Carte d'identité

Secteur Informatique
Naissance 2004
Siège central Menlo Park, Californie
Chiffre d'affaires 124,7 milliards d’euros
Bénéfice net 36,1 milliards d’euros
Effectifs 67.317 personnes
Site web http://www.facebook.com
Président Mark Zuckerberg
Actionnaires principaux (avril 2024): The Vanguard Group (8, 47%), Fidelity Management (6, 08%), BlackRock (5, 58%), State Street (4, 05%), Capital Group (3, 31%), PMorgan Investment Management, Inc. (2, 19%)
Comité d'entreprise européen non

Ratios 2023

 
Marge opérationnelle % 34,66
Taux de profit % 26, 1
Taux de solvabilité % 11, 25
Fonds roulement net (€) 54, 9 millards d'euros

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Historique

15 ans de Facebook : « la domination mondiale ! » [1]

Facebook fête ses quinze ans d’existence en 2019 alors que la réputation de l’entreprise a récemment fait l’objet de sérieuses égratignures à propos de l’utilisation douteuse des données de ses milliards d’utilisateurs. Ces données sont à l’origine tant du succès économique de Facebook que de ses déboires et constituent l’élément central et décisif de l’histoire du réseau social. Ce dernier a en effet su profiter de ce nouveau marché florissant pour se placer dans une situation monopolistique. Mais ces données et leur commerce ont des effets importants tant sur la vie privée des usagers d’Internet que sur l’évolution des notions de création de valeur et de travail.

Comment qualifier Facebook dans ce contexte : génie de l’innovation, start-up modèle ou « gangster numérique » comme l’a récemment nommé un rapport parlementaire britannique [2] ? Le géant du numérique est un peu tout à la fois. Après quinze années d’existence et une croissance exponentielle, il convient de revenir sur l’ascension vertigineuse du groupe dirigé par Mark Zuckerberg afin d’y déceler ses paradoxes, entre innovation technologique et quête infinie de pouvoir et de domination.

Débuts rêvés et premiers flirts avec l’illégalité

Les premiers pas de Facebook se confondent avec ceux de son créateur et ont été bien souvent romancés (grâce notamment au succès du film The social network retraçant l’histoire du réseau). Ce dont on est sûr, c’est que le réseau social qui deviendra Facebook Inc voit le jour en février 2004 sur le campus de Harvard (États-Unis) où le jeune étudiant Mark Zuckerberg, 19 ans, a l’idée de ce trombinoscope interactif en ligne reprenant le modèle du répertoire d’étudiants que possédait déjà chaque université. Aidé de quelques camarades, Zuckerberg lance le site Internet Thefacebook.com qui est alors uniquement accessible aux étudiants de Harvard. Le succès est immédiat et fulgurant, si bien qu’il élargit rapidement son cercle d’utilisateurs à la majorité des universités des États-Unis et du Canada. Le réseau social est en ligne depuis deux mois quand Zuckerberg enregistre la société The Facebook comme une limited liability company (LLC), l’équivalent d’une société à responsabilité limitée, et établit le siège de cette dernière en Californie. À ce stade, le site regroupe pas moins de 150 000 utilisateurs.

Il est intéressant de noter que ce n’est pas le premier projet dont Zuckerberg est l’initiateur. Quelques mois auparavant, il avait déjà lancé Facemash, un site Internet du même type, fonctionnant avec des algorithmes et permettant à ses utilisateurs, toujours les étudiants de Harvard, de voter pour la personne la plus « hot  » entre deux étudiants dont les photos s’affichaient côte à côte sur l’interface en ligne. La fréquentation du site explose rapidement et Zuckerberg entrevoit déjà l’attraction qu’un tel réseau social peut revêtir auprès de la jeune génération née avec Internet. Le site doit néanmoins être fermé rapidement et Zuckerberg est sommé de s’expliquer devant le conseil d’administration de Harvard en raison, notamment, du piratage des photos de tous les étudiants du campus. Ce premier tracas résonne désormais avec les nombreux ennuis liés à la confidentialité des internautes que connaitra le PDG de Facebook tout au long du développement de son entreprise.

Une autre anecdote est aussi parlante que prémonitoire sur les méthodes et ambitions du jeune informaticien. Après quelques mois d’existence de Facebook, son fondateur se retrouve déjà poursuivi en justice, accusé par d’autres étudiants de Harvard, les frères Winkelvoss notamment, d’avoir rompu un contrat oral les liant. Celui-ci prévoyait la création de HarvardConnection, un réseau social étudiant dont Zuckerberg se serait inspiré pour créer en catimini TheFacebook (il est précisément accusé d’avoir volé le code source, le design et le business plan de HarvardConnection). Les différents procès interviennent quelques années plus tard, le temps pour Zuckerberg, âgé de 23 ans, de devenir le plus jeune milliardaire au monde [3]. Craignant pour la réputation de son entreprise, Mark Zuckerberg parvient finalement à un accord financier avec les étudiants demandeurs et leur attribue 65 millions de dollars dont 45 en actions dans la société FB. Les étudiants contestent d’abord cette somme. Finalement, les décisions de justice profitent à Mark Zuckerberg et les étudiants finissent par abandonner l’idée de saisir la Cour suprême [4], mettant un point final à ce long périple judiciaire durant lequel Facebook n’aura, somme toute, qu’à peine tremblé.

