Les chaînes d’approvisionnement mondialisées :
de l’usine au consommateur

 

Très longtemps accusées d’exploiter les pays du Sud en tant que bras commercial des puissances coloniales, les entreprises multinationales sont aujourd’hui considérées par beaucoup comme des acteurs de développement et de diffusion d’une croissance économique mondiale.

Si leur poids grandissant dans les échanges commerciaux internationaux est là pour confirmer le rôle moteur de ces sociétés dans la mondialisation, les effets pervers de leur stratégie de production et de commercialisation sur les populations et les travailleurs du Sud comme du Nord relativisent parfois leur contribution au développement soutenable et au progrès social. S’il semble évident pour nous qu’il faut exiger une réglementation des activités des entreprises multinationales, cette revendication n’a de chance d’exister qu’avec le soutien d’un large public. Or, comment exiger de réglementer ce que l’on ne connaît pas ?

A partir de ce constat, le Gresea a décidé de travailler durant deux ans sur un programme de formations modulaires consacrées aux entreprises multinationales et leur impact sur le développement socioéconomique des Etats.

Présentation

La formation a pour objectif premier la compréhension de l’entreprise multinationale. Qu’est-ce qu’une EMN ? Quelles sont ses frontières ? Comment est-elle organisée en interne ? Comment se finance-t-elle ? Comment rémunère-t-elle ses différents facteurs de production ? Quels sont les facteurs qui déterminent ses stratégies d’investissement et d’implantation à travers le monde ?

Qu’il s’agisse d’élèves ou étudiants confrontés en permanence aux marques de vêtements ou d’objets électroniques en tout genre ou de délégués syndicaux travaillant directement ou indirectement (via un sous-traitant) pour une EMN, certaines de ces questions restent en partie sans réponses.

Progressivement, ces formations permettront de construire un manuel d’information et de formation qui sera publié dans le courant de l’année 2012. Accompagné d’un CD-Rom regroupant différentes présentations PowerPoint, ce manuel pourra ainsi être réutilisé dans le futur par les formateurs syndicaux ou les professeurs, sans devoir nécessairement recourir à la collaboration du Gresea. Bien évidemment, le Gresea s’engage à assurer, au-delà des deux années du projet, le suivi et l’appui des personnes désireuses de travailler sur ces multiples questions.

En pratique, plusieurs modules de formation d’une durée de deux heures existent d’ores et déjà. En voici, une présentation succincte. D’autres modules sont également en préparation.

1er module
Définition, histoire et stratégie de développement

Dans un premier temps, il s’agit de montrer pourquoi, à l’heure actuelle, il n’existe toujours pas de définition véritablement institutionnalisée de l’entreprise multinationale. Cnuced, Ocde, FMI, Banque mondiale, chaque organisation définit en interne ce qu’est une multinationale et souvent, de manière très opérationnelle et non chiffrée. A partir de ce constat, l’objectif de ce module est de définir de manière participative ce que pourrait être une définition satisfaisante de l’EMN.

Pour y arriver, une présentation historique de certaines caractéristiques transversales de l’EMN est tout d’abord présentée : statut juridique, organisation en réseau, intégration verticale et/ou horizontale, financement de la production, stratégie de localisation et de développement (Investissement Direct Etranger et sous-traitance internationale).

Ensuite, un jeu est également disponible. Il s’agit par petit groupe de reconstituer à partir d’un problème énoncé une chaîne d’approvisionnement Nord-Sud. Actuellement, ce problème est posé à partir d’une entreprise imaginaire « La crevaison » produisant des pneus en Europe à partir de plantation d’hévéas en Afrique. L’énoncé pourra être utilement modifié selon les intérêts du public. L’objectif de cette activité étant de dépasser la compréhension statique de l’entreprise (« les murs de l’usine ») pour introduire à des questionnements plus systémiques sur les frontières et la structuration de l’EMN.

2e module
Impact de l’entreprise multinationale sur la mondialisation

Dans cette deuxième partie, il s’agit de montrer tout d’abord que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les EMN ont bel et bien une nationalité. Nationalité qui a, au niveau des 200 plus grandes entreprises en termes de chiffre d’affaires considérablement évolué. Ensuite, nous tentons d’expliquer les mécanismes du commerce mondial. Il s’agit ici d’expliciter la situation d’oligopole due à la tendance globale à la concentration, et la substitution des entreprises au marché (l’internalisation croissante de certaines étapes de la production au sein des EMN), le commerce intra-firme et les prix de transfert entre une maison-mère et sa filiale étrangère, qui ont comme effet pervers une mise sous pression des législations fiscales et sociales au Sud comme au Nord.
Enfin, sur base de quelques ratios comptables simples (marge bénéficiaire, rentabilité, solvabilité/endettement), nous proposons de mettre en perspective la richesse créée par ces entreprises avec l’évolution de leur niveau d’emploi et sa répartition géographique.

