1. Qu’est-ce qu’une entreprise multinationale de l’agroalimentaire ?
Pour savoir ce qu’est une "multinationale de l’agroalimentaire", il est nécessaire de définir deux notions : "entreprise multinationale" et "industrie agroalimentaire".
L’entreprise multinationale est, aujourd’hui et de façon croissante, un chef d’orchestre qui organise l’ensemble des activités de production et de service qui s’établit à l’intérieur d’un groupe ou d’un réseau de relations entre des filiales ou des petites sociétés sous-traitantes [1].
L’industrie agroalimentaire regroupe l’ensemble des entreprises agroalimentaires. Un ensemble dont les frontières ne sont pas nécessairement si claires, tant il renvoie à des définitions diverses.
Au sens le plus large du terme, auquel réfèrent les pages qui suivent, l’industrie agroalimentaire "est le secteur de l’économie qui comprend toutes les entreprises, les agences et les institutions qui fournissent les intrants nécessaires à l’exploitation agricole et qui en retirent les denrées destinées à la transformation et à la distribution au consommateur. Traditionnellement, l’industrie agro-alimentaire se concentrait sur les intrants agricoles (c’est-à-dire les fournitures comme la machinerie agricole, les aliments du bétail, les pesticides) et les services (p. ex., les institutions financières). La définition moderne inclut les entreprises qui achètent les denrées agricoles (comme le lait, le porc, le grain, les graines oléagineuses) et qui transforment le large éventail de produits qui en résultent pour ensuite les distribuer aux consommateurs nationaux et étrangers par le biais de nombreux intervenants" [2].
En ce sens large, l’industrie agroalimentaire englobe donc à la fois les entreprises actives dans les secteurs situés en amont de l’activité agricole (fourniture d’intrants, de matériel agricole, etc.) et en aval (négoce, transformation et distribution).
Les multinationales de l’agroalimentaire peuvent donc être définies comme les entreprises d’envergure internationale actives en amont et/ou en aval de la production agricole, qu’il s’agisse, par exemple et en particulier, de fournir des pesticides, des semences et "intrants" aux agriculteurs, de commercialiser les produits de base agricoles, de les transformer ou de distribuer les produits alimentaires aux consommateurs.
Les plus importantes multinationales de l’agroalimentaire sont actives dans toutes les régions du monde. Cargill, premier céréalier mondial, emploie selon ses propres chiffres près de 158.000 travailleurs dans 66 pays [3] pour un chiffre d’affaires avoisinant les 85 milliards de dollars.
Ces entreprises ont aujourd’hui un tel contrôle sur la chaîne alimentaire que sans le savoir, les consommateurs peuvent très bien remplir leurs frigos en achetant des produits d’une seule entreprise. La margarine Becel, le déodorant Axe, les pâtes Bertolli, les sauces Knorr, les poudres à lessiver Coral ou Omo ou encore le thé Lipton, bienvenue chez Unilever.
Si les consommateurs connaissent peu Unilever ou Cargill, ils connaissent bien davantage Wal-Mart, Carrefour ou d’autres grands distributeurs. Principal canal de distribution des produits alimentaires aux consommateurs, ces géants ont une taille impressionnante. En termes de nombre de salariés, par exemple : 2 millions pour Wal-Mart à travers le monde (20% de la population belge), ce que en fait le plus grand employeur à l’échelle du globe [4].
Enfin, plus encore que d’autres secteurs, les multinationales de l’agroalimentaire présentent une répartition géographique très inégale entre le Nord et le Sud (Encadré 1) : les plus grandes multinationales de l’agrobusiness ont leur siège aux États-Unis ou en Europe de l’Ouest. Cette répartition inégale n’est pas anodine : c’est là que se prennent les principales décisions stratégiques des entreprises, et c’est vers ces pays qu’une part importante des bénéfices est rapatriée.
Encadré 1. Origine des grandes multinationales de l’agroalimentaire
Source : site du magazine financier Fortune, http://money.cnn.com/magazines/fortune/global500/2008/. Traitement Gresea 2008.
2. Qui domine les marchés agricoles mondiaux ?
La plupart des marchés agricoles mondiaux sont en situation d’oligopoles très restreints à plusieurs niveaux de la chaîne d’approvisionnement allant du champ de l’agriculteur à l’assiette des consommateurs (Encadré 2).
