La notion de la décroissance s’inscrit dans le débat - nécessaire, y compris du point de vue théorique - sur la théologie du "toujours produire plus" qui guide les élites aussi bien économiques que politiques. On en trouvera ici une lecture critique par une confrontation avec l’analyse qu’en font les marxistes : un autre regard, si on veut. Le débat d’idées ne peut que s’en enrichir.

La décroissance est une théorie nouvelle ou plutôt nouvellement populaire auprès des milieux intellectuels pour faire face aux nombreux défis de l’humanité à l’heure actuelle. Elle se réfère en général à la première véritable étude qui a dénoncé l’acharnement des sociétés à se développer sur le plan économique, à savoir le rapport du groupe de Rome en 1972 : Halte à la croissance Croissance Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
 ! A partir de là, un certain nombre d’auteurs, comme Serge Latouche ou d’autres, de reprendre cette idée centrale et de critiquer les modèles de production et de consommation à l’œuvre dans la quasi-totalité des pays de la planète.

Sur ce plan, le débat se focalise sur la question de la croissance : en faut-il ou non ? Les premiers, grandement majoritaires au sein des gouvernements, assènent que sans croissance on ne pourra pas créer suffisamment de richesses à la fois pour satisfaire les besoins sans cesse renouvelés des populations et une certaine garantie de l’emploi. Les autres estiment que c’est une illusion et va mener le monde à sa perte.

Si on arrête à ce niveau, on devrait donner raison davantage aux « objecteurs de croissance » : la croissance n’assure nullement l’emploi, la répartition des richesses et l’approvisionnement de tous en biens et services nécessaires ; de même, elle se fonde sur un schéma sociétal très contestable, où l’avoir est privilégié. Seulement, si le mode actuel de production et de consommation est extrêmement critiquable, notre interrogation est de savoir si, en définitive, la manière dont les « décroissants » posent les problèmes est pertinente. C’est l’objet de notre désaccord qui abordera sept questions [1].

 1. Une théorie floue, mal définie, avec des attentes contradictoires

Une des difficultés majeures des théories sur la décroissance est qu’elles sont diffusées par des auteurs divers, venant d’horizons divers, avec des perspectives diverses. Il n’y a donc pas un corpus théorique cohérent de la "décroissance". Il y a des avis parfois divergents au sein de ce même mouvement. Sans doute, dira-t-on, qu’il en va de même pour les marxistes, les keynésiens, les libéraux… sauf qu’à chaque fois, ici, on aura une référence, susceptible d’interprétations mais plus ou moins unique : Karl Marx (et Friedrich Engels), John Maynard Keynes ou Adam Smith et David Ricardo. Il n’y a pas une telle référence dans la décroissance.

Réginald Savage [2], qui est en train de mener une étude sur cette théorie et les perspectives qu’elle offre, estime qu’il y a trois courants différents, avec des perspectives et des solutions quelque peu dissemblables : le premier pense qu’il faudrait revenir quelque peu "en arrière", vers des situations économiques moins complexes et des modèles de développement moins avancé ; le second, auquel il rattache Tim Jackson [3], est plutôt techniciste : il faut des solutions techniques pour éviter l’éclatement de la planète ; le troisième est plutôt de tendance néomarxienne, insistant sur la nécessité d’un changement radical de société.

Il est évident que notre attitude est totalement adaptée à ces courants. Nous ne partageons pas l’orientation des deux premières approches. Nous voulons discuter avec la troisième, pour avoir la meilleure position possible et pour savoir sur quels points il y a accord, sur lesquels il y a convergence et sur lesquels il y a réellement divergence d’opinion.

Mais la diversité de façon générale pose deux problèmes. Le premier est qu’il n’est pas toujours aisé de connaître les propositions concrètes et détaillées des "décroissants". Il y a, sur ce plan, un certain flou, dans lequel certains auteurs semblent baigner ou même s’épanouir. La seconde difficulté est qu’il est toujours loisible - et, selon moi, les « décroissants » en abusent parfois - de tourner les difficultés possibles, en affirmant : "oh, mais, ce n’est pas cela que je voulais ou je défends » ou « mais la décroissance, ce n’est pas cela".
C’est qui a rendu Jean-Marie Harribey, économiste français, ancien président d’Attac France et toujours membre de son conseil scientifique, très circonspect sur le mouvement. Jean-Marie Harribey a, pourtant, réalisé sa thèse de doctorat sur ce thème. Mais il en est arrivé à se demander ce qui doit décroître aux yeux des "décroissants" : le PIB PIB Produit intérieur brut : richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
, la production, la consommation, le progrès technique, l’empreinte écologique… Sans parvenir à obtenir une réponse unifiée du mouvement. C’est inquiétant. A la fois, pour le mouvement décroissant, cela pose certainement un défi et hypothèque l’avenir s’il n’y a pas de correction sur ce point.

On peut comparer ceci à d’autres courants. Tous les marxistes diront, par exemple, que leur solution est de collectiviser les moyens de production, c’est-à-dire les grandes entreprises, et de gérer les besoins essentiels par la planification Planification Politique économique suivie à travers la définition de plans réguliers, se succédant les uns aux autres. Elle peut être suivie par des firmes privées (comme de grandes multinationales) ou par les pouvoirs publics. Elle peut être centralisée ou décentralisée.
(en anglais : planning)
. Tous les keynésiens appelleront de leurs vœux une intervention active de l’État pour réguler le marché Marché Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
et lui éviter de s’emballer et de créer des bulles spéculatives. Tous les libéraux font confiance à un marché fondamentalement autorégulateur, même si certains veulent la suppression totale de l’État (les libertariens) et d’autres acceptent une intervention plus ou moins importante de l’État.

