Dans la "vulgate planétaire" de "l’internationale conservatrice", pour reprendre l’expression de Pierre Bourdieu, l’Etat est l’épouvantail qui, par contraste, prouve les vertus du Marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
. L’Etat est le symbole de tout ce qui marche mal et, le Marché, de tout ce qui marche bien. Conte de fées, on s’en doute. Les déboires d’Alcatel-Lucent viennent de le rappeler. Son PDG, "Pat" Russo, vient de recevoir l’ordre de présenter pour le 31 octobre 2007 un "plan d’urgence" de restructuration, à la suite de trois prévisions de résultats négatifs consécutifs. Les "investisseurs" (terme consacré pour désigner les actionnaires à l’ère de la financiarisation
Financiarisation
Terme utilisé pour caractériser et dénoncer l’emprise croissante de la sphère financière (marchés financiers, sociétés financières...) sur le reste de l’économie. Cela se caractérise surtout par un endettement croissant de tous les acteurs économiques, un développement démesuré de la Bourse et des impératifs exigés aux entreprises par les marchés financiers en termes de rentabilité.
(en anglais : securitization ou financialization)
) ne sont pas contents et on les comprend. Lors de l’annonce de la fusion
Fusion
Opération consistant à mettre ensemble deux firmes de sorte qu’elles n’en forment plus qu’une.
(en anglais : merger)
des équipementiers de télécommunications, en mars 2006, le Français Alcatel pesait 18 milliards d’euros et l’Américain Lucent 10 milliards. Ils n’en valent plus, aujourd’hui, ensemble, que 16 milliards. 18 + 10 = 16 ? Dans l’arithmétique du Marché, ce n’est pas rare. En février 2007, Alcatel-Lucent avait espéré redresser la barre en prévoyant le licenciement de 12.500 travailleurs ; d’aucuns avancent désormais le chiffre de 30.000... Fuite en avant ? C’est l’avis de l’hebdomadaire de la Bourse
Bourse
Lieu institutionnel (originellement un café) où se réalisent des échanges de biens, de titres ou d’actifs standardisés. La Bourse de commerce traite les marchandises. La Bourse des valeurs s’occupe des titres d’entreprises (actions, obligations...).
(en anglais : Commodity Market pour la Bourse commerciale, Stock Exchange pour la Bourse des valeurs)
"Investir" qui, recommandant à ses lecteurs "de rester à l’écart du titre
Titre
Morceau de papier qui représente un avoir, soit de propriété (actions), soit de créance à long terme (obligations) ; le titre est échangeable sur un marché financier, comme une Bourse, à un cours boursier déterminé par l’offre et la demande ; il donne droit à un revenu (dividende ou intérêt).
(en anglais : financial security)
", relève, entre autres, que la saignée dans le personnel entraînera "de lourdes indemnités et cela bloque toute émergence d’innovation majeure". Apporté d’un horizon inattendu, c’est le bon sens même. Considérer les travailleurs comme représentant uniquement un coût, et non comme des créateurs de richesses, c’est d’évidence casse-cou, c’est s’appauvrir. La preuve par Alcatel-Lucent : se tenir à l’écart du titre.
Sources : Financial Times et Les Echos du 28 septembre 2007, Investir n° 1758 du 15 septembre 2007.