Il y a tout d’abord le marché des "intrants". Par cette expression, on entend l’ensemble des différents produits apportés aux terres. En d’autres termes, il s’agit soit des semences (naturelles ou transgéniques), soit des engrais ou des pesticides qui permettent d’augmenter la productivité d’une exploitation (pour peu que l’on définisse la productivité agricole comme le "rendement à l’hectare d’une production donnée" [5]).
C’est la révolution industrielle qui a apporté à l’agriculture les premiers engrais chimiques au milieu du 19e siècle en Europe. C’est également à cette époque que Johan Mendel a lancé les bases de la biogénétique, qui a permis la création de nouvelles espèces plus productives, dont les OGM constituent la dernière évolution [6]. Ces découvertes (OGM non compris) ont contribué, au cours du 20e siècle, à augmenter considérablement la production agricole et d’assurer en occident l’autosuffisance alimentaire.
Afin de protéger et d’encourager les innovations, les nations industrialisées ont inventé le régime des brevets. Au cours des années 1990, quelques entreprises multinationales de l’agrobusiness se sont alors mises à faire breveter des espèces végétales, non seulement en Occident mais aussi dans les pays en développement. A cet égard, soulignons que l’une des principales failles de l’Accord de l’Uruguay Round est précisément de ne pas avoir distingué entre les brevets sur les inventions industrielles et ceux sur les espèces vivantes [7].
Le brevetage du vivant est potentiellement lourd de conséquences pour les paysans. Droits d’auteur obligent, les semences brevetées leur coûtent globalement bien plus cher, au profit des multinationales détentrices des brevets. Le raisonnement vaut également pour les engrais et les pesticides.
En matière de semences transgéniques, le marché est particulièrement concentré. La multinationale Monsanto, par exemple, détient à elle seule près de 80% de ce marché. Une position dominante d’autant plus intéressante pour l’entreprise qu’elle contribue à renforcer son emprise sur le marché des herbicides. En effet, les semences "Round up Ready" ont été génétiquement manipulées pour rendre la plante résistante à l’herbicide "Round up", également commercialisé par Monsanto. Les paysans utilisant des semences Round up Ready ont donc tout intérêt à utiliser l’herbicide Round up… Tout bénéfice pour la multinationale.
C’est notamment ce que l’on observe en Amérique latine. En Argentine ou au Brésil, les paysans s’échangent en effet des graines de soja Round up Ready : dans ces pays, Monsanto ne détient pas de brevet sur ce soja transgénique. Ce faisant, les paysans latinos deviennent dépendants au Round up [8].
Ensuite, après la production agricole, il y a le secteur du négoce et celui de la transformation, fréquemment gérés par les mêmes multinationales. Ces quelques multinationales négocient en position de force avec les paysans. Elles achètent les récoltes pour ensuite les acheminer vers l’une de leurs filiales où la matière première sera transformée. Ainsi, le céréalier Cargill achète du soja aux agriculteurs brésiliens pour ensuite l’envoyer en Angleterre vers sa filiale Sun Valley. Cette entreprise "booste" des poulets au soja puis envoie la viande vers les Mac Do du monde entier [9].
Enfin, terminons par le secteur de la distribution, sans aucun doute le stade de la chaîne d’approvisionnement le plus concentré. Ce sont les chaînes de supermarchés Wal-Mart, Carrefour ou Tesco. Un goulot d’étranglement qui profite de sa proximité avec le consommateur final pour imposer sa guerre des prix à l’ensemble de ses fournisseurs. Il n’est dès lors pas étonnant qu’en période de baisse des prix agricoles, les prix alimentaires aux consommateurs restent souvent très stables [10].
Encadré 2. La chaîne d’approvisionnement des produits agroalimentaires
Source : Myriam Vander Stichele, Somo, 2006. Traitement Gresea, 2008.
Encadré 3. La concentration sur les marchés agricoles en chiffres
Source : Berthelot, Jacques, 2006.
3. Comment une entreprise devient-elle multinationale ?
Pour comprendre comment les entreprises multinationales de l’agroalimentaire ont acquis un tel pouvoir de marché, un tel contrôle sur les échanges agricoles internationaux, il faut s’intéresser à leur stratégie d’internationalisation (Encadré 4).
Comme dans les autres secteurs, ces stratégies peuvent être classées sous deux grandes catégories : l’Investissement Direct Etranger ou IDE et le recours à la sous-traitance internationale.
L’investissement direct étranger (IDE) est un flux financier. Une entreprise investit dans un autre pays afin d’y implanter une filiale ou de prendre une participation dans le capital d’une autre entreprise.
