Carte d'identité

Secteurs Énergie, Traitement des déchets
Naissance 2008 (fusion GDF-Suez)
Siège central Paris
Chiffre d'affaires 82,6 milliards d’euros
Bénéfice net 2,9 milliards d’euros
Production Electricité ; produite en gaz, hydraulique, charbon, nucléaire, …
Effectifs 97.297 personnes
Site web https://www.engie.com
Président Catherine MacGregor
Actionnaires principaux (mai 2024): Etat Français (23, 64%), Capital Group (6, 37%), Caisse des dépôts et consignations (3, 63%)
Marques Suez, Electrabel, GDF, Cofely, etc.
Comité d'entreprise européen oui

Ratios 2023

 
Marge opérationnelle % 13,84
Taux de profit % 9, 66
Taux de solvabilité % 126, 16
Taux de dividende % 140, 1
Part salariale % 31, 51
Taux de productivité (€) 265.805
Fonds roulement net (€) -6, 1 milliards d’euros

Observatoire des Comptes

Bilan

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Actionnariat du groupe 2024

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Historique

Des ardeurs coloniales inscrites dans les gènes

Dans le classement des 500 premières transnationales établi par le Financial Times en 2011, le groupe Suez occupe le 60e rang, ce sur la base de sa valeur boursière (quelque 92 milliards de dollars), pour un chiffre d’affaires de 113 milliards, un profit net d’environ 6 milliards et un volume d’emploi de 236.116 travailleurs, soit l’équivalent, grosso modo, de deux fois une ville de moyenne importance comme Mons. 60e rang mondial, mais numéro 3 en France, où le groupe n’est devancé que par Total et, de peu, par Sanofi.

Erik Rydberg*

Et encore : si on ne regarde que les entreprises non financières, GDF Suez remonte du 60e au 47e rang, tandis que, en choisissant le volume d’emploi comme critère, c’est au 21e rang mondial qu’il passe. Tout est toujours affaire de lunettes, selon que l’on chausse l’une ou l’autre. Ainsi, on peut limiter le regard à l’Europe : la même année (2011, données de 2010), la Frankfurter Allgemeine a publié le classement des 100 premières transnationales européennes : GDF Suez y occupe le 13e rang, avec un chiffre d’affaires de 84,5 milliards d’euros.

Fusionner et "acquisitionner"…

En un mot comme un cent, un mastodonte, un dinosaure. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Son nom, déjà, l’indique. L’appellation consacrée, juridiquement protégée, est aujourd’hui Engie et hier encore GDF Suez – mais on pourrait tout aussi bien dire Suez-GDF-Lyonnaise-SGB-Electrabel & Cie tant l’histoire du groupe est faite de conquêtes – d’absorptions et de fusions dans le langage des managers.

La Lyonnaise des Eaux ? Gobée en 1997. Le holding de la Société Générale de Belgique, et avec elle les fleurons Tractebel et Electrabel ? Le raid, appuyé par Albert Frère en 1988, s’achèvera en 2003 par un enterrement dans l’intimité – après dépeçage et absorption des meilleurs morceaux… Gaz de France ? Incorporé en 2007. C’est, pour utiliser le jargon managérial, une expansion par ’croissance externe’ : l’innovation, l’esprit d’entreprise, la recherche de nouveaux marchés ne s’est guère faite en retroussant les manches, mais, bien plutôt, en retroussant celles des autres, achetées chemin faisant.

Comme on le voit, Suez ajoute à chaque fois une corde à son arc. De ’simple’ gestionnaire d’une possession coloniale (le Canal fondateur), le groupe s’étend à la finance, puis à l’électricité (La Lyonnaise portait bien son nom en 1946 : Lyonnaise des Eaux et de l’Éclairage…), secteur à l’époque de service public ’municipal’ : la multinationalisation proprement dite débute en 1988 lorsque Suez franchit la frontière pour s’emparer en Belgique, et y monopoliser [1], la production d’électricité, mais aussi les quartiers généraux de son ingénierie (Tractebel et Fabricom). Paré, dès lors, pour l’offensive mondiale visant à ravir une place dans la cour des grands, ce que l’absorption de Gaz de France en 2007 ne pouvait que faciliter, on le verra.

Fonts baptismaux égyptiens

Chez Suez, c’est dans les gènes. Sa naissance, valant carte d’identité, rime avec conquête… coloniale. En 1858, l’affaire a en effet été montée de toute pièce pour exploiter le canal de Suez, inauguré dix ans plus tard, en 1869. Le groupe -qui-n’était-pas-encore-groupe s’appelait alors Compagnie universelle du canal maritime de Suez. Et ledit canal, comme chacun sait, est situé en Égypte.

