Le groupe brésilien JBS s’affiche comme le plus grand vendeur de produits carnés au monde. Peu connue en Europe, la multinationale
Multinationale
Entreprise, généralement assez grande, qui opère et qui a des activités productives et commerciales dans plusieurs pays. Elle est composée habituellement d’une maison mère, où se trouve le siège social, et plusieurs filiales étrangères.
(en anglais : multinational)
y exporte néanmoins des centaines de milliers de tonnes de bœuf, porc ou poulet, dont une partie se retrouve dans des plats préparés ou des produits transformés, y compris en Belgique. Déforestation, scandale de la viande de cheval, affaires de corruption, la multinationale a souvent été mise à l’index ces dernières années mais continue pourtant d’approvisionner de nombreuses enseignes en Europe.
La revue Tchak ! s’adresse aux producteurs, aux artisans-transformateurs, aux consommateurs. Elle parle d’agriculture paysanne, d’agroécologie et des nouveaux modèles de production, de distribution et de consommation. Elle questionne les pratiques de l’industrie agro-alimentaire et de la grande distribution. Elle adhère au code de déontologie de l’Association des journalistes professionnels.
Le Brésil est l’un des grands acteurs de la viande, premier producteur et exportateur de bœuf au monde. Au total, en 2017, le Brésil a exporté 2 millions de tonnes de viande de bœuf. L’Union européenne
Union Européenne
Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
a compté pour un peu moins de 10% des achats de bovins brésiliens avec 180.000 tonnes importées. Trois groupes - JBS, Marfrig et Minerva – se partagent 92 % des exportations vers l’UE
UE
Ou Union Européenne : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
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A lui seul, JBS compte pour plus du tiers des exportations brésiliennes : 730.000 t de bœuf exportées, dont 62.258 t vers l’UE. La Belgique importe quelques 12.500 t de bœuf brésilien dont 9.700 via la filiale belge, JBS Toledo. De même, près des deux tiers du poulet (environ 4.000 t) et la quasi-totalité du porc brésilien importé (environ 4.000 t aussi) en Belgique le sont par l’intermédiaire de JBS [1].
Au regard de la production bovine belge, ces importations semblent modestes. La Belgique produit en effet quelques 263.000 t de viande de bœuf par an [2]. Mais l’essentiel de la production belge est exporté (soit 182.000 t). Coté consommation, les belges avalent 163.000 t de bœuf chaque année. 82.000 t sont produites sur place et 81.000 t sont importées, dont 9.700 t via JBS qui compte pour environ 6% de la consommation de viande bovine en Belgique. Pourtant le nom de la firme brésilienne ne dira probablement rien au consommateur. En effet, il demeure rare de trouver un steak brésilien sur les étals des boucheries ou des supermarchés belges.
Les importations de JBS sont en fait destinées à l’industrie des pizzas surgelées, des plats préparés, mais aussi au catering et à la restauration collective. JBS Toledo fournit aux industriels des produits carnés sur mesure : préfrits, salés ou épicés, morceaux entiers, coupés en lanières ou en cubes. L’entreprise communique peu sur l’identité de ses clients. Des informations ont cependant fuité ces dernières années. L’ONG Earthsight [3] nous apprend que la viande de JBS se retrouve dans les rayons de Carrefour en Belgique - notamment du bœuf séché fabriqué au Brésil, transformé par « Meat Snacks Partners, do Brasil Ltda », ou encore dans des produits transformés utilisant de la volaille brésilienne. Une autre enquête [4] a montré la présence de bœuf exporté par JBS dans de nombreuses enseignes de distribution : Albert Heijn aux Pays-Bas, Tesco en Grande-Bretagne, Aldi en Allemagne, Casino en France, etc. Les fastfoods KFC, Burger King ou McDonald’s sont également clients de JBS en Grande-Bretagne [5] de même que Pizza Hut. L’association L214, pourfendeuse des pratiques d’élevage, d’abattage ou de transport du bétail, a révélé qu’en France, la chaîne Domino’s Pizza s’approvisionne aussi auprès de JBS.
Fraude à la viande de cheval : négligence coupable ?
En 2013, l’Europe se scandalise de la fraude à la viande de cheval. Presque tous les pays d’Europe occidentale sont concernés. Au total, près de 4,5 millions de plats préparés vendus en grande distribution auraient contenu de la viande de cheval dans des produits sur lesquels il était stipulé « viande de bœuf ». Ceci n’a heureusement pas posé de problème sanitaire majeur. Cependant, l’impossibilité de tracer précisément la viande a laissé courir le risque de la présence de médicaments, notamment d’anti-inflammatoires pour chevaux, dans la chaine alimentaire. La confiance des consommateurs en avait pris un coup. Des enquêtes plus récentes montrent que la pratique, bien que marginale, n’a pas complètement disparu [6].
