique en acquérant 63% des actions d’Yves Rocher en 1973 ; Roger & Gallet (1975) ; l’exploitation de la licence des parfums Van Cleef & Arpels (1976) et les parfums Molyneux.
En 1979, Sanofi devient le deuxième groupe pharmaceutique français en termes de chiffre d’affaires (2,96 milliards de francs). Son chiffre d’affaires (CA) est réparti dans différents secteurs : la pharmacie (49 %) ; la cosmétologie (42 %) ; la pharmacie vétérinaire (6 %) et les produits chimiques à usage pharmaceutique [3] .
En 1980, Sanofi est introduit en bourse et prend le contrôle de l’Institut Pasteur Production (avec 51% des actions). En effet, la fondation privée à but non lucratif, Institut Pasteur, spécialisée dans les vaccins, fut créée en 1887 par Louis Pasteur. Ce scientifique français découvre et donne son nom au processus de pasteurisation, il est également le premier à avoir mis au point le vaccin contre la rage. Malgré son statut de fondation, l’Institut Pasteur, ne sera pas exempt des scandales humanitaires propres aux firmes pharmaceutiques. Ainsi, en 1884, Louis Pasteur demande à l’empereur du Brésil de pouvoir transmettre le choléra à des condamnés à mort et leur donner la possibilité d’échapper à leur sentence, afin d’expérimenter sur eux des remèdes. Quelques années plus tard, ses disciples inventent la chloropicrine, un gaz de combat très offensif qui sera employé durant la première Guerre mondiale [4] .
En 1965, l’Institut vit une situation financière délicate et doit demander des subventions de l’État. Cette aide lui est accordée, mais à condition que les activités de production/commercialisation soient séparées de la recherche. C’est ainsi que l’Institut crée sa propre entreprise de production/commercialisation « Institut Pasteur Production », qui, en 1980 passe sous contrôle majoritaire de Sanofi [5] .
Le groupe continue à grandir cette année-là. Et ceci est dû notamment à l’acquisition de la Division Santé du groupe Clin-Midy Industries. Né en 1971 de la fusion des sociétés Clin-Byla et Midy, Clin-Midy, était au moment de l’acquisition, le troisième groupe pharmaceutique français en termes de chiffre d’affaires. Son rachat permet à Sanofi de doubler de taille et de regrouper alors 120 sociétés (dont 60 en France) [6] . Mais c’est par son acquisition des activités des médicaments sur ordonnance de l’Américaine Sterling Winthrop Pharmaceuticals, filiale de Kodak, que Sanofi devient l’un des grands groupes pharmaceutiques mondiaux à partir de 1994.
Entre temps Sanofi continue également à se développer dans le secteur de la cosmétologie. Il acquiert 49,9% des actions des parfums Nina Ricci en 1988 et en 1993, le groupe rachette Yves Saint-Laurent Beauté, qui devient la marque phare autour de laquelle toutes les activités beauté vont être regroupées.
En 1999, Sanofi fusionne avec Synthélabo pour former le groupe Sanofi-Synthélabo. Synthélabo fut fondé en 1970 par la fusion de deux firmes pharmaceutiques françaises : les Laboratoires Dausse (crée en 1834) et les Laboratoires Robert & Carrière (fondé en 1899). En 1973, le groupe français de cosmétiques L’Oréal acquiert la majorité de son capital.
Au moment de la fusion, Sanofi était le deuxième groupe pharmaceutique en France en termes de ventes et Synthélabo, le troisième. Sanofi-Synthélabo devient ainsi, leader de la pharmacie en France. En 2002, le groupe est introduit au New York Stock Exchange.
En suivant les nouvelles stratégies managériales, le groupe recentre ses activités sur la pharmacie, revendant, en 1999, ses activités du pôle de la beauté et des cosmétiques à la firme Gucci (sous control du groupe Kering).
Aventis
Aventis fut fondé en 1999, par la fusion des groupes Rhône-Poulenc et Hoechst Marion Roussel. Quelques années plus tôt, le groupe allemand Hoechst avait racheté la firme américaine Marion Merrell Dow (en 1995) ainsi que le laboratoire français Roussel-Uclaf (en 1997). Ces acquisitions avaient donné naissance au groupe Hoechst Marion Roussel.