À l’époque, cela ne posait pas trop de problèmes. La deuxième moitié du 19 siècle était l’époque de la grande expansion coloniale. Comme Hô Chi Minh le notait avec une pointe d’ironie en 1922, la France disposait alors, en Asie, en Afrique, en Océanie et en Amérique, d’une extension territoriale de quelque 4.120.000 kilomètres carrés, soit huit fois sa propre superficie [2]. Ce ne sera plus le cas en 1956, année où, un 26 juillet, Gamal Abdel Nasser, président de l’Égypte, aura l’effronterie de nationaliser le canal. Ce ne sera guère apprécié en ’métropole’, ni d’ailleurs à Londres et à Tel-Aviv, Français, Anglais et Israéliens faisant assez rapidement, dès le mois d’octobre, pour des raisons différentes, cause commune pour, lors d’une réunion secrète tenue à Sèvres, organiser une riposte militaire sous prétexte d’une ’provocation’ inexistante des Égyptiens : le coup est classique, Hitler l’utilisera en Pologne. Mais, donc, fiasco sur toute la ligne, comme chacun sait, par suite du désaveu public de Washington tournant la page des vocations impériales européennes et, pour ce qui concerne la Grande-Bretagne, lui faisant perdre toute velléité de politique étrangère autonome : la leçon aura suffi.

Suez va devoir revoir sa stratégie. D’opérateur maritime, il se refera une santé dans le secteur bancaire et financier, multipliant les prises de participations : industriel par procuration, si on veut. Ce seront notamment, on l’a vu, les fleurons de l’énergie Electrabel en Belgique (1988), de l’eau et du gaz en France via la Lyonnaise des eaux (1997) et Gaz de France (2007). Et ce n’est là que la pointe de l’iceberg…

La stratégie de l’araignée

Réalisée en 2005, l’étude que le Gresea s’est vu confier par sa consœur 11.11.11, coupoles d’ONG flamandes, garde à cet égard toute son actualité [3]. En cause, à l’époque, un ’investissement’ que Suez s’apprêtait à faire au Brésil en vue d’y construire et exploiter un barrage – dont l’utilité sociale et l’impact environnemental posaient question.

L’affaire est illustrative à plus d’un titre. Le Brésil n’est certes jamais qu’un des lieux de déploiement de la transnationale française, mais le modus operandi – ’stratégie de l’araignée’, l’avions-nous baptisée – fait toujours partie intégrante de la ’fiche signalétique’ Suez. Un pays parmi d’autres ? À l’époque nous relevions que pour ’la seule année 2003, son tableau de chasse aligne des conquêtes en Pologne (centrale électrique), au Mexique (centrale électrique), à Abu Dhabi (installations de désalinisation et de production d’électricité devant assurant 25% des besoins de l’Émirat), aux États-Unis (terminal d’importation de gaz naturel liquide) et au Pérou (contrat de fourniture de gaz naturel liquide) ainsi qu’en Italie (concession de distribution d’eau à Pise), en Suède (rachat des services de collectes industriels et municipaux à Norrköping), au Liban (station de purification), en Allemagne (traitement des déchets ménagers à Leipzig), en Grande-Bretagne (déchets ménagers de Newcastle), en Égypte (contrat pour la construction de quatre unités de production d’eau potable), en Jordanie (unité de désalinisation et de production devant assurer les besoins en eau potable de 40% des habitants d’Amman), en Argentine (unité d’épuration de La Farfana, la plus grande d’Amérique Latine, qui desservira les 3,3 millions d’habitants de Santiago) et au Mexique (contrat de fourniture d’eau pour un secteur de Mexico City). Il suffit de reporter tout cela sur une mappemonde et l’adage est vérifié : un petit dessin vaut mieux que cent discours.’

Venons-en au modus operandi. Là encore, nous avions utilisé une image, celle d’une "politique du fusil à deux canons intégrés" – image qu’on ne prendra pas au pied de la lettre tant il s’agit souvent, en réalité "de trois, quatre, voire cinq canons qu’intègre ce fusil." La force de "prédation" de Suez, en effet, tient en ’l’accumulation et la synergie de compétences et de techniques industrielles différentes. Suez, ainsi, c’est l’eau + les métiers dérivés que sont par exemple l’épuration ou la désalinisation + l’énergie + l’ingénierie + le traitement des déchets + les "sous-compétences" de ses "sous-filiales" : à Cana Brava, au Brésil, ainsi, la construction du barrage sera confiée à l’entreprise (française) Coyne et Bellier, qui n’est autre que... une filiale de Tractebel.