Mis à part ce premier bâton dans les roues, les affaires vont bien pour le jeune ambitieux. Peu après la création de The Facebook, il nomme Sean Parker, un brillant informaticien [5], à la tête de la société. Il acquiert au passage 4 % du capital de Facebook et se voit chargé de réfléchir à l’expansion de l’entreprise qui passera inévitablement par l’arrivée de financements extérieurs privés. Parker mène à bien son travail puisque c’est grâce à lui qu’en 2004 Facebook accueille ses premiers investissements : Peter Thiel, cofondateur de Paypal (service de paiement en ligne) investit 500.000 dollars et Reid Hoffman, fondateur de LinkedIn (réseau social professionnel) 40.000 dollars. L’apport de ces business angels [6] est l’occasion pour FB d’améliorer ses fonctionnalités en lançant les « groupes » permettant de « communiquer sur des centres d’intérêt communs avec certaines personnes » [7] et le fameux « mur » qui représente l’interface sur lequel l’utilisateur peut partager du contenu. Le succès du réseau social est tel qu’il n’aura eu besoin que de 10 mois pour regrouper plus d’un million d’utilisateurs. Un an plus tard, ce nombre est multiplié par 5 et 90 % de ces internautes consultent FB au moins une fois par semaine. À ces chiffres vertigineux s’ajoutent ceux des revenus qu’encaisse chaque mois l’entreprise : pas moins de 1 million de dollars. Pour mieux coïncider avec son ambition, Zuckerberg déplace son entreprise à Palo Alto, au cœur de la Silicon Valley, foyer international des nouvelles technologies. La business story est en marche.

Une croissance exponentielle malgré des ennuis avec la confidentialité des utilisateurs

Le départ plus qu’encourageant de FB n’est que le début d’une croissance économique qui ne s’arrêtera plus. En 2005, Mark Zuckerberg voit injecter dans son entreprise 12,7 millions de dollars, somme investie par la société de capital-risque [8] Accel Partners [9]. La valeur de la société Facebook est alors estimée à 98 millions de dollars. La même année, The Facebook perd sa particule et achète pour 200.000 dollars le nom de domaine facebook.com, avant de s’ouvrir définitivement au monde entier en 2006.

À cette occasion, FB lance une nouvelle fonctionnalité décisive, le fil d’actualité. Celui-ci apparaît sur la page d’accueil de chaque utilisateur et consiste en un flux ininterrompu d’informations et de mises à jour concernant ses amis, pages et groupes qu’il like. Les utilisateurs se montrent d’abord défavorables à cette nouveauté, craignant pour leur vie privée. En effet, par l’intermédiaire de ce flux, chaque action de l’utilisateur est partagée avec ses amis. En somme, c’est l’aspect trop « stalker » (qu’on peut définir par « traqueur » du verbe traquer) – devenue la norme sur FB aujourd’hui – qui était reproché à cette centralisation des informations en un flux. Même si les infos apparaissant sur ce dernier ne sont pas privées (elles peuvent être trouvées différemment sur le réseau en allant visiter le profil de tel ou tel utilisateur ami), on voit dans cette prudence des utilisateurs une première prise de conscience quant aux changements en terme de vie sociale et privée que peut soulever FB. Pas de quoi émoustiller Mark Zuckerberg qui s’excusera (déjà !) auprès de ses utilisateurs d’avoir mal expliqué les nouvelles fonctionnalités et de ne pas leur avoir donné un certain contrôle sur les informations à paraître sur ce flux ; ce qu’il fera finalement pour calmer la fronde.

Ces résistances des utilisateurs à dévoiler leur vie privée n’effraient en rien le marché. En 2006 toujours, c’est Greylock Partners (une des plus anciennes sociétés de capital-risque) qui investit 27,5 millions de dollars dans FB. Entre-temps, Yahoo ! propose de racheter FB pour la modique somme de 1 milliard de dollars. L’offre est alléchante étant donné qu’à l’époque Facebook ne dégage « que » 20 millions de dollars de revenus annuels et n’est pas encore bénéficiaire. Mais Mark Zuckerberg, alors âgé de 22 ans, est aussi confiant qu’obstiné quant au potentiel de son entreprise et décline l’offre, malgré les conseils de ses premiers investisseurs [10], Peter Thiel et Jim Breyer (Accel Partners). Ce n’est d’ailleurs pas la seule tentative échouée de rachat de FB. En tout, près de dix groupes ont tenté, en vain, de s’approprier la création de Mark Zuckerberg (parmi lesquels Google, Microsoft, Viacom, Myspace ou encore NBC [11]).

En 2007, c’est au tour de Microsoft de miser sur FB à hauteur de 240 millions de dollars [12] en échange de 1,6 % du capital. Mais la collaboration va plus loin, puisqu’un accord est conclu entre les deux géants du numérique, prévoyant que Microsoft sera dorénavant le partenaire exclusif de FB en matière de publicités. Microsoft, pionner dans la technologie publicitaire ciblée, devient alors le seul fournisseur de bannières et de liens sponsorisés de FB.

Un mois plus tard, une nouvelle levée de boucliers attend le PDG de FB. Il lance Beacon, un service qui permet à des entreprises de partager avec FB ce que leurs clients, aussi présents sur le réseau social, ont acheté. Ainsi, un utilisateur FB peut voir sur le réseau social ce que ses amis ont pu acheter sur tel ou tel site Internet. Mais estimant que ce service est une nouvelle atteinte à la vie privée, les internautes le font savoir au créateur de FB qui, de nouveau, s’excusera. Il ne fermera toutefois Beacon que deux ans plus tard, après un recours collectif.

La lutte des internautes pour la protection de leur vie privée est la toile de fond qui accompagne FB depuis ses débuts. Très tôt donc, Mark Zuckerberg sait que la durabilité du succès de son réseau social passera par une attention toute particulière à cette thématique. C’est pourquoi il avait engagé, dès 2005, un responsable de la protection de la vie privée [13], ce qui n’a visiblement pas été suffisant pour être irréprochable en la matière. Mais ces remous sont bien loin de freiner la croissance démentielle des audiences de FB. Ouvert au monde entier, le réseau social compte 50 millions d’utilisateurs actifs en 2007 et déjà le double au mois d’août de l’année suivante. Zuckerberg annonce finalement en janvier 2010 qu’il a reçu l’inscription du 400 millionième membre [14]. En cinq ans, le jeune informaticien a construit un empire numérique qui, s’il était un pays, se placerait en troisième position des plus peuplés au monde. Colossal.

