Le fonds Fonds (de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
de pension norvégien est le plus grand fonds public au monde. Malgré la présence d’un conseil d’éthique en son sein et la volonté affichée de se détourner d’activités dommageables à l’environnement, le fonds dispose toujours de parts dans des compagnies pétrolières, comme Chevron, coupable de graves atteintes aux communautés locales et à l’environnement en Equateur. La gestion publique est-elle synonyme d’une gestion différente de celles des investisseurs institutionnels privés ?Explications .

Le fonds souverain ou fonds d’Etat norvégien (Government pension fund global) est un fonds de pension public. Il diffère d’autres fonds de pension « classiques » puisque ses ressources proviennent non pas des cotisations des travailleurs en vue de leur retraite mais des revenus de l’exploitation du pétrole et des taxes afférentes.

Le pays espère ainsi, lorsque ses réserves d’énergie fossile seront épuisées, percevoir des revenus grâce aux intérêts Intérêts Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
des placements du fonds, communément appelé « Oil Fund » en Norvège. Le ministère des finances norvégien est légalement responsable du fonds. La gestion des participations est confiée à Norges Bank, la banque nationale norvégienne, selon le mandat que lui a octroyé le parlement norvégien. Norges Bank Investment Management (NBIM), une branche de Norges Bank a en charge la gestion opérationnelle du fonds.

 Montants et participations

Les placements du fonds sont de trois types : des actions d’entreprises (64,6% de ses placements), des obligations d’Etats et d’entreprises (32.9% des placements - incluant notamment des bons du trésor belges et des obligations émises par la Communauté flamande) et des participations immobilières (pour 2,5% de ses actifs). Aucun placement Placement Acquisition de titres en vue d’une opération plutôt à court terme et de faible envergure, n’impliquant pas un contrôle sur l’entité qui a émis ces titres. On considère généralement un achat de moins de 10% des parts de capital d’une firme (notamment à l’étranger) comme un placement et non comme un investissement (à moins qu’il y ait un lien ou des liens supplémentaires avec cette entreprise).
(en anglais : placement)
n’est réalisé en Norvège [1]

En 2016, le fonds gère des participations dans plus de 9.000 entreprises de 77 pays [2]. Pour la seule Belgique, Norges Group possède des participations dans 53 firmes et est présent dans les 20 entreprises du BEL-20 [3] le principal indice boursier Indice boursier Indicateur de l’évolution générale des cours des actions sur une Bourse particulière ; il est calculé en reprenant l’action de certaines sociétés importantes ou significatives et en pondérant le poids de celles-ci sur ce marché financier.
(en anglais : stock index)
en Belgique. Le mandat du fonds précise que les participations ne peuvent dépasser 10% des droits de vote par entreprise.

Les 5 plus importantes participations du fonds (en valeur) sont, par ordre d’importance : Apple, Nestlé, Shell, Alphabet (maison mère de Google), Microsoft, Roche et Novartis (industrie pharmaceutique).

Les actifs du fonds ont une valeur de 7.867 milliards de couronnes norvégiennes au premier trimestre 2017 [4], environ 840 milliards d’euros, plus du double du PIB PIB Produit intérieur brut : richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
norvégien. Le fonds qualifie sa gestion d’active [5]. NBIM affirme avoir voté dans 11.294 assemblées générales d’actionnaires en 2016 et mis en avant ses attentes auprès des entreprises en ce qui concerne la gouvernance, les droits des actionnaires, et les questions sociales et environnementales. Cette activité se traduit, selon le fonds, par des rencontres avec les dirigeants des entreprises, les régulateurs, les autres actionnaires et une implication active dans les votes lors des assemblées générales tout en restant attentif aux propositions d’autres actionnaires.