Voyons dans l’ordre ces ’canons’, devant lesquels bien peu de pays, surtout au Sud, mais pas seulement, doivent en général s’incliner.

C’est, d’abord, le canon du "package deal", on vient de le voir : une société qui peut offrir une gamme de produits et services "intégrés" dispose naturellement d’une force de frappe supérieure. C’est, ensuite, le canon, du ’compagnonnage réglementaire’. Le terme ne figure pas au lexique bien qu’il désigne une réalité que tout observateur du monde des entreprises rencontre tous les jours : le fait que les transnationales ont les moyens de convaincre les décideurs politiques d’édicter les normes qui les arrangent, allant souvent jusqu’à les rédiger elles-mêmes. Suez ne s’en cache pas. Dans son rapport annuel 2003, "évoquant les bons résultats de SITA, sa filiale déchets, Suez rappelle que l’expansion de SITA va de pair ’avec les modifications réglementaires, techniques et économiques : en Europe, c’est le développement de la réutilisation, du recyclage et de la récupération d’énergie et de matériaux (... et) en Amérique latine, c’est l’adoption de normes environnementales." Un exemple parmi mille autres. C’est ainsi qu’on bâtit une position dominante : des normes "publiques" se chargeront d’évincer les concurrents en mal de "modernisation’" (les petites et moyennes entreprises dans les économies avancées, les champions nationaux au Sud et les artisans partout.)

À ce canon-là, il y a lieu d’ajouter, intimement associé, le pantouflage, soit le fait qu’entre le politique et l’économique, se déroule le tapis d’un même bal costumé, il y a, d’une oligarchie à l’autre, un constant va-et-vient. À preuve, Suez, où nous épinglions en 2005 :

  • Thierry Baudson. Second vice-président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) un mois avant la conclusion du prêt accordé en 1995 par la BERD à La Lyonnaise des Eaux/Suez. Étape suivante dans sa brillante carrière : directeur pour les projets de financement internationaux de La Lyonnaise des Eaux.
  • Gérard Mestrallet, PDG de Vivendi et, dans une vie antérieure, conseiller du ministre des Finances français. Ensuite patron de Suez.
  • René Coulomb. Membre du Conseil d’administration et ex-directeur de Suez, et vice-président du "Forum mondial de l’eau" : pour le profil du bidule, voire plus loin, à la "rubrique" Camdessus.
  • Yves Thibault de Silguy. Tour à tour Commissaire européen (1994-1999) et administrateur du groupe Suez. Candidat, ensuite, septembre 2004, pour prendre la tête d’EDF.
  • Margaret Catley-Carlson. De (ex-)ministre canadien de la Santé, elle devient la présidente de l’Association globale de l’Eau (association de gouvernements et d’organisations patronales et professionnelles) et du Comité consultatif sur les ressources en eau de Suez.
  • Ulrike Hauer, Commissaire européen au Commerce. Par une lettre de mai 2002, elle écrit à Thames Water, Suez et Vivendi pour les ’remercier pour leur contribution dans les négociations visant à réduire les barrières commerciales aux services de fourniture d’eau potable et d’élimination d’eaux sales en vue d’ouvrir ces marchés aux entreprises européennes.
  • Jérôme Monod. Ancien PDG de La Lyonnaise des Eaux (avant le rachat-fusion par Suez), membre de la Commission mondiale de l’Eau (émanation du Conseil mondial de l’Eau, fondé en 1996 par la Banque mondiale et les Nations unies ; Monod y siège aux côtés d’Enrique Iglesias, président de la Banque interaméricaine de développement) et conseiller du Fonds Monétaire International et de Jacques Chirac, notamment pour avoir été le secrétaire général du RPR, ainsi que conseiller du président de la Banque mondiale James Wolfensohn.
  • Michel Camdessus. Son curriculum vitae énumère : Directeur général du FMI (1996-2000), fonctionnaire au Ministère des Finances, attaché financier à la représentation permanente française auprès de la Communauté économique européenne, président du Club de Paris (1978-1984), gouverneur de la Banque de France (1984-1996). Ajoutons que Jérôme Monod (Lyonnaise des Eaux) était conseiller auprès du FMI lorsque Camdessus y était – et que ce dernier, ayant quitté le FMI, sera nommé président du "Panel international pour les nouveaux investissements dans l’eau", une initiative des transnationales de l’eau où siégera aussi William Alexander (RWE) et Gérard Payen (Suez).
    On comprend aisément, dès lors, que Suez n’a de l’entreprise multinationale que la forme : c’est bien plus un "État dans l’État", comme on disait auparavant, le terme d’État global, surplombant tous les autres, convenant mieux aujourd’hui pour caractériser les pouvoirs énormes que concentrent entre leurs mains les sociétés transnationales. L’empire Suez, dans le rapport produit en 2005, l’indique bien. En voici l’organigramme (avec, en exergue, colorées, les filiales utilisées pour monter à l’assaut du Brésil) :