L’histoire de la publicité sur Facebook

Nous avons jusqu’ici exposé les chiffres des audiences de FB, ce qui ne nous dit pas comment il génère de l’argent, d’autant que le service offert par le réseau social est totalement gratuit. Son modèle économique n’est en effet pas basé sur la simple vente d’un service, mais bien sûr la vente indirecte aux annonceurs d’une « denrée » devenue le nouvel or numérique : les datas (données des utilisateurs).

L’idée, pour les entreprises, de gagner de l’argent grâce à la publicité n’est pas arrivée avec Internet. Les secteurs de la presse, de la télévision ou de la radio l’avaient compris bien avant. Néanmoins, aujourd’hui, Internet est désormais en tête en proportion de part de marché publicitaire avec 29,6 % [15] en 2016, en France, par exemple (46,8 % au Royaume-Uni). Et FB n’est pas étranger à ce renouvellement du marché publicitaire. Mark Zuckerberg l’a bien compris, c’est grâce aux annonceurs qu’il pourra se développer et accroitre ses revenus.

Dès les débuts du réseau social, Zuckerberg voit dans la publicité une source de revenus décisive, notamment pour compenser le coût des serveurs. La première publicité (qu’on appelle alors flyer) apparaît sur le réseau social dès avril 2004 [16], deux mois après son lancement. Alors que FB n’est ouvert qu’à quelques universités américaines, les annonceurs locaux (étudiants compris) sont invités à louer, pour une journée, l’espace vertical conçu à cet effet sur la page d’accueil du site, permettant de diffuser un message à destination d’un campus précis, moyennant une somme allant de 10 à 40 dollars. C’était l’occasion par exemple d’annoncer la tenue d’un évènement à venir sur le campus. C’est grâce à ces flyers que FB encaisse ses premiers revenus. Depuis, les publicités n’ont cessé d’évoluer pour se professionnaliser (flyers pro). Rapidement, les annonceurs vont pouvoir fixer à FB une cible à atteindre sur base de certains critères (de sexe, d’âge, de religion ou encore de couleur politique). Ceci attire de grands groupes désireux de cibler leurs publicités. C’est le cas d’Apple ou Victoria’s Secret qui, dès 2005, payent FB pour partager leurs publicités sur le réseau social, moyennant des revenus mensuels de plusieurs centaines de milliers de dollars.

Comme évoqué plus haut, la stratégie économique de FB prend un nouvel élan en 2007 lors de son partenariat avec Microsoft qui se voit attribuer l’exclusivité de la fourniture de bannières et autres liens sponsorisés sur la plateforme. C’est aussi en 2007 que FB lance la version mobile de son site. L‘année suivante, alors que la crise financière plonge le monde économique en récession, Zuckerberg donne un nouveau coup d’accélérateur en permettant à toute entité commerciale de créer gratuitement une page sur FB. Il en fait l’annonce lors d’un évènement en présence de plus de 250 responsables de la publicité et du marketing et où se croisent de puissants groupes comme Coca-Cola, Sony, Microsoft ou encore CBS [17]. Les contours du modèle économique semblent dès lors définitivement dessinés. Il ne reste qu’à l’améliorer, en particulier par l’affinage du ciblage publicitaire.

Un modèle économique subtil : la gratuité en échange des données privées

En somme, le modèle économique de FB est simple : en échange de la gratuité du réseau social pour les utilisateurs, leurs données sont méticuleusement collectées et traitées par des algorithmes pour être ensuite utilisées à des fins commerciales.

Que se cache-t-il derrière ces mystérieux algorithmes [18] ?
 
Fonctionnant de manière complexe et opaque, les algorithmes constituent pourtant la clef de voûte du succès du modèle économique des grandes entreprises du numérique. Les données constituent la matière première, mais c’est bien leur traitement qui leur donne une valeur. Cette transformation des données collectées en données exploitables est régie par ces algorithmes.
 
Concrètement, un algorithme est un programme informatique composé d’une suite d’instructions permettant l’obtention d’un résultat (comme une recette de cuisine). Il opère un certain nombre de calculs à très grande vitesse à partir d’une masse d’ingrédients : les données. Chaque jour, en effet, Internet génère des tonnes de ces données, qu’elles soient explicites (comme la rédaction d’un statut Facebook) ou implicites (clics, géolocalisation, vitesse de lecture, etc.). Les algorithmes ont pour tâche de trier, traiter, agréger et représenter ces informations via des instructions mathématiques.
 
Ces programmes disposent de plusieurs manières de traiter l’information numérique selon l’objectif assigné. Pour certains, le but va être de mesurer la popularité ou l’autorité d’un site Internet (en collectant le nombre de « clics »). Pour d’autres, il s’agira de mesurer la réputation (collecte du nombre de « like »). Les algorithmes de type prédictifs doivent, eux, prédire les comportements des internautes en collectant leurs moindres traces sur Internet. Ces différentes façons de calculer cohabitent sur les plateformes Internet et les algorithmes prédictifs sont maintenant intégrés dans la plupart des autres algorithmes. Ces derniers méritent un intérêt pour deux raisons : ils sont très avantageux pour les annonceurs et ils constituent le plus grand danger pour la liberté des internautes.
 
