Le patronat flamand affirme que ce sont les coûts salariaux trop élevés en Belgique qui seraient responsables de la fermeture de Ford Genk. Mais est-ce réellement le cas ? Quelle est l’importance de ce facteur dans la décision d’arrêter la production ?
Pour le VOKA, l’organisation du patronat flamand qui inspire le programme socio-économique de la N-VA [1], l’affaire est claire : si Ford déménage de la Belgique, la raison en est les coûts salariaux trop élevés. Mais, même la fédération dont dépend le constructeur, Agoria, qui regroupe les entreprises des industries technologiques, est beaucoup plus réservée sur ce point. Elle souligne davantage la crise économique, les surcapacités, l’absence de politique industrielle au niveau européen.
Au niveau syndical, on a tendance à répondre à ces attaques ciblées par le fait que les coûts salariaux ne représentent qu’une faible part du prix de la voiture : entre 6 et 10%. Donc pourquoi s’en prendre à un élément aussi faible dans le total ? Le patronat réplique en affirmant qu’ils assurent souvent 70% de la valeur ajoutée
Valeur ajoutée
Différence entre le chiffre d’affaires d’une entreprise et les coûts des biens et des services qui ont été nécessaires pour réaliser ce chiffre d’affaires (et qui forment le chiffre d’affaires d’une autre firme) ; la somme des valeurs ajoutées de toutes les sociétés, administrations et organisations constitue le produit intérieur brut.
(en anglais : added value)
des usines d’assemblage. C’est incontestablement un débat de sourds.
Notre but est de tenter de dépasser ce simple clivage. Même si notre sympathie va spontanément vers les organisations syndicales, il faut reconnaître que les entreprises ont raison de souligner que le coût salarial
Coût salarial
Montant de la rémunération réelle et totale versée par le patron ou l’entreprise aux travailleurs actifs. Le terme « coût » est en fait impropre et est considéré uniquement du point de vue de la firme. Il comprend deux éléments : le salaire direct ou salaire poche et le salaire indirect ou différé. Le premier est ce que le travailleur reçoit en propre, sur son compte ou en liquide. Le second comprend les cotisations à la Sécurité sociale (ouvrières et patronales) et le précompte professionnel (voir ce terme). C’est ce que le travailleur reçoit lorsqu’il est en période, momentanée ou non, d’inactivité. En réalité, cet argent sert à payer les inactifs du moment. Mais si le travailleur tombe lui-même dans cette situation, il sera financé par ceux qui restent en activité à cet instant. C’est le principe de solidarité. Le salaire différé fait donc bien partie de la rémunération totale du travailleur.
(en anglais : total labour cost ou, de façon globale, compensation of employees)
leur importe et qu’elles en tiennent compte dans leur choix d’investissement
Investissement
Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
. Mais comment ?
Des salaires qui ne comptent pas pour des prunes
Prenons un exemple simple. Supposons deux entités d’assemblage qui ont 94% des coûts communs (achat de pièces identiques). La première a des coûts salariaux égaux à 6% et la seconde n’a que 3%, car ils sont moitié inférieurs que chez la première. Voilà ce que donnerait une représentation simplifiée des coûts.
La situation n’est manifestement pas identique. La seconde usine gagne 3% de marge par rapport à la première. Elle peut vendre à 97% contre 100% à la première. C’est un gain indéniable. Concrètement, la première firme vendra, par exemple, à 20.000 euros sa voiture, la seconde pourra se permettra d’aller jusqu’à 19.400 euros. Cette dernière sera plus compétitive, plus performante et pourra gagner des parts de marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
.
On pourrait en conclure que la messe est dite. Mais il faut tenir compte de la productivité
Productivité
Rapport entre la quantité produite et les ressources utilisées pour ce faire. En général, on calcule a priori une productivité du travail, qui est le rapport entre soit de la quantité produite, soit de la valeur ajoutée réelle (hors inflation) et le nombre de personnes nécessaires pour cette production (ou le nombre d’heures de travail prestées). Par ailleurs, on calcule aussi une productivité du capital ou une productivité globale des facteurs (travail et capital ensemble, sans que cela soit spécifique à l’un ou à l’autre). Mais c’est très confus pour savoir ce que cela veut dire concrètement. Pour les marxistes, par contre, on distingue la productivité du travail, qui est hausse de la production à travers des moyens techniques (machines plus performantes, meilleure organisation du travail, etc.), et l’intensification du travail, qui exige une dépense de force humaine supplémentaire (accélération des rythmes de travail, suppression des temps morts, etc.).
