Carte d'identité

Secteur Informatique
Naissance 1976
Siège central Cupertino (Silicon Valley), Californie
Chiffre d'affaires 357 milliards d’euros
Bénéfice net 90,3 milliards d’euros
Effectifs 161.000 personnes
Site web http://www.apple.com
Président Tim Cook
Actionnaires principaux (mars 2024): The Vanguard Group (8, 54%), BlackRock (6, 52%), Bershire Hathaway (5, 86%), State Street (3, 8%)
Comité d'entreprise européen oui

Ratios 2023

 
Marge opérationnelle % 32,83%
Taux de profit % 154, 78%
Taux de solvabilité % 153, 32%
Taux de dividende % 15, 46%
Fonds roulement net (€) -1, 6 milliards d'euros

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* Les années fiscales d’Apple sont publiées de septembre à septembre

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Historique

Apple : « Think Different » ?

On raconte qu’Apple a été créée dans le garage de la famille Jobs, à Cupertino, le 1er avril 1976 par Steve Jobs et deux de ses amis Steve Wozniak et Ron Wayne, ce dernier quittera l’entreprise peu après. Ce dont on est certain par contre, c’est qu’Apple s’est constituée sous forme de société en janvier 1977 : l’Apple Computer inc.

À l’époque, l’ambition des fondateurs est simple : concevoir et commercialiser le premier ordinateur personnel grand public, à la fois accessible à tous et facile à utiliser, et ce faisant, de damner le pion au géant du secteur IBM.

L’innovation technologique et l’image comme moteur

En 1976, les premiers pas d’Apple Computer inc. ne sont pas florissants. Après le lancement encourageant de l’Apple 1 dont les 200 exemplaires produits sont vendus la même année, les deux associés vivent principalement de la vente de cartes mères. L’année suivante, Apple lance un prototype d’ordinateur, le premier ordinateur personnel de l’histoire, l’Apple 2 [1].

Dès le début des années 1980, l’Apple 2 propulse l’entreprise du statut de start up à celui d’entreprise de premier plan avec pas moins de 6 millions d’ordinateurs vendus durant toute la durée de vie de ce second modèle décliné en 7 séries jusqu’en 1988 [2]. Dans la foulée, la firme entame sa première mue et change de logo pour adopter la célèbre pomme. Apple est la première société à démocratiser l’ordinateur personnel à travers le monde [3] . Elle devient le symbole de cette révolution, notamment via le logiciel Visicalc, premier logiciel tableur à être vendu à grande échelle [4]. En 1980, Apple fait également son entrée en bourse et se retrouve leader sur le marché de l’ordinateur personnel grâce au succès grandissant de l’Apple 2 et ses différentes séries. Cependant, IBM reste une sérieuse menace, car elle domine le marché de la vente de pièces informatiques et projette également de s’attaquer au marché de l’ordinateur personnel de masse dans le courant de l’année 1981. Son capital grimpe en flèche malgré l’échec rencontré par l’Apple 3 sorti quelques mois avant son entrée en bourse. En effet, celui-ci n’était ni à la hauteur des attentes du public ni en adéquation avec les besoins de l’époque. Il restera en mémoire comme le premier échec commercial de la marque, la première fausse note [5].

En 1984, le Macintosh fait son entrée sur le marché : une vraie révolution. Un projet novateur, conçu sur base du projet Lisa . Sa révolution réside dans le fait de proposer une vraie interface graphique à la place d’une interface en ligne de commandes, qui constituait la norme à l’époque. L’ordinateur Macintosh est plus petit, plus simple et plus souple d’utilisation et présente aussi un niveau de finition supérieur. Il connaîtra un succès remarquable et instituera une série qui existe toujours, le Mac, véritable étalon pour l’industrie dans son ensemble. Le premier modèle se vend jusqu’à 70.000 unités dès le premier mois [6], à noter qu’il est vendu en même temps que l’Apple 2C et l’Apple 2GS, les deux modèles les plus aboutis de leur série. Même si le Macintosh a plus de mémoire et présente l’innovation de la souris, il est moins compatible avec les différents logiciels et moins accessible que l’Apple 2, ce qui explique l’essoufflement rapide de ses ventes, vampirisées par son aîné. La campagne mitigée du Macintosh exacerbera les tensions au sein d’Apple et Steve Jobs en fera plus tard les frais.

La période Macintosh est une période innovante au cours de laquelle on enregistre de vraies avancées technologiques. C’est une étape importante dans le développement de la firme qui a réussi à proposer des innovations qui deviendront par la suite des valeurs sûres sur lesquelles la marque s’appuiera. Néanmoins, Apple est encore une société menée et construite par des « geeks », Steve Jobs en tête, qui se focalisent sur la technique et bien peu sur le marketing.

Le licenciement de Steve Jobs

Cette période mouvementée s’achève en 1985, suite à de nombreux différends sur la direction de l’entreprise et à une baisse des ventes du Macintosh, qui ne parvient pas à s’imposer sur la durée. Steve Jobs est évincé par le conseil d’administration et cède sa place à John Sculley [7]. Jusqu’en 1996 et le retour officiel de Steve Jobs via le rachat de son entreprise d’informatique Next., Apple ne commercialisera aucune innovation significative en matière de hardware ou de nouveaux produits. Indécis entre le désir de vouloir travailler sur le software et le hardware de l’entreprise, John Sculley portera quelques projets comme le Newton, ancêtre de l’iPad, qui se solderont tous par des échecs et auront raison du succès de l’entreprise [8], en perte de vitesse depuis le départ de S. Jobs et qui ne cesse de perdre des parts de marché au profit de l’alliance IMB-Microsoft. J. Sculley quittera son poste en 1996 et son successeur, Gil Amelio, sera remercié dès 1997. Steve Jobs reprend les pleins pouvoirs et Apple entame son ascension fulgurante [9].

