La multinationale Multinationale Entreprise, généralement assez grande, qui opère et qui a des activités productives et commerciales dans plusieurs pays. Elle est composée habituellement d’une maison mère, où se trouve le siège social, et plusieurs filiales étrangères.
(en anglais : multinational)
de Seattle concrétise un projet en gestation depuis quatre ans : ouvrir des supermarchés pour la vente de produits alimentaires, de boissons et de plats préparés. Sans files… et sans travailleurs/euses ?

Un nouveau domaine d’application des technologies dans le commerce s’ouvre pour Amazon. L’entreprise s’est affirmée dans le secteur du commerce électronique. Elle le monopolise grâce entre autres aux conditions de travail épouvantables auxquelles sont soumis travailleurs et travailleuses [1]. Plus récemment Amazon a investi sa connaissance digitale dans la création d’une véritable place de marché Marché Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
qui inclut la rencontre entre demande et offre de microtravail (Amazon Turk) et les livraisons rapides de produits frais (Amazon Fresh).

 Un marché juteux à saisir

Le marché de produits frais, de boissons et de plat préparés aux États Unis est énorme (autour de 800 milliards de dollars en 2016). Seul 1% de ce marché est constitué d’achats en ligne. Selon certaines estimations, cette part pourrait atteindre 5% au cours des cinq prochaines années. Ce qui signifie que la presque totalité des achats d’alimentaires et boissons continuera à se faire en magasin.

Amazon voit donc un potentiel d’expansion important dans ce secteur et lance plusieurs projets parallèles sur lesquels l’entreprise ne laisse filtrer que des informations incomplètes et anecdotiques. Cela laisse imaginer un grand intérêt pour le secteur de la vente de produits alimentaires, mais sans une stratégie claire ou du moins arrêtée. Pour le moment, et depuis environ deux ans, Amazon semble expérimenter de nombreuses solutions et modèles sans en choisir un à développer à grande échelle. Le fil rouge qui lie ces expérimentations est celui de leur intégration, proposer plusieurs types de services comme portes d’entrée pour fidéliser un client en lui offrant de multiples manières de répondre à ses besoins autour d’une catégorie de marchandises (les produits alimentaires, frais et préparés).

Un de ces projets, dont on ne connaît que les intentions consiste à créer un service Service Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
de commande en ligne avec des points de collecte par les acheteurs qui ne devraient même pas descendre de leur voiture (connus pour l’instant sous le nom de drive-in grocery stores), une nouvelle version d’un modèle déjà pratiqué par plusieurs chaînes de distribution. La différence réside dans le fait que les commandes seraient passées au moyen d’une application pour smartphone (et plus sur un site internet) et que les acheteurs ne descendraient pas de la voiture.

 Le supermarché idéal

Un autre projet – Amazon Go – a été lancé sur un exemple-pilote début décembre 2016. Il s’agit d’un magasin physique où l’acheteur fait ses achats sans faire la file. Le premier magasin à Seattle est ouvert depuis le mois de décembre pour les seuls employés d’Amazon. Courant 2017, il pourrait ouvrir au public. Des plans non confirmés prévoiraient l’ouverture de deux mille magasins aux États Unis si la phase expérimentale confirme le projet.

La communication à propos de ce projet titille les consommateurs, en leur promettant une expérience sans stress, vécue à leur propre rythme : plus de files ! Amazon Go conçoit un magasin permettant une relation exclusive entre le consommateur et la marchandise Marchandise Tout bien ou service qui peut être acheté et vendu (sur un marché).
(en anglais : commodity ou good)
sans la médiation d’aucun appareil ou dispositif visible ou d’être humain : pas de scanner, pas de caisse, pas de personnel, rien que le consommateur et la marchandise. Et, bien évidemment, le smartphone doté d’une application ad hoc.

 L’élimination du travail : la technologie au service d’un rêve plus que centenaire