Le groupe chimique et pharmaceutique allemand Hoechst fut fondé en 1863 par trois chimistes. En 1923, Hoechst fut la première firme à produire l’insuline, devenant une marque phare dans ce domaine. En 1995, il acquiert la firme américaine Marion Merrell Dow, dont les origines remontent à la première pharmacie ouverte par William S. Merrell en 1828, connue par la commercialisation de la thalidomide aux États-Unis en 1960 [7] . À l’époque, les conditions d’expérimentations sont très peu réglementées : les nouveaux médicaments ne sont pas suffisamment testés. Il ne faut, en moyenne, que trois ans entre le dépôt du brevet et la mise en vente du médicament qui en résulte. Le désastre sanitaire produit par la vente de la thalidomide va changer la donne. Ce tranquillisant prescrit à de nombreuses femmes enceintes et en vente libre (sans avoir été préalablement testé pour une utilisation pendant la grossesse) provoqua des malformations importantes chez les nouveau-nés. Selon certaines estimations, le tranquillisant aura fait 12.000 victimes dans le monde [8] , entrainant un scandale juridique grâce auquel les autorités publiques vont commencer à prendre en considération les risques sanitaires des médicaments. Les procédures de vérification et d’homologation seront réglementées. Les firmes devront apporter des preuves quant à la nocivité des médicaments. Les tests cliniques sur des cobayes humains seront allongés : la procédure totale entre le dépôt du brevet et la mise en vente du produit sur le marché prendra une dizaine d’années [9] .
Les origines de la firme française Roussel-Uclaf, acquise par Hoechst en 1997, remontent au premier laboratoire créé par le vétérinaire Gaston Roussel en 1920. Le groupe connaît un essor durant les années de guerre, notamment par sa mise à contribution dans les recherches concernant la fabrication de la pénicilline en France. L’antibiotique fut testé positivement en 1941, mais durant les années de guerre, il est inaccessible en France. En 1944, le Ministère de la Santé crée une Commission de la pénicilline afin d’encourager le développement de sa production. Rhône-Poulenc et Roussel seront désignés pour cette tâche, grâce à laquelle elles bénéficieront de subventions très avantageuses [10] .
En 1952, Gaston Roussel fonde le groupe Roussel-Uclaf qui regroupe UCLAF, ISH et la Société française de pénicilline, créée en 1947 avec l’argent du plan Marshall et rachetée ensuite par Roussel [11] . Devenu un important groupe français Roussel-Uclaf, ouvre son capital à la firme Hoechst en 1968. Cette dernière s’empare de la majorité du capital en 1974 et, en 1997, acquiert le groupe français fondant Hoechst-Marion-Roussel (HMR), quatrième groupe pharmaceutique mondial.
Deux ans plus tard, HMR et la division pharmaceutique de la firme française Rhône Poulenc fusionnent, donnant naissance à Aventis [12] . C’est grâce à cette fusion qu’Aventis devient l’un des leaders mondiaux en vaccins. En effet, en 1968, Rhône Poulenc prend le contrôle sous l’Institut Mérieux (leader mondial en vaccins depuis 1963) qui devient Pasteur Mérieux. Avec la fusion de HMR et de Rhône Poulenc, Pasteur Mérieux devient Aventis Pasteur (filiale d’Aventis) et lors de l’acquisition d’Aventis par Sanofi, la filiale devient Sanofi Pasteur.
Sanofi : de la croissance externe à la restructuration permanente
En 2004, Sanofi-Synthélabo acquiert Aventis. Par rapport au géant franco-allemand, Sanofi- Synthélabo est une petite firme. Le prix d’achat d’Aventis fut de 65,5 milliards de dollars, alors que les liquidités de la firme française n’étaient à ce moment que de 4,3 milliards de dollars. Cette OPA fut organisée par Nicolas Sarkozy, ministre des Finances à cette époque, qui en voyant le mouvement de fusion et acquisition, accéléré dans l’industrie pharmaceutique depuis les années 1980, encourage cette OPA afin d’assurer une place monopolistique à une firme française [13] , qui de plus était contrôlée par la famille Bettencourt (L’Oréal). Sanofi-Aventis devient ainsi, le troisième groupe mondial de la pharmacie.
