Poursuivis en diffamation par le groupe Bolloré pour un article pointant le rôle de grandes entreprises françaises dans le phénomène d’accaparement des terres, le directeur de publication et les journalistes de Bastamag ont été relaxés ce 14 avril par le Tribunal de grande instance de Paris. L’équipe de Bastamag poursuit son travail d’information sur les conséquences sociales et écologiques des activités des grands groupes français et internationaux.

Poursuivis en diffamation par le groupe Bolloré pour un article pointant le rôle de grandes entreprises françaises dans le phénomène d’accaparement des terres, le site d’information Bastamag, son directeur de publication et ses journalistes ont été relaxés ce 14 avril par la 17e chambre du Tribunal de grande instance de Paris.

Le groupe Bolloré estimait diffamatoire pas moins de huit paragraphes – ainsi que le titre Titre Morceau de papier qui représente un avoir, soit de propriété (actions), soit de créance à long terme (obligations) ; le titre est échangeable sur un marché financier, comme une Bourse, à un cours boursier déterminé par l’offre et la demande ; il donne droit à un revenu (dividende ou intérêt).
(en anglais : financial security)
et le surtitre – d’un article de synthèse publié en octobre 2012 et consacré à la question de l’accaparement des terres, ces appropriations de terres à grande échelle par des fonds Fonds (de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
d’investissements ou des multinationales, principalement en Afrique et en Asie. L’article mentionnait, entre autres, les activités du groupe Bolloré, via une holding Holding Société financière qui possède des participations dans diverses firmes aux activités différentes.
(en anglais : holding)
luxembourgeoise, la Socfin, dans lequel le groupe possède de fortes participations. La Socfin possède de multiples filiales qui gèrent des plantations d’hévéas et d’huile de palme en Afrique et en Asie. Ses pratiques font l’objet de nombreuses critiques de la part des populations locales et d’organisations internationales.

Lire l’article incriminé : Bolloré, Crédit agricole, Louis Dreyfus : ces groupes français, champions de l’accaparement de terres

Le Tribunal a d’abord reconnu que le sujet abordé « consacré à un problème aussi essentiel que l’exploitation des terres agricoles en Afrique et en Asie et son impact sur les populations et l’environnement présente incontestablement un caractère d’intérêt général ».

Les juges ont ensuite étudié « le sérieux de l’enquête » et « la prudence dans l’expression » au regard « de l’existence d’une base factuelle suffisante pour étayer les propos poursuivis » – les informations sur lesquelles s’appuie l’article – et de « l’impératif du débat démocratique ». Lors de l’audience du 11 février, l’avocat du groupe Bolloré avait notamment contesté l’influence décisive que le groupe Bolloré exerce sur la holding luxembourgeoise Socfin.

Si les sociétés citées dans l’article – en l’occurrence la Socfin, basée au Luxembourg, et ses filiales en cascade gérant les plantations – sont « juridiquement distinctes de la société Bolloré, et ne sont pas au sens du droit des sociétés, ses filiales, (…) il n’en demeure pas moins qu’elle [la société Bolloré] est le plus gros actionnaire Actionnaire Détenteur d’une action ou d’une part de capital au minimum. En fait, c’est un titre de propriété. L’actionnaire qui possède une majorité ou une quantité suffisante de parts de capital est en fait le véritable propriétaire de l’entreprise qui les émet.
(en anglais : shareholder)
de la Socfin », observe le tribunal. « La société Bolloré est perçue au même titre voire davantage que la Socfin comme l’interlocuteur naturel à la fois des personnes s’estimant lésées et des institutions internationales ».

L’« expansion à la fois rapide, diversifiée et significative » des activités du groupe de Vincent Bolloré en Afrique, est aussi « de nature à accentuer l’assimilation » des actions menées par ses filiales directes et des sociétés au sein desquelles le groupe possède de grosses participations sans y être majoritaire, la Socfin en l’occurrence. Le tribunal ne saurait donc faire grief aux journalistes de Bastamag « d’avoir employé dans leur sens générique et non strictement juridique des termes filiales, groupe Bolloré ou empire Bolloré ».

Enfin, concernant la participation de ces sociétés au phénomène de l’accaparement des terres au Sierra Leone ou à l’exploitation de terres accaparées au Liberia, le tribunal estime que l’article s’appuie sur une « base factuelle suffisante ». Les lecteurs ont également été informés des protestations de la Socfin, qui avait contesté les rapports d’organisations internationales sur lesquels s’appuie l’article de Bastamag. La société Bolloré est donc déboutée de sa plainte. Également poursuivis, le site Rue 89 et son directeur de publication, Pierre Haski, pour avoir cité l’article dans sa revue de presse signalant « le meilleur du web », la journaliste Dominique Martin Ferrari, qui a cité l’article dans son site « scoop it » (Options Futurs), et trois autres personnes ayant partagé l’article sur leurs blogs (Thierry Lamireau, Laurent Ménard et Guillaume Decugis), ont été relaxés. D’autre part, les poursuites engagées contre le blogueur Thierry Lamireau « présentent un caractère abusif ». La société Bolloré se voit condamnée à lui verser 2000 euros. Le plaignant dispose d’un délai de dix jours pour faire appel de ce jugement.

L’équipe de Bastamag va poursuivre son travail d’information sur l’accaparement des terres et l’impact sur les populations locales, et sur les conséquences sociales et écologiques des activités des grands groupes français et internationaux.

Cet article est tiré du site internet de Bastamag : http://www.bastamag.net/Plainte-en-diffamation-Bollore-perd-son-proces-contre-Bastamag

Photo : CC via Flickr