L’entreprise française de lingerie Lejaby a derrière elle une longue histoire. Son fondateur, Marcel Blanchard, a démarré l’affaire en 1930 dans l’arrière-salle du cinéma familial, à Bellegarde, dans l’Ain. Elle n’est pas restée familiale. En 1965, l’entreprise entame un parcours assez classique de rachat-revente. En 1996, c’est le géant américain Warnaco qui gobe et prend les commandes. Ses états de service ne seront pas glorieux. En 2002, Warnoco ferme sept des usines que Lejaby possédait encore. En 2008, c’est au tour de l’autrichien Palmers, qui allonge 45 milliards d’euros pour s’emparer du joujou. Depuis, cela ne va pas très bien. En 2010, seules quatre usines subsistent. Octobre 2011 : Palmers fait dépôt de bilan et la procédure de liquidation est mise en branle. A ce moment, Lejaby comptait encore 450 travailleuses. C’est que, entre-temps, une grande partie de la production a déjà été délocalisée, direction Tunisie. Nouveau coup de barre le mercredi 18 janvier 2012 lorsque le tribunal de commerce avait à trancher sur les dossiers introduits par les candidats repreneurs. Cela ne manque pas de sel. Le tribunal a donné sa préférence à Alain Prost, décrit comme l’ancien PDG de La Perla et l’ex-directeur de Chantelle, ce qui ne fait jamais de lui que deux fois un "has been". L’argument du tribunal est, selon le compte rendu de presse, que son offre était "la mieux disante sur le plan social". Prost apporte 7 millions d’euros. Pour faire quoi ? Fermer la dernière usine que possédait encore Lejaby, à Yssengeaux (l’autre candidat, une PME, se proposait de la maintenir). On partage l’incompréhension des 93 ouvrières d’Yssengeaux qui tablaient, elles, sur un projet de coopérative. Mais Prost, c’est plus classe, il a de grands projets. La marque Lejaby garde une certaine aura et ce n’est pas la désertification du paysage industriel qui va l’entamer. La calcul a été vite fait : le coût de revient par soutien-gorge est de 8,17 euros en Tunisie, contre 13 à 14 euros en France. Lejaby continuera mais entièrement délocalisé. C’est une leçon d’économie appliquée. L’économie de profit n’a que faire de vies brisées : profits et pertes.
Source : L’Humanité du 18 janvier 2012 et Les Échos du 19 janvier 2012.
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