L’absence de médiation est typique des services à la personne : le coiffeur, l’aide soignante, l’institutrice exercent leur travail dans un rapport direct avec la personne qui en bénéficie. Les entreprises de l’économie des plateformes mettent en relation prestataire et client à travers une application (smartphone) ou une interface (internet). Une caractéristique typique du capitalisme Capitalisme Système économique et sociétal fondé sur la possession des entreprises, des bureaux et des usines par des détenteurs de capitaux auxquels des salariés, ne possédant pas les moyens de subsistance, doivent vendre leur force de travail contre un salaire.
(en anglais : capitalism)
est l’effacement des relations sociales contenue dans une marchandise. Dans le supermarché traditionnel, le travail nécessaire à la production des produits n’apparait plus. Dans le cas d’Amazon Go, outre l’effacement du travail de production, on assiste à l’effacement du travail de mise à disposition et de vente de la marchandise. On connaît déjà des exemples (distributeurs de boissons, de préservatifs, de cigarettes, de billets de bus ou de train) de machines ayant remplacé le travail humain (Marx appelait ce travail incorporé dans une machine le travail mort). Amazon Go semble ouvrir la voie à une nouvelle étape de ce processus : même les machines semblent disparaître.
Le principe technologique est le suivant (voir la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=NrmMk1Myrxc&sns=fb ). En entrant dans un magasin Amazon Go, l’acheteur doté d’un smartphone avec l’application ad hoc, passe le code à barre à l’écran du smartphone devant un lecteur optique à l’entrée du magasin, un peu comme quand on entre dans le métro avec sa carte d’abonné – sauf que dans le magasin Amazon Go il n’y a même pas de porte qui s’ouvre. Ceci active une connexion entre Amazon, le magasin et l’acheteur. Ensuite l’acheteur peut ranger le smartphone dans sa poche et procéder à ses achats.

Même si Amazon ne dit pas grand-chose à propos de la technologie employée et certainement rien de précis, car c’est là où se concentrent les investissements et se crée l’avantage comparatif, on peut imaginer une combinaison « intelligente » de senseurs et de dispositifs de connexion à l’internet. La vidéo promotionnelle utilise des mots valise (« vision par ordinateur », « fusion sensorielle » et « algorithmes d’apprentissage profond ») pour décrire la technologie appelée « technologie Just Walk Out », et explique qu’il s’agit de la même technologie qui est en train d’être développée pour les véhicules sans chauffeur. Ceci ne permet guère une compréhension plus fine de comment il est possible d’entrer dans un magasin, prendre des produits dans un rayon, en remettre certains au rayon lorsqu’on change d’avis, sortir du magasin et se retrouver avec les marchandises souhaitées et l’addition correcte débitée sur son compte Amazon. Et pourtant c’est bien ce que la vidéo promotionnelle annonce.

 Des corps connectés

La vidéo ne dit rien de l’éventualité que le smartphone s’éteigne pendant les achats ou qu’il ne soit plus connecté à l’Internet. En fait, ce modèle de commerce est basé sur l’idée implicite que désormais le smartphone est devenu un appendice du corps humain, toujours prêt à fonctionner comme une jambe ou un bras.
La communication qui vise à créer un attrait pour ce type de magasin ne se fonde ni sur la qualité des produits, ni sur les prix, ni sur la variété du choix proposé, mais exclusivement sur l’absence de file, sur la facilité d’achat fondée sur l’absence d’obstacles et plus spécifiquement de personnes qui pourraient ralentir ou freiner la dynamique du corps humain connecté. Le magasin se configure comme un lieu de passage, un peu comme les pompes à essence, où le client s’arrête, remplit seul son réservoir, paie avec la carte de crédit et repart. La nécessité d’orientation dans le lieu, de connaissance de l’organisation de son espace et éventuellement du personnel est réduite au minimum.

 Ce que Amazon Go élimine (ou tente d’éliminer)

Reste à voir la faisabilité d’un tel magasin. La vidéo promotionnelle montre des clients dont le seul problème est de savoir ce qu’ils désirent – on insiste sur la facilité d’achat et sur la possibilité de changer d’avis – mais la question de comment repérer ce que l’on cherche et que l’on ne trouve pas n’est pas posée. Peut-on se passer complètement de personnel pouvant orienter les clients sur les produits recherchés ?
Un autre aspect qui est allègrement oublié dans la vidéo promotionnelle est celui du vol des marchandises. L’absence de barrières semble inclure tout système capable de bloquer l’entrée ou la sortie des personnes. Le passage du smartphone devant le lecteur sert à activer le dispositif de reconnaissance des produits et à préparer l’addition. On s’imagine la possibilité de rentrer sans passer le smartphone devant le lecteur ou de l’éteindre après ce passage. Les magasins seront-ils équipés de dispositifs – humains et/ou technologiques – de surveillance permanents des clients ?
À ce sujet, des informations recueillies par le New York Post indiquent qu’Amazon pourrait conditionner l’accès au supermarché à l’ouverture d’un compte Amazon Prime ou Amazon Prime Freshce qui implique le paiement de frais annuels d’inscription.