De retour aux affaires et plus que jamais aux commandes de l’entreprise, Steve Jobs ne tardera pas à restructurer Apple et à relancer la machine qui jadis avait fait son succès. En 1998 l’iMac fait son apparition. Il se distingue par un look spectaculaire , inédit et coloré en rupture totale par rapport aux codes de l’industrie informatique de l’époque. S. Jobs intègre un logiciel de montage révolutionnaire : Final Cut Pro [10] [11]. Ce logiciel est la seule vraie innovation d’Apple depuis le Macintosh, en 1984. Très simple d’utilisation, innovant et esthétiquement très soigné, l’iMac est le meilleur ordinateur personnel jamais créé jusqu’alors. On y retrouve les principaux ingrédients de ce qui sera la base sur laquelle Apple fonde toujours ses succès jusqu’à ce jour : un produit tout public innovant avec un hardware solide et une esthétique très soignée, le tout promu avec un marketing disruptif. C’est grâce à cette ligne amorcée par Steve Jobs et perpétuée depuis qu’Apple est passée du statut de grande entreprise à celui de multinationale surpuissante [12].

Le succès de l’iMac et le tournant des années 2000 marquent une transition remarquable. Mais il ne s’agit encore que de la remise à flots d’une entreprise qui était toute proche de la faillite deux ans auparavant. Pas de quoi donc revendiquer le statut qu’on reconnaît à la firme aujourd’hui. En effet, une fois l’opération sauvetage terminée, Steve Jobs peut passer à l’étape suivante, celle qui va définitivement la faire passer dans une autre dimension. Après avoir constaté que malgré le succès du logiciel de montage lancé en même temps que l’iMac, son utilisation restait limitée et moins étendue qu’espérée, Steve Jobs décide d’abandonner la vidéo et de lancer Apple dans la musique numérique, l’iPod voit le jour en 2001. Ce secteur est déjà très concurrentiel en raison du nombre d’acteurs déjà présents sur le marché du baladeur numérique mp3 à disque dur. Steve Jobs perçoit cependant qu’aucun des acteurs présents ne se démarque, il parle à l’époque d’une absence de leader sur ce marché et pense qu’Apple a toutes les chances de le dominer [13] [14]. Le premier iPod peine à percer le marché en raison notamment de son incompatibilité avec les utilisateurs Windows, mais les versions suivantes vont corriger ce défaut. L’iPod va alors rencontrer un immense succès et devenir rapidement leader du marché avec des ventes à hauteur de 150 millions après 7 ans d’existence [15], soit bien plus que le cumul de ce que Apple avait vendu jusque-là. Encore une fois, c’est par le design et l’interface avec la « wheelmote » que l’iPod va convaincre. Apple commence à devenir un acteur dominant sur le marché et s’apprête à lancer l’iPhone l’année suivante qui connaîtra un succès sans précédent.

À tout cela s’ajoute le parti pris novateur de lancer iTunes [16], un réseau direct de services dont Apple se sert pour écouler directement ses ventes de musique numérique, à cela se joint également l’Apple Store ou l’Apple Retail+ . Ensemble, ils forment le réseau de distribution numérique propriétaire d’Apple, notamment pour les applications. Cela permet à Apple de vendre directement ses produits, sans passer par un distributeur intermédiaire. Avec l’iTunes, Apple négocie directement avec les maisons de disques pour qu’elles mettent leurs produits directement en vente sur l’iTunes en format numérique [17]. En définitive, cette manœuvre audacieuse permet à Apple non seulement de se passer d’un réseau de distribution intermédiaire, mais aussi de le remplacer lui-même, dans le cas d’iTunes. iTunes et iPod ainsi que la stratégie d’intégration verticale qui a suivi ont permis à Apple d’être le leader incontesté de la musique numérique.

En 2006, Apple revient sur le devant de la scène avec le succès du MacBook, gamme d’ordinateurs portables qui succède à la gamme portable iBook [18], belle innovation à l’époque, mais pas suffisante pour révolutionner le marché. Le MacBook écrase le marché de l’ordinateur portable : il est plus fin, plus léger, plus rapide et plus puissant que les machines rivales et présente une longue autonomie ainsi qu’une esthétique épurée haut de gamme [19]. Apple bénéficie du succès de l’iPod et de l’ouverture de ses machines au système d’exploitation Windows, ce qui lui permet de gagner des parts de marché. À ce moment-là, Mac dépasse ses concurrents PC et Apple redevient leader du marché, une situation qu’elle n’avait plus connue depuis l’Apple 2. En janvier 2007, le premier iPhone fait son entrée sur le marché.

iPhone : l’ordinateur dans la poche

C’est le premier vrai smartphone tel qu’on le connaît aujourd’hui. Le premier produit de convergence numérique qui bouleverse le marché à bien des niveaux. Révolution marketing de l’époque, c’est la première fois qu’un opérateur téléphonique proposera l’achat d’un téléphone sous forme d’un étalement dans une offre combinée à un abonnement téléphonique [20]. Il a des années d’avance sur la concurrence [21]. Le succès est tel qu’en juillet 2016 on recensait déjà plus d’un milliard d’iPhone vendus [22]. Dès le lancement de son premier iPhone, Apple se positionne comme un acteur majeur dans la téléphonie mobile. Dans la foulée, Steve Jobs change le nom d’Apple Computeur inc. en Apple inc. et élargit officiellement les activités aux produits multimédias en général.

