Le groupe Arcelor Mittal a été fondé en 2006 suite à la fusion
Fusion
Opération consistant à mettre ensemble deux firmes de sorte qu’elles n’en forment plus qu’une.
(en anglais : merger)
d’Arcelor et de Mittal Steel. A l’époque, le magnat indien de l’acier Mittal avait lancé une OPA
OPA
Offre publique d’achat : proposition publique faite par un investisseur d’acquérir une société ou une partie de celle-ci à un prix annoncé. Elle peut être amicale ou hostile, si le management de la firme ciblée est d’accord de se faire reprendre ou non.
(en anglais : tender offer).
sur Arcelor. Les orientations stratégiques du géant de l’acier concernant la région liégeoise sont, à l’époque, plutôt floues. Lors de la reprise d’Arcelor par Mittal, ce dernier laisse planer un espoir quant à la continuation du chaud de Liège…Mais cela ne dure que peu de temps tant et si bien que les décisions d’Arcelor se trouvent, de fait, confirmées.
Analyse publiée dans le Gresea échos n°69 de mars 2012.
En 2003, le groupe Arcelor s’était montré des plus réticents quant au maintien de la phase à chaud sur Liège. Après s’être montré, dans un premier temps, plutôt expéditif quant à la date de fermeture (2005-2006), le groupe Arcelor avait prolongé les délais et accepté d’accorder une forme de sursis pour le chaud à Liège [1]. Rien de mirobolant toutefois. A l’époque, la date limite était repoussée à 2009. Au départ, les syndicats avaient exigé un sursis allant jusqu’en 2015. En septembre 2006, puis en janvier 2007, Mittal confirme la fin du chaud à Liège en 2009.
L’espoir et les quotas CO2
Coup de théâtre au printemps 2007. Mittal laisse entrevoir une possibilité de maintien de la phase à chaud, passant par la probable réactivation, dès octobre-novembre, du haut-fourneau 6 de Seraing, Les déclarations d’Arcelor Mittal nourrissent des espérances à Liège. Mais dès le départ, le géant anglo-néerlando-luxembourgeois [2] laisse entendre que, moyennant conditions, la phase à chaud à Liège était loin d’être morte. Ainsi en octobre 2007, la direction d’Arcelor Mittal a annoncé de manière très officielle la prolongation du chaud liégeois jusqu’en 2015 au moins à condition qu’une solution soit trouvée pour les rejets de CO2. Et en novembre 2007, une date de relance est même annoncée.
Il s’agit du 21 janvier 2008. Dès lors, Lakshmi Mittal n’a cessé de mettre la pression sur les autorités régionales, notamment en menaçant de ne pas rallumer le haut fourneau 6 sans obtention de quotas pour "l’après 2009". Et les dirigeants d’Arcelor Mittal de demander au gouvernement wallon de passer à la caisse. Selon les pontes de Mittal, il incombait au gouvernement wallon de financer les quotas d’émission de CO2 pour opérer la relance de la phase à chaud.
Pour rappel, le système des quotas d’émissions CO2 constitue un dispositif institué par la Commission européenne et dont le but est d’inciter certains secteurs industriels à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (le plus important étant le CO2) et à investir dans des technologies moins consommatrices sur le plan énergétique et donc moins nocives d’un point de vue environnemental. Le mécanisme prévoit que des quotas CO2 sont alloués aux entreprises. Ainsi est-il attendu que les entreprises qui consentiront des investissements pour diminuer leurs émissions de CO2 pourront récupérer les sommes investies par la cession de leurs quotas excédentaires sur un marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
européen des quotas CO2.
En revanche, si leurs émissions dépassent le seuil fixé, ces mêmes entreprises seront dans l’obligation d’acheter des quotas supplémentaires sous peine de se voir infliger une amende aux autorités.
Chaque état membre, dans le système européen, est libre d’allouer les quotas comme il l’entend. Un Plan national d’allocations des quotas (PNAQ) est évalué par la Commission européenne. Le problème est que le système, dans sa globalité, repose sur la bonne volonté des entreprises qui ont toujours pu compter sur les États pour ne pas trop leur mettre la pression. C’est ainsi que la première phase d’allocation des quotas d’émission CO2 (2005-2007) s’est faite sur des critères de réduction assez minimes. Seul ennui : il est impossible, dans ces conditions, de mettre en place un marché des quotas d’émission CO2 puisqu’à l’époque, il y en a trop sur le continent européen. D’où chute vertigineuse, à l’époque, du prix de la tonne de CO2.