 Mandat et « critères éthiques »

Le fonds est géré selon le mandat accordé à la Banque centrale Banque centrale Organe bancaire, qui peut être public, privé ou mixte et qui organise trois missions essentiellement : il gère la politique monétaire d’un pays (parfois seul, parfois sous l’autorité du ministère des Finances) ; il administre les réserves d’or et de devises du pays ; et il est le prêteur en dernier ressort pour les banques commerciales. Pour les États-Unis, la banque centrale est la Federal Reserve (ou FED) ; pour la zone euro, c’est la Banque centrale européenne (ou BCE).
(en anglais : central bank ou reserve bank ou encore monetary authority).
par le parlement. Il a notamment l’obligation Obligation Emprunt à long terme émis par une entreprise ou des pouvoirs publics ; il donne droit à un revenu fixe appelé intérêt.
(en anglais : bond ou debenture).
de réaliser des investissements de long terme et de diversifier ceux-ci. L’objectif premier du fonds ne diffère pas de celui d’un fonds classique : atteindre un retour sur investissement Investissement Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
maximal. Le mandat de gestion précise que le fondsdoit viser un retour sur investissement à long terme, considéré comme « dépendant d’un développement durable sur les plans économiques, sociaux et environnementaux mais également du bon fonctionnement, et de l’efficience des marchés » [6]. Le fonds affiche des retours sur investissements de 5,8% entre 1998 et 2015.

Le mandat du fonds l’oblige à prendre en compte des critères éthiques, sociaux, environnementaux : les investissements ne doivent pas financer des activités qui risquent de nuire à l’accès à l’eau, encouragent le changement climatique ou impliquent le travail des enfants. Par ailleurs, le fonds affiche plusieurs thématiques d’intérêt comme les droits humains, la question de la fiscalité ou de la transparence des entreprises (en ce qui concerne l’information disponible pour les investisseurs) censées orienter ses choix d’investissement.

Le fonds communique sur sa participation à des initiatives comme le standard social & labor convergence [7][ ou la sustainable apparel coalition [8] créées de toutes pièces par les industriels de l’habillement et la grande distribution . [9] Le fonds s’engage par ailleurs à s’impliquer activement dans le développement de standards internationaux de gestion responsable (section 2-2 et 2-3 du mandat de gestion) et affirme tenir compte dans ses participations des principes directeurs de l’OCDE OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économiques : Association créée en 1960 pour continuer l’œuvre de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) chargée de suivre l’évolution du plan Marshall à partir de 1948, en élargissant le nombre de ses membres. A l’origine, l’OECE comprenait les pays européens de l’Ouest, les États-Unis et le Canada. On a voulu étendre ce groupe au Japon, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’OCDE compte 34 membres, considérés comme les pays les plus riches de la planète. Elle fonctionne comme un think tank d’obédience libérale, réalisant des études et analyses bien documentées en vue de promouvoir les idées du libre marché et de la libre concurrence.
(En anglais : Organisation for Economic Co-operation and Development, OECD)
sur les entreprises multinationales [10], ou des principes directeurs des Nations-unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme [11]

La portée très générale de ces codes de conduite et leur aspect non contraignant ne semblent pas de nature à dépasser le stade des simples recommandations. Aucune entreprise n’a jamais été condamnée pour avoir manqué à ces principes. Le non-respect de ces codes de conduite et les effets négatifs en termes de réputation pour les sociétés concernées ont certainement une influence sur leur comportement. Insuffisant jusqu’ici pour mettre fin aux pratiques de sociétés transnationales pointées pour le non-respect des droits de l’homme, des droits des travailleurs ou encore de l’environnement.

Le mandat de gestion du fonds précise (section 2-4) que les investissements liés à l’environnement doivent normalement tourner autour d’une valeur de marché comprise entre 30 et 60 milliards de couronnes norvégiennes (entre 3 et 6 milliards d’euros), un montant qui ne représente qu’entre 0.35 et 0.7% des actifs du fonds.
Outre ces initiatives qui semblent plus relever de l’affichage que d’une réelle volonté d’infléchir les pratiques des sociétés transnationales, le fonds dispose d’un conseil d’éthique en charge de vérifier la bonne mise en œuvre du mandat à propos des préoccupations éthiques, sociales et environnementales.

