Dans l’analyse faite par la coalition belge des syndicats et des ONG du travail décent pour tous dans le but d’établir les objectifs centraux de sa campagne nationale de lobbying et d’éducation populaire, la réglementation des multinationales est apparue comme un de ses trois axes de travail privilégiés. C’est assez logique. La conjoncture historique fait dépendre la condition humaine des travailleurs de leurs employeurs et parmi ces derniers, les multinationales jouent un rôle déterminant. Les nouveaux maîtres du monde, comme disait Jean Ziegler.

En Europe, c’est par exemple le combat mené par la Confédération européenne des syndicats contre les emplois poubelle, contre le démantèlement du droit social qui permet aux entreprises – multinationales en tête – de faire du travail un vaste marché, un réservoir de gens modulables et corvéables, dans lequel on puise comme dans une boîte de Kleenex. En Europe, le progrès social renvoie à une vieille tradition qui remonte, au moins, à 1848. Formation des mouvements ouvriers.

Un travail décent pour tous, cela veut dire, d’évidence, dans le monde entier. Pas seulement en Europe, même si on a tendance là à prendre la tête du cortège et à dresser des plans conçus pour être acclamés partout ailleurs, y compris au Sud. D’où question, naturellement : là-bas, cela prend forme aussi ? Y a-t-on perçu le lien qui existe entre condition humaine et règne des multinationales ?

C’est chose faite depuis longtemps. En juillet 1972, le Chili de Salvator Allende, informé d’un coup d’Etat en préparation ourdi par des firmes américaines puissantes, obtenait du Conseil économique et social des Nations unies que le contrôle des multinationales soit mis à l’agenda des activités onusiennes. On sait ce qu’il en adviendra. Une Commission des sociétés transnationales sera mise en place peu après, en 1974. Mais ce ne sera pas du goût de Washington. Vingt ans plus tard, en 1994, cette excroissance gênante sera "mutée" pour, sans rire, devenir une Commission du conseil du commerce et du développement ayant pour mission d’étudier la "contribution des sociétés transnationales à la croissance et au développement". Donc, rideau.

On ne rigole pas avec les multinationales. L’Amérique latine en sait quelque chose. Comme l’a exprimé avec candeur au début du siècle précédent le général des marines Smedley Butler : "J’ai contribué à rendre le Honduras « correct » pour les compagnies fruitières américaines en 1903. J’ai contribué à rendre le Mexique sûr pour les intérêts pétroliers américains en 1924. J’ai contribué à faire de Cuba et de Haïti un endroit décent pour les gars de la National City Bank venant y ramasser leurs revenus. J’ai aidé à violer une demi-douzaine de républiques d’Amérique centrale au bénéfice de Wall Street. J’ai contribué à purifier le Nicaragua pour les activités bancaires internationales de Brown Brothers en 1902-1903. J’ai apporté à la République dominicaine les lumières des intérêts sucriers américains en 1916. Et j’ai veillé, en Chine, à ce que la Standard Oil y pénètre sans encombre."

Pour résumer : la capitale de l’Amérique latine, c’est Washington ? Cela ne laisserait guère de marges de manœuvre pour des politiques visant – comment disions-nous encore : à l’amélioration de la condition humaine par une promotion du travail décent et, cela supposant ceci, par une mise au pas des multinationales ? C’est un peu le constat que dresse Perry Anderson lorsqu’il décrit un monde devenu singulièrement unipolaire – un "univers de profits et de privilèges densément interdépendant" dont les élites se présentent fraternellement comme la "communauté internationale" qui, en tant que "symphonie de l’ordre capitaliste global", jouit d’une légitimité que plus rien ne menace. Rien ou presque. Aux côtés de l’Europe, forte d’avoir été façonnée par le mouvement ouvrier, dit-il, on peut également compter, allant à contre-courant, sur l’Amérique latine, "le plus fluide et le plus prometteur des continents" .

Refermons la parenthèse. Le dossier qui suit parle de lui-même, il n’a pas besoin de porte-parole. (Note pour les malentendants : il y sera peu question de travail décent ou de réglementation des multinationales, mais bien de contrôle ouvrier, de nationalisation, de protectionnisme, de banques et de médias décolonisés. Tout cela, cependant, revient au même.)

Sommaire

  • Edito : Amérique latine : le travail décent à contre-courant/Erik Rydberg
  • Le Sud existe aussi/Miguel Bonasso
  • L’OIT et son rôle dans la défense des droits des travailleurs/Lydia Guevara Ramirez
  • L’ALBA combat avec succès la globalisation du néolibéralisme/Ricardo Daher
  • L’heure a sonné pour la Banque du Sud/Emir Sader
  • La Banque du Sud est déjà sur les rails/Pagina 12
  • Impluser un protectionnisme régional/Entrevue avec Emir Sader par Sebastian Premici
  • Telesur : nous ne sommes pas anti US/Interview de Aram Aharonian par Nikolas Kozloff
  • Deux modèles qui s’affrontent/Oscar Laborde
  • Nationalisation et contrôle ouvrier/Entretien avec Juan Valor par Miguel Riera
  • Amérique latine et nationalisation des ressources énergétiques/Zhang Mingde
  • Actualités et héritage de Paul Prebisch/Xavier Dupret
  • Economie : emploi, taux d’intérêt et subsides/Roberto Navarro
  • Pour en savoir plus/Marc François
  • A lire

 

Numéro consultable en ligne : https://issuu.com/gresea/docs/ge59okreduit

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