Crise du système économique ou crise d’une pensée alternative ? Sans doute, ces deux vont de pair.

On ne reviendra pas ici sur la débâcle des certitudes sur lesquelles les élites économiques ont bâti leurs châteaux de sable, sinon pour pointer, venant de ces élites à la manière d’un Je vous salue Marie, la prophétie messianique qui, aujourd’hui, en attend le sauvetage par des mesures de régulation du système financier. C’est prendre des vessies pour des lanternes.

Comme si la crise, le krach, le "crunch" n’étaient pas déjà, justement, le résultat d’une régulation, comme si ce n’était pas le produit de politiques délibérées, décidées en connaissance de cause, dans les milieux éclairés où se concentrent les pouvoirs d’opérer des choix de société. La "dérégulation" n’est jamais qu’une régulation, il n’y a de dérégulatoire que régulatoire, choisie, gravée dans des tablettes de loi.

Les "milieux éclairés" ? Entendre par là les lobbys industriels, les hauts fonctionnaires et éminences grises à l’œuvre derrière le "bling-bling" de la comédie politique, les larbins diplômés qui leur fournissent le discours d’accompagnement, de même qu’aux médias, etc.

On se reportera, pour gagner un peu de clarté, à David Harvey et sa Brève histoire du néolibéralisme (2006), qui en démonte l’horlogerie, et notamment en rappelant que – librement traduit de l’anglais – le "principal legs du néolibéralisme réside dans une action redistributive des richesses et des revenus, plutôt que dans leur création". C’est un système économique "sénile" pour reprendre l’expression de Samir Amin, un système qui n’a plus d’autre créativité que dans l’appropriation rapace, par OPA et fusions-acquisitions, de moyens de production existants, non pour produire du neuf, de l’utile ou du durable mais, au contraire, pour en réduire les "coûts" (là, c’est vous et moi, les travailleurs) et, par là, en redistribuer les gains dans le cercle restreint des propriétaires et investisseurs qui parasitent le système productif. (Elaborons un instant en rappelant, avec Henri Lefebvre,1962, que la propriété privée, pierre angulaire de nos démocraties de marché, était à l’origine un droit "fondé sur le travail personnel" [est à toi ce que tu as produit] dont les citoyens sont aujourd’hui dépossédés, n’ayant plus aucun pouvoir sur les outils de production : "la propriété actuelle est la négation de la propriété privée individuelle fondée sur le travail personnel." Bon à garder en mémoire à une époque où l’individualisme de pacotille reste érigé en valeur sociale suprême.)

Fermons cette longue parenthèse. A l’autre pôle de la débâcle, intimement liée à la première, il faudra, si on veut aller de l’avant, aussi parler de la dérégulation de la pensée et des alternatives progressistes au système économique.

Le Forum social mondial en est une jolie illustration. Ce rendez-vous des "altermondialistes" (faire la même chose autrement ? réguler les dérégulateurs ?) se veut le miroir de la diversité idéologique de ses participants et la fontaine chatoyante du jaillissement de leurs idées, toutes aussi diverses, toutes aussi dignes de respect les unes que les autres – et c’est sans doute bien ainsi. Mais le raisonnement pêche sur un point. Car si le Forum se veut tel, c’est aussi parce qu’il ne peut pas faire autrement : la "dérégulation" de la pensée alternative, le "libre-échange" des opinions particularistes, la "libéralisation" du débat d’idées et la "mondialisation" des échanges participatifs de savonnettes politiques sont passés par là.

De cela, il faudra parler. Du rejet épidermique de toute théorie générale de transformation de la société et de ses causes matérielles. De la défiance, aussi, pour tout ce qui ressemble à un "grand récit", sans s’interroger un instant sur la multiplication d’insignifiants "petits récits" qui autoproclament – néoféodalisme ? – autant de royautés qu’il y a d’individus. De la question du parti, enfin, repoussé comme chose fatalement totalitaire, sans qu’on voie bien comment s’en passer pour résister au totalitarisme ambiant, bien réel, lui.

Fermons également cette parenthèse-là, provisoirement. La gauche et la crise ? On trouvera dans les pages qui suivent quelques textes destinés à alimenter la réflexion. D’une part, des textes de "référence", prises de positions récentes, telle celle de la FGTB wallonne sous le mot d’ordre "Le capitalisme nuit gravement à la santé". D’autre part, tradition du Gresea oblige, des textes du Sud émancipateur. Et puis, au côté d’un texte de réflexion prémonitoire rédigé en 1998 par Walter Coscia, des esquisses et des ébauches d’analyse faites "maison". Bonne lecture...

Sommaire

  • Edito : La porte de sortie c’est où ? /Erik Rydberg
  • L’économie comme paradigme totalitaire/Walter Coscia
  • La crise va-t-elle emporter le Sud ?/Hakim Ben Hammouda
  • Huer Davos est un début, mais la crise est plus profonde/Seumas Milne
  • Construire une nouvelle hégémonie/Emir Sader
  • Appel à la gauche : Jetons le bébé avec l’eau du bain libéral
  • Appel anticapitaliste : Comme un enfant dans un magasin de bonbons
  • Dénoncer le capitalisme, ensemble !
  • Mea culpa et larmes de crocodile… c’est le miroir aux alouettes !/Raymond Coumont
  • Appel de Belem : Mettons la finance à sa place !
  • La crise : quelles perspectives ?/Xavier Dupret
  • La gauche et la crise : essai de mise en musique/Bruno Bauraind
  • L’enjeu de la banque publique/Xavier Dupret
  • Contribution à la campagne de la FGTB wallonne : « Dénoncer le capitalisme, ensemble ! »/Erik Rydberg
  • A lire
  • Nouvelles du front

 

Numéro consultable en ligne : https://issuu.com/gresea/docs/ge57reduit

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