Grand cas a été fait de l’initiative législative française visant à contrer l’abus de position dominante que Amazon, le géant états-unien de la vente en ligne de livres, est en passe de verrouiller. La loi française, soutenue par une large majorité de toute obédience partisane, peut paraître de faible envergure. Elle ne s’attaque qu’à la gratuité des frais d’expédition offerte par Amazon à ses clients, constitutive selon le législateur d’une violation du contrôle légal du prix du livre censé protéger tant les auteurs que les libraires. Plus intéressants, et révélateurs, sont les arguments échangés de part et d’autre. Du côté d’Amazon, ainsi, on fait valoir que la mesure aboutira à rogner sur le pouvoir d’achat des consommateurs français – et à établir une discrimination envers ceux d’entre eux qui font leur "shopping" sur Internet. La rengaine est connue jusqu’à en devenir lassante : pouvoir acheter moins cher prime sur toute autre considération quelles qu’en soient les conséquences. Ce qui est un tantinet attristant est que, en face, le raisonnement suit exactement la même courbature mentale. A entendre la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, dans sa défense du texte de loi à l’Assemblée nationale, le problème se limiterait à une sordide petite affaire de sous : "Lorsqu’ils seront en position dominante et qu’ils auront liquidé notre réseau de libraires, il y a fort à parier qu’ils vont augmenter les frais d’expédition." C’est naturellement plus que probable. Mais les dégâts – les conséquences de ce culte du bon marché – seront d’une toute autre nature et d’une toute autre ampleur. Lorsque les libraires auront disparu pour ne laisser subsister que quelques rescapés promus au rang de curiosités folkloriques, il n’y aura plus, pour faire le choix d’un livre, que le catalogue Amazon. Ses premiers pas en tant qu’éditeur à vocation "globale" donne ici un avant-goût : des best-sellers d’une affligeante stupidité. Boycotter Amazon est un devoir citoyen. (Là, nous ne faisons que relayer l’opinion unanime d’une assemblée de syndicalistes appelée, voici peu, à se prononcer là-dessus. On en sait quelque chose en Allemagne, où le syndicat Verdi ferraille – salaire et conditions de travail - contre les huit entrepôts logistiques allemands d’Amazon : ce n’est pas sans inquiétude qu’a été reçue l’annonce de l’ouverture de trois entrepôts géants dans ce que le Financial Times du 8 octobre nomme "la Pologne à bas coûts "… A bouquin pas cher, travailleur pas cher.)
Source : Financial Times, 4 octobre 2013