Ce calcul prédictif fait l’hypothèse qu’il existe un caractère régulier et prévisible des pratiques en ligne. L’algorithme « auto-apprend » en comparant un profil à ceux d’autres internautes qui ont réalisé la même action que lui. Par exemple, si A a regardé le film X et B a lui visionné les films X et Y, l’algorithme va proposer à A le film Y. Il s’agit pour l’algorithme d’inciter l’internaute à agir dans une direction plutôt qu’une autre. En somme, il hiérarchise l’information et prédit ce qui intéresse l’internaute. Ces calculs participent donc à la fabrication de notre réel en l’organisant et l’orientant. Cette technologie est un outil phare pour les publicitaires d’aujourd’hui qui ont la possibilité de cibler rigoureusement leur public à partir de ses traces de navigation.
 
Dans le cadre de FB, les algorithmes sont utilisés de façon à rendre addictive l’utilisation du réseau social en décidant du contenu à paraître sur le fil d’actualité (contenu qui est prédit grâce aux données collectées sur l’utilisateur). Ainsi, plus un internaute revient sur le réseau, plus il offre ses données. Ces données sont ensuite vendues indirectement aux annonceurs permettant à FB de dégager des revenus. Les publicités sont elles aussi soumises au bon vouloir des algorithmes puisqu’ils décident de leurs pertinences selon un indice qui va de 1 à 10. Cet indice de pertinence joue un rôle dans le coût à payer pour les annonceurs. Plus il est élevé, moins ils paieront. Les algorithmes régissent donc l’intégralité du modèle économique de FB et constituent sa pièce maitresse.

Précisément, les annonceurs indiquent à FB le message qu’ils veulent diffuser et le public qu’ils souhaitent cibler (selon des critères sociaux ou économiques par exemple). FB est alors rémunéré pour publier ledit message de façon à ce que le type d’utilisateurs ciblés le voie. On comprend ainsi pourquoi les données valent de l’or puisque, contrairement à la télévision qui ne peut se prévaloir de données aussi précises sur son public, celles collectées par FB permettent de cibler rigoureusement les personnes susceptibles d’être intéressées par le message des annonceurs. Une aubaine pour ces derniers.

Le réseau social ne se cache pas de ce modèle économique. En effet, il en informe les utilisateurs sur son interface [19]. Il ne semble toutefois l’assumer qu’à moitié auprès des internautes au regard de la difficulté d’accès aux informations concernant ce ciblage publicitaire (à l’instar d’autres plateformes, tout est fait pour que l’utilisateur ne fasse qu’accepter les conditions générales sans vraiment les avoir lues ce qui pose un sérieux problème quant au consentement éclairé de celui-ci).

Ainsi, Facebook précise que les données collectées sont de différentes natures. Il y a d’abord les données que l’utilisateur « offre » sur le réseau social lui-même. Cela concerne les pages et groupes aimés, mais aussi sa liste d’amis, les informations inscrites sur son profil (âge, date et lieu de naissance, emploi, situation maritale, etc.) et tout contenu qu’il a pu publier ou partager (images, photos, articles, etc.). Cela concerne aussi les lieux où l’utilisateur a indiqué à Facebook qu’il se trouvait, mais également les messages privés ou les informations sur l’appareil à partir duquel il s’est connecté au réseau social (nom des applications et fichiers présents sur l’appareil, adresse IP, mouvements de la souris, appareil photo, etc.). Mais ce n’est pas tout, car l’utilisateur peut aussi « laisser des traces » intéressantes pour FB ailleurs que sur le réseau. Par exemple, lorsqu’il s’inscrit par mail à une newsletter, lorsqu’il achète un produit en magasin ou lorsqu’il consulte une page web ou une application utilisant une fonctionnalité de FB.

Rien n’échappe aux puissants algorithmes du réseau et cet ensemble de caractéristiques sociales, économiques et comportementales [20] auxquelles chaque utilisateur est associé est une véritable mine d’or tant pour le réseau social que pour les annonceurs. Ce business modèle dans lequel les utilisateurs de FB « travaillent » gratuitement pour celui-ci en lui fournissant des données chamboule la chaîne de valeur telle que le capitalisme la concevait jusqu’ici.

Vers une réinvention de la production de valeur : quand le consommateur devient producteur

Prenons ici un peu de hauteur pour exposer les conséquences du modèle économique mis en place, entre autres, par FB. L’entreprise de Mark Zuckerberg est un acteur économique de ce que l’on appelle l’économie numérique ou digitale, « nouvelle économie » qui s’est développée grâce à l’essor d’Internet, des réseaux à haut débit, mais aussi par le développement des appareils mobiles et l’accumulation de données (Big data) [21]. C’est donc « une forme d’organisation de l’économie qui exploite le potentiel d’une nouvelle génération de réseaux, d’objets communicants, de logiciels de traitement de données massives et de machines de plus en plus intelligentes [22] ». Cette économie digitale a pour acteurs des plateformes en ligne, qui englobent FB tout comme une multitude d’autres entreprises qui font appel à des business model très différents. En effet, selon la Commission européenne [23], le terme renvoie autant aux plateformes publicitaires en ligne qu’aux places de marché en ligne, aux moteurs de recherches ou aux réseaux sociaux. Ces plateformes en ligne recouvrent aussi les plateformes de livraisons de repas (Deliveroo, Uber Eats, etc.) ou celles qui permettent une mise en relation entre particuliers (Airbnb, Blablacar, etc.). Si toutes ces entreprises sont désignées sous le terme de plateforme, bien des choses les différencient [24].