La décennie 2000-2010 est une période dorée pour Apple. Cette période faste de l’entreprise, comme un âge d’or de l’innovation, Apple va la couronner par la sortie de l’iPad en 2010 qui marque un bon en avant dans l’hégémonie de la firme sur le marché du multimédia de masse. Apple innove et crée même un nouveau segment avec la tablette numérique [23]. L’entreprise est la première à sortir une tablette numérique tactile qui demeurera des années durant la référence dans ce secteur [24].

L’élan créatif de la marque va connaître inéluctablement un coup d’arrêt lorsque Steve Jobs se retire en 2010, quelques mois avant son décès. L’après Steve Jobs a été anticipé en interne et le passage de témoin avec Tim Cook s’est fait sans heurts. Depuis, la politique d’Apple s’inscrit dans la continuité de ce qui a été établi par S. Jobs tout en étant en accord avec son temps, que ce soit dans les évolutions de l’iPhone, de l’iPad ou des Mac. Les vraies innovations se sont opérées davantage dans le domaine du software que dans celui du hardware, mais n’en ont pas moins eu un impact significatif [25]. Côté nouveauté, Apple a sorti l’Apple Watch en 2014, qui a connu un succès relatif, et la fonctionnalité Apple Pay plus tard la même année. Apple déclarait en 2018 que 90% des paiements sans contact aux États-Unis sont effectués avec Apple Pay [26] et essaie de s’imposer sur le marché du paiement en ligne. Dans ce domaine, Apple est bien positionné sur le marché occidental du paiement sans contact, mais reste loin des géants mondiaux comme Alipay [27].

Le futur sera diversifié et numérique

Comme Google (Alphabet), Apple travaille sur un projet de voiture autonome, la iCar. Projet qu’ils aimeraient être les premiers à démocratiser et commercialiser, ils ont cependant accusé du retard et les rumeurs font état d’une sortie pour 2020-2021 alors que la voiture autonome d’Uber a été testée en 2018 [28]. En matière de voitures 100 % électriques, Elon Musk, président de Tesla jusqu’en novembre 2018, a déclaré qu’Apple représentait le plus proche futur concurrent sur ce secteur pour le constructeur automobile, devant les autres constructeurs traditionnels de voitures. Apple travaille aussi sur un projet d’intelligence artificielle. L’entreprise à la pomme étant connue pour son culte du secret, ce projet n’a pas encore été dévoilé, mais il s’agit d’un des enjeux du futur pour l’ensemble des firmes technologiques.

Le prochain projet innovant aboutira sans doute sur un nouvel iPhone annoncé « pliable [29] ». C’est essentiellement sur ce terrain avec son produit phare qu’Apple doit répondre présent, car ces dernières années l’iPhone a été un peu décevant en termes d’innovations et d’améliorations [30]. Il continue cependant d’afficher un prix de plus en plus élevé qu’un grand nombre de gens considère comme indécent [31] (ce qui questionne la stratégie marketing d’Apple depuis la fin de l’ère Jobs ). À la fin de la décennie 2000-2010, Apple représentait le seul baromètre de l’industrie, elle est depuis rentrée un peu plus dans le rang pour être régulièrement dépassée par ses plus féroces concurrents dans le secteur des innovations sur le marché comme Samsung. L’enjeu du futur n’est-il pas de relancer cette dynamique ?

Le streaming est une autre évolution qui viendrait concurrencer Amazon Prime et Netflix (si celui-ci n’est pas racheté par Apple comme certaines rumeurs l’évoquaient un temps).

Les dessous sociaux des iPhone

Depuis la fabrication de l’iMac G3, Apple a recours à un réseau de sous-traitance pour la production de ses appareils, les deux principaux sous-traitants étant Foxconn depuis la fin des années 1990 [32] et Pegatron depuis 2013-2014 avec le lancement de l’iPhone 6 [33]. L’immense majorité de ce réseau se regroupe en Asie, soit 97 %, ce qui représente une moyenne de 600 sites de production sur plus de 760 [34], 17 usines d’assemblage de six sous-traitants se trouvent en Chine [35], les principaux étant Foxconn et Pegatron. En Chine, les principaux sites des usines d’assemblage sont localisés dans les villes [36] de Shenzhen pour le plus gros d’entre eux, viennent ensuite Tianjin, Qingdao, Zhengzhou, Shanghai, Nankin, Chengdu, Wuhan, Xiamen et les plus modestes dans des régions plus défavorisées de la Chine du Sud comme le Xiangxi, le Guangdong et le Guangxi.