(en anglais : productivity)
. Si la productivité est double dans la première unité, cela compense la hauteur du coût salarial. Dans ce cas, les deux firmes seraient à égalité. C’est pour cela qu’en général, il faut tenir compte des deux éléments : coût salarial, d’une part, et productivité, de l’autre.
Il ne faut pas oublier que les entreprises visent le profit et que plus celui-ci est élevé, plus leur direction et leurs actionnaires, les propriétaires, seront satisfaits. C’est l’objectif majeur de leur activité dans une économie capitaliste.
Cela se reflète très nettement dans la comptabilité. En effet, la richesse
Richesse
Mot confus qui peut désigner aussi bien le patrimoine (stock) que le Produit intérieur brut (PIB), la valeur ajoutée ou l’accumulation de marchandises produites (flux).
(en anglais : wealth)
créée par la compagnie s’appelle la valeur ajoutée [2]. C’est la différence entre son chiffre d’affaires
Chiffre d’affaires
Montant total des ventes d’une firme sur les opérations concernant principalement les activités centrales de celle-ci (donc hors vente immobilière et financière pour des entreprises qui n’opèrent pas traditionnellement sur ces marchés).
(en anglais : revenues ou net sales)
et ce qu’il a fallu payer à d’autres sociétés pour fournir des biens et des services indispensables aux affaires de la firme elle-même. C’est ce qu’on appelle le coût des biens et services et qui forme en réalité les ventes pour d’autres entités juridiques.
Soit appelons cette valeur ajoutée par un symbole : VA. Elle est constituée essentiellement de deux parties : les dépenses de personnel, d’une part, et le cash flow
Cash Flow
Flux de liquidités issus des activités de la firme. Le cash flow consiste en la somme des bénéfices nets et des amortissements. Le cash flow brut d’exploitation représente l’addition du bénéfice opérationnel (ou excédent brut d’exploitation) et des amortissements.
(en anglais : cash flow)
brut d’exploitation, d’autre part.
Comme son nom l’indique, le premier composant regroupe l’ensemble des frais de salaire pour l’entreprise, comprenant donc le « salaire poche », les cotisations sociales (à charge des travailleurs et du patron) et le précompte professionnel
Précompte professionnel
Paiement anticipé au fisc des revenus du travail. Il s’agit d’un prélèvement obligatoire à la source. Contrairement au précompte mobilier, celui-ci n’est pas libératoire. Au moment de la déclaration fiscale, en fonction des autres revenus, le ménage devra payer un supplément pour remplir ses devoirs fiscaux. Dans certains cas, s’il a trop payé, il recevra la différence.
(en anglais : withholding tax)
. Appelons w le coût salarial individuel et L le nombre d’emplois dans la compagnie [3]. Ces dépenses peuvent donc être synthétisées sous la forme d’un produit : w . L [4].
Le cash flow brut d’exploitation représente l’arrivée de flux
Flux
Notion économique qui consiste à comptabiliser tout ce qui entre et ce qui sort durant une période donnée (un an par exemple) pour une catégorie économique. Pour une personne, c’est par exemple ses revenus moins ses dépenses et éventuellement ce qu’il a vendu comme avoir et ce qu’il a acquis. Le flux s’oppose au stock.
(en anglais : flow)
d’argent (d’où le nom de cash flow) dérivant de l’activité principale de la firme. C’est ce qui entre dans les caisses (ou sur les comptes) de celle-ci, montant déduit des frais déjà déboursés soit aux fournisseurs (coût des biens et services), soit aux salariés (dépenses de personnel). Il se compose principalement des amortissements, qui prélèvent théoriquement une somme annuelle pour financer des investissements en machines et équipements déjà effectués [5], et de l’excédent brut d’exploitation
Excédent brut d’exploitation
Bénéfice réalisé sur les activités principales de la firme. Il se déduit de façon simplifiée de la valeur ajoutée moins les dépenses de personnel et les amortissements. On l’appelle aussi bénéfice opérationnel.
(en anglais : gross operating profit)
, qui est le bénéfice réalisé sur l’activité principale de l’entreprise. Appelons ce cash flow brut : CFBE.
D’après ce que nous avons établi, nous pouvons déduire la formule suivante : VA = w . L + CFBE.
