C’est un petit écrit, un micro-livre, 20 pages en tout, mais il a un contenu charmant et un beau titre : "La librairie contre-attaque" (The bookshop strikes back, Bloomsbury, 2013). L’écrivain Ann Patchett y raconte comment, désolée de voir sa ville devenir un désert pour les amoureux du livre, elle ouvre avec deux amies une librairie – un acte de résistance : il n’y en avait plus une seule à Nashville (c’est loin, c’est dans le Tennessee, mais c’est tout de même quelque 600.000 habitants). C’est en même temps une démonstration. Car il restait encore, peu auparavant, deux librairies à Nashville, qui marchaient bien : leur seul problème est d’avoir été rachetées par deux grandes chaînes qui ne les jugeaient pas assez rentables. Donc, on ferme. Air connu. On est dans la situation, tout à fait reconnaissable, d’une économie – une société – où le petit nombre, les actionnaires, les détenteurs du capital, décident pour l’humanité entière de quoi sera fait son quotidien, sans égard pour les besoins sociaux et culturels existants. A Nashville, les deux librairies fermées en étaient la preuve : elles avaient un public, une fonction tant culturelle que sociale et une raison d’être économique – mais ce public, cette fonction et cette raison d’être n’étaient pas assez "rentables". Leur fermeture valait en même temps "créneau" – pour les ventes en ligne d’Amazon, le mastodonte monopolistique bien connu pour ses conditions de travail rétrogrades et sa politique de mainmise totale sur l’édition : s’il gagne son pari, il n’y aura plus demain que des best-sellers crétins. La librairie d’Ann Patchett peut sembler une goutte dans l’océan mais elle est la preuve – à rebours – qu’une autre économie est réalisable. Sa librairie ne désemplit pas, elle marche du tonnerre et, pour citer Patchett, elle démontre "que changer le cours du monde des grosses entreprises est possible. Amazon n’arrivera pas à décider de tout ; les gens peuvent prendre les choses en main eux-mêmes en choisissant comment et où dépenser leur argent." On en reste certes ici au stade des choix individuels mais ils ne demandent qu’à devenir collectifs.