Pour la seconde période de programmation des émissions de CO2 (2008-2012), la Commission propose des normes d’émissions beaucoup plus limitées. Et la Belgique, après avoir revu son PNAQ à la baisse, peut allouer 58,5 millions de tonnes de CO2. Au total, au niveau européen, on signalait une augmentation du prix de la tonne CO2. Nous verrons qu’en réalité, ce resserrement de la législation européenne n’a pas concerné tout le monde de la même manière.
Un géant du CO2
Au mois de décembre 2009, un site spécialisé en affaires financières [3] relevait que Lakshmi Mittal allait probablement pouvoir gagner la somme faramineuse d’un milliard de livres sterlings avec les droits d’émission détenus par ArcelorMittal. Pour ses usines sidérurgiques européennes, le milliardaire indien avait obtenu un droit d’émission total de 90 millions de tonnes de CO2 par an pour toute la période 2008-2012. Le groupe n’avait pourtant émis que 68 millions de tonnes de CO2 en 2008.
Par conséquent, Arcelor-Mittal pouvait s’apprêter à revendre ses droits d’émission excédentaires. Et, à un moment où la Commission européenne s’apprêtait à durcir drastiquement la législation environnementale. Ce qui avait pour effet de faire passer le prix de la tonne de CO2 de 12,7 à 30 livres.
Début 2009, le trésor des certificats d’émission CO2 de Lakshmi Mittal finit par faire jaser. Et l’organisme en charge de la régulation de la bourse CO2 en Europe fait apparaître que Mittal s’est fait seconder par Eurofer, le syndicat professionnel des industries sidérurgiques européennes, pour « approcher » la crème de la fonction publique européenne. Le travail de lobbying fut des plus intenses. Et l’enquête de prouver l’existence de deux lettres datées de 2006 et 2007 où le PDG d’ArcelorMittal demande à pouvoir discuter avec le commissaire européen à l’Industrie, l’allemand Günter Verheugen. La suite de l’enquête réserve d’autres surprises tout aussi délicieuses.
L’enquêtrice chargée de réaliser cette investigation fut obligée de reconnaître, sur le site du Business Times (07/12), que la Bourse des droits d’émission avait purement et simplement failli dans la mesure où des niveaux d’émissions accordés à certaines entreprises avaient été surévalués. Ce qui a conduit à une distribution, pour le moins fantaisiste, des permis à polluer. Au total, il apparait qu’ArcelorMittal « avait transformé le système des droits d’émission en une technique pour obtenir des subventions gratuites ». La bourse du CO2 en Europe est aussi, et peut-être avant tout, un joli coup de pouce aux entreprises multinationales.
Parmi les droits d’émission détenus par Mittal, il y avait ceux que la région wallonne avait offerts en cadeau à Mittal. C’est en effet la Wallonie qui s’est retrouvée dans l’obligation
Obligation
Emprunt à long terme émis par une entreprise ou des pouvoirs publics ; il donne droit à un revenu fixe appelé intérêt.
(en anglais : bond ou debenture).
de parrainer à elle seule ArcelorMittal, alors, et c’est ici qu’il y a problème, que la négociation des quotas de CO2 est le fait de l’Etat fédéral. Dans le cadre de la répartition des droits d’émission déjà octroyés à la Belgique, la Région wallonne et le Fédéral ont fourni 2,6 millions à Mittal qui devait compléter ce montant pour pouvoir rouvrir les hauts fourneaux de Ougrée et Seraing implique l’émission de 4 millions de tonnes de CO2 par an [4]. Et c’est cette différence de 1,4 millions de tonnes que la Région wallonne, selon ArcelorMittal, devait financer en achetant les certificats sur le marché européen du CO2.Par un jeu de pressions de plus en plus fortes sur le gouvernement wallon, Mittal a fini par obtenir que ce soit la Wallonie qui s’acquitte du solde. Et le Gouvernement wallon s’est engagé à acheter des droits sur le marché du carbone en espérant que les réductions d’émission qui seraient potentiellement réalisées dans d’autres secteurs seraient à même de dégager un excédent de quotas qui pourraient, sait-on jamais, être in fine revendu.