NBIM affirme faire appel à des consultants qui font des recherches sur les compagnies investies afin de s’assurer des risques encourus. Comme l’explique le chef du secrétariat du conseil d’éthique : « Nous nous employons à retirer les risques éthiques du fonds. Certaines personnes penseront peut-être que cela signifie la recommandation de l’exclusion du plus grand nombre de sociétés possibles. Cela n’est pas vrai. Premièrement, nous n’émettons de recommandations que pour les cas les plus sérieux ou les violations systématiques, pour lesquels la recherche d’un grand nombre d’exclusions serait une mauvaise voie. Deuxièmement, nous nous satisfaisons du fait que les entreprises qui sont en dialogue avec le conseil [d’éthique] ou Norges bank modifient leur conduite et réduisent elles-mêmes les risques d’une future violation des critères  [12] ».

Depuis 2015, le fonds de pension souverain a dressé plusieurs listes d’entreprises exclues [13] de ses investissements. Trois listes ont été publiées entre 2015 et début 2017, contenant une centaine d’entreprises écartées selon différents critères [14] (production d’armes à sous-munition, nucléaire, tabac, violation de droits humains, dommages environnementaux, cas de corruption, violation de normes éthiques). Une quinzaine de sociétés sont placées « en observation » pour leurs activités liées au charbon, à des cas de corruption ou ayant causé des dommages environnementaux.

Parmi les 9.000 entreprises dans lesquelles le fonds de pension norvégien intervient, pratiquement tous les secteurs économiques sont représentés. On y retrouve notamment les matériaux de base (industrie minière, métallurgie, chimie, pétrole), les biens de consommation (habillement, agroalimentaire, électronique, automobile…) et l’industrie. NBIM détient 0.92% des parts et des droits de vote de la compagnie pétrolière Chevron.

 Chevron-Texaco en Equateur : un désastre environnemental

Chevron [15]est une compagnie pétrolière américaine qui compte parmi les 5 plus importantes au monde en termes de chiffre d’affaires Chiffre d’affaires Montant total des ventes d’une firme sur les opérations concernant principalement les activités centrales de celle-ci (donc hors vente immobilière et financière pour des entreprises qui n’opèrent pas traditionnellement sur ces marchés).
(en anglais : revenues ou net sales)
. Chevron a fusionné en 2001 avec Texaco, l’une des « sept sœurs » : les compagnies pétrolières qui s’étaient partagées les ressources pétrolières mondiales dans la première moitié du XXe siècle par la création d’un véritable cartel Cartel Association de plusieurs entreprises d’un secteur en vue de réglementer la production de celui-ci : maintenir un même prix de vente sur le marché, se répartir des quotas de production, etc.
(en anglais : cartel, mais souvent coalition, syndicate ou trust)
du pétrole.

Texaco s’est rendue tristement célèbre pour la contamination de 450 millions d’hectares en pleine Amazonie équatorienne, une zone de haute biodiversité. Et les dégâts causés sont colossaux : pas moins de 62 millions de litres d’eau de formation (résidu de l’extraction de pétrole brut) ont été déversés dans les cours d’eau de la région au cours des 26 ans d’exploitation, entre 1964 et 1990. 650.000 barils de pétrole brut ont été sciemment déversés sur les sols et dans les cours d’eau de la région. La compagnie jetait en effet le pétrole brut au sol à la sortie des puits pour en vérifier la teneur et évaluer la qualité des gisements. Des pratiques rencontrées nulle part ailleurs dans le monde. 880 fosses ne disposant d’aucune isolation ont ainsi été creusées : le tout dans le seul but de réaliser des économies [16]. les régions affectées enregistrent des taux de cancers trois fois supérieurs à la moyenne en Equateur, et une recrudescence des maladies cutanées, digestives, respiratoires [17]

La firme Etats-unienne a depuis revendu les actifs qu’elle possédait dans le pays et refuse d’indemniser les victimes et de remédier aux dégâts commis, affirmant en forme de semi-aveux, que Texaco avait déjà nettoyé les pollutions causées [18]. Les dégâts liés à l’exploitation pétrolière de Texaco en Equateur sont considérés comme la plus importante catastrophe pétrolière continentale de tous les temps [19] et l’un des pires désastres environnemental de l’Histoire.