Mais que veulent en commun les "décroissants" ?

 2. On passe aisément de la critique d’une position à la position diamétralement opposée

Une deuxième critique porte sur l’argumentaire des objecteurs de croissance. Souvent, ils dénoncent quelque chose pour en venir immédiatement à la justification de la situation inverse. C’est réduire la réalité à deux possibilité : soit on est pour quelque chose, soit on est pour son contraire. La position intermédiaire est quasiment bannie. C’est manifeste dans la question de la croissance. On la dénonce, donc on est favorable à la décroissance. Or, le fait de critiquer la notion de croissance - ce qui est, selon moi, plus que légitime - ne justifie pas en soi d’adhérer à la décroissance.

Ainsi, dans le texte d’Alexis J. Passadakis et de Matthias Schmelzer , deux membres d’Attac en faveur des thèses de la décroissance, on retrouve ce basculement. Dans la section 2 « la nature a ses limites et ses résistances », on a en condensé ce que j’avance. Le point central est le suivant : "Une croissance illimitée sur une planète finie est impossible". D’accord. Mais si on veut avoir une analyse plus fine, il faut se demander si une croissance (et encore il faut s’entendre sur ce mot) limitée est possible. Pourquoi cette dernière question est-elle éliminée, comme s’il n’y avait d’alternative qu’entre la croissance illimitée et la décroissance ?

Alexis J. Passadakis et Matthias Schmelzer [4] prennent l’exemple des abeilles pour dire que quand on n’en a plus on a des problèmes. Or, les abeilles se reproduisent comme tout animal, comme tout végétal et même comme les ressources naturelles. C’est pourquoi on utilise des termes comme "croissance illimitée", "surexploitation" pour dire qu’on veut et qu’on justifie la décroissance. Mais justement ce qu’il faudrait prendre en compte ce sont les conditions de reproduction, de croissance, d’exploitation et ce qui serait nécessaire pour les assurer. Ce qui est évacué maintenant. Il faut tout changer, parce qu’on va droit dans le mur. Ce n’est pas une analyse minutieuse de ce qui ne va pas et de ce qui doit effectivement changer.

L’évolution planétaire et humaine montre par ailleurs que tout bouge tout le temps. Le combustible majeur utilisé auparavant était le bois. Puis ce fut le charbon. Depuis 1945, le pétrole était devenu de plus en plus important. Maintenant, on parle davantage de gaz, de nucléaire (malgré de graves problèmes non résolus à l’heure actuelle, la catastrophe de Fukushima l’atteste). On envisage le retour à l’hydraulique, à l’éolien ou le développement des cellules photovoltaïques. Cet exemple sur un point crucial de notre développement, l’énergie, ne prouve pas le caractère illimité des ressources naturelles et donc la possibilité d’avoir un développement sans balises. Mais il est moins limité que les « décroissants » (ou certains décroissent) l’avancent. Parce que les connaissances scientifiques évoluent et permettent de résoudre d’anciennes difficultés (même si elles en créent d’autres comme le nucléaire en est la caricature).

Le point 6 dans l’article est de la même veine. Il affirme que la croissance n’assure pas le mieux-vivre, l’emploi, etc. C’est totalement vrai dans le contexte capitaliste, puisque le but des entreprises est le profit et non l’emploi ou la satisfaction des gens. Mais cela est-il une justification pour la décroissance ou même un argument en sa faveur ?

Reprenant des termes lancés par Serge Latouche, le texte avance de nouveau : "Il s’agit de décoloniser l’imagination, de démystifier des concepts fétiches comme la croissance économique, le progrès, le travail salarié, l’efficience et le PIB." De nouveau, aucun problème avec la démystification. Mais on ne passe pas de la critique d’une notion pour justifier qu’on adhère à son opposé.

 3. Une erreur de diagnostic sur le contenu de la croissance et du PIB

La confusion est à son comble quand on associe la croissance, le PIB et l’épuisement des ressources naturelles. Il faut donc en revenir à l’essentiel en économie.

D’abord, il faut distinguer entre stock Stock Sous sa forme économique, c’est l’ensemble des avoirs (moins les dettes) d’un acteur économique à un moment donné (par exemple, le 31 décembre 2007). Ce qui sort ou qui entre durant deux dates est un flux. Le stock dans son sens économique s’oppose donc au flux. Sous son interprétation comptable, le stock est l’ensemble des marchandises achetées qui n’ont pas encore été produites ou dont la fabrication n’a pas été achevée lors de la clôture du bilan ou encore qui ont été réalisées mais pas encore vendues.
(en anglais : stock ou inventory pour la notion comptable).
et flux Flux Notion économique qui consiste à comptabiliser tout ce qui entre et ce qui sort durant une période donnée (un an par exemple) pour une catégorie économique. Pour une personne, c’est par exemple ses revenus moins ses dépenses et éventuellement ce qu’il a vendu comme avoir et ce qu’il a acquis. Le flux s’oppose au stock.
(en anglais : flow)
. Un stock est l’ensemble des avoirs à un moment donné (par exemple le 31 décembre 2010) que l’on possède (actif) ou que l’on doit (passif). Un flux est constitué des rentrées (ou sorties) d’avoirs entre deux périodes de temps (par exemple, le 31 décembre 2009 et le 31 décembre 2010). Il est évident que le stock "se remplit" ou "se vide" en fonction des flux. A ce stade, signalons que les ressources naturelles sont un stock et que le PIB est un flux.