Pegatron :
Pegatron est une entreprise taiwanaise active uniquement dans la manufacture de produits informatiques tout comme l’est Foxconn. Pegatron était à l’origine une branche manufacturière propriété d’Asus qui officiait principalement en tant qu’ODM (Original Design Manufacturer) pour des tiers [37] pour le groupe Asustek. En 2007, Asustek a décidé de s’en séparer pour se recentrer sur ses propres activités de R&D, de production et de distribution et Pegatron est donc devenue à indépendante à ce moment-là. Pegatron est une ODM (producteur de concepts d’origine en français), autrement dit une entreprise qui fabrique des modèles types génériques avant de les vendre à des clients, avec possiblement des finitions à la carte et des spécificités selon les demandes de ceux-ci. Un des meilleurs exemples est le partenariat Tinno-Wiko, Tinno est une ODM [38] qui fabrique des modèles que commande ensuite Wiko avant de faire greffer ses propres spécificités et de les vendre sous le nom Wiko en France et en Belgique. À l’inverse, Foxconn fonctionne selon un modèle contractuel différent, c’est une OEM [39] (Original Equipment Manufacturer – « fabriquant d’équipement d’origine » en français). Autrement dit c’est une entreprise qui ne s’occupe que de l’assemblage d’un produit donné selon le modèle fourni par le client, il n’y a donc pas de segment « création » ou « conceptualisation » de la part de l’entreprise en question, uniquement la partie montage du produit selon les directives détaillées du client. En l’occurrence, Foxconn est une OEM qui sous-traite pour Apple et Pegatron, à l’origine une ODM, cumule les deux statuts lorsqu’elle travaille avec Apple depuis la fabrication de l’iPhone 6.

Cependant, de tous les sous-traitants d’Apple, c’est Foxconn, son premier partenaire qui, depuis le début des années 2000 et la production de l’iPod, attire l’attention. En 2006 déjà, l’entreprise était pointée du doigt par une investigation américaine [40]qui dénonçait les conditions de travail des ouvriers poussés à bout et déshumanisés contraints, notamment, de prester entre 10 et 15 heures journalières, subissant une culture abusive des heures supplémentaires, vivant dans des dortoirs insalubres, se pliant à une politique de l’intimidation généralisée et à des salaires extrêmement bas, etc. [41]. À cette période, des vagues de suicides ont attiré l’attention du reste du monde. Malgré la médiatisation massive, Foxconn s’en est sorti relativement rapidement. Plus tard, en 2010 pour le lancement d’un nouvel iPhone, des vagues de suicides ont été signalées de nouveau dans des usines Foxconn à travers la Chine [42] jusqu’à éveiller cette fois la curiosité de certaines organisations internationales de protection des travailleurs ainsi que l’ONG China Labour Watch. Certains États ont émis un commentaire défavorable, voir critique, comme celui de Barack Obama [43]. Foxconn a d’abord essayé d’esquiver, grâce notamment à l’aide des autorités qui maintiennent une certaine censure de la presse [44]. Ensuite, Foxconn a entrepris un grand mouvement de délocalisation à travers la Chine et a ouvert d’autres usines loin des côtes et de leur médiatisation. Ainsi, les sites de Tai Yuan dans la province du Shanxi (où des émeutes se sont produites après la sortie de l’iPhone 5) ou de Zhengzhou (où une grève a eu lieu à la sortie de l’iPhone 5 [45]) ont vu le jour. Ces mouvements de protestation spontanés sont une première dans ce secteur en Chine. Cependant, le pouvoir de Foxconn est tel que les gouvernements locaux ferment les yeux sur l’exploitation des travailleurs [46] [47].

Pour Foxconn, étendre son réseau d’usines d’assemblage vers l’intérieur de la Chine relève d’un double intérêt. D’une part l’entreprise implante des usines dans des régions beaucoup plus anonymes, et donc plus discrètes, pour y continuer ses activités. D’autre part elle peut, via ce réseau d’usines à travers la Chine et particulièrement celles dans les provinces défavorisées (au nord comme au sud), s’assurer une rotation permanente et une embauche massive à bas prix puisqu’elle y représente la seule opportunité d’emploi. Malgré le nombre de démissions dû aux conditions de travail déplorables, son besoin de main-d’œuvre reste assuré et l’exploitation des travailleurs perdure. Les conditions sont pires dans les usines implantées en zone rurale que dans celles des grandes villes côtières (Shanghai, Canton, Shenzhen).
Plusieurs fois, Foxconn et Apple ont été épinglés pour des faits d’abus graves des travailleurs, mauvaises conditions de travail et de sécurité, non-respect des législations en vigueur (même locales), etc. [48] Dernier scandale en date, l’entreprise, de connivence avec les pouvoirs locaux provinciaux et les universités, a envoyé de manière forcée des jeunes étudiants (parfois mineurs) en stage sur leurs chaînes de fabrication lors de périodes de forte demande, comme ce fut le cas pour la sortie de l’iPhone 5 ou dernièrement l’iPhone [49]. Foxconn est un géant de la sous-traitance et sous-traite pour les plus grandes marques d’informatique, de téléphonie ou de produits multimédias à travers le monde. Foxconn est le plus grand sous-traitant, ce qui le rend actuellement intouchable même si, en Chine notamment, des mouvements de grève, des émeutes et des insurrections sous différentes formes commencent à émerger.