Des pratiques d’autant plus catastrophiques que les zones contaminées sont habitées par les communautés indigènes d’Amazonie, qui vivent, se nourrissent, se soignent, grâce aux ressources de la forêt. Des procédures judiciaires ont été entamées par l’UDAPT (Unión de afectados y afectadas por las operaciones de Texaco) qui représente plus de 30.000 personnes, victimes des pollutions de l’entreprise pétrolière.

 Saga judiciaire

Après plus de 20 ans de procédure aux États-Unis et en Equateur, les victimes ont obtenu gain de cause devant la justice équatorienne en 2013 et l’entreprise a été condamnée au versement de 9,5 milliards de dollars de réparations. Chevron a déposé un recours en nullité fin 2013 devant la Cour constitutionnelle équatorienne pour faire annuler cette décision. Cette dernière ne s’est toujours pas prononcée au moment de la rédaction de l’article, après plus de trois ans, alors que ce type de décision ne requiert généralement pas plus de deux ans dans le pays.

Refusant de reconnaître le jugement équatorien, Chevron s’est retourné en 2014 vers un tribunal américain qui a décidé de bloquer la sentence prononcée sur le sol américain ; ce qu’a confirmé en août 2016 la cour d’appel de New York [20]. Chevron est allée jusqu’à affirmer que les plaignants avaient corrompu le juge équatorien qui a statué sur cette affaire et que des preuves avaient été falsifiées. La décision de la cour d’appel étatsunienne est sans précédent : une entreprise multinationale Multinationale Entreprise, généralement assez grande, qui opère et qui a des activités productives et commerciales dans plusieurs pays. Elle est composée habituellement d’une maison mère, où se trouve le siège social, et plusieurs filiales étrangères.
(en anglais : multinational)
a réussi à faire invalider par un tribunal américain une décision de justice prise dans un autre pays [21].

Face à la volonté de Chevron de ne pas assumer ses responsabilités, des procédures ont été lancées pour faire saisir des biens de l’entreprise à l’étranger. Les victimes de Chevron/Texaco ont tenté de faire reconnaître la décision de justice dans plusieurs pays. En Argentine, le gouvernement, après un premier avis favorable sur le sujet, n’a finalement pas donné suite aux demandes équatoriennes. Une décision qui coïncide avec la promesse de Chevron d’investir un milliard de dollars dans les gaz de schiste de Vaca Muerta [22] Le Canada a également été saisi de cette affaire. La justice canadienne n’a prononcé aucune condamnation à l’encontre de la compagnie pétrolière, arguant que la filiale canadienne de Chevron et sa maison mère étaient des entités distinctes – malgré le fait que Chevron Canada soit déclarée comme une filiale à part entière de Chevron Corp. dont les comptes sont consolidés dans les registres étatsuniens.

En 2014, une plainte pour crime contre l’humanité a été déposée devant la Cour pénale internationale de La Haye à l’encontre du CEO de Chevron John Watson, la cour n’étant pas compétente pour juger des personnes morales, comme les entreprises ou les Etats. Selon la procureure de la CPI, qui n’a pas fourni d’arguments supplémentaires, cette plainte ne nécessitait pas l’ouverture d’une procédure contre le principal dirigeant de Chevron [23].

 UDAPT et tentative d’infléchir la décision du groupe

La plupart des recours légaux attendant une décision ou ayant été épuisés, les victimes de Chevron ont tenté d’entrer en contact avec ses actionnaires, et plus particulièrement avec le fonds Fonds (de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
« pétrolier » norvégien, le fonds public le plus important au monde. Un fonds qui, de surcroit, se présente comme l’un des plus soucieux de l’éthique et des questions liées à l’environnement.

UDAPT, l’association des victimes de Chevron-Texaco, représentée par M.Humberto Piaguaje, n’est pas parvenue à rencontrer les gérants du fonds mais a tout de même obtenu une entrevue avec le conseil d’éthique de NBIM et son chef de secrétariat, M. Eli Lund, en décembre 2015.