Puis par simple opération algébrique :
CFBE = VA - w L
Maintenant, divisons chaque élément par L, nous aurons :
Qu’est-ce que cela veut dire ? CFBE/L est le cash flow reçu par travailleur. VA/L est la valeur ajoutée par employé et w est le coût salarial individuel. En rassemblant tous ces composants, nous avons donc, d’une part, le bénéfice rentré par tête (CFBE/L) - ce que la direction tente d’optimaliser – qui dépend positivement de la productivité moyenne par individu (VA/L) et, d’autre part, négativement du coût salarial individuel (w).
Appliquons cela maintenant au cas de l’industrie automobile belge.
La preuve par les chiffres
La Belgique est caractérisée par des coûts salariaux élevés par rapport à la majorité des autres pays, y compris de l’Union européenne
Union Européenne
Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
. C’est indéniable. Le tableau 1 appuie cette réalité.
Tableau 1. Évolution du coût salarial horaire dans l’industrie automobile européenne entre 1996 et 2010 (en euros)
1996 | 2000 | 2003 | 2006 | 2010 | |
---|---|---|---|---|---|
Belgique | 42,7 | 44,4 | 47,8 | 51,0 | 61,3 |
Allemagne | 52,4 | 58,6 | 66,3 | 65,5 | |
Espagne | 30,0 | 31,7 | 33,8 | 37,8 | 44,9 |
France | 35,6 | 40,3 | 43,9 | 49,6 | 57,1 |
Italie | 28,8 | 32,4 | 34,1 | 39,7 | 49,4 |
Roumanie | 2,5 | 3,1 | 5,7 | 7,7 | |
Slovaquie | 6,7 | 8,3 | 11,3 | 15,4 | |
Suède | 38,8 | 43,9 | 45,3 | 51,5 | 64,2 |
Grande-Bretagne | 27,4 | 42,0 | 40,0 | 51,5 | 43,4 |
Source : Eurostat, Statistiques annuelles détaillées des entreprises, Industrie et construction, Industrie automobile : http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/european_business/data/database.
Note : Il s’agit des données pour l’ensemble des salariés et non des équivalents pleins temps, ce qui serait mieux ; mais les statistiques sont incomplètes pour cette catégorie.
La Belgique présente les salaires les plus élevés en 1996. Mais, probablement, ceux de l’Allemagne sont encore plus élevés. C’est ce qu’on constate de toute façon en 2000. Mais, en 2006, avant la crise, les coûts suédois et britanniques sont revenus à la hauteur de leurs équivalents belges, ce qui est sans doute dû à la faiblesse de l’euro à ce moment-là. En 2010, la livre sterling s’étant dégradée, les salaires anglais ont plongé.
En revanche, on observe que les coûts slovaques sont quatre fois inférieurs aux belges et les roumains - puisque Ford a implanté une unité d’assemblage à Craiova - huit fois. En fait, on peut classer les pays en trois catégories : les États qui ont des revenus assez élevés, Allemagne, Belgique et Suède, auxquels la France essaie aussi de se raccrocher avec un petit retard ; ceux qui progressent comme l’Espagne et l’Italie, la Grande-Bretagne étant un cas à part puisque, en fonction de la valeur de sa monnaie
Monnaie
À l’origine une marchandise qui servait d’équivalent universel à l’échange des autres marchandises. Progressivement la monnaie est devenue une représentation de cette marchandise d’origine (or, argent, métaux précieux...) et peut même ne plus y être directement liée comme aujourd’hui. La monnaie se compose des billets de banques et des pièces, appelés monnaie fiduciaire, et de comptes bancaires, intitulés monnaie scripturale. Aux États-Unis et en Europe, les billets et les pièces ne représentent plus que 10% de la monnaie en circulation. Donc 90% de la monnaie est créée par des banques privées à travers les opérations de crédit.
(en anglais : currency)
, elle se situe dans cette situation ou dans la précédente ; enfin les nations encore très « arriérées », la Slovaquie, la Roumanie, auxquelles on peut rattacher aussi les autres régions comme la République tchèque, la Pologne ou la Slovénie, pour lesquelles nous n’avons pas de séries statistiques complètes.
Sur ce plan déjà, il nous paraît absurde de comparer les coûts salariaux d’une catégorie par rapport à une autre : les salaires belges sont à hauteur de ceux de l’Allemagne ou de la Suède, mais pas de l’Espagne qui leur sont de 50% inférieurs et encore moins de la Slovaquie ou de la Roumanie. A moins de vouloir véritablement une régression sociale sans précédent, ce qui est peut-être l’agenda « caché » du VOKA et de la NVA.