Le groupe poursuit le mouvement d’acquisition. Parmi les plus importantes, on peut citer celles de la multinationale spécialisée dans les médicaments génériques Zentiva en 2008 (grâce à quoi elle devient numéro 11 mondial dans l’industrie pharmaceutique générique), de Medley Farma, de Shantha Biotechnics et de la firme spécialisée dans les médicaments en vente libre aux États-Unis, Chattem (en 2009), de Nepentes Pharma et de BMP Sunstone Corporation (en 2010) ou de la firme spécialisée dans les maladies rares Genzyme Corporation (en 2011). En 2015, Sanofi noue une collaboration stratégique avec la division Sciences de la vie de Google pour travailler sur les manières de collecter et d’analyser les diverses sources d’information impactant le diabète [14] . En 2016, la firme signe un contrat avec Boehringer Ingelheim consistant à échanger l’activité Santé Animale de Sanofi (Merial) contre l’activité Santé Grand Public de Boehringer Ingelheim [15] . En 2017, Sanofi acquiert Protein Sciences, une société spécialisée dans un vaccin antigrippal recombinant.
Depuis la fusion en 2004, Sanofi-Aventis s’est lancée dans la conquête du marché international. Entre 2004 et 2015, le nombre d’emplois en Europe a diminué de 0,37% (touchant particulièrement la France). Tandis qu’il a augmenté de 21,8% aux États-Unis et de 61,18% dans les autres pays du monde [16] . Or, la production et la recherche sont fortement concentrées en Europe et aux États-Unis. Le nombre d’emplois dans les autres pays concerne notamment le secteur de la vente. Si en 2016, Sanofi emploie 36,1% de ses travailleurs dans les pays « émergents » [17] , 50,5% d’entre eux travaillent dans la vente et 18,1% dans le marketing et les fonctions de support, tandis que seulement 4,7% se consacrent à la recherche et 26,7% à la production [18].
Devenu l’un des premiers groupes mondiaux, Sanofi lance en 2009, un plan de restructuration « permanent », cherchant à « transformer Sanofi en leader global de la santé ». À cette fin, la firme vise notamment à « diminuer les coûts », ce qui aura notamment un impact sur l’emploi et sur la recherche. La France fut particulièrement touchée : en considérant les recrutements et les acquisitions opérées, 1.290 emplois ont été supprimés entre 2008 et 2014. L’externalisation de la recherche et développement, implique un processus de démantèlement de cette activité et une forme de privatisation de la recherche publique, car l’externalisation ne concerne pas uniquement la sous-traitance de la recherche aux entreprises privées, mais aussi des partenariats avec des laboratoires universitaires, ce qui permet à Sanofi de capter les innovations sans devoir en supporter les coûts [19] . Ceci n’est pas étonnant de la part d’un groupe qui, depuis 2013, verse presque l’ensemble de ses bénéfices à ses actionnaires (le taux de dividende était de 86,17% en 2015) [20] . Si les dividendes versés en 1980 représentaient, en moyenne, la moitié des sommes consacrées aux investissements, en 2015, elles représentent deux fois et demie ce montant. Or, plus la part des bénéfices versés en dividendes est grande, moins la part réservée aux investissements est importante. Ironie du monde entrepreneurial, suite à ce plan de restructuration, en 2016 le groupe est désigné « meilleur employeur de France » par Glassdoor, un site de recrutement qui réalise chaque année un classement des entreprises « les plus soucieuses de l’équilibre de vie de leurs salariés ».