Wallonie protégée
Sur ces entrefaites, à Liège, la crise mondiale de 2008 frappe durement la sidérurgie. Et le HF6 est de nouveau fermé d’abord pour trois mois, puis à durée indéterminée. En mai 2009, le HFB de Ougrée est lui aussi éteint. La phase à chaud liégeoise est alors complètement à l’arrêt. Le 15 février 2010, ArcelorMittal annonce une possible remise en route du HFB endéans les 6 à 8 semaines. Un an plus tard, la multinationale
Multinationale
Entreprise, généralement assez grande, qui opère et qui a des activités productives et commerciales dans plusieurs pays. Elle est composée habituellement d’une maison mère, où se trouve le siège social, et plusieurs filiales étrangères.
(en anglais : multinational)
de l’acier enterrait, une fois de plus, le chaud à Liège.
On peut d’ailleurs estimer que le simulacre de reprise du HFB de Ougrée n’est pas sans rapport avec les certificats CO2 tant convoités. C’est qu’entre 2008 et 2012, pour pouvoir bénéficier des certificats CO2, ArcelorMittal devait, au moins, faire semblant de relancer le chaud à Liège pour espérer rafler le jackpot CO2 tout en développant, en parallèle, une certaine forme de pression sur le gouvernement wallon.
Car l’octroi des certificats CO2 est soumis à une législation qui protège, quoique de façon relative, la Wallonie. En cette matière, la Cour d’arbitrage
Arbitrage
Opération qui consiste à jouer sur la différence de prix d’un même actif sur deux marchés financiers différents ou d’un produit dérivé par rapport à son produit sous-jacent. Ces gains sont généralement faibles, mais obtenus à grande échelle et recherchés en permanence par des travailleurs spécialisés (les arbitragistes) ils peuvent occasionner d’importants bénéfices (et parfois aussi des pertes considérables).
(en anglais : arbitrage, mais parfois aussi trading ou hedge).
a rejeté, par un arrêt du le 7 juin 2006, le recours en annulation du décret « Kyoto » de la Région wallonne du 10 novembre 2004 introduit par la s.a. Cockerill Sambre et la s.a. Arcelor.
Une des questions posées à la Cour concernait la possibilité offerte au Gouvernement wallon de retirer ou modifier la décision de délivrance de quotas à titre gratuit dans les quatre hypothèses énumérées par l’article 5, alinéas 2 à 4, du décret Kyoto [5] (cessation définitive de l’exploitation, arrêt d’au moins deux ans, modification notable excluant l’installation du système des quotas, caducité du permis d’environnement). Les dispositions de cet article ont été pleinement confirmées par la Cour.
Cockerill Sambre et Arcelor se fondaient notamment sur l’article 16 de la Constitution et sur l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, selon lesquels toute expropriation
Expropriation
Action consistant à changer par la force le titre de propriété d’un actif. C’est habituellement le cas d’un État qui s’approprie d’un bien autrefois dans les mains du privé.
(en anglais : expropriation)
doit avoir une cause d’utilité publique et être accompagnée d’une juste et préalable indemnité. La Cour n’a pas partagé cette analyse et a pleinement confirmé les dispositions du décret Kyoto [6].
Ce qui signifie qu’à tout le moins, le gouvernement wallon est pleinement en droit de refuser l’octroi des certificats CO2 promis à un investisseur indélicat. Par ailleurs, les choses étaient encore plus claires dans le cas d’ArcelorMittal. En février 2008, dès que le fédéral et la Région wallonne se sont accordés sur le dossier « phase à chaud », il était entendu que les quotas CO2 ne seraient achetés que s’ils étaient dépensés. Or, ils n’ont jamais été utilisés.
Au total, les tergiversations d’ArcelorMittal autour de la relance de la phase à chaud à Liège ne lui ont pas permis de faire main basse sur les certificats CO2 qu’il convoitait comme partout ailleurs en Europe. Tout le rapport de forces développé en direction du gouvernement wallon allait clairement dans ce sens.
On ne pouvait guère s’attendre à mieux de la part d’ArcelorMittal. C’est que le groupe n’a jamais manifesté un sens des engagements particulièrement développé. Ainsi que le notait José Verdin en charge à la FGTB du dossier sidérurgie : « Ce qui peut faire hurler par contre, c’est la rupture par rapport à ses engagements. Le groupe s’est engagé pour une économie durable, pour une concertation sociale, pour une répartition des charges de travail entre les différents outils. Là, il n’y a rien eu. (…) Le plan Speed Up prévoyait un volet social qui s’est concrétisé par une diminution de l’emploi. Il y avait aussi un volet investissements, qui devait permettre à Liège d’être parfaitement compétitive. Et ça, ça n’a pas été fait ! » [7]. Six ans après la création du géant ArcelorMittal, retour à la case départ pour les travailleurs de la sidérurgie liégeoise.