La sous-traitance internationale est une relation contractuelle entre une entreprise donneuse d’ordre qui délègue une partie de ses activités à une autre entreprise à l’étranger. En théorie, ces deux entités restent juridiquement indépendantes.
Dans la réalité, cependant, le rapport de force entre l’exploitation agricole et les multinationales de l’agroalimentaire est très disproportionné. Même pour les plus grandes exploitations d’Amérique latine, un contrat signé avec une multinationale comme Cargill ou Nestlé est un passage obligé pour avoir accès aux marchés mondiaux.
Ce pouvoir de marché des grands transformateurs ou négociants leur permet de mettre en concurrence les exploitations agricoles entre elles. Cette concurrence oblige les producteurs locaux à rogner sur leurs coûts de production.
Au dernier échelon, cette pression se répercute sur les salaires et les conditions de travail des paysans et des travailleurs agricoles dans les plantations au Sud mais, également et de plus en plus, sur les marges bénéficiaires des petites exploitations agricoles du Nord.
Encadré 4. Stratégie d’internationalisation des entreprises multinationales
* ETN= Entreprise Transnationale, synonyme de multinationale.
Source : ANDREFF, Wladimir, Les multinationales globales, 2003.
4. Comment une entreprise multinationale finance-t-elle ses investissements ?
Progressivement et à l’image d’autres secteurs d’activités, l’industrie agroalimentaire voit l’émergence d’un modèle d’entreprise globale et financiarisée.
Pour financer ses investissements ou le rachat d’autres entreprises, la multinationale émet des titres (des actions) qui sont échangés en bourse. Ces titres représentent une part de l’entreprise. L’ensemble des particuliers ou des entreprises qui détiennent ces titres forme l’actionnariat de l’entreprise (Encadré 6).
Ces actionnaires placent leurs argents dans des entreprises en visant un rendement rapide. Pour obtenir ce dernier, ils font pression sur les dirigeants de l’entreprise qui doivent réduire leurs coûts et assurer des bénéfices importants à court terme.
La progressive financiarisation des entreprises de l’agroalimentaire représente donc une pression supplémentaire sur les producteurs et travailleurs agricoles.
Encadré 6. Archer Daniels Midland : une multinationale "financiarisée"
Source : http://www.transnationale.org/. Traitement Gresea, 2008.
5. En quoi les stratégies des multinationales influent-elles sur les conditions de vie des paysans et des travailleurs agricoles ?
Comme déjà abordé plus haut, le pouvoir de marché des entreprises multinationales de l’agrobusiness et leur financiarisation ne sont pas sans conséquence sur les conditions de vie des paysans et des travailleurs agricoles au Sud et au Nord.
Soucieuses de réaliser des marges bénéficiaires maximales, les multinationales de l’agroalimentaire privilégient des politiques d’approvisionnement notamment caractérisées par :
- De bas prix d’achat aux fournisseurs ;
- Une mise en concurrence des producteurs agricoles (à l’échelle nationale et internationale) ;
- L’achat en gros volumes aux fournisseurs ;
- L’imposition de "marges arrières" aux paysans (justifiées par les chaînes de supermarchés pour le référencement des produits, la promotion, …) ;
- L’imposition de standards aux fournisseurs, comme les normes de qualité ou des critères sanitaires, dont les coûts très élevés sont répercutés sur l’ensemble des niveaux de la chaîne d’approvisionnement.
Au Nord comme au Sud, à des rythmes et des degrés divers selon les contextes, ces politiques d’approvisionnement contribuent notamment :
- A une précarisation des revenus et des conditions de travail des paysans et des travailleurs agricoles ;
- Au non-respect des droits syndicaux dans les plantations. Et cela alors qu’il est en règle générale très difficile, pour des syndicats nationaux, de nouer un dialogue social avec des entreprises dont le pouvoir décisionnel est dilué dans un réseau international et géographiquement très éloigné (Encadré 5) ;
- A la marginalisation des agricultures paysannes au profit d’une agriculture plus industrielle, globalement mieux à même de satisfaire les exigences des acheteurs. Par exemple, il est impossible pour des exploitations paysannes familiales, typiquement de petite taille, de satisfaire l’exigence d’un approvisionnement en gros volumes des acheteurs.
