Quelque 90 organisations (dont le Gresea) ont apporté leur soutien à la déclaration des anciens dirigeants de la Cnuced
CNUCED
Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement : Institution des Nations unies créée en 1964, en vue de mieux prendre en compte les besoins et aspirations des peuples du Tiers-monde. La CNUCED édite un rapport annuel sur les investissements directs à l’étranger et les multinationales dans le monde, en anglais le World Investment Report.
(En anglais : United Nations Conference on Trade and Development, UNCTAD)
. Elles se sont déclarés terrifiées et consternées par le projet de retirer, lors de la Cnuced XIII (21-26 avril 2012), de son mandat les éléments qui sont au cœur de sa mission, que sont la recherche et le conseil concernant les relations des pays en développement avec l’économie internationale, en particulier dans les domaines du commerce et de la finance. On trouvera ci-dessous le texte de cette déclaration.
Depuis sa création il y a presque 50 ans, et à l’instigation des pays en voie de développement, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced
CNUCED
Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement : Institution des Nations unies créée en 1964, en vue de mieux prendre en compte les besoins et aspirations des peuples du Tiers-monde. La CNUCED édite un rapport annuel sur les investissements directs à l’étranger et les multinationales dans le monde, en anglais le World Investment Report.
(En anglais : United Nations Conference on Trade and Development, UNCTAD)
) a toujours été une source d’irritation pour les tenants de la théorie économique dominante. Ses analyses des problèmes macro-économiques globaux ont régulièrement donné une perspective différente de celle de la Banque Mondiale
Banque mondiale
Institution intergouvernementale créée à la conférence de Bretton Woods (1944) pour aider à la reconstruction des pays dévastés par la deuxième guerre mondiale. Forte du capital souscrit par ses membres, la Banque mondiale a désormais pour objectif de financer des projets de développement au sein des pays moins avancés en jouant le rôle d’intermédiaire entre ceux-ci et les pays détenteurs de capitaux. Elle se compose de trois institutions : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale pour le développement (AID) et la Société financière internationale (SFI). La Banque mondiale n’agit que lorsque le FMI est parvenu à imposer ses orientations politiques et économiques aux pays demandeurs.
(En anglais : World Bank)
et du FMI
FMI
Fonds Monétaire International : Institution intergouvernementale, créée en 1944 à la conférence de Bretton Woods et chargée initialement de surveiller l’évolution des comptes extérieurs des pays pour éviter qu’ils ne dévaluent (dans un système de taux de change fixes). Avec le changement de système (taux de change flexibles) et la crise économique, le FMI s’est petit à petit changé en prêteur en dernier ressort des États endettés et en sauveur des réserves des banques centrales. Il a commencé à intervenir essentiellement dans les pays du Tiers-monde pour leur imposer des plans d’ajustement structurel extrêmement sévères, impliquant généralement une dévaluation drastique de la monnaie, une réduction des dépenses publiques notamment dans les domaines de l’enseignement et de la santé, des baisses de salaire et d’allocations en tous genres. Le FMI compte 188 États membres. Mais chaque gouvernement a un droit de vote selon son apport de capital, comme dans une société par actions. Les décisions sont prises à une majorité de 85% et Washington dispose d’une part d’environ 17%, ce qui lui donne de facto un droit de veto. Selon un accord datant de l’après-guerre, le secrétaire général du FMI est automatiquement un Européen.
(En anglais : International Monetary Fund, IMF)
dominés par les Occidentaux.
Mais, aujourd’hui, on tente de réduire cette voix au silence. Cela serait compréhensible si l’analyse Cnucedienne faisait double emploi avec celles d’autres organisations, mais au contraire ! Quelques pays voudraient donc supprimer tout désaccord avec ce qui tient bien d’orthodoxie économique.
Aucune organisation multilatérale n’est parfaite. Mais les analyses de la Cnuced et ses avertissements concernant les évolutions globales résistent certainement à la comparaison avec celles d’autres organisations. Ainsi que les détracteurs l’ont admis de temps à autre, la Cnuced a souvent eu une longueur d’avance en signalent l’emprise croissante de la finance sur l’économie réelle. L’organisation a prévu la crise mexicaine de 1995. Elle a anticipé la crise asiatique de 1997. Elle a régulièrement sonné l’alarme quant aux dangers de la dérégulation excessive des marches financiers. Elle a souligné les risques qu’entrainerait une libéralisation trop rapide et non-réciproque des échanges commerciaux. Les économistes de la Cnuced n’ont jamais subi la « psychologie du déni » qui frappait d’autres organisations.