Hier comme aujourd’hui…

Dix ans plus tard, en 2014, la situation n’a guère changé, réorganisations d’ingénierie financière mises à part : le pôle environnement, par exemple, a été sorti du ’périmètre’ pour graviter, façon satellite, sous l’appellation "filiale comportant des participations ne donnant pas le contrôle". L’empire, recentré sur l’énergie et ses diverses opérations, en amont et en aval, surplombe, hier comme aujourd’hui, quelque septante entités vassales.

Hier comme aujourd’hui, la politique de Suez demeure ’impériale’ : début 2015, on apprenait que le groupe a réussi, via un pseudo-tribunal "arbitral", à obtenir un dédommagement de 400 millions d’euros de l’État argentin, coupable d’avoir en 2006 nationalisé le service des eaux de Buenos Aires, que Suez exploitait depuis 1983 [4].

Et, aujourd’hui, bien plus que hier, Suez trône au top des transnationales : en 1996, le groupe était absent des 18 sociétés françaises qui avaient eu l’insigne honneur de figurer dans le célèbre FT 500, en 2013, il y occupait la 9 place, juste derrière Airbus (EADS) [5].

Groupe GDF Suez (2014)

Six divisions
Energieinternational EnergieEurope GlobalGaz Infra-structures Servicesénergie Autre Total
Chiffre d’affaires (millions €) 13.977 35.158 6.883 2.994 15.673 (**) 74.685
En % 18,7 47 9 4 20,9 100
Filiales 15 13 8 4 12 3 55
Participations 2 4 6
Entreprises associées 10 10
Total entreprises liées 71

(**) Note : dans la rubrique "Autres", on trouve, d’une part, les trois ’filiales’ constituées par le holding & société mère, le Centre de coordination belge et la financière GDF Suez Finance SA, et d’autre part, pour la commodité de la lecture, les 10 entreprises associées, parmi lesquels on trouve… Suez Environnement, précédemment un des pôles vitaux de Suez et, depuis juillet 2013, réduit au rang de valeur de portefeuille (dans lequel Suez ne détient plus "que" 33,7%).
Source : Rapport annuel 2014

*Chercheur Gresea

Rydberg, Erik, "Des ardeurs coloniales inscrites dans les gènes", Gresea, mai 2015, texte disponible à l’adresse : http://www.mirador-multinationales.be/secteurs/energie/article/engie-gdf-suez


[1Mainmise sur les centrales nucléaires belges, notamment, assurant à Suez une rente (installations payées par le contribuable, dont tout le bénéfice va ’gratuitement’ à Suez) plus que coquette : l’électricité belge ne représente que 5% du chiffre d’affaires de Suez – mais quelque 50% de ses bénéfices (2012), soit environ 850 millions d’euros par an, comme relève Eric de Keuleneer sur son blog http://www.dekeuleneer.com/?cat=15

[2’Some Considerations on the Colonial Question’, publié dans L’Humanité le 25 mai 1922, repris ici dans sa traduction anglaise sur https://www.marxists.org/reference/archive/ho-chi-minh/works/1922/05/25.htm

[3"Rapport sur le problème des barrages au départ du dossier Tractebel Cana Brava", Gresea, mars 2005, 105 pages, disponible sur demande.

[4Olivier Petitjean, ’Litiges entre États et multinationales : le cas emblématique du conflit entre Suez et l’Argentine’, Bastamag, 13 avril 2015 http://multinationales.org/Litiges-entre-Etats-et-multinationales-le-cas-emblematique-du-conflit-entre

[5Le FT 500 est le classement annuel des 500 plus grandes entreprises au monde réalisé par le Financial Times ; les données 1996 et 2013 sont reprises d’Alternatives économiques, n°336, juin 2014.

Ligne du temps