Le conseil n’a malheureusement pas donné de suite favorable aux demandes des victimes de Chevron. Le principal argument du conseil d’éthique a en effet été d’expliquer que le fonds ne s’intéresse qu’aux risques futurs concernant ses investissements.

Des organisations de la société civile norvégienne ont mené des campagnes de plaidoyer depuis 2011 pour infléchir la position du fonds d’Etat. Selon l’avis de Per Ranestad de l’organisation Norwegian people’s aid, ni le ministère des finances norvégien, ni NBIM, ni le conseil d’éthique du fonds n’ont manifesté d’intention d’avoir une attitude proactive à l’égard de Chevron et des violations environnementales commises en Equateur. Les fins de non-recevoir étant toujours de même nature : le fonds refuse de prendre position sur des cas spécifiques et ne s’intéresse qu’aux risques futurs - le cas Chevron appartenant au passé.

Pourtant, les traces de pollution de Chevron sont encore bien visibles en Equateur, preuve que ce cas ne se rapporte pas à une époque révolue mais est toujours bien d’actualité. Le fait que les lieux n’aient pas été nettoyés est en effet toujours cause de problèmes de santé pour les populations locales et pour l’environnement. Là encore, réponse lapidaire : le conseil ne prendra de mesures que dans les cas de crimes environnementaux ou de violations des droits de l’homme répétées ou qui ont un risque de se reproduire dans le futur.

De plus, le conseil d’éthique considère que toute la lumière n’a pas été faite sur le cas de Chevron en Equateur – malgré les condamnations qui pèsent sur Chevron et les millions d’hectares de forêt amazonienne toujours souillés d’hydrocarbures. Le fonds se défausse en affirmant ne pas disposer de ressources suffisantes pour enquêter en profondeur sur la question et s’en tient par conséquent à des cas prioritaires.

L’historique des votes de NBIM aux assemblées générales de Chevron est disponible sur le site internet du fonds [24]. Il ne semble pas témoigner d’une volonté farouche de contraindre Chevron à modifier ses pratiques où à assumer ses responsabilités. La question des investissements du fonds public norvégien est l’objet de critiques de la part de la société civile norvégienne. Un rapport a récemment été publié par l’organisation norvégienne Framtiden i våre hender à ce sujet [25]. L’étude se penche sur les investissements du fonds pétrolier et plus particulièrement sur la mise en œuvre d’un critère lié au changement climatique. Celui-ci indique que le fonds doit se désengager des activités fortement émettrices de gaz à effets de serre. Mais ce critère ne semble que peu opérationnel à l’heure actuelle. Un an après sa mise en œuvre, aucune entreprise n’avait été exclue pour cette raison. Bien au contraire, le fonds dispose toujours d’investissements dans des entreprises fortes émettrices de gaz à effets de serre et/ou disposant de grandes réserves fossiles encore dans le sol. Le fonds s’intéressant aux risques futurs ; les réserves encore dans le sol semblent en effet être un critère pertinent pour mesurer les émissions potentielles des entreprises. Framtiden i våre hender recommande par conséquent l’exclusion du fonds de plusieurs entreprises à l’instar d’Exxon, ConocoPhillips, Eni, Total, Shell ou encore Chevron.

 Profit comme priorité

Les diverses procédures engagées par l’UDAPT dans le cas Chevron-Texaco illustrent à la fois la volonté des pays d’origine des grandes firmes de ne pas condamner les agissements de ces dernières mais également la difficulté, voire l’impossibilité, pour des victimes d’atteintes aux droits de l’homme de faire reconnaître leurs droits au niveau international dans le cadre actuel.