De cette économie digitale découle le travail virtuel dont les caractéristiques révolutionnent les questions liées au travail et à la production de valeur. Pour certains, en effet, on assiste à une remise en cause des notions de lieu de travail, de temps de travail ou de contrat de travail. Aussi, les délimitations entre sphère professionnelle et privée, entre travail et loisir et entre travail rémunéré et gratuit deviendraient poreuses. Pour ces auteurs, l’activité des usagers des réseaux sociaux s’apparente à un travail gratuit puisqu’ils offrent des données qui, une fois vendues, permettent aux plateformes d’encaisser leurs principaux revenus [25]. Pour qui assimiler le like d’un post FB à du travail semble abusif, l’utilisateur du réseau serait davantage un produit ou une marchandise vendue aux annonceurs. Il reste que, travail ou non, l’activité de ces internautes est productrice de valeur. Il s’agit pour FB d’une nouvelle façon d’extraire de la valeur de la coopération sociale [26] (entre internautes). Ainsi, et par une confusion d’un genre nouveau, le consommateur devient producteur et la chaine de valeur classique se trouve renouvelée.

Cette réinvention de la production de valeur s’effectue au bénéfice de la plateforme qui n’a plus besoin d’acheter sa « matière première », les données, qui sont fournies gratuitement (et souvent inconsciemment) par les utilisateurs. Au regard de cette économie considérable, on conçoit mieux la rapidité avec laquelle une plateforme comme Facebook a pu faire fortune si rapidement. À cette économie s’ajoute l’économie du travail du fait que le traitement des données (finalement la tâche principale créatrice de valeur pour FB) n’est pas conduit par des femmes et hommes, mais par des algorithmes, qui n’ont encore jamais formulé de revendications salariales !

Cette automatisation des tâches (remplacement des travailleuses et travailleurs par la machine) est une des forces des acteurs économiques de l’économie digitale qui leur permet d’économiser sur la protection sociale qu’ils devraient offrir à leurs salariés dans un schéma plus classique. Le modèle économique de FB pose ainsi des questions sur les notions de travail et de création de valeurs, mais ce n’est pas tout, car l’accumulation et le commerce des données font peu à peu disparaître le droit à la vie privée des usagers du réseau social.

Le commerce des données : un danger pour certains droits fondamentaux

On a vu l’étendue des données amassées et traitées par les algorithmes de FB. Afin de démontrer (et d’alerter sur) l’efficacité et la précision d’une telle collecte, l’université de Cambridge a, en 2013, effectué une étude [27] pour laquelle près de 60.000 personnes devaient répondre à un test de personnalité, réponses qui ont ensuite été recoupées avec les « j’aime » sur FB de chacune de ces personnes. Il en ressort qu’à partir de ces seuls « j’aime », les universitaires ont pu deviner à 95 % la couleur de peau des participants, leurs orientations politiques à 85 % et sexuelles à 80 %, leurs confessions religieuses à 82 %, mais aussi s’ils fumaient (73 %), buvaient (70 %) ou consommaient de la drogue (65 %). Michal Kosinski, le chercheur chargé de cette étude précise [28] qu’une analyse de masse telle que celle organisée par FB permettrait, à l’aide de nombreuses corrélations, de deviner l’orientation sexuelle, les opinions politiques, le QI ou encore les prédispositions criminelles d’un utilisateur uniquement grâce à sa photo. Cette étude est signifiante vis-à-vis des dangers d’une telle collecte des données personnelles de milliards d’utilisateurs. En effet, quid de la vie privée ? Quid de la liberté de conscience (quand FB décide de ce qui va apparaître sur votre fil d’actualité) ?

Finie, la vie privée ?

Comme évoqué plus haut à plusieurs reprises, FB a toujours eu des problèmes avec la confidentialité et la vie privée de ses utilisateurs. Ce n’est donc pas une surprise si encore récemment, un scandale international a éclaté en la matière. Tout commence en 2010, lorsque FB lance Open Graph API 1.0, un programme qui offre aux applications tierces (applications et sites web auxquels les utilisateurs peuvent se connecter grâce à FB) la possibilité de collecter les nombreuses données d’un utilisateur et de ses amis. Face à l’inquiétude des internautes de perdre la maitrise de leurs données personnelles, FB se voit dans l’obligation d’arrêter l’utilisation de son programme en 2015. Il est alors envisagé que des applications tierces aient conservé les données collectées durant ces cinq ans. Bingo, puisque la même année, une enquête du Guardian montre qu’un chercheur, qui avait développé en 2013 une application de quizz de personnalité, a vendu l’ensemble des données collectées des utilisateurs de ce test (270.000 personnes ainsi que plusieurs dizaines de millions de leurs amis) à l’entreprise d’analyse de données SCL dont Cambridge Analytica est la branche américaine. Conformément aux services qu’elle offre, celle-ci se voit charger par Ted Cruz, candidat républicain aux primaires américaines, d’élaborer différents modèles de personnalités d’électeurs éventuels afin de mieux les cibler lors de la communication des messages de campagne. Comme l’affirme fièrement le PDG de Cambridge Analytica dans une vidéo promotionnelle : « Plus vous en savez sur quelqu’un, plus vous pouvez aligner une campagne sur ses exigences, ses désirs et ses besoins ». Les données, en plus d’être de l’or pour les publicitaires commerciaux, deviennent une denrée qui peut être aussi décisive pour les hommes politiques. Donald Trump l’a lui aussi compris et fait appel à son tour à Cambridge Analytica pour sa campagne, avec le succès que l’on connait (même si le rôle de CA n’est en rien prouvé). On apprendra aussi que l’entreprise a vendu son service auprès de pro-Brexit Leave.EU, groupe œuvrant en faveur du Brexit.