Pourquoi le point de vue de la Cnuced est-il donc malvenu ? Le fait que la Cnuced n’ait aucune responsabilité pour la gestion de l’économie mondiale et n’ait pas de ressources propres à distribuer confère une neutralité libre à ses analyses. Aucune organisation n’a prévu la crise actuelle et aucune organisation ne possède de bâton magique pour résoudre les difficultés actuelles, mais il est parfaitement clair que les origines de cette crise se trouvent dans les pays qui maintenant cherchent à étouffer le débat sur les politiques économiques globales, en dépit de leurs échecs évidents dans ce domaine.
Grâce à la crise, nous avons maintenant une meilleure explication des interrelations existant entre l’économie réelle et le monde de la finance. Ces explications sont maintenant beaucoup plus proches de ce que la Cnuced affirme depuis trente ans au sujet des dangers d’une mondialisation dominée par la finance. C’est précisément dans son analyse de ces relations que la Cnuced apporte une valeur ajoutée à la compréhension de l’impact du fonctionnement l’économie mondiale sur la majorité de la population du monde, celle qui habite les pays en voie de développement.
Pourquoi maintenant ? La Cnuced va se réunir pour sa prochaine conférence quadriennale à Doha, Qatar, le 21 avril. Les conférences de la Cnuced n’ont maintenant rien à voir avec les précédentes ; elles sont simplement une occasion de s’entendre sur le programme de travail du secrétariat pour les quatre années à venir. Mais c’est exactement ceci qui constitue l’enjeu.
A Genève, les pays en voie de développement sont obligés, encore une fois, de résister à la forte pression exercée par les pays de l’OCDE
OCDE
Organisation de Coopération et de Développement Économiques : Association créée en 1960 pour continuer l’œuvre de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) chargée de suivre l’évolution du plan Marshall à partir de 1948, en élargissant le nombre de ses membres. A l’origine, l’OECE comprenait les pays européens de l’Ouest, les États-Unis et le Canada. On a voulu étendre ce groupe au Japon, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’OCDE compte 34 membres, considérés comme les pays les plus riches de la planète. Elle fonctionne comme un think tank d’obédience libérale, réalisant des études et analyses bien documentées en vue de promouvoir les idées du libre marché et de la libre concurrence.
(En anglais : Organisation for Economic Co-operation and Development, OECD)
et de défendre l’organisation à laquelle ils sont liés de manière "ombilicale". Ils ne rencontrent pas le succès nécessaire, en dépit du soutien des BRICS lors de leur récent sommet de New Delhi. Les pays développés ont donc sauté sur l’occasion d’étouffer la capacité de la Cnuced à mener des réflexions indépendantes. Il ne s’agit pas de faire des économies ou d’éliminer des double-emplois, comme certains le prétendent. Son budget pour la recherche reste minime. Or aujourd’hui plus que jamais il faut une diversité d’opinions en matière de politique économique afin que le monde puisse trouver une sortie durable de la crise actuelle. Non, c’est plutôt que s’il n’est pas possible de tuer le message, alors il faut tuer le messager.
Nous sommes tous d’anciens hauts fonctionnaires de la Cnuced. Individuellement, nous n’étions pas forcément d’accord avec ce que disait la Cnuced sur un sujet ou un autre. Nous n’avons aucun intérêt personnel dans cette affaire, mais nous tous croyons avec ferveur à la nécessité de sauvegarder une capacité indépendante de recherche qui contribue à alimenter un débat inter-gouvernemental sur les effets de l’économie mondiale sur les pays en voie de développement.
En ce moment, alors qu’enfin le pluralisme se discute, avec raison, dans le choix du Président de la Banque Mondiale, il est ironique que les pays de l’OCDE veuillent supprimer la liberté d’expression dans une autre organisation multilatérale.
Si ceux qui sont fiers d’avoir travaillé pour la Cnuced ne se manifestent pas maintenant, qui d’autre le fera ?