Nous vivons dans un monde où l’information règne en reine. Télévision, Internet, journaux gratuits, bavardage mondial par mobilophonie, SMS, Facebook, Twitter & Co. Un mot qui revenait souvent, il y a de nombreuses années de cela, est celui de saturation. Trop d’infos, trop de bruitage. Là, maintenant, la mue est complète. De saturé, chacun sature ; d’oppressé par le trop plein, chacun ou presque contribue à la cacophonie en y voyant désormais un épanouissement : j’existe !
Voilà qui suppose de reprendre les choses à zéro, de remonter le toboggan au plus bas de la pente. Il y a information et information. Elle est rarement innocente. Elle poursuit des objectifs, on veut par là que ceux qui la fabriquent l’ont tournée pour qu’elle épouse un raisonnement, rarement explicité. Toute information procède d’un choix, d’un tri. Certains d’éléments sont mis en valeur, d’autres son écartés. Les fabricants de l’information – les médias, la nébuleuse Internet, les "experts" et les conférenciers – ne s’expliquent jamais là-dessus. Cela, chacun le savait naguère. Il est utile de le rappeler. (Internet a beaucoup changé la donne. Tout le monde croit tout pouvoir savoir, suffit d’un petit clic sur la souris. C’est une régression, le règne d’un nouveau monde de l’information, non signée, non datée, non identifiable, magma amnésique.)
A l’intérieur de ce qui circule sous le nom d’information, les données qui ont trait à l’économie bénéficient d’un statut particulier. C’est tantôt élitiste, tantôt secret. Sur l’économie en général, on reste dans un club fermé. Affaire de spécialistes, d’experts diplômés. Et sur tout ce qui touche au monde des entreprises (la "microéconomie" dans le jargon), on se heurte tôt ou tard à un mur : données confidentielles. C’est une anomalie. La démocratie politique existe, dans les écoles et mêmes dans les casernes, il y a eu des avancées. L’entreprise, elle, reste largement féodale. Information distillée au compte-gouttes et après censure interne. Les entreprises vivent grâce aux travailleurs, mais : prière de ne pas chercher à savoir ce qui s’y passe.
Là, on va utiliser un autre mot qui a été autrefois en vogue. Déficit démocratique, disait-on pour regretter l’une ou l’autre faille dans le montage des régimes de démocratie parlementaire. En matière économique, les failles demeurent béantes. On le verra dans les pages qui suivent. C’est la difficulté pour les syndicats d’organiser au niveau européen les dispositifs d’information et de consultation que, pourtant, la loi européenne prévoit depuis 1994 (voir les analyses de Henri Houben). C’est la difficulté (entre-temps devenue insurmontable) d’assurer le pluralisme de la presse en Belgique, où gauche et mouvement ouvrier ne disposent plus d’aucun relais, sinon marginaux (voir la radioscopie de Daniel Richard). C’est la difficulté que rencontrent les travailleurs lorsque, leur entreprise fermant ses portes ou délocalisant vers des cieux plus avantageux, ils doivent négocier avec une direction qui possède une énorme longueur d’avance, tenue secrète, sur ces stratégies de redéploiements-là (voir le portrait qu’en dresse Bruno Bauraind). C’est la difficulté (organisée) pour percer les écrans de fumée dont le secteur privé entoure ses secrets de fabrication, lire : de mise en concurrence des travailleurs, des sites de production et des Etats "hôtes" (voir à nouveau Henri Houben pour cette plaisanterie-là). C’est encore la difficulté de garder intacte une mémoire collective sur les démolitions des entreprises de service public, comme cela a été le cas avec la Banque de la Poste, la CGER ou le Crédit national à l’Industrie (voir Xavier Dupret). Et, puis, c’est l’exemple du Sud – il donne toujours l’exemple.
Ce sont, ici, les efforts déployés par l’ITF, la Fédération internationale des ouvriers du Transport et ses relais dans le Tiers-monde. Pour éduquer. Et pour informer. Il faut lire ce qu’ils en disent. Ce sont des choses que, dans nos contrées, la plupart ont oubliées. A savoir : que le droit à l’information est une conquête du mouvement ouvrier. Qu’il a fallu se battre pour les avoir, l’instruction publique, la liberté de la presse, la liberté de s’associer et de créer des centres d’éducation et de contre-information populaires. Là, dans notre monde saturé de gratuits, on a oublié le lourd prix payé afin que chacune et chacun disposent des moyens de s’émanciper. Il faut relire l’histoire du mouvement ouvrier, toujours prendre les choses par leur début.
Sommaire
- Edito : L’information économique, un enjeu citoyen /Erik Rydberg
- Le syndicat, un média de masse ! /Daniel Richard
- L’info socioéconomique dans les médias
- Lenteurs européennes /Henri Houben
- Heurs et euro-malheurs Henri Houben
- La fin programmée de Continental Herstal /Bruno Bauraind
- Top secret de polichinelle /Henri Houben
- Banque de la Poste, ex-pôle public bancaire belge ? /Xavier Dupret
- Pharma /Erik Rydberg
- Le monopole occidental tient bon /Henri Houben
- Le Sud syndical éduque /La Fédération internationale des ouvriers du transport
- La Charte du Manden
- Pour en savoir plus /Marc François
- Programme du séminaire “La firme multinationale, boîte noire de l’information économique”
- A lire
Numéro consultable en ligne : https://issuu.com/gresea/docs/ge58reduit
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