Quand sont révélées les méthodes de Cambridge Analytica qui lui ont permis, grâce à la perméabilité de FB vis-à-vis de la protection des données, de récolter les données de 87 millions de personnes sans leur consentement, une fronde internationale s’élève contre le réseau social et son PDG. Facebook craint alors pour son image de se voir associer à un tel scandale concernant une entreprise (dont on apprendra qu’elle est financée par un des principaux donateurs du parti républicain et qu’elle a été dirigée par l’un des proches conseillers de Trump) ayant détourné tant de données personnelles provenant des failles de son propre réseau. La bourse ne s’y trompe pas puisqu’au lendemain du scandale, le cours de l’action FB s’effondre de 17 %, preuve du délitement du lien de confiance unissant la firme et les marchés financiers. Sous pression, le PDG de FB se voit sommé de s’expliquer devant diverses autorités (il acceptera de se présenter devant le Congrès américain et le Parlement européen) devant lesquelles il s’excusera et reconnaitra la responsabilité de FB, promettant, une nouvelle fois, de faire mieux dans le contrôle des données offert aux utilisateurs, rhétorique constante dans le discours de Mark Zuckerberg. Le PDG vit surement la période la plus trouble de son histoire, période durant laquelle une vague d’appels à supprimer Facebook (#DeleteFacebook) s’étend à travers le monde.

Cette nouvelle affaire représente sans nul doute la goutte qui fait déborder le vase en matière d’atteinte aux données personnelles. Les législateurs de plusieurs pays commencent à alerter sur les dangers du commerce florissant des données et envisagent d’édicter des règles formelles pour encadrer ces géants d’Internet. C’est ce que tente de faire le RGPD (Règlement général sur la protection des données), un texte européen qui vise à obliger les entreprises du Net à se montrer plus vigilantes quant à l’utilisation des données des utilisateurs. Le règlement prévoit des amendes (allant jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires) pour les entreprises ne le respectant pas. Si ce texte est un bon début et constitue un premier rempart à la liberté totale des commerçants de la donnée, pour beaucoup cela ne suffira pas.

Car obliger FB et les autres géants du Net à respecter la vie privée des utilisateurs c’est, par définition, leur demander de signer leur mort économique. En effet, ces acteurs prospèrent au sein de ce que certains appellent le « capitalisme de surveillance » [29], notion qui caractériserait l’héritage naturel du complexe militaro-industriel dont est issu Internet, et désignerait un détournement du capitalisme par un projet de surveillance lucratif.

Le capitalisme de surveillance ou la fin de l’autodétermination

Facebook et la majorité de l’économie numérique reposent sur la collecte massive des données. Pour certains, ces acteurs seraient ceux du capitalisme de surveillance, capitalisme détourné où « les utilisateurs sont une source de matériaux bruts gratuits qui nourrit un nouveau type de processus de fabrication [30] ». Il y aurait ainsi un changement de paradigme dans les mécanismes capitalistes classiques où le capital ne serait plus le bien ou le stock (de produits, d’argent, de main-d’œuvre), mais serait le comportement et la manière de le renseigner, autrement dit l’information que collectent les entreprises comme Facebook. Cette nouvelle forme de marché a été découverte par Google puis adoptée par Facebook avant de gagner bien d’autres domaines pour qui l’accumulation de données prendrait la forme de généreux profits (chaussures de sport connectées, voiture ou montre connectée, etc.). Goldman Sachs parle de « ruée vers l’or ».

Pour ces nouveaux acteurs, il ne s’agit pas seulement de cibler la publicité en ligne, mais bien plus largement, de vendre l’accès en temps réel au flux de la vie quotidienne des internautes afin de les influencer et de modifier leurs comportements dans un but de profit. Shoshana Zuboff parle de Big Other [31] pour désigner la puissance à l’œuvre de cette surveillance généralisée rendue possible par l’extraction en masse de tonnes de données dont Facebook en est l’emblème. Ce Big Other s’approprie les données comportementales des usagers d’Internet par un processus de commercialisation du savoir « sur » l’autre et de son contrôle.

Cette intrusion globale dans la vie des internautes aurait l’objectif inavouable de modifier le comportement des gens au profit des acteurs économiques à l’initiative de cette intrusion. Ainsi et pour les tenants de cette représentation, il n’est pas suffisant de revendiquer le droit à la vie privée face à ces mécanismes de surveillance, car ces derniers menacent bien d’autres notions ancrées depuis des millénaires dans nos sociétés modernes comme le développement de l’identité, l’autonomie ou le raisonnement moral. Autrement dit, l’autodétermination, la liberté de conscience ou la liberté de penser par soi-même se trouvent défiées par des acteurs économiques soucieux de leurs uniques profits et prêts ainsi à interférer dans les comportements à adopter de leurs utilisateurs. C’est le cas lorsque, naviguant sur Facebook, un utilisateur se voit invité à acheter tel ou tel produit dont l’annonceur sait qu’il l’intéressera. Un autre exemple caractéristique de cette immixtion dans nos comportements est celui des assurances [32]. En effet, toutes les données laissées par les utilisateurs de réseaux sociaux, d’applications Smartphone ou d’objets connectés sont autant d’informations sur le régime alimentaire ou l’état de santé de l’individu. Ces renseignements sont une mine d’or pour les assurances et mutuelles et l’évaluation des risques qu’elles prennent en charge. Ainsi, celles-ci seraient tentées d’augmenter le contrôle des assurés via les données conduisant à renverser l’asymétrie d’informations qui jusque-là bénéficiait aux assurés. Ces compagnies privilégieraient alors les clients les moins à risque afin de maximiser leur profit.
Pour d’autres [33], l’accumulation de ces données par des entreprises privées permettrait de remplacer, demain, les services publics. En effet, les algorithmes, nourris des données de ces géants du numérique, seraient capables de gérer le trafic urbain ou les dépenses énergétiques. Cette « gouvernementalité algorithmique [34] » pourrait même, à terme, évincer le débat politique en le remplaçant par l’analyse statistique.