La seule certitude est qu’Amazon Go est pensé pour se passer des caissières et des caisses. Faire l’économie du salaire des caissières en répercutant le travail sur le consommateur et son smartphone est bien le cœur du projet. La caisse est le lieu où se forment les files, et même si c’est aussi – parfois – un lieu de socialisation, où on échange un sourire et un commentaire sur la météo, elle est considérée comme la source d’expériences fastidieuses, qui peuvent décourager certains acheteurs. Son élimination apparaît, dans le projet d’Amazon, comme source d’un avantage comparatif vis-à-vis des magasins « à l’ancienne ».
La fonction principale de la caisse – la production de l’addition et la réception du paiement – est transformée en « travail mort », absorbée par un dispositif technologique. Un dispositif qui, cependant, est incapable d’échanger des sourires. C’est, comme on l’a vu, probablement la seule fonction destinée à disparaître, car les fonctions logistiques (gestion des stocks, approvisionnement des rayons, etc.) et du nettoyage ne peuvent pas actuellement être complètement automatisées.

La réduction des coûts liés au travail vivant apparaît donc comme une composante-clé dans le modèle économique poursuivi par Amazon dans son engagement dans le (ou tentative de colonisation du) marché des produits alimentaires. De sources internes à Amazon citées par le New York Post et qui restent anonymes, parlent de trois employés pour une surface de 1000 m2 (modèle minimal) jusqu’à dix employés pour une surface de 4000 m2. Sur ces bases, Amazon devrait pouvoir dégager une marge opérationnelle de plus de 20 %, lorsque la marge moyenne pour le secteur aux États-Unis est de 1,7 %.

 La digitalisation comme source de valeur et d’avantage

Avec ce projet Amazon vise donc à occuper une place dans un marché porteur qui est celui de l’alimentation, des boissons et des plats préparés. La facilité promise (pas de file, pas de paiement sur place) semble aussi viser les tout petits achats – une boisson, un sandwich, un paquet de bonbons – qui, au moins en Europe, sont typiques de points de vente spécifiques (marchands de journaux ou de cigarettes) que l’on trouve dans les gares, les aéroports, etc. La stratégie vise un gain d’efficience rendu possible par les économies dues à l’élimination d’au moins une fonction occupée par des travailleurs (et des machines qui l’accompagnent) : si celle-ci rencontre le succès, on peut imaginer que cela entrainera – par le jeu de la concurrence – des évolutions similaires dans l’ensemble du secteur.

Les emplois qui pourraient disparaître ou être fortement réduits sont typiquement précaires ou à temps partiel, et le taux de syndicalisation dans le secteur est, aux États-Unis, traditionnellement assez bas. Ils sont occupés souvent par des femmes et par des travailleurs et travailleuses immigré-e-s. Cet exemple semble indiquer que la digitalisation de l’économie promet des profits aux dépens de ces catégories de travailleurs.

Et comme dans la plupart des applications de technologies digitales à l’activité économique, le dispositif d’Amazon Go permettra la collecte et le stockage d’une grande masse de données personnelles dont Amazon pourra éventuellement s’approprier la valeur. C’est déjà ce qui se passe dans les grandes chaînes de distribution avec les cartes de fidélité, sauf qu’Amazon est un acteur global, qui intègre plusieurs types d’activités distinctes, ce qui lui donne une capacité d’intégration de données que peu d’acteurs possèdent.

Sources d’information :
video Amazon Go : https://www.youtube.com/watch?v=NrmMk1Myrxc&sns=fb
video SourceFed : https://www.youtube.com/watch?v=Oxud6f-fNks
article Business Inquiry : http://www.businessinsider.com/amazon-go-grocery-store-future-photos-video-2016-12/#amazon-go-sells-prepared-foods-and-other-grocery-staples-1
article Brookings Institute : https://www.brookings.edu/blog/techtank/2016/12/15/automation-beyond-the-factory/
article L’Echo : http://www.lecho.be/actualite/archive/Amazon_projette_d_ouvrir_de_veritables_supermarches.9839209-1802.art?highlight=amazon
article New York Post : http://nypost.com/2017/02/05/inside-amazons-robot-run-supermarket-that-needs-just-3-human-workers/

 


Pour citer cet article :

Mario Bucci, "Amazon, un supermarché digital ?", Gresea, mai 2017, texte disponible à l’adresse :
http://www.gresea.be/spip.php?article1602