Un processus, initié par l’Equateur, au sein du conseil des droits de l’homme de l’ONU ONU Organisation des Nations Unies : Institution internationale créée en 1945 pour remplacer la Société des Nations et composée théoriquement de tous les pays reconnus internationalement (193 à ce jour). Officiellement, il faut signer la Charte de l’ONU pour en faire partie. L’institution représente en quelque sorte le gouvernement du monde où chaque État dispose d’une voix. Dans les faits, c’est le Conseil de sécurité qui dispose du véritable pouvoir. Il est composé de cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, France et Grande-Bretagne) qui détiennent un droit de veto sur toute décision et de dix membres élus pour une durée de deux ans. L’ONU est constituée par une série de départements ou de structures plus ou moins indépendantes pour traiter de matières spécifiques. Le FMI et la Banque mondiale, bien qu’associés à ce système, n’en font pas officiellement partie.
(En anglais : United Nations, UN)
 [26] a été lancé en 2013 afin de mettre sur pied un traité contraignant sur les sociétés transnationales en ce qui concerne les droits humains. Deux réunions de travail ont eu lieu en octobre 2015 et 2016. La troisième et dernière session aura lieu à Genève en octobre 2017. Un projet de traité, qui devra encore faire l’objet de débat à un niveau intergouvernemental, sera soumis à cette occasion. La mise en place d’un mécanisme contraignant sur les multinationales est donc un espoir pour les victimes de voir réparation faite et d’obtenir la possibilité de déposer plainte devant une juridiction compétente.

La démarche des victimes de Texaco auprès des actionnaires de l’entreprise, particulièrement avec le fonds souverain norvégien, met en lumière la priorité des investisseurs. Les fonds souverains, mais c’est également valable pour d’autres investisseurs institutionnels, intègrent progressivement des critères éthiques, sociaux ou environnementaux. Ils sont généralement basés sur l’exclusion d’activités contraires à leurs politiques d’investissement. Les démarches proactives d’investir dans des secteurs liés « à la transition énergétique » ou dans des activités « vertes » demeurent le plus souvent marginales, comme en témoignent les sommes dédiées par NBIM. Comme l’indique le mandat du fonds et les réactions du conseil d’éthique, les retours sur investissements demeurent l’objectif premier, les considérations éthiques étant reléguées au second rang lorsqu’il ne s’agit pas de simple affichage communicationnel. Notons la difficulté dans le cas norvégien d’aborder la question des investissements pétroliers : le fonds est constitué des recettes pétrolières dans un pays qui tire une part non négligeable de ses recettes de l’exploitation d’hydrocarbures.

D’autres fonds publics ont intégré de tels critères dans leurs investissements. Bien que n’ayant pas une visée philanthropique, le fonds de compensation luxembourgeois fait figure d’exemple en la matière en retirant les entreprises qui contreviennent à des accords internationaux signés par le Luxembourg. Chevron a été retiré de ses participations [27] pour son passif en Equateur, de même que BHP Billiton et Vale pour leur implication dans la catastrophe minière de Minas Gerais au Brésil [28], Volkswagen pour sa condamnation liée aux logiciels truqués qui minorait les émissions des véhicules de la marque, ou encore Walmart pour les violations des règles fondamentales de l’OIT OIT Organisation internationale du Travail : Institution internationale, créée par le Traité de Versailles en 1919 et associée à l’ONU depuis 1946, dans le but de promouvoir l’amélioration des conditions de travail dans le monde. Les États qui la composent y sont représentés par des délégués gouvernementaux, mais également - et sur un pied d’égalité - par des représentants des travailleurs et des employeurs. Elle regroupe actuellement 183 États membres et fonctionne à partir d’un secrétariat appelé Bureau international du travail (BIT). Elle a établi des règles minimales de travail décent comprenant : élimination du travail forcé, suppression du labeur des enfants (en dessous de 12 ans), liberté des pratiques syndicales, non-discrimination à l’embauche et dans le travail… Mais elle dispose de peu de moyens pour faire respecter ce qu’elle décide.
(En anglais : International Labour Organization, ILO)
(notamment sur la liberté d’association). Ce type de démarche, de la part d’investisseurs, demeure pour l’heure tout à fait exceptionnel.

Nous remercions Letty Fajardo Vera, Pablo Fajardo, Marianne Gulli et Per Ranestad pour les compléments d’informations fournis.

 


Pour citer cet article :
Romain Gelin, "Les pensions des Norvégiens dans Chevron : c’est éthique ?", Gresea octobre 2017, texte disponible à l’adresse :
http://www.gresea.be/spip.php?article1726