Ensuite, dans le capitalisme Capitalisme Système économique et sociétal fondé sur la possession des entreprises, des bureaux et des usines par des détenteurs de capitaux auxquels des salariés, ne possédant pas les moyens de subsistance, doivent vendre leur force de travail contre un salaire.
(en anglais : capitalism)
, seuls comptent les relations marchandes, c’est-à-dire celles qui font l’objet d’un achat et d’une vente de quelque chose. Même dans l’administration ou le non-marchand, ce qui est comptabilisé concerne le paiement des salaires. Or, cette comptabilisation, en particulier dans le PIB, s’appuie exclusivement sur l’activité humaine. Autrement dit, le PIB est la valorisation monétaire du travail humain.

Et les ressources naturelles ? Elles n’ont aucune valeur marchande. Elles ne sont pas comptabilisées dans la société capitaliste. C’est sans doute absurde, mais c’est ainsi. Ce qui intéresse les capitalistes, ce sont les occasions de faire des bénéfices. Or, il n’y a que les activités marchandes qui le permettent. C’est le biais de la société capitaliste.

On pourrait et on devrait le critiquer. Mais ce n’est pas l’angle retenu par les "décroissants". Ce qui est retenu est le couplage entre utilisation des ressources naturelles et le PIB. Et, de nouveau, dans le texte d’Alexis J. Passadakis et de Matthias Schmelzer, par exemple, on utilise la méthode consistant à passer directement de la critique d’une position pour affirmer la position diamétralement inverse. En effet, ils avancent que le découplage absolu est impossible (section 3). De fait, on ne peut pas produire sans utiliser des ressources naturelles. Mais qu’en concluent-ils ? La liaison nécessaire entre PIB et ressources naturelles et donc la nécessité de réduire le PIB.

Un certain nombre d’études établissent un lien direct entre la croissance du PIB et le gaspillage de CO2 dans l’atmosphère [5]. Donc si on veut réduire le second, il faut diminuer le premier. C’est vrai dans la situation actuelle, à court terme. C’est vrai dans les conditions du capitalisme d’aujourd’hui. Pas nécessairement dans l’absolu.

En effet, prenons l’exemple de la France. Les estimations d’émissions de gaz à effet de serre montrent qu’elles proviennent à 26% des transports, à 22% de l’industrie, à 19% de l’agriculture, à 13% de la production d’énergie et à 3% du traitement des déchets. En outre, ce sont surtout les domaines du transport et du chauffage résidentiel qui augmentent le plus vite, ces dernières années. C’est similaire dans de nombreux pays avancés.
Mais ce qui dépend directement du PIB, c’est l’industrie et l’agriculture. On peut avoir d’autres formes d’utilisation du transport ou de chauffage, qui n’auraient pas un effet nécessairement négatif sur le PIB. Par exemple, en concentrant les efforts sur le transport rationnel (collectif) et sur de meilleures structures d’isolement des maisons.

En second lieu, on peut avoir d’autres manières de produire que celles du capitalisme contemporain. Dans les conditions actuelles, ce dernier utilise le moins de main-d’œuvre possible et davantage de ressources (proportionnellement à l’emploi). Ce qui épuise toute la chaîne : les hommes qui doivent trimer pour tenir la vitesse exigée par les chefs d’entreprise ; la nature, car elle doit fournir des biens à une vitesse toujours plus grande. Mais ce sont des conditions du capitalisme, non de la production technique.
Si on changeait les conditions techniques pour produire autrement un certain nombre de biens, on pourrait avoir un autre effet économique. Si, comme le proposent certains, on substitue une agriculture plus biologique à la production de masse actuelle, hautement mécanisée, il faudrait utiliser davantage de main-d’œuvre, donc plus de travail humain. Ce qui aurait pour effet d’augmenter le PIB et non de le restreindre.

En résumé, il manque un indicateur de stock, même dans le capitalisme "sauvage". C’est cet indicateur qui pourrait éventuellement montrer l’épuisement des ressources. Pas le PIB. Que les indicateurs soient imparfaits, c’est logique. Aucun indice ne peut être la mesure de tout. Il faut donc en général une palette de statistiques pour montrer une réalité d’ensemble.
D’autre part, il ne faut pas créer d’illusion sur ces changements ou ces propositions d’indicateurs. On ne change pas une société avec cela. Tout au plus cela peut-il entrer dans l’argumentation pour la transformer. L’indicateur doit être en rapport avec la société dans laquelle on vit. Or, de ce point de vue, le PIB est globalement ce qu’on a de mieux pour indiquer comment la richesse Richesse Mot confus qui peut désigner aussi bien le patrimoine (stock) que le Produit intérieur brut (PIB), la valeur ajoutée ou l’accumulation de marchandises produites (flux).
(en anglais : wealth)
est créée dans un contexte capitaliste, car il s’intéresse en premier lieu aux marchandises. C’est bien ce qu’on dit implicitement aux gens : vous produisez des marchandises et vous vous enrichissez ; si vous cultivez pour vous-mêmes les produits (tomates, carottes, salade, etc.), vous êtes pauvres. C’est incontestablement absurde et idiot. Mais ce sont les principes sur lesquels la société occidentale est construite. D’où le PIB pour mesurer cette richesse capitaliste.