La viande incriminée était acheminée par des réseaux de trafiquants utilisant de fausses puces pour tracer les animaux de sorte à faire passer du cheval pour du bœuf. En Belgique, au Danemark, en Finlande et en Suède, c’est Lidl qui avait retiré certains produits des rayons. En France, le groupe Findus avait été épinglé pour les mêmes raisons, de même que le distributeur de surgelés Picard. Nestlé avait dû retirer des plats de pates au bœuf et raviolis Buitoni des supermarchés espagnols et italiens.
Dans le cas de Nestlé, le fournisseur n’était autre que JBS Toledo, qui s’approvisionnait auprès d’un sous-traitant allemand, H.J. Schypke, identifié comme origine de la fraude. JBS a stoppé son approvisionnement en viande européenne de manière temporaire. Ici, la question de la négligence du groupe est posée, comme pour la grande distribution qui a certainement vendu pendant des mois, voire des années, des produits dont l’étiquetage ne correspondait pas au contenu. Force est de constater que les intermédiaires sont parfois si nombreux qu’il en devient difficile de tracer correctement l’origine de nos aliments.
L’élevage intensif, cause de déforestation massive
La négligence est à nouveau invoquée lorsque JBS se fait pincer en train vendre du bœuf issu de la déforestation. Le Brésil est régulièrement pointé pour les incendies volontaires visant à transformer des zones boisées en prairies, afin d’y faire pousser du soja ou d’y élever les bovins. Ces actes s’accompagnent souvent de menaces et de violences contre les populations indigènes occupant ces territoires. Selon Amnesty [7], l’élevage du bétail est la première cause de confiscations illégales de terres dans les territoires indigènes protégés.
JBS est accusé d’avoir mis à paître du bétail dans des zones protégées de la forêt amazonienne. Le groupe participe pourtant à plusieurs initiatives avec les acteurs de la filière bovine au Brésil. En vertu de l’accord TAC (Termo de Ajuste de Conduta), les abattoirs se sont engagés à ne pas acheter de bétail en provenance de zones illégalement déforestées en Amazonie. Un autre accord, le G4, réunissant les trois principales entreprises de conditionnement de viande au Brésil, interdit de commercialiser du bœuf provenant de zones ayant fait l’objet d’une déforestation illégale après 2009. Mais ces règlements ne couvrent pas l’ensemble du territoire brésilien et les mêmes pratiques continuent dans des provinces non couvertes par l’accord. En fait, seuls 31% du bœuf brésilien exporté sont couverts par le premier accord (TAC) et 18% par G4 [8]. Les pratiques incriminées ont simplement été déplacées.
Les grandes entreprises brésiliennes ont officiellement banni le bœuf illégal de leurs chaines d’approvisionnement mais reconnaissent que des fournisseurs indirects peuvent continuer d’alimenter leurs abattoirs en bœufs provenant de zones déforestées ou de réserves indigènes, sans qu’il soit possible de tous les contrôler. Il a depuis été démontré [9] que des chauffeurs de JBS transportaient du bœuf depuis des fermes illégales vers des fermes « propres » pour ensuite revendre le bétail à JBS, clairement en contact avec des fournisseurs indirects. Des registres qui compilent les déplacements des bovins montrent que le cas n’est pas isolé et que des milliers d’animaux ont été transportés de fermes pratiquant la déforestation vers les abattoirs de JBS. Difficile ici de parler de négligence. Le groupe dénie ses affirmations et déclare être en relation avec les autorités pour améliorer la traçabilité des bovins. Selon des chercheurs de l’UCL, les importations de viande brésilienne en Belgique équivalent à 1.000 hectares de déforestation en Amazonie !
De la négligence à la corruption
En 2017, JBS est mentionné dans un autre dossier, celui de la viande avariée : de la viande périmée, traitée avec des produits chimiques puis mise sur le marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
. En compagnie d’autres producteurs de viande, JBS fait l’objet de plusieurs perquisitions sur ses sites au Brésil [10]. L’enquête conclut à une vaste affaire de corruption dans laquelle des fonctionnaires – des inspecteurs vétérinaires - reçoivent des pots-de-vin pour « blanchir » la viande avariée. Une partie du pactole est vraisemblablement reversée à des partis politiques.
