C’est un décryptage lumineux de l’économie contemporaine que Beaud, Danjou et David ont offert, en 1975, au départ du cas Pechiney. Racheté en 2003 par le canadien Alcan, Pechiney était encore, à cette époque, le premier groupe industriel privé de France, son "fer de lance", une multinationale disposant de plus de 460 usines, via 256 filiales, dans 40 pays, et quelque 100.000 salariés. Ce n’est pas venu tout seul. Héritière des trois plus vieilles entreprises françaises, Kuhlmann (1825), Pechiney (1855) et Ugine (1889), fusionnée en 1971 sous le nom de PUK, le géant français de l’aluminium a su bien manœuvrer. La Première Guerre mondiale, c’était business as usual, très profitable. Et cela reste du capitalisme paternaliste, avec "esprit maison", "œuvres sociales", cités ouvrières (40% du personnel y sont logés) et "intégration des salariés aux buts de l’entreprise ("cercles d’excellence" avant la lettre). Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, après Vichy ("revanche de la bourgeoisie sur les affres du Front populaire") et sous les auspices de la "pax americana", ce sera restructuration et multinationalisation, avec le "soutien actif" de l’Etat (partenariat public-privé avant la lettre) : une filière intégrée, au capital dilué, avec contrôle complet de la chaîne de production (et des approvisionnements) en France et, ailleurs, une stratégie des chaînons isolés, assujettis. Tiers-monde, s’abstenir. Le Niger l’apprendra à ses dépens. En 1974, son président, Diori Hamani payera d’un putsch militaire ses velléités d’augmentation du prix de l’uranium (nécessaire à l’énergivore PUK, il absorbait 8% de la production d’EDF), voire d’en nationaliser les mines. Les travailleurs ? A peine mieux lotis, à peine moins exploités. En 1938, il faut 5 heures à un ouvrier (travail posté, le 3x8 débilitant) pour extraire une tonne de bauxite, et seulement 54 minutes en 1970 : cette multiplication par cinq de la productivité ne le rendra pas cinq fois mieux payé, que du contraire. Les auteurs estiment à 2 milliards d’anciens francs français "la masse de plus-value extorquée aux travailleurs". Mais, motus... La presse, soi-disant 4e pouvoir, soulignent les auteurs, est "un facteur efficace de diffusion des idées patronales", dont elle reprend "mot pour mot les communiqués". C’est un livre salutaire. Il faut aller aux sources, retourner aux textes qui éclairent.
Source : "Une multinationale française – Pechiney Ugine Kuhlmann", Michel Beaud, Pierre Danjou et Jean David, Seuil, Coll. Economie et société, 1975, 288 pages. Disponible au Centre de documentation du Gresea.
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