Encadré 5. Etude de cas en matière de conditions de travail : "Cameroun : palmeraies sans syndicats"
Essayons de suivre. En Belgique, le groupe belge de plantations de palmiers Socfinal appartient à 40 % au conglomérat français Bolloré et, à 60 %, à la famille belge Fabri. Au Cameroun, via sa filiale la Compagnie camerounaise de palmeraies (Socapalm), le groupe exploite une plantation de palmiers à huile de 9.000 hectares. Pas dans les meilleures conditions pour les travailleurs : absence de dispositifs de sécurité (gants de travail, etc.) et un salaire indécent (en moyenne 53 euros par mois, lorsqu’il est payé) pour couper des régimes de noix de palme, travail lourd et harassant. Sans compter les conditions de vie et de logement dans des campements éloignés. Là, naturellement, on aimerait connaître le responsable de la situation. Socfinal ? Bolloré ? Fabri ? Socapalm ? C’est vers cette dernière, la filiale locale, que se tourneront en priorité travailleurs et syndicats. Las ! Bien que Socapalm contrôle 80 % du marché camerounais de l’huile de palme, il y a, pour faire écran, "des contrats de sous-traitance avec une soixantaine de sociétés pour la gestion de l’essentiel de la main-d’œuvre". Voilà qui est bien organisé. L’Observatoire des Entreprises du Gresea, le 14 mars 2008 |
6. Quel est le rôle joué par les entreprises multinationales de l’agroalimentaire dans la flambée des prix ?
La flambée des prix alimentaires constitue une belle opportunité, pour quelques géants de l’agroalimentaire, de réaliser de plantureux bénéfices. De fait, elle a permis a certaines multinationales du négoce et de la transformation d’augmenter considérablement leurs marges (Encadré 7).
Encadré 7. Evolution des bénéfices de quelques transformateurs
Source : le site du magazine financier Fortune, http://money.cnn.com/magazines/fortune/global500/2008/
Pour ce faire, ces géants du négoce et de la transformation peuvent notamment compter sur les stratégies suivantes, éventuellement complémentaires :
La spéculation sur le marché physique. Cette forme de spéculation consiste à stocker plus longtemps une marchandise avant de la commercialiser, en espérant que son prix sera plus élevé lorsque l’on décidera de vendre. Lorsqu’elle est le fait, non pas d’agriculteurs, mais d’une multinationale du négoce (qui contrôle à elle seule une partie importante de la vente d’un produit agricole), la spéculation sur le marché physique est de nature à amplifier, parfois de façon importante, un mouvement de hausse de prix, en contribuant artificiellement à une pénurie sur le marché physique.
La captation de la plus grande partie de la hausse des prix agricoles internationaux, au détriment des paysans et des travailleurs agricoles. Lorsqu’elles maîtrisent l’achat direct de la production aux agriculteurs, les multinationales de l’agroalimentaire peuvent s’appuyer sur leur important pouvoir de marché pour ne pas répercuter, ou répercuter de façon mineure, les hausses des prix internationaux sur les prix payés localement aux agriculteurs. C’est l’une des raisons pour lesquelles les agriculteurs ne bénéficient parfois qu’à la marge de telles hausses, tout en subissant de plein fouet l’envolée des prix en tant que consommateurs.
La spéculation sur les marchés à terme. La majorité des négociants, en particulier lorsqu’ils sont de taille petite ou moyenne, interviennent d’abord et avant tout sur les marchés à terme de Genève, New York ou Chicago dans une logique de couverture du risque prix (voir ci-dessous). Cela étant, certains négociants internationaux de grande taille peuvent avoir tendance à y intervenir dans une optique plus spéculative. Étant donné leur capacité à spéculer sur le marché physique, ces entreprises ont les moyens de spéculer sur les marchés à terme avec une prise de risque restreinte, puisqu’elles disposent d’une certaine capacité à influencer les cours.
Dans la mesure où certains grands négociants internationaux spéculent sur les marchés à terme, ils sont vraisemblablement en partie responsables de la dérive spéculative ayant largement contribué à la récente flambée des prix alimentaires, même si l’essentiel de cette dérive doit être attribué à d’autres acteurs, comme nous le verrons un peu plus loin. Mais au fait, en quoi la spéculation sur les marchés à terme porte-t-elle une grande part de responsabilité dans la flambée des prix alimentaires ? Pour répondre à cette question, commençons par distinguer clairement "marchés physiques" et "marchés à terme".
Les marchés "physiques" sont ceux où se négocie la livraison physique du produit.
