L’observation des flux
Flux
Notion économique qui consiste à comptabiliser tout ce qui entre et ce qui sort durant une période donnée (un an par exemple) pour une catégorie économique. Pour une personne, c’est par exemple ses revenus moins ses dépenses et éventuellement ce qu’il a vendu comme avoir et ce qu’il a acquis. Le flux s’oppose au stock.
(en anglais : flow)
financiers et migratoires ne manque pas, à la première impression, de surprendre. Une contradiction caractérise ces flux. D’un côté, une libéralisation
Libéralisation
Action qui consiste à ouvrir un marché à la concurrence d’autres acteurs (étrangers ou autres) autrefois interdits d’accès à ce secteur.
des flux à caractère économique vise à transformer le monde en une zone de libre-échange régie par le principe de liberté de circulation des capitaux, des services et des marchandises. De l’autre, une fermeture des frontières qui entend laisser, à l’échelle mondiale, les travailleurs derrière les frontières de leurs États-nations.
Cette contradiction n’est qu’apparente. Explications.
Principe général
De manière générale, l’économie libérale s’accommode parfaitement d’une totale liberté de mouvements des capitaux, des biens et des services associée à une absolue totale de mouvements pour les travailleurs. Cette conjonction constitue le principe général de fonctionnement de l’économie néolibérale. Ce principe, dans l’absolu, permet de fabriquer, d’échanger et de vendre des marchandises à l’échelle mondiale en profitant des pays à bas salaires dont la main d’œuvre est immobilisée. Cette non-flexibilité constituant une source importante de profits. Les chiffres sont, à cet égard, sans appels. En 1999, les salaires horaires moyens étaient de 0,25 dollar pour la Chine et l’Inde et de 2,09 dollars pour la Pologne. Cette mesure du salaire était de 19,34 dollars en France. Le salaire horaire moyen en Allemagne était de 31,88 dollars. [1]
Ces chiffres rendent un certain nombre de données plus limpides. En définitive, il faut que les travailleurs ne bougent pas pour que les capitaux, eux, puissent bouger dans l’objectif unique de maximisation du profit. Comment cela se passe ?
Cela se passe comme ceci : "Si l’on désire jouer au jeu du travailleur indien ou polonais, opposé à son homologue français ou allemand, et c’est évidemment de cette manière que les économies libérales procèdent, il n’est nullement désirable que les travailleurs migrent. Ceux-ci sont profitables là où ils résident : ils représentent des "actifs immobilisés", semblables à des biens immobiliers, des pièces inamovibles dans un jeu dont le but ultime consiste in fine de tirer les salaires vers le bas, et ceci partout dans le monde" [2]. Le principe général qui met en relation les flux
Flux
Notion économique qui consiste à comptabiliser tout ce qui entre et ce qui sort durant une période donnée (un an par exemple) pour une catégorie économique. Pour une personne, c’est par exemple ses revenus moins ses dépenses et éventuellement ce qu’il a vendu comme avoir et ce qu’il a acquis. Le flux s’oppose au stock.
(en anglais : flow)
de marchandises et de capitaux exclut, pour des raisons de profitabilité du système, que les travailleurs bougent Faire des profits aussi élevés que possible, cela suppose fondamentalement qu’ils soient "parqués" à l’abri de leurs frontières nationales en concurrence les uns avec les autres. Cette règle, comme toutes les autres, a ses exceptions.
Exception à la règle
Pour en comprendre la portée, il ne faut pas perdre de vue la maximisation du profit comme but de fonctionnement du mode de production capitaliste. La circulation et l’"exportation" de main d’œuvre sont donc, dans certaines conditions, nécessaires à l’accumulation
Accumulation
Processus consistant à réinvestir les profits réalisés dans l’année dans l’agrandissement des capacités de production, de sorte à engendrer des bénéfices plus importants à l’avenir.
(en anglais : accumulation)
de capitaux. Exemples. Dans l’immédiat après-guerre, la Belgique a connu l’arrivée massive d’une main d’œuvre bon marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
en provenance du pourtour méditerranéen (Espagne, Mezzogiorno italien, Portugal et Maghreb). Les mines et le secteur de la construction furent, en Belgique, les grands bénéficiaires de cet afflux de main d’œuvre étrangère. Bénéficiaires dans la mesure précisément où cet afflux de main d’œuvre contribuait à faire pression à la baisse sur les salaires. Cette pression a permis de booster la croissance
Croissance
Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
des profits dans les entreprises des secteurs concernés. La syndicalisation de ces travailleurs a, en son temps, constitué une réponse à ce défi. Ce fut, au demeurant, une réussite.
Aujourd’hui, cette pression à la baisse s’exerce via le recours à la main d’œuvre clandestine."Aux États-Unis, on a estimé que les travailleurs illégaux mexicains avaient fait baisser les salaires de la main d’œuvre locale de 8 %" [3] Du clandestin à l’immigrant légal, il n’y en a qu’un pas. Celui de la décision politique.
