Alors qu’on les croyait fermées, appartenant définitivement à l’histoire économique et sociale de nos régions, les mines en Europe sont-elles amenées à reprendre une place de choix dans la stratégie énergétique de l’Union européenne ? Après leur avoir préféré l’exploitation coloniale, les industriels européens veulent faire revivre l’industrie minière au travers d’un des axes de l’Initiative des matières premières de la Commission européenne. Décodage des enjeux et des lignes de force de ce projet avec Raf Custers, Maria Kadoglou et Romain Gelin.
Edito
Glück Auf, camarades
Glück Auf (Bonne Chance), à l’époque où la houille se taillait manuellement dans des veines profondes, cet appel traduisait l’espoir de chaque mineur de fond : « tiens bon, camarade, on en sortira vivant ».
Des décennies après la fermeture de la majorité des mines en Europe de l’Ouest, l’Allemagne fait revivre l’industrie minière. Ses patrons ont convaincu les institutions européennes de l’importance de ce secteur pour l’avenir de l’Union. Les industriels européens ne veulent plus seulement dépendre de l’approvisionnement incertain des mines de la périphérie (en Afrique ou Amérique latine). Ils voudraient dorénavant dormir sur leurs deux oreilles en ouvrant de nouveau des mines sur le territoire européen. L’Initiative des matières premières, un vaste programme de la Commission européenne, en est le cheval de bataille. Pendant que la Commission reconnaît en théorie la souveraineté des états-membres sur leurs sous-sols, dans la pratique elle dépasse ses prérogatives. Ne parlons même pas de consulter les citoyens sur la question. La Commission recommande aux états de supprimer tout obstacle aux investisseurs, "tout fardeau" (en anglais dans le texte). Elle recommande même de court-circuiter la délibération démocratique, puisque celle-ci ne ferait que ralentir l’ouverture de mines. Une rhétorique de transparence qui cache mal une pratique autoritaire. Quand le Groenland, une province autonome (danoise), a accordé l’exploitation de terres rares à des entreprises chinoises, elle s’est fait taper sur les doigts par ’Bruxelles’. Cela révèle l’arrogance déployée par la diplomatie européenne vis-à-vis des non-Européens.
La Commission-Juncker a découvert un nouveau crédo en 2015, la Better Regulation (’la meilleur régulation’). Cela veut dire : des procédures raccourcies pour l’investisseur qui passe en vitesse (en fast track) devant un seul guichet (de préférence électronique, le E-gov étant en vogue). Ce crédo promet plus d’études d’incidences aussi, suivi par des concertations. Mais si la pratique ne change pas, études et concertations seront davantage confiées aux experts des fédérations patronales, des entreprises et de leurs alliés des centres de recherche. C’est bien la pratique généralisée aujourd’hui, vous le verrez dans ce Gresea Echos.
La technocratie signifie la dépolitisation. Les décideurs travaillent main dans la main avec ’les centres de connaissances et d’innovation’. L’Initiative des matières premières (IMP) le démontre à suffisance depuis 10 ans. L’opinion publique informée s’est-elle exprimée sur les objectifs de l’IMP ? S’est-elle exprimée sur des questions comme : avons-nous réellement besoin de mines ? De quel type de mine ? Pour exploiter quels matériaux ? Dans quelles conditions ? Doivent-elles être privées ou publiques ? Ces options devraient être débattues, avant toute autre démarche, par la société entière. Elles ne le sont pas.
La colonisation d’outre-mer a fait la fortune des capitalistes européens. Elle est aujourd’hui accompagnée d’une recolonisation de la périphérie européenne. Les réels fardeaux seront subis par les citoyens : le travail en régime continu, les problèmes de santé, la poussière, le bruit, les tremblements de terre (voir les champs de gaz aux Pays-Bas), les barrages défectueux, les catastrophes environnementales, la dépossession des terres, les déplacements de population, la criminalisation des luttes sociales, la répression. Tout cela accompagné d’une propagande assidue qui rabâche sans cesse : « sans mines nous périrons ».
Cette rhétorique ne se laisse démentir que par la lutte. Maria Kadoglou le prouve avec son récit sur la situation en Grèce. Ce pays a dû se plier aux diktats de la Troïka et accueillir l’entreprise canadienne Eldorado. Mais son projet déconstruit complètement les belles promesses. Eldorado produit de l’or. Est-ce un matériau critique et indispensable pour l’industrie européenne ? Il ne l’est pas, puisque les applications industrielles ne représentent que 10 pour cent de la consommation d’or, tout le reste ne sert qu’à être entassé dans des coffres-forts ou à la joaillerie. En plus, Eldorado détruit l’environnement de la Thracie et avec l’aide de l’état il étouffe la voix des populations locales. Bref, les pouvoirs acclament Eldorado parce que cette entreprise fait tourner les affaires. Ce qu’elle fait, comment elle le fait et à qui cela profite, sont des questions secondaires.
Oui, l’autre camp est un colosse, oui, il y a une asymétrie. Mais le colosse regarde par-dessus l’épaule. Il est inquiété et le sera davantage. Les mouvements de contestation se multiplient. À la veille de la conférence pour le climat, la COP23 à Bonn, des manifestants ont bloqué l’énorme exploitation de lignite à Hambach en Allemagne. Ils venaient de partout, grâce au ’réseautage’. Donc,"Glück Auf, camarades". L’extractivisme sera démocratique, ou ne doit pas être.
Sommaire
Edito : Glück Auf camarades
Raf Custers
L’Initiative Matières Premières
Raf Custers
Régénération des mines européennes
Raf Custers
Colonialisme extractiviste en Europe : le cas de la Grèce
Maria Kadoglou
La France à la relance minière
Romain Gelin
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