Aujourd’hui, la plupart des employés de Sanofi sont concentrés en France, aux États-Unis, en Allemagne, en Chine et au Brésil. À la fin décembre 2016, la Chine, le Brésil et l’Inde totalisaient 17,1 % des effectifs [21] . Sanofi est devenu le premier laboratoire au Brésil tous marchés confondus. La filiale brésilienne génère 3 % du chiffre d’affaires global de Sanofi et 9 % du revenu du pôle pays émergents. Son nouveau vaccin contre la dengue (fabriqué en France) a reçu le feu vert des autorités de ce pays à la fin 2015 et 500.000 doses de vaccins ont été vendues en 2016 au gouvernement de l’État du Paraná pour lancer une campagne de vaccination [22] . Actuellement, le groupe négocie une campagne de vaccination nationale avec l’État brésilien. Mais tout semble confirmer que cette campagne ne pourra se réaliser que si l’État accepte le prix fixé par Sanofi. En octobre 2017, le député français François Ruffin dénonçait l’intention du groupe de détruire 359 millions de doses de vaccins contre la dengue, car Sanofi n’était pas parvenu à les vendre au prix souhaité. Entre temps, dans les Antilles-Guyane comme dans de nombreux pays africains, le vaccin n’est pas commercialisé, faute d’une clientèle aisée ou d’un État prêt à employer les grands moyens [23] .
Propriété intellectuelle et gonflement des prix de vente
En 2011, le CEO, Chris Viehbacher, annonce un plan visant l’économie de 2 milliards d’euros du groupe entre 2012 et 2015, afin d’augmenter le taux de distribution du dividende à 50% et un taux de croissance moyen du bénéfice net par action supérieur à la croissance moyenne des ventes [24] . Sanofi devient ainsi la première capitalisation boursière du CAC 40 en 2012, place qu’il perd en 2014, juste avant la chute du brevet de Lantus. Ce traitement antidiabétique fait partie des 20 médicaments les plus vendus dans le monde. Les ventes ont atteint 6,3 milliards d’euros en 2014 (soit 19% du chiffre d’affaires de Sanofi) [25], mais elles sont en recul depuis la levée du brevet.
Or, Sanofi s’acharne à défendre ce traitement très lucratif. Il cherche donc à retarder l’arrivée sur le marché de nouveaux produits concurrents de cette insuline ou d’obtenir des dédommagements financiers. En 2014, le groupe lance une action en justice contre Eli Lilly l’accusant d’enfreindre plusieurs des brevets sur Lantus. Cette action s’est soldée par un accord permettant à Sanofi de toucher des royalties. En septembre 2016, Sanofi intente une nouvelle action contre l’américain MSD (Merck & Co), l’accusant de violer des brevets de son insuline, action que le groupe relance en août 2017.
En 2016, le nombre de diabétiques s’élève à 422 millions. Peu de firmes se partagent ce marché extrêmement profitable. Sanofi est en tête, ce qui lui permet de disposer d’un large pouvoir sur la fixation des prix. En effet, les traitements essentiels contre le diabète sont disponibles, en général, dans un pays sur trois parmi les pays les pauvres du monde, alors que dans les pays « riches », il est devenu un marché juteux. Les États-Unis ne comptent que 10% des diabétiques, mais ils représentent 40% du marché mondial de l’insuline, ce qui est dû notamment au fait que dans ce pays, le prix du traitement a quasiment doublé depuis 2005 (+197%). En France, le Lantus est l’un des médicaments qui coûtent le plus cher à l’assurance maladie (125 millions d’euros de remboursement pour le premier semestre 2015).
Les représentants de Sanofi expliquent que si le prix du Lantus a tellement augmenté aux États-Unis c’est, entre autres, en fonction de la « loi de l’offre et de la demande » [26] . On comprend mieux l’acharnement de Sanofi à retarder l’entrée sur le marché, des médicaments concurrents afin de ne pas perturber cette « loi ».