Cerveaux à vendre
Ainsi, suite à l’élargissement des frontières de l’Union européenne
Union Européenne
Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
, la Commission, fidèle à sa doctrine néolibérale, a, au milieu des années 2000, insisté, pour que ses états membres, liberté de circulation des personnes oblige, libéralise les flux migratoires en provenance des nouveaux membres d’Europe centrale et orientale. La Commission a argué que cette politique doperait la croissance. Comment ? L’afflux, en Grande-Bretagne, de main d’œuvre immigrée "a contribué à limiter les hausses de salaires" et le chômage de longue durée des jeunes travailleurs britanniques "s’est accru de 60 %", ce qui laisse entendre que "les jeunes Anglais sont perdants dans la compétition qui les oppose aux jeunes travailleurs immigrés. [4]
"Ce que l’on doit garder à l’esprit, ici, c’est que le petit discours idéologique vantant les mérites de la citoyenneté mondiale, du "village global" et d’un marché global mondialisé privé de frontières nationales, constituent tous des exigences des milieux d’affaire ayant pour but d’asseoir les privilèges du "happy few" et d’assurer au marché un approvisionnement en travailleurs à importer ou à exporter et de préférence taillables et corvéables à merci. Au vu de tous ces éléments on comprendra que les migrations impliquent de facto la recherche tous azimuts pour les migrants de conditions de vie décentes mais aussi un degré de compétition plus grand parmi les travailleurs, ce dernier élément posant problème dans le travail de syndicalisation. Il importe d’en discuter avec un esprit critique et ouvert". [5]
En mars 2007, la Commission européenne annonçait qu’elle planchait sur la possibilité de relancer l’immigration officiellement stoppée dans la plupart des États-membres au milieu des années 70 en proposant aux États-membres la création d’une "blue card" permettant l’accès au territoire européen pour des travailleurs en provenance de pays tiers.
Le commissaire chargé, à l’époque, des questions migratoires, Franco Frattini ne laissait planer aucune ambiguïté quant aux intentions de la Commission européenne : "chacun comprend que les migrations font partie intégrante de la solution au vieillissement de la population." [6] Quant à l’identité des heureux bénéficiaires non plus d’ailleurs, il s’agit bel et bien d’attirer en Europe les travailleurs les plus compétents en provenance du Tiers-monde, à commencer par l’Afrique. Selon la Commission européenne, la moitié des immigrants à destination de l’Amérique du Nord en provenance du pourtour méditerranéen, de l’Afrique du Nord et du Moyen orient sont des universitaires. Cette même proportion passe à 13% seulement pour ce qui concerne les migrations vers l’Europe. Bref, dit crûment, à cette époque, les migrations, c’était trop de sous-qualifiés du Sud chez nous et pas assez de grosses têtes. Et naturellement, quand on veut promouvoir l’économie de la connaissance, ces données n’ont rien de satisfaisant.
Cela dit, à l’époque, personne d’un tant soit peu honnête ne voyait pas vraiment en quoi la création de la blue card allait innover. Le lien entre certification (le diplôme) et l’obtention d’un poste sur le marché de l’emploi n’est pas des plus clairs en ce qui concerne les diplômés du Tiers-monde. En effet, s’il est évident qu’il manque de médecins généralistes en Afrique, on en vient presque à oublier que les spécialistes africains peinent, quant à eux, à trouver du travail chez eux. Faute d’équipements appropriés sans doute. Doit-on, pour autant, en déduire qu’ils n’ont aucune utilité dans leur pays d’origine ? Autrement dit, un spécialiste ne ferait-il pas un excellent généraliste si, le cas échéant, il en manquait dans certains pays ?
D’une flexibilité l’autre
Par ailleurs, le fait de permettre à un diplômé du Tiers-monde de rester chez nous juste pour quelques années n’innove en rien dans l’approche de l’Union européenne qui vante, sans désemparer, la flexibilité du marché du travail depuis de nombreuses années et l’a d’ailleurs récemment habillée des oripeaux de la flexisécurité. D’ailleurs, la "blue card" ne changeait pas grand-chose à ce qui se pratiquait, depuis belle lurette, au sein des États membres. "Les titres de séjour posant des limitations, et notamment celles liant le droit de séjour et de travail à un contrat et/ou à un employeur déterminé, existent déjà, de manière encore quantitativement limitée en France mais de façon beaucoup plus généralisée dans des pays comme l’Italie ou l’Espagne. Surtout, ces statuts juridiques tendent à se développer dans l’Union européenne et sont souvent montrés en modèle à suivre.
Ces statuts lient le salarié à l’employeur et l’empêchent d’en changer, faisant également perdre tout droit au séjour en cas de chômage. La question du maintien du droit au séjour en cas de chômage se pose aussi pour d’autres statuts qui lient le droit au séjour non pas à une relation de travail spécifique mais à la condition d’exercer un emploi (éventuellement assortie d’autres conditions restrictives). Dans sa proposition de directive de 2001, la Commission suggérait que les États puissent limiter le droit au séjour d’un migrant se retrouvant sans emploi à une période de trois mois, étendue à six mois si le migrant a déjà travaillé plus de deux ans, s’alignant ainsi sur les législations les plus restrictives à cet égard" [7].
Au détour de ces constats, on pouvait clairement établir que les politiques migratoires, dans l’Union européenne, s’inscrivaient dans une stratégie de flexibilisation du lien salarial. En effet, en évitant de facto au migrant de pouvoir changer d’employeur en raison de la limitation dans le temps de leur séjour, on l’empêche de se lier aux travailleurs locaux et à leurs luttes pour l’obtention de meilleures conditions de travail et de salaires.
Lorsqu’en 2007, la Commission européenne proposait la mis en œuvre de la blue card, il était surtout question de faire face à une éventuelle pénurie de la main d’œuvre européenne. Depuis, une certaine crise est passée par là. Et les taux de chômage sont, dans la plupart des États-membres, repartis à la hausse, à l’exception notable de l’Allemagne. Plus besoin, dans ces conditions, de faire appel à des travailleurs venus d’ailleurs.
Car les politiques d’austérité
Austérité
Période de vaches maigres. On appelle politique d’austérité un ensemble de mesures qui visent à réduire le pouvoir d’achat de la population.
(en anglais : austerity)
permettront de comprimer les salaires à travers toute l’Europe. Rien ne se perd ni ne se crée. Les termes du problème restent inchangés. Seules les stratégies évoluent, au gré des circonstances. C’est cela la flexibilité néolibérale.