Foxconn [50] :
Foxconn a été fondée en 1974 sous le nom de Hon Hai Precision industry Co., ltd. Cette entreprise qui est toujours dirigée par son fondateur Terry Gou officiait à l’origine dans la fabrication d’interrupteurs muraux en plastique pour les téléviseurs. Au fur et à mesure de la croissance de l’entreprise, Terry Gou décida d’en changer le nom afin que cela soit plus en adéquation avec le statut que la firme était en train d’acquérir : celui d’une multinationale de premier plan. En parallèle, Hon Hai Precision Industry Co ., ltd continuait d’exister et devenu la maison mère du groupe. Au début des années 1980, Terry Gou comprend l’intérêt que représente le marché de l’informatique et décide de convertir l’entreprise en manufacture de produits informatiques qu’il ambitionnait de faire devenir le numéro 1 mondial en la matière, bien aidé par la mondialisation et la révolution industrielle en Chine à l’époque.
Terry Gou, ancien militaire de carrière, est réputé pour adopter une politique d’entreprise stricte, particulièrement en ce qui concerne le régime salarial où il a toujours prôné les coûts les plus bas. C’est la raison pour laquelle l’entrepreneur taiwanais a commencé à développer un réseau d’usines d’assemblages Foxconn à travers la Chine continentale suite à l’amélioration rapide des normes sociales à Taiwan (là où il conservera néanmoins le siège de l’entreprise). Foxconn s’installe donc dans la zone économique exclusive de Shenzhen dans un premier temps, en 1988, lançant ainsi pour de bon ses activités dans le domaine qu’on lui connaît aujourd’hui [51]. Foxconn s’est rapidement imposé comme un incontournable et est devenu en quelques années le plus grand fabricant mondial de matériel informatique. La base du succès fulgurant de Foxconn dans cette industrie repose sur un principe commercial simple : celui de l’exclusivité. En effet, Foxconn fonctionne notamment au contrat de commande exclusif en plus des partenariats à durée déterminée. Au fur et à mesure des contrats et de leurs clauses spéciales, Foxconn fidélise en quelque sorte ses clients et son omniprésence s’accroît au fur et à mesure qu’il développe de nouveaux partenariats avec d’autres marques. À l’heure actuelle, Foxconn est le plus gros sous-traitant d’Apple, mais traite aussi les plus gros acteurs de l’industrie de la téléphonie mobile tels que Sony, Motorola, Microsoft, Nokia, BlackBerry ou certains des plus grands acteurs du secteur informatique et du multimédia grand public comme Google, Acer, Asus, HP, Intel, MSI ou même Nintendo et Amazon. Foxconn possède des usines partout dans le monde (Chine, Inde, Mexique, Brésil).

On observe inlassablement un grand écart persistant entre le discours d’Apple à propos des conditions de travail de ses employés en Asie et les véritables conditions dans lesquelles ils vivent au quotidien [52]. On remarque une volonté de la marque de redresser son image avec de nombreux rapports présentés tout au long de l’année, des audits réguliers (rarement indépendants) [53] [54], etc. Apple joue avec les chiffres, surévalue ses progrès et reste néanmoins bien en dessous des normes internationales et même des normes locales chinoises. En vérité, les progrès apportés dans ce domaine sont minimes de la part d’Apple et l’entreprise maintient le flou sur les conditions de travail de ses sous-traitants. Malgré les promesses, la situation n’évolue pas et le calvaire des travailleurs chinois continue. Des fuites internes provenant directement de chez Foxconn et révélées par des investigations de médias étrangers ou par des ONG font état de plus de pressions de la part d’Apple sur ses sous-traitants, lesquelles se répercutent inévitablement sur les ouvriers locaux. Les motivations n’étant pas de se conformer au droit international ou local, mais davantage de maintenir les coûts de production les plus bas possible pour satisfaire un marché toujours plus grand en évitant les scandales internationaux à propos de ces dossiers épineux [55]. Une stratégie qui porte ses fruits pour l’instant tant la communication d’Apple sert d’écran de fumée dans une industrie relativement solidaire étant donné que les principaux grands concurrents du secteur sont également concernés par des pratiques similaires au sein de leur propre sous-traitance [56]. La question est de savoir jusque quand cela va-t-il durer ?

Apple : une pomme de discorde fiscale

Apple a conclu une série d’accords fiscaux avec certains pays afin de bénéficier de la meilleure optimisation fiscale possible. Elle a passé un accord avec l’Irlande pour ne payer que 2 % d’impôts et éviter de manière générale la plupart des impôts en Europe. En 2015, Apple a été sévèrement épinglée en France après que le chiffre de sa dernière imposition à hauteur de 0,005 % a été révélé [57]. En 2015, la Commission européenne lui a infligé une amende de 13 milliards d’euros pour non-respect des règles de concurrences européennes estimant que les cadeaux fiscaux s’apparentent à du financement d’État déguisé [58] [59]. Ce qui pose la question de la légalité des accords passés entre la multinationale et l’État irlandais, au-delà des considérations éthiques que ceux-ci peuvent soulever. En effet, un État peut proposer de façon légale et tolérée des conditions avantageuses pour attirer l’investissement des entreprises multinationales sur un territoire donné, appelé « zone franche ». En revanche, certains pays profitent de cette base légale et de l’opacité du monde de la finance pour développer une politique de l’évitement fiscal dont la pratique est évoquée sous le nom de « double irlandais » ou « double hollandais ». Les multinationales poussent donc les accords fiscaux encore plus loin via ce procédé qui consiste à transférer les bénéfices vers un siège social virtuel où la taxation est encore moindre, voire inexistante [60]. Cette dernière pratique est reconnue comme illégale en Europe. Ainsi, en 2015, Apple avait notamment annoncé 60 millions d’euros de bénéfices en France alors que ses recettes totales sur la zone européenne en affichaient 45 milliards [61]. Cette technique relance la problématique de l’harmonisation fiscale européenne et d’une meilleure répartition de ce qu’on appelle « l’assiette fiscale européenne » que des entreprises multinationales esquivent constamment, au détriment de la fiscalité des États [62]. Depuis, l’Irlande a annoncé vouloir réformer son système fiscal et mettre fin à cette pratique, mais la mise en vigueur prendra de nombreuses années [63] [64]. Une ONG néerlandaise (SOMO : centre de recherche sur les entreprises multinationales) a réalisé une étude dans laquelle elle démontre que le modèle de développement d’entreprise comme le conçoit une multinationale telle qu’Apple, et dont celle-ci est la plus représentative, n’est non seulement pas accidentel, mais en plus est totalement dramatique et néfaste pour l’ensemble des acteurs environnants. En effet, à l’exception de ces entreprises et de leurs actionnaires, les profits faramineux qu’elles dégagent ne profitent à personne, ni sous forme d’investissement, ni sous forme de revenus fiscaux, ni sous aucune autre forme de quelque contribution que ce soit dans l’économie réelle. Ces masses de liquidités s’en vont directement sur les marchés financiers et alimentent une spéculation boursière sur des produits financiers, c’est en effet ce que fait Apple mieux que personne, ce qui lui permet d’être la multinationale avec la plus grosse capitalisation boursière, tant et si bien que la somme des profits qu’elle génère est très nettement supérieure à la quantité de réinvestissement [65]. La fuite de tous ces capitaux vers la finance représente un énorme manque à gagner pour les économies des pays de production et de consommation et, in fine, renforce le chômage de masse, l’accroissement des inégalités et l’austérité budgétaire.