 4. La croissance n’est pas au centre des objectifs capitalistes

Une question fondamentale face aux thèses sur la décroissance : pourquoi s’en prendre à la croissance ? Personne ne fixe d’objectifs vis-à-vis de la croissance. Certes, il est mis, parfois même dans les constitutions de certains États, que la politique économique Politique économique Stratégie menée par les pouvoirs publics en matière économique. Cela peut incorporer une action au niveau de l’industrie, des secteurs, de la monnaie, de la fiscalité, de l’environnement. Elle peut être poursuivie par l’intermédiaire d’un plan strict ou souple ou par des recommandations ou des incitations.
(en anglais : economic policy).
des gouvernements doit viser la croissance. La stratégie de Lisbonne (maintenant Europe 2020), politique centrale des instances européennes, a été modifiée sous la forme du slogan : "De la croissance et des emplois".

Mais il n’y a pas de buts chiffrés de la part des autorités communautaires. On ne dit pas : on se fixe comme cible 3% de croissance annuelle. La Commission fait des calculs pour prévoir ce que devrait être la croissance du PIB. Mais cela ne change rien aux objectifs, que ce soit 2, 3 ou 4%. Le seul pays qui a une vision avec des perspectives quelque peu chiffrées est la Chine qui doit avoir une croissance d’au moins 6% par an, pour permettre le transfert de 200 millions de paysans dans les villes en une génération. Ne discutons pas ici de savoir si cet État est capitaliste ou non. De toute façon, cet objectif ne l’est pas. En outre, c’est un minimum. La croissance pourrait être de 7, 8, 9 ou 10%. Sur ce point, il n’y a pas d’objectifs précis et clairs.

En revanche, si les pays et gouvernements n’établissent pas de buts chiffrés pour l’économie nationale, les firmes privées (et publiques, du moins celles qui sont gérées comme le privé) s’en fixent. Celles-ci peuvent être : une hausse de la production (passer de 3 à 5 millions de voitures, par exemple), un accroissement de la part de marché (passer d’une part de 9 à 12%) ou un niveau de rentabilité (passer d’un taux de profit Taux de profit Rapport entre le bénéfice et le capital investi ; il y a différentes manières de le calculer (bénéfice net par rapport aux fonds propres de l’entreprise ; bénéfice d’exploitation sur les actifs fixes ; et les marxistes estiment le rapport entre la plus-value créée et le capital investi).
(en anglais : profit rate).
sur investissement Investissement Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
de 12% à un taux de 15%). La presse économique fourmille d’objectifs de ce genre. C’est ce mécanisme qui pousse à la croissance généralisée. De la sorte, dire qu’on va s’en prendre à la croissance, sans toucher à cette possibilité de décision jugée comme sacrée par la quasi-totalité du personnel politique susceptible d’avoir un poids dans les pays capitalistes, est un non-sens total.
Il semblerait donc plus logique de mettre l’accent non sur la croissance, mais sur ce qui est, en réalité, le moteur du capitalisme, à savoir la rentabilité et la compétitivité. Il y a un déplacement préjudiciable au niveau de l’analyse et qui n’est peut-être pas innocent, car il justifie les points suivants (5, 6 et 7), également très discutables et critiquables.

 5. La critique n’est plus centrée sur les rapport sociaux, mais techniques

Avec la dénonciation de la croissance, on met en avant une critique à caractère technique : on produit trop et on met en péril l’équilibre de la planète. Finalement, on est tous sur le même bateau et on est en train de creuser un trou dans la coque, alors qu’on est en pleine mer (voire en pleine tempête). Tout le monde, peu importe sa situation sociale, son patrimoine Patrimoine Ensemble des avoirs d’un acteur économique. Il peut être brut (ensemble des actifs) ou net (total des actifs moins les dettes).
(en anglais : wealth)
ou ses revenus, est touché en fin de compte et devrait, dès lors, contribuer à résoudre les problèmes. Bref : "Tous ensemble !"

Il y a certes des visions de la décroissance qui sont plus "sociales" et moins "techniques". Elles ne se retrouvaient pas tellement dans la présentation ci-dessus. C’est ainsi que le pensent leurs partisans. Néanmoins, fondamentalement, mêmes ces approches plus nuancées, moins "interclassistes", conservent un fond et un point de départ qui est avant tout technique.

Il y a de nouveau une erreur d’analyse qui n’est pas sans conséquence sur les alternatives que l’on propage. Erreur d’abord parce que la réalité montre une large différence entre les élites qui décident, choisissent, dirigent et finalement portent la responsabilité majeure du système de production et de consommation dans lequel on vit et le reste de la population. Ce sont ces dirigeants qui s’enrichissent, qui accumulent, qui consomment de façon démesurée… Les autres, en majorité, même si elles le voulaient, ne pourraient pas grand-chose (du moins sur le plan individuel) et ce qu’elles feraient serait dérisoire par rapport aux problèmes écologiques planétaires.
Un second problème dans cette approche "technique" est qu’on suppose qu’il est possible (dans certains cas ou pour certains courants, souhaitable) de convaincre les membres de cette élite d’entreprendre une initiative en faveur du climat et, pourquoi pas, de reprendre l’idée de la décroissance. Sans doute, cela se ferait de façon détournée et édulcorée. C’est une illusion totale.