Cette affaire arrive alors qu’un scandale de corruption ébranle le pouvoir brésilien : « Lava Jato », impliquant notamment le groupe pétrolier Petrobras et le géant de la construction Odebrecht. Des hommes politiques brésiliens de tous bords surfacturaient des contrats publics et touchaient au passage de généreuses commissions. Afin d’éviter les condamnations subies par d’autres entreprises, les frères Batista, à la tête de JBS, vont d’eux même dénoncer leurs actions répréhensibles. Joesley Batista, proche de l’ex-président Temer, remet à la justice un enregistrement secret d’une conversation dans laquelle Temer approuve le paiement par Batista du silence de l’ancien président du parlement brésilien [11], alors en prison. Durant l’enquête, le groupe avouera avoir soudoyé les trois anciens présidents brésiliens (Lula, Roussef et Temer) pendant au moins 14 ans. Les Batista sont exemptés des peines les plus lourdes et écopent finalement d’une amende de 60 millions d’euros. Avant de dévoiler l’enregistrement à la justice, JBS vend des actions et achète du dollar qui va s’apprécier par rapport à la monnaie
Monnaie
À l’origine une marchandise qui servait d’équivalent universel à l’échange des autres marchandises. Progressivement la monnaie est devenue une représentation de cette marchandise d’origine (or, argent, métaux précieux...) et peut même ne plus y être directement liée comme aujourd’hui. La monnaie se compose des billets de banques et des pièces, appelés monnaie fiduciaire, et de comptes bancaires, intitulés monnaie scripturale. Aux États-Unis et en Europe, les billets et les pièces ne représentent plus que 10% de la monnaie en circulation. Donc 90% de la monnaie est créée par des banques privées à travers les opérations de crédit.
(en anglais : currency)
brésilienne à la suite du scandale. L’opération, qualifiable de délit d’initié
Délit d’initié
Opération frauduleuse consistant pour certains opérateurs bénéficiant d’informations privilégiées comme des courtiers ou des agents hauts placés dans les banques, sachant qu’une transaction va se réaliser, dans l’achat ou la vente des titres soit pour eux-mêmes, soit pour des « amis » avant que cette transaction n’ait lieu. De cette manière, ils achètent ou vendent un titre, alors qu’ils savent que la transaction va faire monter ou baisser ce titre, grâce au fait qu’ils sont intermédiaires (initiés).
(en anglais : insider trading).
, rapporte largement assez pour s’acquitter de l’amende.
L’ascension de JBS et le rachat de nombreux concurrents aux États-Unis, au Brésil, ou encore en Australie après 2008 ne pourrait se comprendre sans l’aide publique dont a bénéficié le groupe. Entre 2008 et 2013, le Brésil soutient une politique des « champions nationaux ». JBS bénéficie alors d’un prêt de 2,3 milliards d’euros de la BNDES, la banque publique de développement brésilienne, à des taux d’intérêts
Intérêts
Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
inférieurs au marché. JBS en profite pour acquérir son concurrent étatsunien, Pilgrim’s, pour se positionner comme l’un des poids lourds mondiaux de la viande. Les aides de la BNDES étaient en fait une contrepartie du financement des partis politiques au pouvoir, échanges de bons procédés obligent. JBS avouera finalement avoir graissé la patte à quelques 1.900 politiciens brésiliens pendant des années, pour 123 millions de $. JBS aurait également payé pour faire passer une centaine de lois dans le pays [12]. Cet épisode illustre l’influence de l’industrie agroalimentaire sur la politique brésilienne et la proximité entre les milieux d’affaires et le pouvoir. Quelques années plus tard, JBS a vu sa valeur tripler en bourse
Bourse
Lieu institutionnel (originellement un café) où se réalisent des échanges de biens, de titres ou d’actifs standardisés. La Bourse de commerce traite les marchandises. La Bourse des valeurs s’occupe des titres d’entreprises (actions, obligations...).
(en anglais : Commodity Market pour la Bourse commerciale, Stock Exchange pour la Bourse des valeurs)
et son chiffre d’affaires
Chiffre d’affaires
Montant total des ventes d’une firme sur les opérations concernant principalement les activités centrales de celle-ci (donc hors vente immobilière et financière pour des entreprises qui n’opèrent pas traditionnellement sur ces marchés).
(en anglais : revenues ou net sales)
dépasse désormais celui de Coca-Cola ou de Danone. La corruption aura finalement largement bénéficié au groupe et l’odeur faisandée des scandales ne semble en rien avoir nui à la multinationale
Multinationale
Entreprise, généralement assez grande, qui opère et qui a des activités productives et commerciales dans plusieurs pays. Elle est composée habituellement d’une maison mère, où se trouve le siège social, et plusieurs filiales étrangères.
(en anglais : multinational)
, qui continue d’approvisionner nombre de distributeurs et industriels de l’agroalimentaire, comme si de rien n’était…
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Source photo : Alberto Racatumba - Flickr - CC BY 2.0