De ce point de vue, il y aurait une spoliation de notre intimité quotidienne, transformée en comportement à surveiller et modifier, à acheter et à vendre dans le but de profits de quelques acteurs économiques du numérique. Ainsi, si pour une grande majorité le droit à Internet est considéré comme un droit humain fondamental [35], il ne s’agirait pas que ce droit, par son avènement, détruise d’autres droits et principes aussi fondamentaux que le droit à la vie privée et l’autodétermination individuelle.
Ce qui vient d’être énoncé n’est pas encore tout à fait perceptible aujourd’hui, mais les jalons d’une société ultra-connectée et guidée par les algorithmes sont largement posés. Si les législateurs semblent n’avoir que trop peu de volonté pour endiguer cette tendance, l’éducation des utilisateurs pourrait être une solution plus efficace.

L’émergence d’une coopération militaro-numérique
Preuve de leur efficacité, ces techniques de surveillance entreprises dans un but commercial sont devenues convoitées par les services de police des États. Depuis 2013 et les révélations d’Edward Snowden, on sait en effet que la surveillance généralisée de nos sociétés est le fruit d’une imbrication étroite entre les États et les grandes entreprises informatiques. Il n’est aujourd’hui plus rare qu’un service de renseignement étatique se tourne vers FB ou un autre réseau social pour obtenir des informations sur un individu dans un but judiciaire. Pour ce faire, les procédures sont de plus en plus standardisées et ce sont bien les plateformes qui apprécient l’opportunité de la demande, prenant soin de fournir le moins de données possible. Cette dépendance des États aux multinationales du numérique en matière de renseignements assoit la puissance et la domination de ces dernières au détriment de la souveraineté des premiers.
Cette coopération « militaro-numérique » efface de plus en plus la frontière entre public et privé pour tout carriériste du renseignement. De nombreuses personnalités ont fait la navette entre agences militaires de renseignements et géants du web. Par exemple, en 2012, Regina Dugan, alors directrice de la DARPA (Agence pour les projets de recherche avancée de défense, USA) quitte son poste pour Google. De même, Palantir Technologies, entreprise d’analyse de données qui travaille avec la NSA, le FBI et la CIA, a été cofondée en 2003 par Peter Thiel, membre du conseil d’administration et investisseur de la première heure de FB.

Le F de GAFAM

Toutes ces problématiques qu’engendre le commerce des données n’ont en rien entaché le succès de FB. Bien au contraire, au début des années 2010, avant l’éclatement du scandale Cambridge Analytica, le réseau poursuivait, sans trop de soucis, sa folle ascension vers les sommets économiques en s’apprêtant à entrer en bourse. À l’aube de celle-ci, Digital Sky Technologies (société de capital-risque russe) investissait 200 millions de dollars dans FB, soit le deuxième plus gros investissement après celui de Microsoft en 2007. Le record tombe finalement quelques mois plus tard lorsque Goldman Sachs investit 450 millions de dollars dans la multinationale.

En mai 2012, FB lance son IPO (initial public offering [36]) alors même que son modèle économique basé sur la publicité fait encore douter certains annonceurs et publicitaires. Le doute persistera un temps, car, si FB lève 16 milliards de dollars pour son premier jour, le prix de l’action, proposé à 38 dollars, ne progresse pas et termine la journée tout juste au-dessus de son prix d’ouverture. En quatre jours, la valorisation de la multinationale chute de 19 milliards de dollars. L’IPO est chaotique et l’action FB est au plus bas en septembre 2012. Néanmoins, un an après son entrée en bourse, l’action va retrouver son cours d’ouverture. FB suscite de nouveau la confiance en misant sur le mobile et la tablette, supports de plus en plus privilégiés par les utilisateurs. La publicité sur ces nouveaux supports va rapidement représenter plus de la moitié des recettes permettant au réseau de dégager un bénéfice de 1,5 milliard de bénéfices en 2013. La croissance de ses audiences n’est plus aussi rapide qu’avant – bien que le réseau vient de dépasser le milliard d’utilisateurs -, mais la société devient rentable.

Bien décidé à rester dans l’ère du temps, FB continue d’investir les supports mobiles en rachetant pour 1 milliard de dollars Instagram, une application de partage de photos très populaire chez les jeunes. L’application qui dépasse aujourd’hui le milliard d’utilisateurs permet à FB d’encaisser toujours plus de revenus publicitaires et laisse présager un futur radieux quant à sa croissance économique. Dans la même optique, WhatsApp, application de messagerie instantanée, est aussi rachetée par FB en 2014 pour plus de 20 milliards de dollars. Le mois suivant, le réseau social élargit son domaine d’activité et investit dans la réalité virtuelle avec l’achat d’Oculus VR pour 2 milliards d’euros. À l’instar de Google ou Amazon, Zuckerberg porte une vision à long terme et montre par ce rachat qu’il faudra compter sur lui pour le futur de l’informatique. Entre-temps, Zuckerberg, fidèle à son désir de connecter (et dominer) le monde, lançait Internet.org [37], un programme ayant l’ambition de fournir un accès à Internet via FB dans les pays en développement. Des associations de plusieurs pays se prévalent alors de la neutralité du net pour contester ce projet, arguant que dans sa position, FB serait le seul gardien du contenu que les internautes pourraient voir ou ne pas voir sur Internet. Le programme se poursuit toutefois dans plusieurs pays comme les Philippines ou l’Indonésie, deux pays qui comptent parmi les marchés de FB à la croissance la plus rapide.

Ainsi, Facebook s’est imposé parmi les géants du web qu’on désigne par l’acronyme GAFAM [38]. Par un effet de réseau [39], ces derniers ont acquis une position ultra-dominante grâce à la concentration en leur sein de la valeur de cette nouvelle matière première qu’est la donnée. Devenues riches et puissantes grâce au Big data, elles ont tout le loisir de racheter leurs concurrents d’aujourd’hui et de demain avec pour conséquence un accroissement de cette situation monopolistique. Adeptes du lobbying [40] et de l’optimisation fiscale, la surpuissance de cette oligarchie numérique rime avec l’impuissance des États qui ne semblent pas en position de réguler quoi que ce soit les concernant.