La loi du bénéfice
Évidemment, les multinationales n’ont cure de ce genre de considérations. Elles s’ingénient à jouer sur la concurrence entre sites pour trouver les meilleurs rapports de rentabilité. Mais cela peut justifier une répartition de la production entre les modèles de bas de gamme assemblés à l’Est surtout et les voitures plus familiales ou luxueuses pouvant être fabriquées à l’Ouest. C’est déjà une tendance qui s’applique pour la Belgique qui a perdu la production de véhicules populaires comme l’Opel Astra ou la VW Golf. Maintenant, les trois usines restantes réalisent des Volvo à Gand, des Audi A1, sorte de petites voitures de luxe, à Forest et, jusqu’à présent, la Mondeo à Genk (et d’autres modèles comparables comme la Galaxy et la S-Max).
Mais comparons ces coûts salariaux à la productivité dans le secteur par pays. C’est l’objet du tableau 2.
Tableau 2. Évolution de la valeur ajoutée créée par salarié dans l’industrie automobile européenne entre 1996 et 2010 (en euros)
1996 | 2000 | 2003 | 2006 | 2010 | |
---|---|---|---|---|---|
Belgique | 57,7 | 60,4 | 69,5 | 78,8 | 77,7 |
Allemagne | 56,8 | 71,2 | 81,3 | 89,4 | |
Espagne | 50,0 | 50,4 | 54,3 | 59,0 | 57,9 |
France | 47,7 | 63,9 | 62,5 | 60,9 | 62,6 |
Italie | 38,9 | 44,8 | 42,9 | 56,7 | 44,0 |
Roumanie | 3,7 | 4,9 | 9,2 | 13,2 | |
Slovaquie | 19,3 | 25,2 | 26,9 | 31,4 | |
Suède | 50,1 | 82,1 | 65,9 | 70,8 | 78,1 |
Grande-Bretagne | 47,5 | 51,6 | 52,9 | 72,1 | 85,3 |
Source et note : Voir tableau précédent.
La progression est assez comparable à celle des coûts salariaux. Et il n’est pas difficile de remarquer que les pays aux salaires les plus élevés sont aussi ceux qui ont la productivité la plus importante : Allemagne, Suède et Belgique. Sur ce plan, la France est un peu à la traîne. Et les performances supérieures de la Grande-Bretagne ces dernières années tiennent sans doute à la fermeture des anciennes usines comme celles de Rover, de Peugeot à Ryton, de Ford et de GM. Il n’y reste essentiellement que les unités fabriquant des voitures de luxe comme Jaguar, Land Rover ou Rolls Royce, d’un côté, et les filiales japonaises de Nissan, de Toyota et de Honda - les transplants - qui sont reconnues comme étant les plus productives d’Europe.
On notera les bonnes performances de l’Espagne et de la Slovaquie, dont la productivité par salarié est plus élevée proportionnellement que leurs coûts salariaux. Mais, sur ce point, est-ce que ce sont les revenus des travailleurs belges qui sont trop élevés ou ceux de ces deux pays qui sont trop bas ?
En effet, le résultat d’ensemble montre nettement qu’il y a bien une marge bénéficiaire pour les constructeurs. On peut le constater sur le graphique consacré à la Belgique.
Graphique 1. Évolution de la valeur ajoutée et du coût salarial par personne dans l’industrie automobile belge 1995-2010 (en euros)
Source et note : Voir tableau précédent.
Note : Il n’y a pas de données pour 2002. Nous avons donc calculé une moyenne pour conserver l’unité du graphique.
Pour quasiment toutes les années, la marge est positive : l’écart entre la valeur ajoutée par salarié (ligne blanche) et le coût salarial individuel (ligne verte). Le cash flow brut d’exploitation est nettement excédentaire. Il progresse en même temps que la productivité croît légèrement plus vite que les coûts salariaux. En 2006-2007, il y a une montée particulièrement forte des deux éléments qui retombent en 2008, avec la crise économique.
Avec la récession
Récession
Crise économique, c’est-à-dire baisse du produit intérieur brut durant plusieurs mois au moins.
(en anglais : recession ou crisis)
, les coûts salariaux restent globalement stables, alors que la valeur ajoutée dégringole entre 2006 et 2009 (pour remonter brusquement par la suite). Et pour cause : on ne vend plus assez de voitures. Mais ce n’est pas faute de coûts salariaux. C’est plutôt à cause de marchés déprimés dont les revenus des travailleurs en baisse peuvent être un élément majeur. Abaisser encore ces « frais de personnel » n’est certainement pas une solution réellement soutenable.
