Le 23 septembre 2011, le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) présentait son étude sur les armes légères dans l’Est du Congo sous le titre "Enquête sur la perception de l’insécurité". Le Gresea a contribué à l’événement par une réflexion sur le sujet : l’insécurité sous un angle plutôt économique et "macro".
En cherchant à pronostiquer quel sera le sort du Congo avec son énorme potentiel de ressources naturelles dans les années à venir, la question suivante s’impose : est-ce que le Congo se trouve de nouveau à la case de départ de 1998 ? Pour identifier les facteurs décisifs, faisons un bond en arrière.
Échiquier féerique
Le prélude date de l’année 2000. En décembre 2000, apprend un "WikiLeak", William Swing, l’ambassadeur américain à Kinshasa, envoie un télégramme à Washington intitulé "Goma political notes" [1]. Ce télégramme décrit l’atmosphère à Goma. La ville est occupée depuis deux ans par les troupes rwandaises et ses alliés de la rébellion du RCD. Mais, selon Swing, beaucoup de gens à Goma ont la nostalgie du président Kabila. Pourquoi ? Parce qu’il payait les soldats "qui ne devaient plus voler de la population pour survivre". Une autre raison est que l’alliance conduite par Kabila (l’AFDL) avait exécuté des voleurs et que le banditisme avait disparu. Swing note encore qu’il "n’y a pas de nostalgie pour Mobutu". Trois semaines plus tard, le père Kabila sera assassiné à Kinshasa.
Kabila a chassé Mobutu et il a pris le pouvoir au Congo en mai 1997. Un an plus tard, je fais une série de reportages à Kinshasa. Les choses allaient bien à Kinshasa. La sécurité régnait, le franc congolais était stable (grâce entre autres aux conseils fournis par l’ancien gouverneur de la Banque Nationale de Belgique, Fons Verplaetse) et l’inflation avait fortement chuté. C’était en avril 1998.
Quatre mois après, le Rwanda et l’Ouganda lancent une opération militaire contre le Congo. Elle marque le début d’une guerre qui va durer finalement 5 ans.
Le Congo est comme un échiquier. Beaucoup d’entre vous connaissent certainement le très beau court métrage "Le Damier" de Balufu Bakupa-Kanyinda, réalisé en 1996. Ce film met en scène une partie d’échecs opposant un inconnu au "Président National Fondateur". On voit deux personnes (2) et un échiquier bien carré (carré).
Mais, avec la guerre au Congo et la transition qui dure de 2003 à fin 2006, cet échiquier congolais prend une autre forme. Il n’est plus carré, il devient pentagonal. Il y a maintenant au moins cinq joueurs officiels. Ce sont les composantes du gouvernement. Mais il y a aussi les réseaux cachés, les occupations étrangères et les tuteurs ou curateurs étrangers.
Ils ne jouent pas sur un seul échiquier, ils jouent simultanément sur trois ou quatre échiquiers superposés.
Interférences
Le grand défi pour Kabila père et fils - pendant la guerre, la transition et la post-transition - est de rétablir l’autorité de l’État sur l’entièreté du territoire congolais. Rétablir l’autorité de l’État et la souveraineté du Congo, c’est également une des tâches majeures du gouvernement du Premier ministre Gizenga et de son successeur Antoine Muzito. Ils veulent formaliser l’économie.
Dans le secteur minier, le ministre Kabuelulu essaie déjà en 2007 de chasser les militaires du grand site d’exploitation de cassitérite à Bisye dans le Nord Kivu. Il échoue. Mais pour moi, il y a un esprit de suite dans ce que le gouvernement fait pour formaliser les exploitations minières dans l’Est du Congo. Cela se concrétise aussi grâce à des initiatives d’ONG, à Bukavu par exemple, en étroite liaison avec l’extérieur : avec les pays des Grands Lacs, la MONUC, l’OCDE, la Banque Mondiale, des fédérations industrielles comme l’ITRI qui représente les grands producteurs et consommateurs d’étain (et donc de cassitérite). Il s’agit de multiples initiatives qui traduisent, il faut y insister, un certain esprit de suite.