Mais il ne s’agit pas de la seule stratégie déployée par les firmes pour augmenter leurs prix. En France, Olivier Gros (ancien cadre de Sanofi) publie un témoignage en janvier 2016, dans lequel il décrit la manière dont la firme parvient à gonfler le prix de vente de certains médicaments, au détriment de la sécurité sociale. Une technique fréquemment employée par Sanofi consisterait à gonfler le prix du comprimé ayant servi aux essais cliniques. En effet, le prix d’essai clinique est utilisé pour calculer le coût du développement (servant par la suite à fixer le prix du médicament). Si l’essai se réalise à l’étranger, les échantillons sont déclarés en douane. Or, la valeur déclarée en douane n’est généralement pas contrôlée. En déclarant des valeurs beaucoup plus importantes que les valeurs réelles de l’échantillon, Sanofi parvient à gonfler le coût du développement, l’un des paramètres de fixation du prix d’un médicament et du taux de remboursement de la sécurité sociale. Une autre stratégie concernerait le prix de revient (deuxième paramètre servant à fixer le prix d’un médicament). Selon le témoignage de l’ancien cadre de Sanofi, la firme achèterait le principe actif à une société chimique appartenant au groupe, laquelle gonflerait sa facture [27] - c’est ce qu’on appelle une manipulation des prix de transferts.
Ces dernières années, Sanofi n’a pas été épargné des conflits sociaux et des scandales sanitaires. En France, le plan de restructuration permanente avait déclenché un important conflit ouvrier (entre 2012 et 2015). Et voilà qu’en janvier 2016, le témoignage de l’ancien cadre Olivier Gros provoque un scandale, redoublé en octobre de cette même année par le lancement d’une procédure judiciaire contre la firme par l’association des victimes de la Dépakine (fondée en 2011, en France). Cet antiépileptique, qui est sur le marché depuis 1967, porte des risques importants de malformations chez les nouveau-nés, lorsqu’il est administré à la mère durant sa grossesse. Sanofi n’a apparemment pas tiré les leçons concernant sa responsabilité sociale depuis l’affaire de la thalidomide durant les années 1960 (commercialisé à l’époque par Marion Merrell Dow). En effet, depuis plus de 30 ans, des malformations congénitales liées à l’exposition in utero à l’acide valproïque (dont la Dépakine est le nom commercial) ont été documentées par de nombreuses recherches. La première publication concernant ces recherches apparut en 1980. En 1984, des descriptions des caractéristiques faciales des enfants exposés aux acides valproïque conduisent à définir le « syndrome fœtal du valproate ». Cependant, les pouvoirs publics tardent à prendre des mesures. Face à l’accumulation des études pointant ces risques, en 1986, Sanofi introduit dans la notice du médicament un succinct « prévenez votre médecin si vous êtes enceinte » et seulement en 2010, la notice en France indiquera les risques que ce médicament est susceptible d’entraîner. Mais ce n’est qu’en 2014 que l’Agence européenne du médicament (EMA) exigera une information précise sur les risques du médicament tout en invitant les médecins de l’Union européenne à ne plus prescrire cet antiépileptique chez les femmes enceintes [28] . Entre temps, le nombre de victimes n’a cessé d’augmenter. En France, 40.000 demandes d’indemnisation ont d’ores et déjà été présentées à l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (ONIAM) [29] . C’est l’État qui prendra finalement en charge une partie des responsabilités, tandis que Sanofi (visé sur le plan pénal et civil pour « tromperie aggravée » et « défaut d’information ») refuse de contribuer au fonds d’indemnisation des victimes, arguant que la firme a « toujours respecté ses obligations d’information concernant les possibles effets indésirables » du médicament [30] .
Sanofi : le parcours type d’une multinationale de la pharma
Si au départ, les firmes pharmaceutiques étaient la plupart du temps, des filiales des groupes diversifiés englobant une diversité des secteurs (chimie, pétrole notamment), l’industrie des médicaments est devenue l’un des secteurs les plus profitables au monde. Les firmes ont suivi un processus de spécialisation, se déliant des autres activités. Ce processus s’est renforcé depuis les années 2000, lorsque les groupes pharmaceutiques ont commencé à adopter une stratégie de recentrage consistant à rechercher des monopoles sur certaines spécialités. Sanofi adoptera cette stratégie en simplifiant son organisation mondiale autour de cinq entités et en se désengageant de certaines divisions perçues comme étant insuffisamment en « synergie avec les objectifs du groupe » [31] - autrement dit, les moins profitables.