La guerre des brevets

Entre 2011 et 2018, Apple et Samsung ont été en conflit à propos de brevets déposés par Apple en 2007 pour le premier iPhone. Depuis le début des années 2010, Apple reproche à Samsung d’avoir copié des éléments du design et quelques spécificités de l’iPhone [66], lesquels avaient été brevetés précédemment. Apple estime que le succès du modèle phare de Samsung, le Galaxy, a été grandement déterminé par ses caractéristiques inspirées de l’iPhone. Il s’en est suivi un combat juridique de plus de 7 ans autour de la question de savoir si ces éléments étaient bel et bien du plagiat, et si oui, à combien pouvait se chiffrer le préjudice. Apple a d’abord obtenu gain de cause et réclamait un dédommagement de plus d’un milliard de dollars [67]. Puis, le dossier est passé en appel et est finalement arrivé jusqu’à la Cour Suprême des États-Unis en 2016. Celle-ci a fait annuler la sanction qui reposait sur Samsung et a renvoyé l’affaire à une juridiction classique. L’affaire s’est finalement conclue à l’amiable et les poursuites ont été abandonnées [68]. Évidemment, aucun chiffre n’a été communiqué par les deux entreprises à propos du montant sur lequel elles étaient tombées d’accord. À noter que cette trêve conclue entre les deux géants trouve sans doute son origine dans leur étroite collaboration depuis de nombreuses années tant les liens de sous-traitances de pièces électroniques pour téléphone sont forts et d’autant plus depuis le dernier modèle de l’iPhone. Apple n’avait donc aucun intérêt à compromettre ses relations avec Samsung, aussi proche collaborateur qu’il est en tant que concurrent [69]. Même si l’affaire est close depuis quelques mois, elle pose néanmoins la question de l’utilisation abusive du brevet comme moyen de limiter l’innovation chez les concurrents et le recours à cette méthode comme instrument par les multinationales pour se maintenir ou conforter leur position dominante. De plus, dorénavant ce dossier fait office de jurisprudence, quand bien même aucune sanction définitive n’a été appliquée à Samsung, ce qui pourrait stimuler d’autres acteurs du marché à lancer des procédures judiciaires contre la concurrence. À noter que cela ne concernerait que les très gros acteurs du marché tant il est nécessaire d’avoir les reins solides pour assumer des années de procès à un tel niveau judiciaire. Plusieurs sources font ainsi état de coûts de frais de justice à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros dépensés respectivement par Apple et Samsung pour leurs 7 années de procès.
Une empreinte environnementale démesurée

Lorsque l’on pense à l’impact environnemental d’une industrie, de l’industrie de la téléphonie mobile et du multimédia en général dans ce cas-ci, il faut, pour être complet, envisager le processus dès l’extraction des matières premières et analyser l’impact de cette entreprise sur l’environnement. Il est aussi important de préciser que cette industrie fonctionne en réseaux, avec un vaste système d’intermédiaires qui occupent toute la chaîne entre l’extraction des matières premières par les compagnies minières jusqu’aux clients principaux du marché, c’est à dire les grandes multinationales comme Apple [70]. Ce système est tellement dense et opaque qu’il est impossible à disséquer et à analyser de façon précise [71]. Les grandes multinationales sont extrêmement demandeuses de ces métaux rares. Force est de constater que c’est de la demande que ces multinationales génèrent qu’émane l’offre. C’est donc la demande qui crée l’offre, et plus la demande est grande, plus cela stimule la chaîne de distribution. Les grandes multinationales sont donc responsables non pas tant d’avoir engendré cette situation, car la demande aurait selon toutes vraisemblances existé, mais d’avoir boosté le phénomène, de l’avoir amplifié de manière exponentielle dans un but commercial non dissimulé et au détriment de toute transparence [72]. Ces métaux rares dont les multinationales ont besoin, on en compte parfois près de 40 différents dans un seul téléphone. Contrairement à une idée reçue, les terres rares dans lesquelles on récolte les métaux rares sont réparties relativement équitablement sur la planète, en ce compris dans les pays développés. L’absence d’exploitation minière pour ces métaux dans les régions les plus développées et les plus confortables s’explique par le fait que les normes environnementales et sociales sont très élevées dans les pays du Nord, à l’inverse des pays du Sud, rendant ainsi l’entreprise beaucoup plus rentable et dès lors envisageable. C’est la raison pour laquelle plus de 95 % de la production mondiale provient de Chine, le reste venant respectivement d’Asie du Sud-Est, d’Amérique latine et d’Afrique centrale [73].

