L’affaire prête plus à sourire qu’autre chose. Elle est néanmoins révélatrice de la tendance à juger normale une police des pensées, à déclarer tabous des mots qui dérangent, voire poursuivre en justice ceux qui persistent à les prononcer. La pétition que la branche britannique de la chaîne de malbouffe américaine McDonald’s a lancée en mars 2007 vise en effet à faire pression sur les éditeurs de dictionnaire afin qu’ils modifient la définition du terme McJob. L’expression, apparue aux Etats-Unis dans les années 80 et popularisée en 1991 par l’écrivain canadien Douglas Coupland dans son roman "Generation X", est reprise depuis mars 2001 dans l’édition en ligne de l’Oxford English Dictionary (la référence, outre-Manche, en matière de bon langage), de même que, outre-Atlantique, dans le non moins vénérable Merriam-Webster’s. Ce qui dérange McDo dans McJob, c’est naturellement la définition : "un emploi mal payé, non stimulant et offrant peu de perspective d’avenir, surtout ceux créés par l’expansion du secteur tertiaire Secteur tertiaire Partie de la production (et de l’économie) qui n’est ni primaire, ni secondaire. On associe souvent celui-ci au secteur des services. En réalité, il n’en est rien, même s’il y a évidemment beaucoup de recoupements. Le tertiaire est défini comme un secteur par défaut. Cela correspond à la distribution, au commerce, au transport, à l’immobilier, à la finance, au service aux entreprises (comptabilité, services informatiques, conseils juridiques…), à la communication, aux garages, aux réparations, à la santé, à l’éducation, à l’administration, aux loisirs, au tourisme, à la culture, au non-marchand…
(en anglais : tertiary sector)
". Donc, campagne de pétition. Tentative futile, vouée à l’échec, naturellement. Comme note Stefan Stern dans le Financial Times, les dictionnaires ont, par rapport au langage, une fonction, non pas normative mais descriptive. Ironique, il cite ensuite le professeur Dennis Baron de l’Université d’Illinois : il est clair, dit celui-ci, que "si les lexicographes devaient soumettre les définitions au dictat d’individus et de groupes de pression, notre langage se réduirait à des McMots." On ne modifie pas une opinion par décret.

Source : Financial Times, 20 mars 2007.