C’est par exemple en 2014, que Sanofi arrête sa production du sérum anti-venin FAV-Afrique en indiquant l’absence de rentabilité de ce traitement pourtant considéré comme étant le plus efficace du marché. Les morsures de serpent tuent chaque année plus de 100.000 personnes dans le monde parmi lesquelles 30.000 en Afrique subsaharienne. Or, le traitement est pratiquement inabordable pour la majorité de ces patients (100 euros la dose) [32] . Si d’autres anti-venins sont commercialisés, ils sont, selon Médecins du Monde, moins efficaces. Cette ONG dénonce l’interruption de production de l’anti-venin en appelant les bailleurs des fonds, les gouvernements et les firmes pharmaceutiques à « assumer leur part de responsabilité…et considérer les morsures de serpent comme une crise de santé publique » [33] . Or, Sanofi est une multinationale privée. Son unique objectif en tant qu’entreprise et donc, en tant qu’espace de production et vente des marchandises (c’est-à-dire, des produits qui sont fabriqués pour leur valeur d’échange et non pas pour leur valeur d’usage) consiste à faire du profit. Dans cette optique, on peut mieux comprendre que la firme cherche à se recentrer sur les secteurs, les régions et les produits les plus « rentables », en relation aux capitaux investis. Si le sérum Fav-Afrique ne produit pas des pertes pour la firme, il est moins rentable que d’autres médicaments, et ne fait pas forcément l’objet d’une demande solvable - notamment étant donné que ce produit est destiné à une population peu fortunée, raison suffisante, pour fermer boutique afin d’investir ailleurs. En effet, c’est le marché capitaliste qui crée de telles crises sanitaires et ce sont les plus pauvres qui en subissent les conséquences. Fav-Afrique n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’intérêt porté par les firmes pharmaceutiques sur les maladies qui touchent les pays les plus pauvres ou les maladies rares.
Enfin, restructurations, stratégie de recentrage et donc, fermetures de sites de production ou de filiales, licenciements, arrêt de la production des médicaments fondamentaux pour la santé publique, désinvestissement dans la recherche et le développement des médicaments destinés aux maladies rares ou touchant une population pauvre et liquidation de la recherche interne (ce qui implique une sorte de privatisation de la santé publique, lorsque ces recherches se font de plus en plus dans les laboratoires des universités publiques), ne sont que des stratégies développées pour tirer toujours plus du profit, dans un contexte où la part de dividendes versés aux actionnaires ne fait qu’augmenter au détriment des conditions sanitaires, de travail et environnementales.
[1] « L’affaire Labaz », Courrier hebdomadaire du CRISP 1979/ 38 (n°863), p. 7
[2] Ibid., p. 8-9
[3] « La cotation des actions des groupes pharmaceutiques Sanofi et C.M. Industries est suspendue », Le Monde, 20/05/1980. http://www.lemonde.fr/archives/article/1980/05/20/la-cotation-des-actions-de-la-sanofi-et-de-c-m-industries-est-suspendue_2821012_1819218.html#4ciZ6pk77jvEUSmy.99
[4] Badou Gérard, « Les bonnes affaires de l’Institut Pasteur », L’Express, 01/09/1994
[5] Ibid
[6] « La cotation des actions des groupes pharmaceutiques Sanofi et C.M. Industries est suspendue », Le Monde, 20/05/1980. http://www.lemonde.fr/archives/article/1980/05/20/la-cotation-des-actions-de-la-sanofi-et-de-c-m-industries-est-suspendue_2821012_1819218.html#4ciZ6pk77jvEUSmy.99
[7] Linda Bren, « Frances Oldham Kelsey : FDA Medical Reviewer Leaves Her Mark on History », 2001. https://web.archive.org/web/20080113102840/http://www.fda.gov/fdac/features/2001/201_kelsey.html.