Ce n’est qu’à partir du moment où on supprime les éléments moteurs qui épuisent d’ailleurs autant les hommes que la planète qu’il sera possible de résoudre une partie des problèmes écologiques actuels. Or, ce ne sera envisageable que si cette élite n’est plus aux commandes des pays ou des grandes firmes et qu’il n’est pas question de mettre une autre élite à sa place. C’est donc bien en premier lieu une question sociale, sociétale et même de classe sociale Classe sociale Catégorie d’individus ayant et vivant une même situation face à la propriété privée des moyens de production. Une classe possède en exclusivité les outils, équipes et richesses permettant d’assurer l’existence des êtres humains. C’est la classe dominante ou dirigeante. Par rapport à cela, les autres sont obligés de travailler au service des premiers (classe(s) dominée(s) ou exploitée(s)). La similitude de situation pousse les membres d’une même classe sociale à agir en commun, comme un groupe intégré.
(en anglais : social class)
(une notion qui disparaît malheureusement dans les thèses de la décroissance).

Il faut que les décisions dans les grandes questions - mais celles-ci commencent par l’économie, parce qu’elles déterminent la production et la consommation d’une société - soient prises par l’ensemble de la communauté. Dès lors, la propriété des grandes entreprises doit être retirée du privé et d’une éventuelle élite. Elle doit être attribuée à la collectivité. Mais si on n’a pas cette condition, il n’y aura aucune avancée durable. On restera dans une logique capitaliste privée de faire du rendement et de la compétitivité. On produira tant et plus et les salariés et la nature en subiront les conséquences.
Avec des effets planétaires désastreux, même sur le plan de l’environnement : les déserts qui se multiplient et s’étendent dans les régions du tiers-monde, le Bangladesh et l’île Maurice menacés par la montée des eaux (alors que la Flandre et les Pays-Bas ont des moyens de se protéger)…

 6. Une lutte contre les modes "productivistes" ?

En termes d’alternative, les thèses de la décroissance mettent sur le même pied et critiquent avec la même violence capitalisme et socialisme Socialisme Soit étape sociétale intermédiaire qui permet d’accéder au communisme, soit théorie politique élaborée au XIXe siècle visant à améliorer et changer la société par des réformes progressives ; la première conception se comprend dans la théorie marxisme comme le passage obligé pour aller vers la société sans classes, étant donné qu’il faut changer les mentalités pour une telle société et aussi empêcher les anciennes classe dirigeantes de revenir au pouvoir ; la seconde conception est celle professée par les partis socialistes actuels ; on parle aussi dans ce cas de social-démocratie.
(en anglais : socialism)
. Pour eux, ce sont deux modes fondamentalement productivistes, donc à rejeter avec la même force. De nouveau, il y a des variantes parmi les décroissants, entre les versions plus technicistes ou plus marxisantes.

Néanmoins, mettre sur le même pied capitalisme et socialisme est une profession de foi qui ne repose pas sur une analyse scientifique des logiques mises en œuvre. Le capitalisme ne peut pas résoudre les problèmes écologiques de façon fondamentale, car il est fondé sur la recherche du profit. Sur ce plan, le socialisme ne devrait pas subir la même critique. Il n’y a pas de raison de construire un socialisme nécessairement productiviste. Nulle part, dans les écrits fondateurs de Marx et d’Engels (et de bien d’autres), il n’est question d’un moteur comparable au profit pour engager une logique d’épuisement de la planète.

Reprenons un moment les analyses de Marx et d’Engels qui sont généralement pour les partisans du socialisme une source peu contestée. Marx appelle dans son alternative à une société de l’abondance, qui pourrait suggérer la volonté de produire une tonnes de biens pour satisfaire tout le monde. C’est la définition du communisme Communisme Système économique et sociétal fondé sur la disparition des classes sociales et sur le partage des biens et des services en fonction des besoins de chacun.
(en anglais : communism)
 : "à chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins" [6]. Nous sommes en 1875. A ce moment, les questions des limites de la planète ne se posent pas, puisqu’on ignore encore ces limites. Toutes les régions du monde ne sont pas encore conquises par les colonisateurs. Toutes les possibilités ne sont pas épuisées et surtout on n’en voit pas la fin.

Face à la misère qu’il constate parmi les travailleurs anglais (mais auparavant allemand, belge et français), Marx imagine une société où les forces du capitalisme qui permettent potentiellement d’éliminer la famine et d’autres fléaux seront domestiquées et prises en main par la collectivité au service de celle-ci. Quand il perçoit ce que pourrait être une société communiste, il ajoute que cela permettrait à tout un chacun d’aller à la pêche et de se détendre ainsi (ici, la pêche n’a nullement un caractère productif). C’est donc aux antipodes d’une société dite productiviste.

