Le petit dossier que l’Economist consacre au numéro un mondial des biens de consommation Procter & Gamble (ventes de 76,5 milliards de dollars au 1er semestre 2007), deux ans et demi après avoir déboursé, en janvier 2005, 57 milliards de dollars pour absorber Gillette, permet deux observations intéressantes.
D’abord sur la logique économique de ce genre de mégafusions, au sujet desquelles le PDG de Procter, Alan Lafley, reconnaît lui-même que, "quatre fois sur cinq, elles ne fonctionnent pas". Pour fonctionner, et un enfant comprend cela, il faut que les entités fusionnées accouchent d’un bénéfice supérieur à ceux que, combinés, elles réalisaient auparavant individuellement. Sinon, ce serait une simple addition qui ne changerait rien à la situation préexistante, personne n’y gagne rien. Pour faire mieux, on compte naturellement sur les "synergies", des économies d’échelle, entre autres en sabrant dans le personnel : Procter tablait sur un gain annuel de 1,2 milliard d’ici à juin 2008. Mais cette cure d’amaigrissement s’accompagne aussi – autre corollaire classique des fusions-acquisitions – d’un élagage dans les activités. On élimine (par revente, fermeture d’usines, etc.) les marques moins rentables. Procter ne gardera que les plus performantes, par exemple les Pampers, qui ont assuré des ventes pour 7 milliards de dollars en 2006. D’où, la première observation : peu importe qu’il y ait une demande pour un produit donné, s’il n’est pas assez rentable, il sera supprimé. L’offre dicte la demande. Les lois du marché n’ont que faire des besoins des gens. Bon à savoir.
La deuxième observation porte sur la tendance à la concentration, à la consolidation monopolistique dont le mariage entre Procter & Gamble et Gillette est un exemple frappant. Gillette, c’est 75% du marché mondial des rasoirs et des crèmes à raser, aucun rival, c’est de la concurrence inexistante, pure et parfaite – dont Procter cueille les fruits aujourd’hui. Course au gigantisme : est-ce vraiment raisonnable, peut-on se demander ? C’est, sinon raisonnable, nécessaire. Car Procter est un colosse aux pieds d’argile. Vingt pour cent de ses ventes aux Etats-Unis passent par le géant de la distribution qu’est Wal-Mart. C’est énorme et cela permet à ce dernier de dicter ses conditions, exiger de ses fournisseurs des prix et des marges bénéficiaires calculés au plus juste. Pour contrer, Procter n’a pas tellement le choix. Il lui faut grandir, peser plus lourd pour tenter de négocier à pied d’égalité avec Wal-Mart. Le rachat de Gillette cadrait dans cette stratégie. L’économie de marché, ce n’est pas le règne de la liberté, mais celui de la nécessité. C’est la deuxième observation.
Source : The Economist, 11 août 2007.