On peut généraliser cette conclusion pour les autres pays. Cela nous donne le tableau 3, qui est établi par la différence entre les deux tableaux précédents.
Tableau 3. Évolution du cash flow brut d’exploitation par travailleur dans l’industrie automobile européenne entre 1996 et 2010 (en euros)
1996 | 2000 | 2003 | 2006 | 2010 | |
---|---|---|---|---|---|
Belgique | 15,0 | 16,0 | 21,7 | 27,8 | 16,4 |
Allemagne | 4,4 | 12,6 | 15,0 | 23,9 | |
Espagne | 20,0 | 18,7 | 20,5 | 21,2 | 13,0 |
France | 12,1 | 23,6 | 18,6 | 11,3 | 5,5 |
Italie | 10,1 | 12,4 | 8,8 | 17,0 | -5,4 |
Roumanie | 1,2 | 1,8 | 3,5 | 5,5 | |
Slovaquie | 12,6 | 16,9 | 15,6 | 16,0 | |
Suède | 11,3 | 38,2 | 20,6 | 19,3 | 13,9 |
Grande-Bretagne | 20,1 | 9,6 | 12,9 | 20,6 | 41,9 |
Source et note : Voir tableau précédent.
Note : Ce tableau est la différence entre les données du tableau 2 moins celles du tableau 1.
On remarquera que la Belgique est très intéressante comme lieu de production. Ses niveaux de rentabilité sont globalement très bons. Mais avec une chute en 2010, reflétant la crise économique. La France connaît un déclin encore plus important. Ou même la Suède déjà orientée au départ sur les modèles de haut de gamme. Mais la chute est sensible aussi pour l’Espagne et l’Italie. On notera aussi la bonne stature de la Slovaquie, devenue la contrée de prédilection des constructeurs, ou de l’Allemagne, dont la situation s’améliore. En revanche, malgré ses coûts salariaux apparemment très faibles, la Roumanie ne rapporte pas tellement.
Tout cela est évidemment très relatif. Comme nous l’avons souligné, la Suède n’assemble que des voitures spacieuses, des Volvo, dont les prix sont élevés. Automatiquement, la valeur ajoutée sera importante. A l’Est, par contre, vu la production de véhicules beaucoup plus petits, les marges seront plus étroites. Et puis, cela dépend aussi de la manière avec laquelle le constructeur fabrique, de l’ancienneté des usines et donc de leur configuration, de leur situation en rase campagne ou en pleine ville, etc.
Conclusions
Il n’y a donc pas de vérité absolue en matière de coûts salariaux et de productivité. Les données sont fournies au départ par les firmes elles-mêmes. Les considérations fiscales, administratives, comptables dominent pour des entreprises qui ont des implantations un peu partout sur le continent et qui peuvent jouer sur les prix de transfert
Prix de transfert
Établissement de prix entre filiales d’un même groupe, pouvant être sous-évalués ou surévalués en fonction de l’endroit où se situe l’unité : paradis fiscal ou région appliquant une fiscalité sévère.
(en anglais : transfer prices).
[6] pour faire apparaître les profits là où c’est le plus intéressant de le faire.
Malgré tout, les statistiques obtenues de façon globale ne sont pas défavorables à la Belgique. Certes, les salaires sont élevés, mais comme ils le sont également en Allemagne, en Suède, en France et même en Grande-Bretagne, quand le cours de la livre sterling monte par rapport à celui de l’euro. D’autre part, la valeur ajoutée est également importante, engendrant donc des marges bénéficiaires non négligeables et relativement stables par rapport à d’autres pays. Sur cette base, on devrait se demander si, au contraire de ce que prétendent le VOKA, la N-VA ou d’autres forces politiques, les coûts salariaux ne sont pas trop bas dans les autres pays, dans le Sud ou l’Est européen par exemple.
De toute façon, couper dans les rémunérations des travailleurs ou des allocataires ne peut avoir comme effet global que de réduire encore la demande totale, que ce soit pour les automobiles ou pour tout autre marchandise
Marchandise
Tout bien ou service qui peut être acheté et vendu (sur un marché).
(en anglais : commodity ou good)
. C’est une politique déflatoire extrêmement dangereuse et pernicieuse, qui ne permettra pas de sortir de la crise économique.
Pour citer cet article :
Henri Houben, "Le sale coup salarial", Gresea, novembre 2012, texte disponible à l’adresse : http://www.gresea.be/spip.php?article1083