Depuis 2007, l’échiquier reprend lentement sa forme normale. Mais une chose est claire : l’échiquier garde ses faces multiples. La formalisation est entravée par une série de manœuvres et d’actions. Dans l’armée, des filières criminelles de produits miniers persistent. L’or et d’autres matériaux traversent toujours frauduleusement les frontières. Structurellement, l’économie congolaise reste très extravertie. Des mines ou des participations sont vendues, des concessions sont octroyées, et pas toujours dans toute transparence.
Le retour de l’État
En plus, sur le plan international, le comportement du Congo semble troubler des observateurs. Le Congo fait des choix africains. Il y a une semaine, le Congo s’est aligné sur la position du SADC à l’Assemblée générale des Nations unies, lorsqu’il a été débattu de la représentation de la Libye dans cette assemblée [2]. Un autre développement très important est l’apparition de l’Asie. Le Congo ne traite plus uniquement avec l’Occident mais aussi avec l’Inde, la Corée, la Chine. Cela n’est pas bien vu par tout le monde.
Où va donc le Congo, avec son énorme potentiel en ressources naturelles ?
Sur le plan macro, les choses ne vont pas si mal au Congo. Le pays connaît une forte croissance. Elle était de 7% en 2010. Il dispose à nouveau de réserves financières. On se rappelle que ces réserves étaient épuisées fin 2009 à cause de la crise financière internationale. [3]
Il y a d’autres progrès. Au printemps le Congo a adopté une "Matrice de gouvernance économique". Ce programme prévoit entre autres la publication de tous les contrats miniers et pétroliers signés par l’État. Cette publication se fait goutte par goutte. Tous les contrats pétroliers, par exemple, sont maintenant consultables en ligne. [4] Un autre développement important concerne la société minière parastatale Gécamines. Au mois de mars 2011, le gouvernement a manifesté son intention de refaire de la Gécamines une entreprise performante. Et on voit que la Gécamines prend les mesures pour se réapproprier des participations dans des "joint ventures". [5] Ceci en contradiction avec la Banque mondiale qui prône le démontage et la privatisation de la Gécamines.
Les choses ne vont pas si mal, on peut dire que le Congo est en train de renouer avec la conjoncture de 1998 et la première année du président Kabila. Mais des facteurs d’insécurité subsistent.
Éléments déstabilisateurs
Le Congo n’est pas à l’abri des crises économiques. Au contraire, les crises économiques du Nord ont un impact presque immédiat sur l’économie congolaise. Un tableau produit par le Fonds monétaire international fait apparaître que la croissance économique au Congo, qui était de près de 8% en 2005, chute en 2008 pour n’atteindre que 3% en 2009. On y voit aussi que l’apport du secteur minier va fluctuer énormément entre 2005 et 2010 : de grosso modo 2% du PIB en 2005 à presque rien en 2006 et 2009 pour ensuite remonter à 4% avec la reprise temporaire de l’économie mondiale en 2010. [6]
L’économie mondiale et les effets de conjonctures limitent donc visiblement la marge de manœuvre du Congo. C’est un premier facteur d’insécurité. Deuxième facteur d’insécurité : des décisions politiques à l’extérieur limitent également cette marge de manœuvre. Pensons à la loi Dodd-Frank, promulguée en juillet 2010 par le président Obama. Elle envisage entre autres de bloquer toute importation de minerais dits de conflits du Congo. Mesure inouïe : elle impose un embargo de fait à ce pays.
Ajoutons un troisième facteur. Le Congo n’a pas toute la maîtrise sur les revenus du secteur minier. Le FMI l’a encore reconnu dans son dernier rapport où il dit que les entreprises étrangères ont rapatrié les revenus supplémentaires des matières premières. [7]
Pour couronner le tout, la course aux matières premières risque de prendre le pas sur toute autre considération. L’Union européenne n’est qu’un des blocs économiques qui veulent à tout moment avoir un accès libre aux ressources naturelles dont ils ont besoin. Ces blocs économiques sont en compétition, et avec la crise économique actuelle cette concurrence va s’accentuer. Il ne reste qu’à espérer que cette compétition ne mette plus le Congo en feu et en flammes. Parce que là, on serait, et sur toute la ligne, ramené à la case de départ de 1998.