La plupart des exploitations minières de terres rares sont donc localisées dans des pays en développement. En Afrique, la République Démocratique du Congo en est le principal tenant pour ses ressources en cobalt ou coltan. En Asie du Sud-Est, l’Indonésie ou la Malaisie constituent des zones essentielles pour les gisements de certains minerais comme l’étain. Parmi tous ces métaux rares, seule une partie présente un seuil acceptable de recyclabilité tels le fer, l’argent ou l’or. Un des problèmes majeurs de la plupart des autres métaux utilisés dans la fabrication des smartphones résulte de leur taux de recyclabilité extrêmement faible et plus ces métaux sont rares et précieux, plus ce taux est faible. Or, vu l’augmentation de la demande, ce paramètre ne fait qu’accentuer l’exploitation minière et les multiples conséquences néfastes de celle-ci, notamment les importants dégâts environnementaux que cela génère : déforestation, forte pollution (systémique et parfois irréversible), déchets miniers, émission de gaz à effet de serre, forte radiation, etc. Les métaux rares peuvent être classés en différentes catégories en fonction de leur taux de recyclage [74]. Dans la catégorie des métaux les plus faiblement recyclés (moins de 1%), on retrouve le lithium (très exploité au Chili et majoritairement utilisé dans la confection des batteries), le gallium, l’arsenic et l’indium. Dans la seconde catégorie, celle des métaux recyclés à hauteur de 10 %, on trouve le tantale (métal utilisé pour la fabrication des condensateurs) et l’antimoine. Dans la troisième catégorie viennent le titane et le béryllium recyclés autour de 25 % au mieux et enfin viennent le cobalt (lui aussi très utilisé dans les batteries), le cuivre, le zinc, l’étain (utilisé pour les soudures des téléphones) et l’aluminium recyclés presque de moitié.

Le plus souvent, les multinationales sont conscientes du système qu’elles entretiennent et des multiples conséquences que cela engendre, aussi bien au niveau social qu’environnemental [75]. Quelle que soit la zone d’extraction, on retrouve des conditions de travail effroyables, de l’exploitation des enfants, des dégâts environnementaux colossaux, des morts, etc., mais souvent, elles s’en lavent les mains en prétextant que la longueur de la chaîne de sous-traitance complexifie la traçabilité de la provenance des matières premières [76]. Cependant, si certaines multinationales ont bel et bien fait leur mea culpa et reconnu quelques torts, Apple s’est longtemps faite très discrète sur l’origine des matériaux utilisés par ses sous-traitants [77]. Elle se montre d’ailleurs excessivement timide lorsqu’il s’agit de prendre des engagements en faveur de l’amélioration des conditions de vie des travailleurs ou de l’environnement. D’aucuns considèrent que tant que les multinationales ne changent pas de politique en y incluant des égards plus responsables, on ne verra pas d’évolution notable à quelque niveau que ce soit. À l’inverse, les multinationales continuent à ne viser que la maximisation du profit comme seul but. Qui plus est, l’augmentation colossale de la demande dans ce secteur, rythmée par l’avènement des énergies vertes notamment, pousse les multinationales à aller plus loin encore dans la sécurisation de ces juteux marchés aux ressources. En effet, celles-ci convoitent désormais directement les minerais à la sortie des mines, sans passer par le tentaculaire réseau d’intermédiaires précité, le but étant non pas d’être plus éthique ou plus transparent, mais de s’assurer un approvisionnement suffisant pour la demande de demain. La concurrence, renforcée par le spectre de la pénurie, est d’autant plus forte qu’Apple est obligée de batailler ferme et d’envisager sérieusement d’investir dans des infrastructures in situ pour devancer ses principaux adversaires sur le dossier comme Tesla, Volkswagen ou Samsung [78]. Une course à l’approvisionnement qui ne semble bénéficier d’aucune manière aux locaux, ni même aux États hôtes, notamment en RDC. Car même si le secteur est en plein boom, que le prix des matières premières comme le cobalt a triplé et que la majorité de la production mondiale est assurée par une poignée de géants de l’industrie (comme le groupe minier suisse Glencore) opérant justement en RDC, on pourrait dès lors supposer que, par effet de « ruissellement », l’économie locale et l’État pourraient en profiter. Or, c’est tout l’inverse. En 2016, par exemple, sur les 2,6 milliards de dollars de revenus issus de l’exploitation minière en RDC, l’État n’a récupéré que 88 millions via sa filiale publique Gécamines. En effet, jusqu’à la réforme du code minier en 2018, la fiscalisation du précédent code établi en 2002 sous la direction de la Banque Mondiale et du FMI fixait le taux d’imposition des exploitations minières étrangères en RDC à 2% [79], un taux qui a fait perdre à l’État des milliards de dollars en recettes fiscales. Le reste, l’État l’a perdu du fait de la corruption et de l’opacité du réseau tentaculaire d’intermédiaires sur la chaîne de distribution ou encore des minerais de conflits [80] [81]. Aujourd’hui, malgré la refonte du système minier, notamment au niveau de la taxation ou de l’octroi des permis d’exploitation, la situation ne s’améliore pas de manière significative. Le nouveau code permet encore des arrangements « à la carte », la corruption est toujours présente et les failles juridiques à exploiter sont nombreuses [82]. Autant de facteurs qui interrogent les observateurs comme l’ONG NRGI (Natural Resourse Government Institute) et qui inquiètent pour l’avenir [83].