Mieux encore : Engels, dans un petit texte sur le rôle du travail dans le développement de l’être humain, écrit une analyse très consciente des problèmes des ressources naturelles (en 1876) : "Bref, l’animal utilise seulement la nature extérieure et provoque en elle des modifications par sa seule présence ; par les changements qu’il y apporte, l’homme l’amène à servir à ses fins, il la domine. (…) Cependant, ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. Les gens qui, en Mésopotamie, en Grèce, en Asie mineure et autres lieux essartaient les forêts pour gagner de la terre arable, étaient loin de s’attendre à jeter par là les bases de l’actuelle désolation de ces pays, en détruisant avec les forêts les centres d’accumulation Accumulation Processus consistant à réinvestir les profits réalisés dans l’année dans l’agrandissement des capacités de production, de sorte à engendrer des bénéfices plus importants à l’avenir.
(en anglais : accumulation)
et de conservation de l’humidité. Les Italiens qui, sur le versant sud des Alpes, saccageaient les forêts de sapins, conservées avec tant de soins sur le versant nord, n’avaient pas idée qu’ils sapaient par là l’élevage de haute montagne sur leur territoire ; ils soupçonnaient moins encore que, ce faisant, ils privaient d’eau leurs sources de montagne pendant la plus grande partie de l’année et que celles ci, à la saison des pluies, allaient déverser sur la plaine des torrents d’autant plus furieux. Ceux qui répandirent la pomme de terre en Europe ne savaient pas qu’avec les tubercules farineux ils répandaient aussi la scrofule. Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein, et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures, de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. Et en fait, nous apprenons chaque jour à comprendre plus correctement ces lois et à connaître les conséquences plus proches ou plus lointaines de nos interventions dans le cours normal des choses de la nature. Surtout depuis les énormes progrès des sciences de la nature au cours de ce siècle, nous sommes de plus en plus à même de connaître les conséquences naturelles lointaines, tout au moins de nos actions les plus courantes dans le domaine de la production, et, par suite, d’apprendre à les maîtriser. Mais plus il en sera ainsi, plus les hommes non seulement sentiront, mais sauront à nouveau qu’ils ne font qu’un avec la nature et plus deviendra impossible cette idée absurde et contre nature d’une opposition entre l’esprit et la matière, l’homme et la nature, l’âme et le corps, idée qui s’est répandue en Europe depuis le déclin de l’antiquité classique et qui a connu avec le christianisme son développement le plus élevé.
" [7] Un discours que beaucoup d’écologistes et de décroissants pourraient faire leurs.

Les expériences qui ont été engendrées à partir de l’analyse marxiste, c’est-à-dire principalement l’URSS et la Chine (mais les autres aussi), se sont retrouvés dans des conditions autres que celles envisagées par Marx. C’étaient des pays retardés économiquement. La famine était souvent très importante. Il fallait, en premier lieu, assurer un développement économique considérable pour que chaque personne ait un minimum pour vivre.
Ensuite, malheureusement, ces expériences ne se déroulent pas dans un contexte international neutre où les autres États laissent le pays se développer paisiblement, avec ses propres forces. On voit au contraire les États-Unis aujourd’hui (mais les pays européens auparavant) s’en prendre à toutes les nations qui ne suivent pas scrupuleusement leur modèle. Dès l’origine, l’intervention de ces États (qu’on appelle à juste titre impérialistes) a été importante.

En 1918, les Allemands demandent l’armistice. Ils ne sont pas défaits militairement. Ils se trouvent encore largement en France. Pourquoi ? Parce qu’une révolte et bientôt une tentative révolutionnaire prend forme dans le pays. Ce sont les spartakistes. Ceux-ci seront battus et même assassinés. La fin de la guerre permet aux Russes blancs, c’est-à-dire des partisans du tsar, de mener une grande attaque contre le nouvel État bolchevik (bolchevik veut dire en russe majoritaire, et non communiste ou quelque chose comme cela). Ils reprennent de nombreuses villes en 1918. Ils sont soutenus sur le plan de la logistique et des ressources financières par les États alliés (Grande-Bretagne, France, États-Unis). Il est prévu que les forces alliées envahissent le pays. Le Japon adopte cette stratégie, avance largement en Sibérie qui est éloignée des combats véritables et va y rester jusqu’en 1923 ou 1924. Il se retire de leur propre volonté, car cela ne sert plus à rien. Les bolcheviks ont gagné. Mais il s’en est fallu de peu.

Par la suite, les interventions sont nombreuses. En Chine, les États-Unis soutiennent le général Tchang Kaï-chek. Jusqu’en 1947, ils définissent leur stratégie en s’appuyant sur la Chine comme tête de pont et en transformant le Japon vaincu en pays uniquement agricole. Mais Mao l’emporte et Washington est obligé de changer de politique, en prenant appui sur le Japon.
Et que dire de la guerre du Vietnam, où Français puis Américains refusent de reconnaître le résultat des élections effectuées juste après la guerre ? Ou l’intervention américaine dans la baie des cochons pour renverser Fidel Castro et remettre en place un gouvernement à la solde de la Maison Blanche. Et on pourrait ajouter les interventions en Irak, les menaces sur l’Iran ou la Syrie ou même la Corée du Nord.

Bref, pour un État qui veut construire une société alternative, il faut impérativement, même si cela ne se trouve pas dans ses options de départ, avoir des forces militaires capables de défendre le pays contre d’éventuelles interventions. Cela explique en partie les efforts d’augmenter la production dans les pays dits socialistes. On ne peut pas mettre cela sur le même pied que la disposition du capitalisme à vouloir produire toujours davantage.
On peut évidemment discuter (sans doute à perte de vue) pour savoir si les expériences socialistes qui ont vu le jour méritent bien ce vocable. Mais il n’en est pas question ici, parce que, qu’elles le soient ou non, elles auraient été confrontées à ces problèmes.