Ce module peut être illustré par la projection d’un documentaire pédagogique d’une vingtaine de minutes réalisé en 2006 par le CNCD-11.11.11 ("Full option"), qui illustre les enjeux du travail décent sur une chaîne d’approvisionnement automobile partant de la Belgique, passant par la Roumanie et atterrissant en Thaïlande.

3e module
Nouvelles formes d’organisation du travail et financiarisation de l’EMN

Les années 1980 et 1990 ont vu le contrôle des multinationales changer de main passant de la "main visible des managers" à celle des acteurs de la finance. Il s’agit tout d’abord d’aborder de manière pédagogique les grands bouleversements politiques et économiques dus à la crise du modèle fordiste dans les années 70 (Baisse des gains de productivité, hausse des taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, désintermédiation de l’économie, décloisonnement des acteurs financiers, dérégulation et globalisation, crise de la dette au Sud et Consensus de Washington).

Ensuite, il s’agit d’expliquer comment ces évolutions de leur environnement socio-économique ont amené les EMN à s’adapter / évoluer vers le modèle actuel que certaines dénomment « l’entreprise financiarisée » et les conséquences sur l’organisation du travail sur le terrain (diffusion du toyotisme, responsabilisation du travailleur, flexibilité…).

Ce module est actuellement illustré par la projection d’un court passage du documentaire de France3 intitulé « La mise à mort du travail » qui montre le poids croissant des investisseurs institutionnels sur le monde industriel.

4e module
La Responsabilité Sociale et Environnementale des EMN

Face à la quasi-absence d’une régulation des EMN par le droit international, la société civile a choisi d’utiliser principalement l’image de marque des entreprises pour les contraindre à prendre en compte les externalités négatives de leurs activités au niveau social et environnemental. Non contraignante, cette RSE (Responsabilité sociale des entreprises), ou "soft law", se matérialise rapidement dans le foisonnement des codes de conduite et autres labels. Cette stratégie est illustrée à partir d’exemples concrets dans les pays en développement. La RSEE (Responsabilité sociale et environnementale des entreprises) a permis des avancées sociales importantes dans certains secteurs, mais elle a, également, eu des effets pervers qu’il ne faut pas gommer (privatisation des sources du droit international).

Enfin, il s’agit également d’informer les participants sur les évolutions et les propositions actuelles dans ce domaine : passage d’une « soft law » vers une « smart law » ; Global Compact et cadre Ruggie ou encore des initiatives très concrètes comme celles de la Campagne Vêtements Propres dans le textile.

5e module
La réponse syndicale à l’internationalisation des chaînes d’approvisionnement

Longtemps, les organisations syndicales au Nord comme au Sud ont mis en œuvre des réponses nationales ou locales à l’internationalisation de l’entreprise et les enjeux qui en découlent. Depuis deux décennies, un embryon de négociation collective supranationale est en germe. Quels sont là, les intérêts des acteurs (EMN et syndicats) ? Quels sont les lieux de négociation (Comité d’entreprise international, Comité d’entreprise européen) ? Quels sont les mécanismes (les Accords-cadres internationaux) et leurs effets attendus ou vérifiés ? Autant de questions auxquelles des réponses sont apportées durant ce module.

6e module
Entreprise multinationale, marché à terme et matières premières

« Sans pétrole nos véhicules ne roulent pas. Mais, sans matières premières, il n’y a tout simplement pas de véhicules ». Ces propos sont d’un patron sidérurgiste allemand. Autrement dit : les entreprises industrielles doivent aller au marché et trouver des matières premières. Sinon, pas d’activité, pas de production. Quelles sont les stratégies mises en place par les entreprises pour trouver les matières premières ? A quels autres acteurs ou difficultés sont-elles confrontées ? Comment essaient-elles de résoudre ces contraintes ? Autant de questions auxquelles ce module tentera de répondre.

Nous mettons également en évidence les rapports entre entreprises et matières premières, à travers des cas concrets comme ceux d’Arcelor ou de Nyrstar. Il s’agit d’identifier les acteurs de la chaîne d’approvisionnement : le producteur au début de la chaîne, l’intermédiaire (le marchand), le consommateur et le spéculateur. Nous abordons les contrats à terme, c’est-à-dire les mécanismes utilisés par les entreprises pour se protéger contre les risques. Enfin, le survol de ce champ d’actions des entreprises multinationales permettra de mettre en lumière le rôle primordial que les matières premières jouent dans la vie quotidienne de l’entreprise et de ses travailleurs.

D’autres modules seront proposés au fil du projet.

Formateurs : Erik Rydberg, Bruno Bauraind, Lise Blanmailland, Raf Custers et Henri Houben.


 

Gresea asbl
Groupe de Recherche pour une Stratégie économique alternative

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