Cette industrie fonctionne de manière cyclique : à la base on retrouve les matières premières extraites dans les pays du Sud, lesquels les exportent principalement vers la Chine, lieu du traitement de raffinage, de création de la valeur ajoutée et de transformation en produit fini, acheté par les multinationales puis revendu à travers le monde. C’est un cycle bien rodé dans lequel seuls les derniers maillons de la chaîne s’enrichissent, car ce n’est que lorsqu’il y a création de valeur ajoutée qu’il y a profit, au détriment donc de ceux qui n’exportent que les matières premières, à savoir les pays du Sud [84]. Mais il existe un mécanisme essentiel à l’industrie qui permet de maintenir voire d’augmenter la production et qui tient sous tension tout le système en accentuant l’exploitation : l’obsolescence programmée. Une méthode qu’Apple maîtrise à la perfection et qui lui permet d’accélérer la fréquence des ventes, de contraindre les clients à renouveler les équipements et ainsi engendrer toujours plus de profits. Cette pratique du capitalisme sauvage au mépris des conséquences explicitées est inscrite dans l’ADN d’Apple depuis le tournant de l’iPod 1 en 2001, année où elle surpasse tous ses concurrents et commence à grimper en bourse [85]. Cependant, la conséquence première de l’obsolescence programmée ne fait qu’accentuer un des plus grands maux de notre époque : la gestion des déchets.

En effet, la politique d’Apple qui consiste à renouveler ses modèles régulièrement (tous articles confondus) et à rendre obsolète un grand nombre d’accessoires à chaque génération rend des centaines de millions de produits inutiles, autant de millions de pièces électroniques qui finissent soit dans les tiroirs des consommateurs (pour parfois jusqu’à un tiers des produits [86]), soit dans les décharges. Le problème intrinsèque des déchets électroniques, c’est qu’ils sont extrêmement toxiques et qu’ils sont très peu recyclés, compte tenu de la complexité du processus requis. Les produits électroniques vendus chaque année se comptent en centaines de millions, voire milliards avec plus d’un milliard de smartphones vendus dans le monde (1,5 milliard en 2017 dont 214 millions d’iPhone [87]). Les déchets s’accumulent donc en masse et aucune autorité supranationale n’intervient pour endiguer le phénomène et promouvoir des solutions alternatives comme le recyclage. Les pays du Nord regorgent d’ailleurs de stratagèmes pour se débarrasser de leurs déchets dans les pays du Sud [88]. Les entreprises de collecte de DE3 (déchets d’équipements électroniques) des pays du nord comme Cycladis savent comment exploiter les failles juridiques et le manque de moyens des autorités douanières pour arriver à leurs fins [89]. Le recyclage de ces déchets étant très onéreux et complexe, les pays du Nord préfèrent s’en débarrasser vers l’Asie et l’Afrique et c’est ainsi que les déchets finissent acheminés vers ces continents, lesquels voient leurs paysages se transformer en décharges au fur et à mesure de la croissance du marché [90]. Ainsi, ce système bien rodé perdure et reste plus que jamais aux mains des multinationales pour lesquelles la perspective de devoir occasionnellement s’acquitter d’une amende est plus rentable que de prendre l’initiative de changer le système. Car c’est bien là que semble résider tout le problème ; le rapport de force est en faveur des multinationales tant et si bien que la direction qu’a prise cette industrie semble inébranlable, à moins d’une action forte des autorités internationales ou d’une responsabilisation globale des consommateurs.

Conclusion

Apple s’est imposé autrefois comme pionnier dans une industrie qui à l’époque en était à ses débuts et a su mieux que les autres acteurs du marché capitaliser sur ses premiers succès et apprendre de ses erreurs. L’entreprise a longtemps été à l’image de son fondateur, lequel avait un don pour concevoir un produit innovant au design accrocheur, mais qui excellait encore plus dans sa capacité à percevoir le marché, anticiper les nouvelles tendances, comprendre les consommateurs et imposer une stratégie d’intégration efficace. Malheureusement, derrière une communication lisse qui prône souvent l’avant-gardisme Apple se comporte comme n’importe quelle autre multinationale de notre époque et a, à maintes reprises, montré un égoïsme ou une apathie à toute épreuve et sans aucune considération pour un autre dessein que sa propre croissance. L’image lisse et feutrée de la célèbre marque à la pomme s’est écornée au fur et à mesure des années et des révélations pour laisser apparaître celle d’une firme qui entretient la misère des deux côtés de l’équation en maintenant toujours plus de pression sur ses chaînes de productions via, d’une part, une politique de réduction des coûts qui maintient les travailleurs dans les mêmes conditions. Et d’autre part en se protégeant dans des paradis fiscaux dans les pays où elle distribue ses produits. Une politique menée sciemment par la marque qui ne cesse d’année en année d’augmenter ses profits.

Apple est face à ses responsabilités, mais conserve son sort entre les mains pour les défis qui s’annoncent à l’avenir à l’heure où elle voit la concurrence gagner du terrain et à l’heure où même ses plus farouches partisans s’agacent de sa stagnation technologique et de sa politique commerciale depuis la disparition de Steve Jobs.

Loic Hermans, décembre 2018


[3Daniel Ichbiah, les quatre vies de Steve Jobs, Paris, Leduc Editions, 2011, chapitre 5

[86CREDOC, Cahier de recherche, Les secondes vies des objets : les pratiques d’acquisition et de délaissement des produits de consommation, janvier 2012