Depuis 2004, les relations entre l’Union européenne et le Mercosur sont marquées par une sorte de frustration permanente de la part de l’Union européenne. Les négociations entre la Commission européenne et le Mercosur sur un accord de commerce sont désormais paralysées. A la revendication de l’Union européenne en faveur d’une libéralisation plus accentuée des échanges avec le sous-continent sud-américain concernant le secteur industriel et celui des services s’oppose la demande du Mercosur d’une augmentation des quotas d’importation en faveur de ses produits agricoles. Il s’agit d’un débat classique entre le Nord et le Sud et qui est directement à l’origine de la suspension des négociations du cycle de Doha fin juillet 2006.

Le pied dans la porte

Entretemps, l’Union européenne a innové en jouant la carte du "diviser pour régner". En 2007, l’Union européenne s’est ainsi donné comme objectif de conclure un "partenariat stratégique" avec le Brésil, ce qui marquait un tournant dans les relations extérieures de l’Union européenne et faisait la part belle à un bilatéralisme.

Certes, les domaines de coopération de ce "partenariat" ne concernaient pas les échanges commerciaux. Cependant, un signal venait d’être envoyé à toute l’Amérique du Sud. Il serait désormais possible au Brésil d’avancer seul avec l’Union européenne sur certains domaines comme l’environnement, les sciences et technologies qui, précisément, recoupent certains des secteurs sur lesquels porte la coopération intraMercosur. La stratégie adoptée par l’Union européenne était de nature à gêner aux entournures l’intégration régionale en consacrant le Brésil dans son rôle de leader continental alors même que sa politique étrangère inquiète parfois d’autres capitales de la région.

Dans de telles conditions, les autres pays membres du Mercosur n’avaient plus vraiment le choix. Si le géant brésilien, en plus de sa puissance économique, disposait d’un avantage en matière technologique, les autres pays de la région auraient bien du souci à se faire en ce qui concerne le maintien de leur compétitivité. Après tout, "dans l’actuel Mercosur, l’Argentine se profile comme le fournisseur de matières premières et le Brésil comme producteur de biens plus élaborés. Cette division du travail est un effet du libre-échangisme qui règne à l’intérieur de cette association. Les capitaux circulent avec des restrictions décroissantes et cherchent les avantages qu’offre le marché le plus significatif. Pour la même raison que les États-Unis profitent du sous-développement latino-américain, le Brésil sort avantagé face à l’Argentine à la petite échelle du Mercosur". [1] Bref, les voisins du géant brésilien étaient contraints de rejoindre la table des négociations. Cela étant dit, la reprise des négociations entre l’Union européenne et les pays composant le Mercosur n’a pas l’heur de plaire à tout le monde sur le Vieux continent. Ainsi en va-t-il de la France désireuse de protéger son secteur agricole.

Plus globalement, l’heure, dans le monde, est à la révision du postulat libre-échangiste. Selon la Commission européenne, "332 mesures de restriction des échanges ont été mises en place depuis le début de la crise financière en 2008 (…). A peine 10 % des mesures protectionnistes mises en place depuis l’automne 2008 ont été supprimées, déplore la Commission. Des pratiques en contradiction avec les engagements pris dans le cadre des différents G20 -de celui de Washington en novembre 2008 au sommet de Toronto en juin 2010 -et qui visent directement certains de ses membres". [2]

Dans le collimateur de la Commission figurent la Russie (60 mesures protectionnistes), l’Argentine (62), mais aussi l’Indonésie (34), les États-Unis (23) et la Chine (20). Et les négociations avec le Mercosur, heureux coup double, viennent à point nommé pour déjouer les velléités protectionnistes en Amérique du Sud. En attendant le tour d’autres régions du monde ?

Le Brésil au centre de l’échiquier

En août 2010, le président Lula accusait Paris de constituer un véritable obstacle à la conclusion d’un accord de libre-échange entre les deux blocs régionaux. [3] Si la volonté du Brésil de parvenir à un accord avec l’Union européenne était évidente à l’heure où ces lignes étaient écrites, il ne semble toutefois pas que Brasilia soit prête à tout pour conclure un accord. Et c’est ici que le bât risque de blesser.

Ainsi, le volet "protection des droits de propriété intellectuelle" que Bruxelles met en avant est, à lui seul, de nature à provoquer une levée de bouclier de la part du partenaire brésilien qui ne s’est pas privé de faire entendre, à l’instar de la Chine et de l’Inde, tout le mal qu’il pensait de l’Accord commercial anti-contrefaçon (en anglais : Anti-Counterfeiting Trade Agreement, ACTA). Cet accord multilatéral a été conclu, jusqu’à présent, par 37 pays (à savoir, les États-Unis, les 27 membres de l’Union européenne, le Japon, la Suisse, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud, Singapour, le Mexique et le Maroc).

C’est que dans le cas brésilien, les débats sur la propriété intellectuelle prennent une tournure vitale et emblématique. En 2007, le Brésil cassait le brevet du laboratoire pharmaceutique américain Merck sur la molécule Efavirenz afin de mettre à la disposition des malades brésiliens du sida des rétroviraux bons marchés. Or, les contrefaçons dénoncées par l’ACTA englobent les médicaments génériques. Le risque de blocage est ici évident.

Retour à la case départ ?

Si ce risque se confirmait, on ne peut guère supposer que les autres pays de la région se porteront au secours du processus. En septembre 2010, lors de la tournée qu’effectuait dans la région le Commissaire européen en charge du commerce, un certain nombre de doléances lui ont été remises par les gouvernements locaux. Ainsi, des responsables argentins ont exprimé leur désir que l’Union européenne accorde un traitement spécial au Mercosur en cas de conclusion d’un accord commercial.

"Nous obtiendrons un résultat équilibré si les différences de développement en matière économique, commerciale et institutionnelle sont reconnues (…). En vue d’établir un accord bilatéral, il doit inclure un traitement spécial et différent (…), un avantage fiscal afin d’assurer l’accès préférentiel et efficace des exportations du Mercosur (au marché européen)", affirmait, à l’occasion, Debora Giorgi, ministre argentine de l’Industrie. [4] De leur côté, les industriels du Mercosur adoptaient des positions plutôt dures en ce qui concerne la protection des industries naissantes. Ainsi, le président de l’ADIMRA (Asociación de Industriales Metalúrgicos de la República Argentina), Juan Carlos Lascurain, reprochait à l’Union européenne de ne s’être guère montrée, jusqu’à présent, encline à promouvoir des traitements différenciés destinés à éviter des répercussions négatives à l’endroit de secteurs stratégiques pour le développement industriel en Amérique du Sud. [5]

Fin octobre 2010, le parlement européen adoptait une position de relatif contre-pied par rapport aux souhaits de ses "partenaires" sud-américains en faisant valoir que seules seraient admises sur le territoire de l’Union européenne les importations de produits agricoles pour lesquelles les normes européennes de protection des consommateurs, de bien-être des animaux et de protection de l’environnement et les normes sociales minimales sont respectées. Et le 11 novembre 2010, le Parlement européen votait une motion demandant de préserver pleinement les intérêts des producteurs européens dans les négociations commerciales bilatérales avec le Mercosur. Décidément, la mondialisation de l’agriculture a du mal à passer la rampe en Europe. Pas sûr évidemment que ce soit de bonne augure pour la suite des négociations avec Brasilia et consorts.