Conclusion

En 15 ans, Mark Zuckerberg a construit un empire qui regroupe aujourd’hui plus de 2 milliards de personnes. Pourtant confronté aux pires moments de son histoire ces dernières années, FB continue d’être une machine à bénéfices avec pas moins de 22 milliards de dollars dégagés en 2018 [41]. Avec une croissance constante de ses audiences et de ses revenus, FB semble intouchable et continue de surfer sur le commerce plus que prospère des données.

Mais, comme on l’a vu, ce même modèle économique est aujourd’hui attaqué de toute part, autant pour les enjeux liés à la vie privée des utilisateurs qu’à ceux liés à la liberté d’autodétermination d’une société. La fronde est même venue de plusieurs anciens cadres de FB, comme Sean Parker, son premier président, qui a récemment reconnu qu’il avait participé à la création d’un monstre dont le principal but est d’absorber le temps et l’attention consciente des utilisateurs [42]. Face à ces prises de conscience croissantes, il ne fait nul doute que la question du renouvellement ou de l’arrêt du modèle publicitaire de FB se posera de plus en plus prestement pour ses dirigeants. Des promesses et des excuses de Mark Zuckerberg ne suffiront peut-être pas à éteindre le brasier d’un prochain scandale.
En attendant une prise de conscience collective face aux dangers de FB, Mark Zuckerberg poursuit impunément son rêve de connecter le monde en développant une multinationale empruntant autant aux caractéristiques des entreprises capitalistes classiques (monopole, optimisation fiscale, lobbying, empreinte écologique) qu’à celles de l’économie numérique moderne en étant l’un des acteurs principaux de ce capitalisme de surveillance qui éteint doucement mais surement la vie privée et la liberté de conscience.

Charly Galbin, avril 2019


[1Slogan fétiche que Mark Zuckerberg aime faire crier à son auditoire à la fin d’un speech (Mark Zuckerberg – La biographie, Daniel Ichbiah (2018))

[5En 1999, alors âgé de 19 ans, Sean Parker cofonde Napster, un service de partage de fichiers musicaux qui verra en 7 mois son audience grimper de 1 à 50 millions d’utilisateurs.
Un an seulement après son arrivée à Facebook, Sean Parker quitte l’entreprise après avoir été arrêté pour possession de cocaïne.
https://www.lesinrocks.com/2010/10/16/web/sean-parker-de-napster-a-facebook-un-heros-tres-discret-1124707/

[6On qualifie de business angel{} une personne physique qui investit une part de son patrimoine dans une entreprise à potentiel, tout en lui offrant également ses compétences, son expérience ainsi que ses réseaux relationnels.

[8Une société qui investit dans des entreprises en développement et qui spécule sur ses profits futurs.

[9Moins de 10 ans après cet investissement, Accel Partners récupérera 800 fois sa mise soit le record pour une société de capital-risque
https://www.lesechos.fr/29/03/2012/lesechos.fr/0202064306861_facebook---accel--le-fonds-discret-qui-va-ramasser-800-fois-sa-mise.htm

[14Carter, Brian ; Levy, Justin (2012). Le guide ultime du marketing sur Facebook. Paris : edi8, 256 p.

[18Cardon Dominique (2015). A quoi rêvent les algorithmes ? Paris : La République des idées, 105 p.

[22Vendramin, Patricia ; Valenduc, Gérard. Le travail virtuel. Nouvelles formes d’emploi et de travail dans l’économie digitale. (2016) 41 pages

[24Il ne s’agit pas ici de traiter des plateformes numériques dans leur ensemble. Le sujet bénéficie d’un intérêt croissant dans la sphère scientifique et je renvoie ici aux sources citées précédemment ainsi qu’à cet article publié par le GRESEA : http://www.econospheres.be/Economie-de-plateforme-Quel-modele#nb3
Voir aussi le dernier GRESEA Echos qui traite de ce sujet.

[25Cardon et Casili dressent 3 conditions pour que les activités quotidiennes des usagers sur les réseaux sociaux soient considérées comme du travail : - elles sont productrices de valeur pour les acteurs économiques - elles font l’objet d’un encadrement contractuel quelle qu’en soit la forme (en l’occurrence, les Conditions Générales d’Utilisation (CGU) sur Facebook) - elles sont soumises à des mesures de performance (en produisant des indicateurs de réputation, de qualité ou de popularité).
Cardon, Dominique ; Casili Antonio (2015). Qu’est ce que le digital labor ? Bry-sur-Marne : INA, coll. « Etudes et controverses », 104p.

[29Concept définit en 2014 dans un article de John Bellamy Foster et Robert W. McChesney : https://monthlyreview.org/2014/07/01/surveillance-capitalism/
Le concept a été repris par Shoshana Zuboff en 2016 :
https://framablog.org/2017/03/28/google-nouvel-avatar-du-capitalisme-celui-de-la-surveillance/

[31« Big Other est un régime institutionnel, omniprésent, qui enregistre, modifie, commercialise l’expérience quotidienne, du grille-pain au corps biologique, de la communication à la pensée, de manière à établir de nouveaux chemins vers les bénéfices et les profits. Big Other est la puissance souveraine d’un futur proche qui annihile la liberté que l’on gagne avec les règles et les lois. »
Shoshana Zuboff, « Big other : surveillance capitalism and the prospects of an information civilization », Journal of Information Technology, 30, 2015, p. 81.

[34Pierre-Paul Maeter, « La ville intelligente ou la ville de l’intelligence ? ».

[36Entrée en bourse

[38Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft

[39Effet produit lorsque l’utilité d’un produit ou service augmente si d’autres personnes l’utilisent.