Il est vrai qu’en URSS on a développé plus qu’ailleurs une conception de hausse de la production matérielle. On a tenté d’introduire une alternative au PIB intitulé produit matériel brut. Et l’idée de la richesse était associée à la production de biens matériels. C’était davantage une erreur (ce qui arrive quand on construit une société totalement nouvelle) qu’une réelle logique productiviste. Où résiderait d’ailleurs celle-ci ? Une logique productiviste s’est introduite en URSS, mais elle a conduit in fine au capitalisme, où ce n’est même plus la production qui prime, mais le profit.

Dénigrer le socialisme et le mettre sur le même pied que le capitalisme ne peut qu’affaiblir les mouvements alternatifs, parce qu’il exclurait une des plus grandes formes de société alternative. En outre, cette société socialiste se fonde justement sur l’inverse de ce qui produit la croissance illimitée : la propriété collective qui devrait empêcher la recherche du profit tant et plus.

 7. Un retour à la petite production marchande ?

Même s’il y a des divergences entre les courants qui se revendiquent de la décroissance, il y a une petite convergence sur un point de l’alternative. Ce qui est proposé est une économie décentralisée, de petite dimension, fonctionnant par échange de produits, assurant la satisfaction mutuelle des besoins, sur base de l’économie solidaire actuelle. Une économie démonétarisée et démarchandisée, écrivent Alexis J. Passadakis et Matthias Schmelzer.

En réalité, il faut un principe pour faire fonctionner les échanges entre petites unités de production (que ce soient des biens ou des services). Et ce principe est de la monnaie Monnaie À l’origine une marchandise qui servait d’équivalent universel à l’échange des autres marchandises. Progressivement la monnaie est devenue une représentation de cette marchandise d’origine (or, argent, métaux précieux...) et peut même ne plus y être directement liée comme aujourd’hui. La monnaie se compose des billets de banques et des pièces, appelés monnaie fiduciaire, et de comptes bancaires, intitulés monnaie scripturale. Aux États-Unis et en Europe, les billets et les pièces ne représentent plus que 10% de la monnaie en circulation. Donc 90% de la monnaie est créée par des banques privées à travers les opérations de crédit.
(en anglais : currency)
. Sans doute, dans la vue de leurs promoteurs, une monnaie uniquement au service Service Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
de l’échange et non pas de l’accumulation. Un peu comme fonctionnent les SEL, services d’échanges locaux. Cette alternative est donc bien marchande et donc monétaire, même si elle reste à une échelle limitée.

Le problème est que soit cette solution est totalement utopique, dans le sens d’irréalisable, soit elle va engendrer nécessairement le capitalisme. Elle est utopique si on croit qu’elle peut rester à un stade limité. Aujourd’hui, des expériences existent, mais elles sont totalement marginales. Elles subsistent parce que le reste fonctionne selon la logique capitaliste et ce reste fournit l’essentiel des biens et services vitaux. Une économie "solidaire" telle quelle est impossible à une échelle planétaire.

Et, quand bien même elle serait possible comme alternative réelle, serait-elle souhaitable ? En effet, un certain nombre de problèmes majeurs sont d’ordre planétaire, donc allant largement au-delà des petites unités de production ? D’une certaine manière, cette alternative reproduit l’illusion anarchisante ou libertarienne, d’une société d’hommes libres de préférence sans État ou avec un Etat minimal. Au contraire, aujourd’hui, les problèmes, surtout écologiques, sont planétaires : le réchauffement climatique affectant une montée des eaux risque d’atteindre en premier le Bangladesh ou l’île Maurice, qui ne sont pas parmi les premiers pollueurs de la terre ; l’utilisation rationnelle de l’énergie demande une coopération internationale pour utiliser au mieux le soleil là où il diffuse ses rayons le plus abondamment, le vent là où il y en a, l’hydraulique là où il est en masse, etc.

D’autre part, si ce n’est pas une utopie, si on construit effectivement une petite production marchande, elle va tôt ou tard reproduire les mécanismes qui ont conduit au capitalisme actuel. Pourquoi ? Parce que la monnaie va servir de capital Capital Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
, parce que certains vont fournir davantage de biens et services et qu’ils vont vouloir en profiter. Et les mécanismes de régulation, éventuellement mis en place, ne seront pas assez puissants pour les en empêcher. C’est ce qui s’est passé au XVIIIe siècle et au XIXe.

Pourquoi imaginer ou croire qu’il en serait autrement aujourd’hui ?
Ce qui manque au projet est de faire l’impasse sur le principal mécanisme permettant véritablement de changer de société et de logique, à savoir la propriété des entreprises et des firmes. Si celle-ci reste au niveau privé, les "propriétaires" peuvent décider de façon autonome et "souveraine" soit de polluer, soit de poser des problèmes à leurs "concurrents" qui, pour rester dans la course, peuvent être amenés à polluer ou exploiter la main-d’œuvre. Le fait que cette propriété soit dans les mains d’une coopérative ne change que peu l’affaire. L’United Airlines, par exemple, est une firme détenue majoritairement par les salariés. Qu’est-ce que cela change au niveau de la concurrence dans le transport aérien ?

