Au cas où vous auriez une épargne à investir, la mettriez-vous dans Tepco, l’exploitant de la centrale nucléaire de Fukushima ? Vous ne seriez pas seul à vous éloigner de cette entreprise. Entre la catastrophe du 11 mars et le 31 mars, la Tokyo Electric Power Company a vu s’enfuir 78% de son capital
Capital
Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
. Les investisseurs se détournent de l’imprévisible et Tepco en est un exemple extrême. Alors, que faire pour fidéliser ses actionnaires ? En deux mots : raconter tout et en détail, tout sur les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance auxquels une entreprise peut être confrontée. Sous forme de sigle, cela donne : divulguer le ESG. C’est le conseil que donne le lobby
Lobby
Groupement créé dans le but de pouvoir influencer des décisions prises habituellement par les pouvoirs publics au profit d’intérêts particuliers et généralement privés. La plupart des lobbies sont mis en place à l’initiative des grandes firmes et des secteurs industriels.
(en anglais : lobby)
mondial, côté entreprises, pour le développement durable, le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD). "Les entreprises", indique-t-il, "doivent montrer [ndlr. aux investisseurs] comment les facteurs ESG peuvent affecter le cash-flow durant un certain laps de temps". Pour le WBCSD, tout risque est monnayable et, a contrario, "ne rien faire peut résulter dans une destruction de valeur à long terme". Pour augmenter leur attractivité, les entreprises devraient donc joindre des indicateurs de performance à leurs rapports financiers. Ce rapportage ESG, concept également promu par la Commission européenne et certaines ONG, reste une action de marketing. On s’en rend compte lorsqu’on applique les indicateurs proposés par le WBCSD à Fukushima et Tepco : ces indicateurs ne foncent pas sur les vrais risques de l’industrie nucléaire. Cela vaut aussi pour d’autres secteurs. L’exercice du WBCS, entrepris avec l’Initiative Finances du Programme Environnemental des Nations unies, veut uniquement rapprocher pourvoyeurs et utilisateurs de capitaux. Ceci dans un contexte de crise et de méfiance généralisée. Il semble que le courant de pensée du WBCSD, développé dans des ateliers avec des entreprises transnationales et des consultants, a pris racine dans les marchés financiers. Ils n’attendaient que cela. McKinsey constatait déjà en 2009 dans un sondage, que deux tiers des directeurs financiers interrogés admettaient que "en période normale, les activités ESG créent de la valeur pour les actionnaires". Les sources d’intelligence pour les marchés financiers n’ont pas traîné et fournissent des instruments d’étalonnage. Aux États-Unis par exemple, MSCI (qui produit des index de valeurs boursières) a acquis RiskMetrics, spécialisé dans l’analyse des risques ESG des entreprises, et fournit une gamme d’index "conçus pour aider la clientèle à incorporer des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs décisions d’investissement
Investissement
Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
". Les concurrents Reuters et Bloomberg ont des services d’un même type en vitrine. Bref, les entreprises sont capables de tout… si elles y trouvent "une valeur".
Sources : "Translating ESG into sustainable business value", Report from an international workshop series of the WBCSD and UNEP FI, mars 2010 et "Valuing corporate social responsibility", McKinsey Global Survey Results, 2009.