Toutes les transactions sont supposées y déboucher sur une telle livraison. Les marchés "à terme" n’ont pas pour vocation première la livraison physique de la marchandise, mais la couverture du risque prix.
Le risque prix, c’est le risque, pour un opérateur actif sur le marché physique (producteurs, négociants, …), de subir une perte financière découlant d’une variation défavorable des cours entre le moment où se négocie la livraison future de la marchandise et le moment où cette marchandise sera effectivement livrée. L’opération de couverture consiste à adopter sur le marché à terme la position inverse à celle adoptée sur le marché physique. Ce que l’on perd sur un marché, on le gagne sur l’autre et inversement.
Sans un peu de spéculation, la couverture du risque prix est impossible. Quand elle est "raisonnable", la spéculation a donc une utilité économique réelle sur des marchés caractérisés par une dérégulation croissante.
Le problème est qu’elle est de plus en plus démesurée, initiant des mouvements haussiers ou baissiers chaotiques pour les acteurs du marché physique. C’est justement ce qui contribue largement à la flambée des prix actuelle : les fonds de pension et autres spéculateurs majeurs ont très massivement spéculé à la hausse, anticipant de futures hausses de prix sur les marchés physiques. Des hausses qu’ils ont du même coup très largement amplifiées.
C’est ici le cœur du problème. Les fonds d’investissement ont envahi les marchés agricoles. Les tensions sur l’offre provoquées par les dérèglements climatiques, la production d’agrocarburants, l’évolution des régimes alimentaires dans les pays émergents ont transformé l’agriculture en une valeur refuge, comme l’était l’immobilier américain dans un passé proche, pour ces organismes collectifs de détention d’actifs financiers à vocation purement spéculative.
De plus, pariant sur une hausse à long terme des prix alimentaires, ces fonds investissent aujourd’hui le marché physique. Ainsi, le fonds d’investissement américain Whitebox Advisors a acheté plusieurs silos à grain appartenant auparavant à Cargill et à ConAgra [11].
Or, ces acteurs de la finance mondiale n’ont pas d’objectif de production et encore moins celui de nourrir la planète. Leur but est des retours à court terme sur leurs investissements.
En achetant des silos à grain ou des terres, comme le fait le fonds français Pergam Finance en Uruguay et en Argentine [12], ils deviennent des acteurs du marché physique et peuvent donc, comme les multinationales, exercer une activité spéculative sur ces marchés, contribuant ainsi à provoquer une rareté fictive. Ce qui leur confère une certaine capacité de "prévision" sur les marchés à terme.
Encadré 8. Synthèse du rôle de la spéculation, à terme et physique, dans la formation des cours internationaux des produits de base agricoles
Source : International Herald Tribune du 17 avril 2008 ; Financial Times du 25 avril 2008. Schéma Gresea 2008.
En synthèse, les marchés à terme présentent une utilité économique réelle : ils permettent à un certain nombre d’acteurs de se protéger contre les effets économiquement néfastes de l’instabilité des prix sur les marchés physiques. Du moins est-ce le cas pour les négociants, ainsi que pour les agriculteurs à même d’utiliser ces marchés à terme [13].
En même temps, les marchés à terme sont aujourd’hui l’objet d’une véritable dérive spéculative, qui témoigne d’un manque cruel de régulation quant à leur fonctionnement.
Cela étant, quelle que soit l’utilité des marchés à terme dans le secteur agricole, il est une chose qu’il ne faut jamais oublier : ces marchés n’ont de sens que dans un contexte de forte volatilité des prix sur les marchés physiques. Or cette instabilité ne tombe pas du ciel. En dernière instance, elle est fondamentalement le fruit d’une absence de volonté politique forte de réguler les prix de marché agricoles en vue de les rendre à la fois plus stables et plus décents pour les agriculteurs, et plus raisonnables pour les consommateurs. En d’autres termes, la forte volatilité des prix agricoles n’est pas une fatalité. Dès lors, pourquoi ne pas chercher à la réduire, en recourant aux outils de politique économique nécessaires pour ce faire [14] ? Ne serait-ce pas un moyen bien plus efficace pour en éviter les effets néfastes ? Ce n’est certes pas dans l’intérêt des fonds de pension et autres grands spéculateurs, qui ont absolument besoin de cette volatilité pour s’adonner à leurs pratiques spéculatives. Mais c’est l’une des conditions sine qua non pour espérer enrayer la crise alimentaire de manière durable. Le tout, évidemment, est de savoir ce que l’on veut…