En réalité, la seule véritable alternative pour faire face aux problèmes aussi bien écologiques qu’humains est le passage à une propriété collective, mais publique, pour être suffisamment centralisée et répondre aux besoins planétaires. La manière de faire fonctionner l’économie doit passer par l’♫4tat, dans le cadre actuel. Ce qui permet d’avoir un pouvoir suffisamment fort pour imposer à tous une même logique de production, y compris à ceux qui voudraient continuer à s’enrichir personnellement. Ensuite, c’est le même organe qui peut décider sur le plan politique et économique. Ce ne sont pas deux autorités distinctes. Et l’État ou les États sont les institutions qui peuvent s’attaquer aux difficultés planétaires. C’est du socialisme effectivement. Mais il faut distinguer cette alternative des expériences qui ont pris le nom de socialisme et qui soit ne devraient pas avoir la prétention de porter ce nom, soit se trouvent dans des situations empêchant fortement d’en réaliser les principes fondamentaux.

 8. Conclusions

Je ne crois pas au bien-fondé des thèses sur la décroissance.

1. Elles ne reposent pas sur une base scientifique, analytique, solide, mais au contraire engendrent le flou, le vague et donc parfois l’incohérence.

2. Même si elles sont censées répondre aux problèmes écologiques actuels d’une façon radicale, elles n’apportent pas comme alternative quelque chose de véritablement de nouveau. Ces communautés de petits producteurs étaient déjà appelées de leurs vœux par plusieurs socialistes utopiques du XIXe siècle. On les remet au goût du jour aujourd’hui. Mais elles ont un contenu soit irréalisables comme on a pu le constater à l’époque, soit réactionnaires dans le sens où l’on revient en arrière dans le sens de l’histoire, au lieu d’apporter une solution qui va de l’avant.

3. Un certain nombre de problématiques soulevées par les théories de la décroissance sont réelles et doivent être traitées. Il y a un épuisement des ressources naturelles. Il y a un mythe de la croissance chez les capitalistes (mais ce n’est pas le seul). La société de consommation actuelle est perverse. Mais pourquoi la solution à cela serait la "décroissance" ? Au contraire, avec une puissance étatique à caractère socialiste, on pourrait le résoudre. Car, en privant les capitalistes de leur propriété privée, on leur enlève leurs possibilités de décision et d’influer défavorablement sur le cours de l’économie. Mais ce n’est pas un garant absolu. Il faut aussi que la population puisse réellement jouer un rôle actif dans l’élaboration des principes de cet État, sans quoi on dévoie l’État socialiste de sa mission fondamentale.

4. Les solutions doivent être les plus globales, centralisées possible, parce que les problèmes auxquels on fait face aujourd’hui sont de cet ordre. Les alternatives conviviales peuvent être sympathiques, mais elles ne répondent pas à ces enjeux. Ce qui n’empêche pas d’avoir une approche subsidiaire, pour reprendre une expression de l’Union européenne Union Européenne Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
 : les décisions doivent être prises au niveau adéquat. Ce n’est pas à l’État central de définir la couleur des boutons de machette à produire (éventuellement). Mais c’est bien à lui, par exemple, de préciser les orientations en matière énergétique, de transport, d’éducation, de santé, de besoins vitaux à fournir, etc.

P.-S.

Rédigée en février 2011, ce texte de réflexion a été publié à l’orgine sur le site du Mouvement politique des objecteurs de croissance (mpOC), http://objecteursdecroissance.be/spip.php?article168

Notes

[1Produite au Gresea, cette communication a servi de discussion à l’intérieur d’Attac Wallonie-Bruxelles. De ce fait, nous avons négligé trois éléments également discutables, mais qui sont davantage des problèmes qui pourraient se poser dans des organisations syndicales : la décroissance est-elle un bon mot d’ordre pour des salariés qui perdent leur emploi ? si la société de consommation est intenable à terme vu les ressources naturelles de la planète, qu’est-ce que la décroissance peut signifier concrètement pour des gens qui gagnent peu et vivent dans des conditions précaires ? enfin, même si ce modèle de consommation est hautement critiquable et qu’il faut assurément étendre l’analyse sur ce point, les forces qui se trouvent dans la production, c’est-à-dire un bloc de salariés organisés plus ou moins bien, ne sont-elles pas plus à même de renverser ce système, plutôt que des forces souvent isolées et désorganisées comme le sont les consommateurs ? autrement dit : le levier de changement ne se situe-t-il pas davantage dans la production que dans la consommation, une action syndicale étant toujours plus efficace aujourd’hui qu’une action des consommateurs (ce qui ne veut pas dire exclure cette dernière nécessairement) ?

[2Economiste belge, auteur d’une histoire économique de la Belgique depuis la Seconde Guerre mondiale.

[3Economiste britannique, auteur de "Prospérité sans croissance", éditions Etopia/De Boeck, 2010.

[4Alexis J. Passadakis et Matthias Schmelzer, "Décroissance - 12 pistes pour une économie solidaire au-delà de la croissance", juillet 2010.

[5Par exemple, Michel Husson, « Croissance sans CO2 », Note Hussonet n°24, octobre 2010.

[6Karl Marx, Critique du programme de Gotha : http://www.marxists.org/francais/marx/works/1875/05/18750500.htm.

[7Friedrich Engels, Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme : http://www.marxists.org/francais/marx/76-rotra.htm