[8] Philippe Pignarre, Le grand secret de l’industrie pharmaceutique, Ed. La Découverte, Paris, 2004, P ; 47
[9] Henri Houben, « Cartographie des trusts de la pharma », Gresea échos, n°71, 2012
[10] André Frogerais, « Les origines de la fabrication des antibiotiques en France », HAL archives-ouvertes.fr, 2015.https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01100810v3/document
[11] Philippe Rivière, « Pas de médicaments pour les pays pauvres : Contre-projet à Romainville », Le Monde diplomatique, mars 2003.
[12] La division « chimie » de Rhône Poulenc devient Rhodia, et fait aujourd’hui partie de Solvay
[13] Henri Houben, Ibid., p. 16
[14] http://www.mirador-multinationales.be/divers/a-la-une/article/sanofi-et-google-un-partenariat-strategique-dans-le-domaine-du-diabete
[15] http://mediaroom.sanofi.com/sanofi-et-boehringer-ingelheim-sont-parvenus-a-un-accord-definitif-en-vue-de-lechange-de-lactivite-sante-animale-de-sanofi-contre-lactivite-sante-grand-public-de-boehringer/
[16] Voir le tableau du bilan annuel de Sanofi dans http://www.mirador-multinationales.be/spip.php?page=table-affichefull&id_document=491&table_title=Bilan&id_article=740&graph_id=491&table_legend=en%20millions%20d%26%23039%3Beuros
[17] Monde hors États-Unis, Canada, Europe de L’Est, Ouest (Sauf Eurasie), Japon, Corée du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande et Porto-Rico.
[18] Sanofi « Document de référence 2016 », p. 343, http://www.sanofi.com/Images/49287_Document_de_reference_2016.pdf
[19] Sur le processus de restructuration (2009-2016) et la lutte des travailleurs en France, lire Natalia Hirtz, "Sanofi : focus sur les restructurations. Quand le dividende devient religion", Gresea, mars 2016. http://www.gresea.be/spip.php?article1488
[20] Voir le tableau du bilan annuel de Sanofi, Op. cit.
[21] Sanofi « Document de référence 2016 », p. 343, http://www.sanofi.com/Images/49287_Document_de_reference_2016.pdf
[22] Thierry Ogier « Sanofi cherche à rebondir sur le marché brésilien », Les Echos, 14/10/2016
[23] Franceinfo « Le vaccin contre la dengue n’arrivera peut-être jamais en Martinique », 15/10/2017. http://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/vaccin-contre-dengue-n-arrivera-peut-etre-jamais-martinique-521947.html
[24] Communiqué de presse de Sanofi, 6/09/2011, « Sanofi annonce de nouveaux objectifs à long terme ». http://www.sanofi.com/Images/28712_20110906_Outlook_FR.pdf
[25] http://lexpansion.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/sanofi-benefice-net-et-chiffre-d-affaires-en-hausse-en-2015_1761797.html
[26] Olivier Petitjean, « L’épidémie mondiale de diabète, source de profit pour les compagnies pharmaceutiques », Observatoire des multinationales, avril 2016. http://multinationales.org/L-epidemie-mondiale-de-diabete-source-de-profit-pour-les-compagnies
[27] Olivier Gros « Médicaments, trou de la sécu et loi du marché », Revue Projet, 22 janvier 2016
[28] Anne-Corinne Zimmer, « Dépakine : à mère soignée, enfants handicapés », L’Humanité, 4 septembre 2015
[29] Vincent Vantighem, « Dépakine : les premiers dossiers d’enfants malformés ou autistes examinés ce jeudi par l’Office d’indemnisation », 20 Minutes Médias, 12 octobre 2017.
[30] Isabelle Barré, « Sanofi, labo comme un camion », Le Canard enchaîné, 18 octobre 2017
[31] Pour plus d’information, concernant cette stratégie lire l’article de Natalia Hirtz op.cit
[32] Mehdi Ba, « Santé : bientôt plus d’antivenin en Afrique ? », Jeune Afrique, 22 septembre 2015
[33] Chloé Hecketsweiler, « L’inquiétante pénurie de l’anti-venin FAV-Afrique », Le Monde, 9 septembre 2015
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